P. Binet&aj4 olfil-
BIBLIOTHÈQUE INSTRUCTIVE
TAHITI
E r L E s
COKINIES FlUKÇAlSI'S DE LA PUEYNÉSIJ
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11. LE EltAUTIEll
O U A" R A G K O R xN: R DR 2 5 G R A A' C R R S
et de deux cartes hors texte
ET l’UÉGÉDÉ d’une E E T T R E - P HÉ E A G E
Par M. Ferdinand DE LESSEPS
L I B R A I U I i: F U IV x> !•
JOI YET ET G", ÉDITEUUS
M DCCG L.\.\.KV1I
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https://archive.org/details/tahitietlescolonOOIech
A
xM. LE Comte Ferdina^'d ])F LE SS EPS
MONSTKUn LE COMTE,
x4u moment où, par le percemeni de l'isllime de Panama, les nations civilisées vont recueillir un nouveau don devotre génie, j’ai eu la pensée de vous offrir la dédicace de mon modeste ouvrage sur Tahiti. En ouvrant une loute nouvelle entre les deux Océans, vous rapprochez cette belle colonie de notre France et en faites la plus importante escale de l’Océanie.
Permettez-moi de placer mon livre sous le patronage d’un nom qui appartient à l’iiistoire, et dont les points du globe que vous avez transformés perpétueront le souvenir.
Agréez, monsieur le comte, l’expression de mon profond respect.
IIexri Le Chartier.
Paris, mal /8S7.
A
M. HENRI LE CHARTIER
Monsieur,
Vous me dédiez votre livre sur Tahiti : je vous en remercie. Ma sympathie est acquise à tous ceux qui travaillent à étendre le rayonnement pacifique de la France ; c’est ce que vous faites en appelant l’atten- tion sur ces possessions quelque peu oubliées jusqu’à ce jour. Cette belle île, dont vous nous faites une des- cription fidèle, et qui apparut comme une vision aux premiers navigateurs de Tocéan Pacifique, va être ap- pelée à une vie nouvelle par l’ouverture du Canal In- terocéanique ; jusqu’à ce jour point de relâche de quelques pauvres baleiniers, elle va recevoir dans son port les grands steamers qui mettront l’Europe et les Etats-Unis à quelques jours de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Votre livre vient à son heure en nous entretenant de ces colonies, aujourd’hui lointaines, de- main presque voisines.
Agréez, monsieur, l’expression de ma haute consi- dération.
Perd, de Lesseps.
Parais, mai 1887.
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TAHITI.
nent les îles Marquises, la plus ancienne de nos posses- sions dans cette portion de l’Océanie, l’archipel Tua- motu (1), les îles de la Société ou de Tahiti, les îles Gambier^ les îles Tuhuai, sans oublier la petite île isolée de Bapa. Cette dernière ne se rattache à aucun groupe, pas plus que certaines autres connues sous le nom générique de Sporades boréales ou australes, selon leur situation au nord ou au sud de l’équateur.
Notre influence s’étend sur les îles à l’ouest de Tahiti, ou îles Sous le Vent, elle est combattue aux îles Samoa et aux îles Tonga par l’intluence allemande, aux îles Sandwich par l’influence américaine et anglaise; elle s’étendait naguère à la Nouvelle-Zélande, avant que l’Angleterre ne nous y supplantât par un tour de déli- catesse des plus britanniques.
Bien que nous ayons placé les îles Marquises en tête de notre division, nous nous occuperons tout d’abord de l’île Tahiti, devenue le siège du gouvernement.
(1) Dans la langue taliitienne, comme dans la langue espagnole et italienne, I’m se prononce ou : prononcez Tomnnotofi.
I
PREMIÈRE PARTIE
TAHITI.
CHAPITRE PREMIER
Notice historique.
Le nom de Tahiti subit différentes altérations, selon les divers peuples qui le prononcent : Taiti ou Tahit pour les Français, O'Tditi pour les Anglais qui, bien à tort, ont cru retrouver l’article celtique O dans la décla- ration des Tahitiens : O TaUi, c’est Tahiti.
Nous devons cependant constater qu’ils écrivent aujourd’hui Tahiti et non plus O'Tditi selon leur ancien usage, reconnaissant ainsi, mais bien à contre-cœur, la substitution des idées françaises aux idées anglaises dans cet Éden océanien.
Quoi qu’il en soit, sur les cartes anglaises, comme sur les nôtres, la situation de l’île Tahiti n’a pas varié et est toujours entre
! de latitude sud.
17® 17 47 )
et
151® 29' 53" ) . , ,
151® 56' 1 longitude ouest.
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TAHITI.
Elle est la plus importante à l’est de la Polynésie.
Que l’on nous pardonne si, rompant avec la tradi- tion généralement reçue, nous enlevons à Fernandez de Quiros l’honneur de la découverte de l’ile Tahiti en 1606. Nous ne prétendons pas nous montrer plus Espagnol que les Espagnols eux-mêmes, qui rapportent cet honneur, sur les preuves fournies par Beltran-y-Rospide, au capitaine anglais Wallis, qui donna à cette île le nom (['île du roi George III.
On a certainement confondu sous la rubrique Sagit- taria, du catalogue de Qiiiros, une des îles Tuamotns, l’île Terareka probablement, avec Tahiti que pins tard (1765) semble avoir aperçue le commandant Byron, venant de découvrir les îles du Désappoin- tement.
Deux ans plus tard, le capitaine Wallis, à bord du Dolphin (Dauphin), fut étonné d’y trouver des porcs et des chiens, ce qui paraîtrait indiquer une découverte plus ancienne. H ne faut cependant pas s’y tromper, ces animaux provenaient, sans doute, des couples dé- posés par Quiros aux Tuamotus plus d'un siècle aupa- ravant.
Wallis est si bien le premier des Furopéens vu par les indigènes de cette île, qu’ils prenaient son vais- seau pour une Ile llottante et la mâture pour des arbres.
Le Dolphin ayant touché sur un récif, le Dolphin's rock vint mouiller dans la baie de Matavaï.
Malgré l’apparence pacifique des indigènes, soit par suite de ces actes de brutalité gratuite, assez fréquents dans les annales de la marine anglaise, soit pour toute autre cause, l’arrivée de Wallis fut signalée par un affreux carnage.
TAHITI.
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Glacés de crainte ou obéissant à leur bonté natu- relle, les indigènes ne tardèrent point à entrer en re- lations avec ces êtres inconnus et terribles. Le capi- taine anglais les avait traités en pirates; quel ne dut pas être son étonnement de rencontrer chez ces pré- tendus sauvages une organisation politique; ébauche d’une réelle civilisation?
Si les sujets avaient fait preuve de patience envers leurs agresseurs, la reine Obérea se signala par une véritable générosité à l’égard du chef étranger ; elle lui témoigna, dit-on, une affection toute particulière, lui prodigua, pendant un accès de coliques bilieuses, les soins les plus empressés. Elle poussait même la prévenance jusqu’à le porter dans ses bras à la case royale.
Deux incidents nous ont frappé dans la relation de ce navigateur : le premier est la surprise des Tahitiens à la vue d’une perruque, ôtée par le chirurgien du Dol- phin qui, gêné par la trop grande chaleur, voulait s’éponger le crâne. Le second incident, d’un ordre moins comique, dut faire repentir Wallis de son inutile cruauté. Gomme on lui présentait au milieu d’un festin une femme dont le mari et les trois fils étaient tombés sous les balles de ses soldats, il eut la délicatesse de lui offrir, en échange, des présents. La tahitienne en les repoussant avec horreur lui donna, du moins, une leçon de dignité. Pour répondre à cette insulte, elle lui fit porter des fruits et des porcs, qu’en anglais pra- tique il se hâta d’accepter.
Inutile de chercher les qualités d’observation chez un marin d’un semblable caractère, aussi n’aurons-nous à lui emprunter aucun trait de mceurs.
Tout autre fut la conduite de Bougainville qui
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aborda à Tahiti sur la Boudeuse le 2 avril 1768 et la surnomma Boudoir ou Pic de la Boudeuse.
Gomme Wallis, il vit son vaisseau accosté par cent pirogues, désireuses d’échanger avec lui les prgduits du pays.
En vrai Français, pendant spn séjour, il rendit aux indigènes, avec la plus exquise courtoisie, leurs poli- tesses empressées : des concerts de tlûte, basse et violon donnés à ces peuplades, chez qui la beauté des formes paraissait avoir éveillé l’instinct artistique, leur révé- lèrent la puissance et la grâce de la musique fran- çaise.
Probablement la reine Obérea se trouvait absente de son île, ou bien tenait sa cour dans quelque partie éloignée, car Bougainville reste muet à son sujet, tan- dis qu’il nous parle des marques d’amitié offertes à son équipage [jar les chefs Teti et Taulaa.
Si par hasar<l quelque matelot, grisé par la troj» grande familiarité des indigènes, se livrait h un acte ré[)rébensible, Bougainville, jaloux de donner satisfac- tion à ses botes, sévissait contre le coupable en pré- sence du chef.
Tant de bonté jointe à tant de fermeté font présager d’éminentes ([ualités d’observateur.
Sa relation témoigne du soin avec lecjuel il étudia le pays, son climat, ses productions, ses habitants.
Bienfaisant jusque dans son départ, il donna comme présents d’adieu au chef T^ti, ce (jiie lui-même appelle le denier de la veuve, quelques couples de dindes et de canards, quelques outils et quelques sacs de graines potagères. Bougainville, pour consacrer ces gracieux souvenirs, avait nommé Tahiti la Xouvetle-Cythère, mais ce nom n’a pas prévalu.
TAHITI.
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Il mit à la voile le 16 avril 1768, non sans emmener à bord un des plus beaux spécimens de la race tahitienrie, l’indigène Aotourou, qui s’était attaché à son équipage au point de ne plus vouloir quitter la Boudeuse. Pen- dant onze mois, objet de la curiosité parisienne, Aotou- rou eut l’honneur de se voir dédier des vers par le poète Delille. La Boudeuse fut remplacée à Tahiti, le 11 avril 1769, par V Endeavour (l’Entreprise) portant pavillon anglais du célèbre capitaine Cook, chargé d’observer le passage de Vénus sur le disque du soleil.
Là, comme son compatriote Wallis, il choisit la baie de Matavai pour son mouillage et la nomma Port- Royal.
Devant prolonger son séjour en vue des observations astronomiques, mu par un sentiment d’humanité, il commença par édicter un règlement sévère contre toute atteinte à la discipline ou toute insulte aux naturels. Ceux-ci surent, en revanche, respecter un monument que l’on trouve encore à la place de l’observatoire, en commémoration de son passage , à la pointe dite de Vénus.
Peu familiers avec les idées européennes sur la pro- priété, poussés au vol par leur culte pour le Mercure indigène Btro, les Tahitiens n’avaient point tardé à dé- rober les diverses pièces et outils nécessaires à l’éta- blissement.
En dépit du règlement, plus d’une fois, les matelots anglais, dignes de servir sous les ordres de Wallis, réprimèrent ces rapines par des décharges meurtrières, mais nous nous garderons bien d’incriminer leur chef à ce sujet. Cook se vengea plus adroitement, il conûs- qua les pirogues des coupanles et flétrit aux yeux de la postérité cette race, comme étant, sans distinction de
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TAHITI.
classe, de sexe, nid âge, composée des plus déterminés voleurs de la terre.
Il ne faudrait cependant pas juger trop sévèrement ces pillards, à qui, du reste, les Anglais ne le cédaient guère.
L’histoire du charpentier de Cook nous les fera mieux connaître.
Profondément absorbé dans son travail, il s’aperçut avec stupeur de la disparition successive de ses outils ; jurant de surprendre le larron, il se remit à l’œuvre ou plutôt feignit de s’y remettre. Nouveau larcin, mais de coupable [)oint!... Un pick-[)Ocket de Londi'es ou de Paris n’aurait su mieux subtiliser le contenu des pocbes voisines. Cependant, un auguste vieillard, dont certains ornements révélaient le caractère saci é, eut à juste titre provo(jué ses sou[)çons, mais l’Anglais ne pouvait reconnaître en lui un [)rètre d’iliro.
Si Cook eut à soulfrir des déprédations des Tahitiens, il n’eut (ju’à se bjuer de leurs soins empressés. A la v('- rité, Obéréa, dont la l)eauté menai'ait ruine, ne lui témoigna point la même allbetion (pi’à Wallis.
Lorstpie M. llanks, naturaliste, à bord de YKnden- voiü', la visita, cette pauvre l'cine d’un peuple enfant tut surtout ravie du présent d’iuje poupée.
L’autre naturaliste de rexpihlition, M. Forster, nous dépeint très tidèlement les Tabitiens : « Ils ne sont, dit-il, ni (pierelleurs ni belbnjueux, ne semblent \ivre (pie pour le plaisir et ignorent toute pudeur ; bien plus, la religion élève à la hautiuir d’un dogme rini|)u- dicilé. »
Peu amateurs de la lutte et de la boxe, si chères à l’Angleterre, nous laisserons Cook initier le lecteur à un spectacle de ce genre, dont il parait enthousiasmé.
TAHITI.
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tout en avouant l’infériorité des Anglais par rapport aux Tahitiens.
Nous le laisserons également, agissant en vrai saxon, saisir la famille royale comme otages jusqu’à ce qu’on lui rende ses matelots. Webs et Gilson, prisonniers des belles Tahitiennes.
Parti le 13 juillet 1769, Cook revint à Tahiti le 1o août 1773, chargé par lord Sandwich de s’assurer de l’existence d’un continent austj al.
C’est dans ce second voyage qu’il découvrit les prin- cipales îles du groupe appelé par lui Society Islands (îles de la Société), en l’honneur de la société royale de Londres.
Hélas ! la pauvre Obéréa, détrônée, vieillie, répudiée par son époux, ne pouvait plus lui faire accueil, et, dans sa confusion, elle accourut lui manifester ses regrets de n’avoir pas même à lui ofl'rir un misérable porc.
Alors régnait Otou (plus lard Pomaré L^‘), naguère petit chef au centre de l’ile et maintenant souverain redoutable.
Entre ce deuxième voyage de Cook à Tahiti et le troi- sième et dernier dont nous parlerons plus tard, nous devons citer la visite du capitaine espagnol Domingo Bo7iechea qui y laissa, sans succès, les missionnaires lliéronimo et Narcisse.
A Bonechea succéda le capitaine anglais Bligh mon- tant le sloop de guerre le Bountg et venant chercher, pour les transplanter dans les possessions anglaises de l’Amérique, l’arbre à pain et la canne à sucre.
On a pu voir, par les louanges dont nous avons honoré Cook, que nous savons rendre justice aux étran- gers et que nous ne nous abandonnons pas envers eux à un dénigrement systématique; nous regrettons
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TAHITI.
vivement de n’avoir point à louer plus souvent les hautes qualités des marins anglais. Bligh n’est pas homme à nous faire revenir sur leur compte.
Sa cruauté pour un de ses officiers, le lieutenant Christian, séduit par les charmes des Tahitiennes, sou- leva contre lui son écpiipage, qui s’empara de sa frégate.
Bligh, déposé dans la chaloupe du navire avec quel- fjiies faibles provisions et dix-huit Anglais qui n’avaient pas voulu prendre part à la révolte, traversa des mers immenses, échappa aux traits des sauvages et put atterrir cependant à file de Timor. 11 dut remettre à des jours plus heureux, jusqu’en 17ü:2, l’accomplisse- ment de sa mission.
Kn 1771), lord Sandwich ayant chargé Cook de cher- cher dans le nord de l’océan Pacili(jue un passage pour aller aux Indes, nouvelle visite de cet illustre ca[)itaine, mais cette fois avec toute la pompe possible.
Le roi d’Angleterre, George 111, enthousiasmé des récits mei'veilleux de son hardi capitaine, avait comblé ses navires d’une foule de présents, gros et menu bétail, graines, outils, étolfes, etc.
A ce troisième voyage, Cook, trouvant comme ves- tige (le Bonechea une croix en pierre avec l’inscription suivante :
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Christus |
Arinis |
|
vincit. |
1767 |
CAROLUS IMPERATOR |
y grava |
1769 GEORGI6SREX 1773 |
|
___ |
1763 |
sur |
1770 |
l’autre face
Hélas! ce roi George ne devait plus le revoir. Quel- ques mois après, l’infortuné navigateur tombait sous les coups des sauvages à Owhygée (îles Sandwich).
Son compagnon de route, Vancouver, acheva son œuvre et ferma l’ère de la découverte.
Nous passerons sous silence l’envoi des frères Moraves de Londres en 1796 et le voyage de Turnhull en 1803.
C’est ainsi que Tahiti, cette terre enchanteresse, s’est révélée aux Européens.
Un plus long séjour a permis à nos devanciers de connaître plus à fond son origine, son gouvernement, ses mœurs, sa religion : nous aurons à compléter leurs observations par nos notes personnelles.
Le voyageur qui posséderait la langue de Tahiti et visiterait successivement la Nouvelle-Zélande, les îles Wallis, l’archipel des navigateurs, les îles Sandwich et les îles Tuamotus orientales y serait compris par tous, et pour peu que lui-même fût versé dans la linguisti- que, il distinguerait bientôt sous des idiomes divers, l’unité du langage parlé chez les différentes tribus
maories.
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TAHITI.
Jointe à la ressemblance physique, cette communauté atteste d’une manière irréfutable une origine identique.
Nous avons dit que tous les Maoris appartenaient à une même race, cependant dans la stature, dans la conformation du visage, dans le teint plus ou moins cuivré de la peau, résident des variations bien autre- ment grandes que celles des idiomes entre eux; toute- fois on ne saurait en inférer l’hétérogénéité.
Il y a là plutôt distinction de classe par suite d’un bien-être plus ou moins grand.
Hn trouvera d une île à l’autre, voire dans les mœurs des indigènes d une même île, des ressemblances et des diflércnces provenant de causes analogues.
Sans nous lancer dans des discussions stériles sur la parenté des Peaux-Uouges de l’Amérique et les Maoris cuivrés de 1 Océanie, nous nous contenterons de cons- tater, à l’encontre d’une opinion soutenue, non sans ta- lent, par cci'taiiis navigateurs, que s’il n’est pas chimé- ri(jue de voir dans les Américains une avant-garde des Maoris, il est impossible de trouver dans les Maoris les descendants des Peaux-Rouges.
Cimi ou six cents lieues séparent les points de l’Amé- ri(pic les plus rapprochés de la dernière statit)ii océa- nienne : commeid supjioser qu’iujc semblable distance ait pu être hancbie j)ar des pirogues sans boussole, ayant a lutter pres(pie constamment contre des vents contraires? N’est-il |)as plus simple et plus sage de faire sui\re a la migration les vents d ouest, ainsi (jue cela se passe encore journellement.
A défaut de données rationnelles, nous n avons pour asseoir notre conviction à cet égard (pdà interroger la légende en cours aux îles Tuamotiis et à Tahiti.
Les luamotus attribuent en eflèt leur origine à Tahiti
TAHITI.
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et Tahiti la sienne à Borabora qui prétend descendre de Raiatea, l’île Sainte, berceau de la royauté et de la religion.
Préférons-nous demander à l’étude pbysiognomoni- que les éclaircissements nécessaires? Nous verrons que la dégradation insensible des cheveux crépus indique une source malaise, et peut-être doit-on attribuer à des immigrations successives les différences physiques, philologiques, religieuses dont nous aurons à reparler plus tard.
Suivant la relation des vieillards interrogés sur les traditions et l’histoire de leur pays, la tradition con- fine à la légende : le père du premier roi aurait trans- porté des montagnes, voltigé d’une cime à une autre, c’était un héros! c’était un demi- dieu!
Le premier roi lliro clôt la période des temps fabu- leux ; c’est bien encore un thaumaturge à la façon de llaehi son père, fds lui-même de Uruumatamata, petit- üls de Raa, dont le nom s’écrit comme celui du soleil. Mais sa thaumaturgie avait moins de ressemblance avec celle de Robert Boudin qu’avec l’extrême dextérité de certains pick-pocket ; aussi, digne monarque du peuple le plus voleur de la terre, au dire de Cook, le roi Hiro, divinisé, joue-t-il chez les Polynésiens le laMe du fils de Maïa chez les anciens grecs.
lliro eut deux fils : Haneti et Ohatatama. Le premier lui succéda, le second fut nommé roi de Pile Borabora.
Nous arrêterons là la généalogie et la chronologie des anciens rois tahitiens dont la souveraineté s’émietta en une foule de principautés héréditaires, pour nous occuper plus spécialement de la dynastie Pomaréenne régnante, branche issue de la famille théo-royale qui a fini par étouffer toutes les autres.
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Le premier ancetre des Pomaré, dont l’histoire fasse mention, s appelait Tenae ou Teina; il eut trois fils, Oammo, Whappay ou Otey, et Toutaha.
Suivant l’usage, son fils Whappay reçut en partage les districts Nord et Est appelés Téporionou, Toutaha celui d Ataourou et W aheadoua, un de leurs parents, la presqu’île de Taiarahu.
Cependant Tîle tout entière reconnaissait Tautorité d’Oammo comme chef de la famille.
Ce fut Tenae qui le premier prit le nom de Pomaré, c’est-à-dire Po nuit, mare rhume, à cause d’un rhume qu’il avait contracté la nuit.
Son petit-fils seulement inaugura la dynastie de ce nom. Chose remarquable : presque tous ses descen- dants, entre autres le roi actuel Ariiaue Pomaré Y, sont restés atteints de la même incommodité.
Oammo épousa notre vieille amie Obéréa, née vers 1729.
Afin (le conserver son autorité Oammo voulut égor- ger le [)remier enfant (pii leur naquit, mais la reine sut le lui dérober; ce fils reçut le nom de Temarre et fut déclaré roi. Obéréa, à qui son mari, las des soucis du gouvernement, avait abandonné les rênes du pouvoir, se les vit enlever par Otou; elle mourut vers 1772.
Whappay eut pour fils Eari-rahi, né en 1702, qui prit le nom de Tu, vulgairement Otou (héron noir, oiseau sacré). ‘
Chef de Papaoa au second voyage de Cook, ce prince usurpa avec 1 aide de son oncle Toutaha, régent, les droits de son cousin Temarré, fils d’Oammo et d’Obé- réa, principal chef de Tîle.
Toutaha, très bien avec les Européens, en profita pour essayer de soumettre la presqu'île Taiarabu, indépen-
TAHITI.
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dante. Cette attaque contre un chef nommé Whahéa- douane fut pas couronnée de succès. Toutaha resta sur le champ de bataille, et, Otou, vaincu, se retira avec sa famille au sommet des montagnes, tandis que le vainqueur irrité ravagea les districts de Paré et de Matavai.
Bientôt des propositions raisonnables furent accep- tées par Whappay et son fils qui gouverna avec l’aide de son père.
11 avait une sœur aînée qui lui céda ses droits et une autre plus jeune, Weiriddi Aowh, qui épousa le roi de Mooréa.
En 1773 et 1774 vinrent des Espagnols et des Anglais auxquels Otou fît un bon accueil.
En 1779 il épousa Iddia, sœur aînée du roi de Mooréa, femme d’un bon conseil et d’un rare courage. Cette alliance l’entraîna dans plusieurs guerres malheu- reuses. Otou et Iddia, pour ne pas perdre leur rang dans la société des Ariois, étouffèrent leur premier enfant.
Son deuxième fils Variatoa succéda à son père dès le jour de sa naissance, en 1780, sous la régence pater- nelle.
Watto, Bligh, Edwards, Vancouver, vinrent à cette époque à Tahiti et procurèrent à Pomaré P’’ des armes à feu, de la poudre et du plomb.
La révolte de la Bounty et la désertion de quelques matelots mirent à son service plusieurs blancs entre- prenants, qui lui permirent de soumettre Tairabu. Mais les habitants des districts de Tettaha et d’Atta- horu, jaloux des succès de Pomaré, lui déclarèrent la guerre.
Vaincus sur terre et sur mer, les rebelles furent obli-
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TAHITI.
gés (le reiKjre les insignes de la royauté qu’ils avaient enlevées et de les rapporter en triomphe à Paré, rési- dence de Pomaré P^
Les alliances de famille venaient encore contribuer à accroître sa puissance. Devinant l’ancienne devise de 1 Autriche : tu felix Anstria mibe (toi, heureuse Au- triche, contractes des alliances), Pomaré I" venait alors de prendre pour deuxième femme AVeiriddi, jeune sœur d’iddia, fille du roi de Mooréa. A la mort de ce dernier il prit pour sa nièce Tétoua la régence de cette île, dont les indigènes lui étaient attacliés.
L’année suivante, des matelots aux(juels les Tahi- tiens avaient dérobé des elfets provoquèrent des trou- bles, et Pomaré, sous prétexte de rétablir l’ordre, rava- gea plusieurs distr icts. Le capitaine anglais Bligh l’aida à ramener la paix, (jui ne fut conclue (ju’après des sacrifices humains.
11 eut encore à c<jmbatti*e plusieurs insurrections qu’il étoulla, grâce aux armes des Lui'opécns, mais non sans alternatives de défaites et de victoiiœs. Iddia elle-même prit part à la victoire dans le district de Matavai. A cette dernière bataille, dans les deux camps se ti’ou- vaient des Luiopéens ; à la pi*emière atta([ue Pomaré lut battu, mais les Anglais de son j»arti tmVent un (les chefs ennemi^, ce cpii l’cndit coui'age à ses partisans, tpii tî iumpbèrcnt dans un second combat. Le roi avait fui ce jour-là loin de la mêlée et s’attendait, dans un marais, à recevoir la mort, quand lui parvinrent les messagers de la victoire.
Ihi 1789 les faveurs de Pomaré P*" pour ses sauveurs soulevèrent les murmures du peuple, et les choses en vinrent au point de le forcer à chercher refuge sur le navire de Bligh.
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En 1791, investiture du Maro (1) royal au fils de Pomaré. Son autorité fut reconnue sur Pile sans grande opposition, et dans la péninsule par la force des armes.
Vers 1797, un nouveau soulèvement chasse les Po- maré de Tahiti et les oblige à gagner Mooréa.
Peu de temps après arrivent des missionnaires anglais essayant de s’établir dans cette dernière île. Les prêtres mooréens, craignant la concurrence et voyant les amabilités de Pomaré P’' pour ces nouveaux venus, allaient le chasser quand les missionnaires an- glais lui proposèrent de Je rétablir sur son trône si, nouveau Clovis, il embrassait le christianisme.
L’humanitaire Albion mit aussitôt au service de la religion : canons, fusils et mille autres armes civilisa- trices, tant et si bien que leur protégé reprit le maro rouge, sur des monceaux de cadavres tahitiens, au plus grand prolit de la rapacité britannique.
Quelle qu’ait été sa servilité, peut-être nécessaire, Pomaré P“‘ mérite, sinon ce titre pompeux, au moins les honneurs d’un portrait.
Cook nous le représente dans sa jeunesse, comme un homme de six pieds de haut, beau, bien fait et de bonne mine. Sa tournure était imposante, ses manières graves et dignes, son abord ouvert et engageant, sa conversation pleine d’affabilité.
Ellis, qui le visita dans sa vieillesse, raconte que peu de temps avant sa mort on le voyait s’appuyer sur une massue qui aurait suffi à la charge d’un homme ordi- naire. Malgré ses qualités ou ses apparences, il était assez peu courageux pour se cacher un jour de bataille
(1) Maro, ceinture; insigne de la royauté tahitienne.
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et prier Bligh de l’eminener en Europe. Ses qualités maîtresses semblent avoir été une énergie à toute épreuve, une ruse patiente et vindicative.
Dans certaines circonstances, notamment dans la guerre de Houa (1802), soulevée au sujet d’une idole que se disputaient deux districts, Pomaré bien qu’ayant laissé la régence à son fils, joua le rôle prin- cipal et déploya une cruauté que ne justitiait pas la situation.
Peu vaillant, mais entreprenant, politique actif et persévérant, dévoré d’amidtion, il dut à ce caractère nudtiple sa liante foitunc et rbonneur d’avoir été le fondateur d’une véritable monarchie.
Sans se laisser aveugler par les (laiteries intéressées des missionnaires, il sut les exploiter babilement, eux qui espéraient l’exploiter. Vaincu, banni, il avait pro- mis d’embrasser le christianisme; victorieux et sou- verain incontesté, il sut tenir une juste balance entre le paganisme ignorant de ses sujets et le zèle marchand d».‘s missionnaiies anglais, ses conseillers.
I.e fomlatcur de la dynastie des Pomaié mourut à boi'd du navire anglais le Iku't, le 3 sejdembre 1803, laissant le tiùne à son lils Varialoa, qui prit le nom de Pomaré 11.
i’omaré II débuta |»ar donner aux missionnaires pro- testants anglais un territoire situé dans le district de .Ma- laiea, ce «pii indis[*osa contre luises sujets. La révolte (pii couvait depuis longtemj>s, subit un temps d’arrêt en 180Î, quand le roi devint veuf (il avait épousé sa cousine germaine Tétoua, reine d’Kimeo (Mouréa) et actpiit le prestige d'un mariage avec la lille du roi de Haïatea; mais elle éclata terrible, le 0 novembre 1808, quand on aiq^ it qu’il avait promis de se faire baptiser.
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Le 22 décembre de la même année, une grande ba- taille tourna contre lui, et il dut s’enfuir de nouveau à Mooréa, laissant Tahiti en proie àTanarcbie.
En 1(S11, las de leurs guerres intestines, ses sujets rappellent Pomaré II, qui se bâte de solliciter le baptême, et les missionnaires protestants anglais, le ^lui promettent en temps opportun.
N’ayant pu parvenir à s’entendre avec les principaux ^ chefs, il revint encore à Mooréa, laissant à Tahiti sa fille Aïmata, qu’il avait eue de sa femme Térémoémoé.
Dans le mois de juin 1815, signalé par l’émancipa- tion des femmes, il commit l’imprudence d’envoyer à sa tille une bible anglaise. Craignant une abjuration, les sectateurs ardents de l’ancien culte se soulevèrent et prirent la détermination de massacrer, dans la nuit du 7 juillet, les partisans des Pomaré, qui, prévenus à temps, se réfugièrent tous à Mooréa.
Mais l’anarchie mit à feu et à sang cet Eden paci- fique, et une fois encore Pomaré rentra en sauveur. Même intempérance de zèle devait à nouveau exciter la révolte : le 12 novembre 1815, jour à jamais célèbre dans les annales tahitiennes, Pomaré II, avec huit cents chrétiens, se trouvant au temple, fut attaqué à Pimproviste ; animés par la foi nouvelle, ils parvinrent à repousser l’ennemi et tuèrent Apoufarou, son général.
La guerre se termina par la victoire complète de Pomaré II, que remporta en personne la reine de lluabiné, Teautaria sa belle-sœur, femme d’une habi- leté consommée, d’un courage éminent, d’une énergie implacable.
Le dieu Oro, impuissant à protéger ses fidèles, s’en vit abandonné solennellement et fut à jamais remplacé par le Christ.
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Maître absolu du pouvoir, Pomaré II, (jui n'avaît rien du caractère sanguinaire de Pomaré s’ellorça de réparer les ruines causées par la guerre, la famine et la peste. Il n’eut plus de rébellions à réprimer, et si l’opposition se manifesta encore, ce ne fut que par des complots promptement étouffés.
Sachant, comme son père, louvoyer avec la rapacité britannique, il se montrait officiellement très zélé pour la religion, dont au fond il eût fait bon marclié. Le 13 mai 1818, il présida à l’établissement auxiliaire des missionnaires protestants anglais, pour répandre en apparence l’Evangile, mais en réalité sa propre in- fluence dans le reste de la Polynésie.
Enfin le Ib mai 18P), acculé au baptême, il dut s’exécuter. Le 25 juin suivant, Térérnoéinoé lui donna un fils (ju’il nomma Tériitaria (splendeur céleste), et qui fut baptisé avec sa sœur Aïmala, sa mère Téré- moémoé, sa tante Poman* Vahiné, le 10 septem- bre 1811). 11 avait contribué à faire envoyer des mis- sionnaires dans tous les attolles de l’archipel des Tuamotus, de l’archipel de la Société, des Tubuaï, de llurulu ; pour en recueillir le fruit, il alla, mais sui’ un navire américain, se montrer dans toutes ces îles et s’y faire reconnaître comme h'ari-ra/il (souverain absolu).
Dans l’ordre [)olifiipie, le 13 mai 1811), il j)romulgua une sorte de charte ou de code en dix-huit articles, par lequel il constituait un gouvernement re{»résentatif, en vertu diupiel les chefs et députés, réunis en assemblée nationale, devaient examiner les projets de loi d’intérêt énéral. Toutes ces réformes religieuses ou politi(jues, inspirées par les missionnaires anglais, nattèrent plus ou moins les aspirations de ses sujets, mais malheur à
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qui s’endormait au prêche, à qui se permettait une opinion trop libre: la bastonnade lui rappelait que les sujets devaient imiter l’enthousiasme officiel du maître. D’ailleurs les missionnaires de sa haute Majesté Britan- nique connaissaient à merveille divers moyens de rétri- bution pour leurs services. Apportez l’arrow-root en faveur de la mission aux Tuamotus, l’huile de coco pour celle des îles Sous-le-Vent, vos superbes étoffes d’écorce pour celle de Tubuaï ! Voyez votre bon roi Pomaré II, n’a-t-il pas appris à lire et à écrire la langue tahitienne afin de traduire la Bible à son peuple ! n’a-t-il pas fait venir de Londres une presse pour l’imprimer ! Puis propager l’Évangile sur toute la Polynésie, n’est-ce pas illustrer Tahiti, établir sa prépondérance sur le reste des autres îles et mériter à son roi le titre glo- rieux de Pomaré fhe great^ king of S ociet g islands (de Pomaré le Grand, roi des Iles de la Société).
Oh! les belles et bonnes intentions, tant qu’on put conserver l’espérance de faire flotter sur Tahiti le pavillon d’Angleterre! Mais en 1847, après l’établisse- ment du protectorat français, comme on se hâtera d’ar- racher à cette même prépondérance les mêmes archi- pels, ces Tubuaï, ces Tuamotus, ces îles Sous-le-Vent!
Les vieilles gens sont généralement soupçonneux ; on a vu des vieillards revenir aux plaisirs, aux goûts, au culte de leur enfance. Nos révérends ne l’ignoraient pas, l’abus des liqueurs fortes amenant Tbydropisie, l’hydrocèle, l’élépbantiasis, empêche de penser.
On sut entourer la vieillesse du fils des mêmes soins dont on avait comblé celle du père, et en effet, entre deux litres de whisky, le 7 décembre 1821, s’éteignit Pomaré II, laissant trois enfants.
Pomaré II poursuivit avec la même énergie l’œuvre
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de son père ; il en avait toutes les qualités et toute la ruse. Bien que prêchant lui-même l’Évangile à ses sujets, sa foi n était pas bien vive, et la politique eut la plus grande part à sa conversion.
Comprenant les avantages de la civilisation, il con- sacrait ses loisirs à perfectionner son écriture et à apprendre Je dessin, il avait transcrit de sa main les lois et coutumes de son pays, tenait un journal de ses moindres actions, se livrait à la composition d’un dic- tionnaire tahitien, protégeait le commerce et l’agricul- ture. Ce fut lui qui créa les premières routes de Tahiti, employant à cet ellet les indigènes coupaljles de quelque irdraction aux. lois et règlements civils et religieux.
Xon contents d’avoir accaparé la vieillesse de Pomaré 11, les missionnaires protestants, au mépris des lois, firent proclamer roi le lils qu’il avait eu de sa seconde femme, le 25 juin bSIO, et alors Agé de deux ans et demi, sou> le nom de Pomaré 111, espé- rant gouverner suus son nom. A peine eut-il cinq ans qu’ils jugèrent la cérémonie d’un couronnement selon les formes européennes, nécessaire à la consécration de son droit et à l’allermissement de la loi nouvelle.
Cette solennité eut lieu le 21 avril 182i avec foute la pompe possible, puis, pour mieux le façonner à son rôle d’instrument passif, ils renvoyèrent à Mooréa dans l’école par eux appelée Acadrinie de In mer du sud.
I.e jeune juince monira un caractère doux et aimant, ses progrès furent des plus satisfaisants, le commandant Duperré montant la corvette française lu Co(juil/e^ dans son voyage de circumnavigation, en j)arle avec éloges. Malheureusement en décemltre 1820, atteint d’une épidémie qui décima la j)opulation tahïtienne, Pomaré 111 expira à Paré le I I janvier 1827, dans les
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bras de sa mère, laissant, la couronne à Aïmata, sa sœur.
Aimata [ai, manger; mata, yeux, mangeur d’yeux), née en 1813, fut proclamée reine en 1827, sous le nom Pomaré Vahiné (femme), au milieu d’un concours enthowsiaste de ses sujets.
Les jeunes fdles jetaient des fleurs sur son passage, les députés ouvraient la marche du cortège, le chef de Huahiné portait la Bible, celui d’Ataourou le code des lois, quatre jeunes chefs, le brancard sur lequel s’éle- vait le trône de la reine, et quatre fds de chefs un dais au-dessus de sa tête; une plate-forme avait été dressée pour qu’aucun des assistants ne perdît les détails de la solennité.
Les grands chefs tahitiens et les missionnaires anglais se disputèrent l’autorité sous son nom, l’aristocratie essayant une dernière prise d’armes pour reconquérir son indépendance, les missionnaires en faisant valoir cette prétention que Pomaré II leur avait laissé la pins grande partie de ses États avec la tutelle de ses enfants. Comme d’après la charte ils étaient membres du crm- seil du gouvernement, ils intriguèrent de manière à faire passer sous la domination anglaise les îles de Ja Société.
Suivant l’exemple de sa mère Iddia et de sa tante, sous la régence de laquelle elle avait été placée. Pomaré-Vahine inaugura son règne par une dissolu- tion assez éhontée, encourageant la débauche dans tous ses Étals, ce qui ne l’empêcha point d’épouser (1822) son cousin Tapoa Pomaré, roi de l’île Borabora, petit-fils d’un conquérant célèbre qui avait jadis soumis les îles Raïatea, Borabora et Tehaa.
Mais cet infortuné Tapoa, ayant perdu dans une bataille l’héritage de ses ancêtres, se vit, à son retour à
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Tahiti (1831), répudié malgré l’opposition des mission- naires anglais, Confus, il alla se cacher dans Tîle Bo- rabora dont il redevint chef.
Heine absolue, Pomaré IV, lasse des exigences des missionnaires anglais à qui elle avait dû céder le mono- pole du bétail, tenta de secouer leur joug.
Ariifaite, deuxième mari de Pomaré IV.
A ces causes de trouble vint se joindre Taction des missionnaires catholiques français en 1835. Bientôt catlioliques et protestants commencèrent une guerre religieuse aussi acharnée que celles d’autrefois entre chrétiens et païens.
Les menées des protestants, qui ne tendaient à rien moins qu’à faire passer Tahiti sous le protectorat de
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l’Angleterre, réveillaient chez les indigènes le senti- ment national.
Néanmoins en 1836 l’expulsion des missionnaires catholiques appela l’attention du gouvernement fran- çais, qui envoya successivement le contre-amiral
Reine Pomaré IV.
Dupetit-Thouars (1838), Dumont d’Urville (1839), Cécile (1840), Laplace (1841), Dubouzet (1842).
Dans l’intervalle les Anglais étaient parvenus à faire déclarer la religion protestante, religion de l’État tahi- tien ; aussi les commandants de nos flottes eurent- ils souvent à débattre des règlements relatifs à la liberté du culte. Mais grâce à M. Mœrenhout, consul des États-Unis chargé par délégation des inté-
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TAHITI.
rèls français, savant, intelligent, dévoué, les indigè- nes, coin[)renant enün que le salut et la tranquillité de leur [lays dépent de la liberté de conscience, implorèrent la protection du pavillon français. Une première fois la jalousie de l’Angleterre lit échouer cette demande, et catlioliijues et résidents français, sans excepter M. Mœrenhout lui-même, eurent à es- suyer les vexations les plus humiliantes, auxquelles mit heureusement ün l’arrivée du capitaine Dubouzet.
Le contre-amiral Dujjetit-Thouars, au nom de la Urance, venait prendre possession des îles Marquises, en [las-ant à Tahiti où il retrouva son ami, M. Mœren- hout, ils [larvinrent à convaincre quatre principaux grands chefs de la nécessité de réclamer à nouveau la protection de la France.
Le traité passé par l’amiral l)u[jetit-Thouars, ratifié [lar le roi Louis-Phili[)pe en mars 1843, ne tarda pas à l’ecevoii’ un cnmmeiicement d'exécution. Le capitaine de vaisseau Ihaiat dut s’entendre avec la reine, un peu tro[) négligée jusipie là, et qui par manière de protestation avait amené le pavillon ti'icolore. Grand émoi dans le cainp des protestants anglais, une cain- p.igne acharnée s’ouvrit contre la Fiance.
Un certain Fritchard, à la fois consul anglais, mis- sionnaii’e, idiarmacien, commercant et maitre-jacques de la reine Pomaré, digne [)rédécesseur de Schaw, le laux Malgache, à son retour d’Australie, où ses all'aires l’avaient a[)pelé un instant, se chargea de la direction des hostilités, aidé du capitaine de frégate Loup Nicho- las. Peut-être seraient-ils parvenus a nous évincer sans l’énergie de MM. Bruat et Uupetit-Thouars commandant à des forces importantes, la Rt^hm-Hlancha, VUranie, la Charte, etc. Placée entre l’enclume et le marteau,
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Pomaré se décida à exécuter la convention du 9 sep- tembre 1842.
Point digne de remarque : pour le remercier de son intervention, dans une adresse envoyée à l’amiral Dupetit-Tliouars figuraient les signatures de trente et un colons et commerçants anglais, indignés et dégoûtés de la duplicité de leur patrie.
Fort de ce concours, Dupetit-Thouars prit, au nom de la France, possession de Tahiti, institua le comman- dant Bruat comme gouverneur; mais le gouvernement français ne ratifia pas cette décision et prescrivit au commandant Bruat de s’en tenir aux conventions de septembre 1842.
Le contre-amiral llamelin remplaça l’amiral Dupetit- Thouars; bientôt, perdant patience, il fit enlever Prit- chard et l’expulsa de Tahiti. Cette exécution sommaire, quoique juste, faillit mettre l’Europe en feu.
Louis-Philippe, qui s’était rendu à Londres, grisé par une réception perfide, se laissa passer par la reine Victoria elle-même l’ordre de la jarretière, ou plutôt, comme le prétendait la presse opposante... de la muselière.
La chambre des députés, après une discussion mé- morable, vota 25,000 francs d’indemnité à cet infor- tuné Pritchard : on ne touche pas à la reine! on ne touche pas aux Anglais!...
Une semblable humiliation fit retomber la reine Pomaré, un instantémancipée, sous les griffes anglaises. Craignant de mécontenter l’un ou l’autre peuple, elle laissait le champ libre au commandant Bruat, se reti- rait tantôt dans les îles Sous-le-Vent, tantôt sur les navires britanniques.
Excités sous main par des agents provocateurs, les
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malheureux Indiens tentèrent en vain de reconquérir leur indépendance.
Le commandant Bruaten força douze cents à déposer les armes, et à lui rendre les canons et les fusils que leur avaient fournis les Anglais, après une journée qui nous coûta IG morts et 52 blessés.
Mais les Tahitiens avaient à estimer à leur juste valeur la protection cauteleuse de l’Angleterre et la fermeté généreuse de la France.
Le 7 janvier 1845, Bruat arltora le pavillon du pro- tectorat et mit en état de siège l’île Boral)ora, où s’était erifuie la reine Pomaré.
Fn octobre même année, il révisa le code tahitien et promulga de nouvelles lois. Fntin le 17 décembre, le commandant Bonnard enlève le camp de Fatahua l'éputé inexpugnable et dissipe les dernières illusions. I^es armes furent livrées, serment de tidélité pi'èté au gouvernement.
Pomaré IV continua à bouder jusqu’en mai 1847, époi'pie à laquelle elle accepta le protectorat, en réseï’- vant, toujours grâce aux menées anglaises, sa sou- veraineté entière sur les îles Ihtnlûne, Jlaiafea, Hora- horu.
I']n 1852 les habitants imaginèrent de l’expulser et de proclamer la r'épublique : réjuddiipie é|diémère, étouffée comme sa sœur aînée la républi(pie française.
Lasse du j)ouvoii-, la reine ne tarda pas à abdiquer ses possessions extra-tahitiennes le Pd août 1857, en faveur de ses enfants : Tamatoa V est couronné roi de file Baïatea et de File Tahaa, un de ses frères de l’île lliiahiné, et sa sœur reine de Boral>ora.
Peu de temps a[>rès son divorce avec son inœmier mari, elle avait épousé Ariifaïte, fils d’une sœur de
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Tamatoa IV, l’homme le plus gTand et le plus beau qu’on pût trouver dans les archipels ; aussi la lignée royale se compose-t-elle de véritables géants, malheu- reusement atteints de la phtisie. Ariifaite que les Européennes appelaient prince Albert de Tahiti, par analogie avec le prince Albert d’Angleterre, n’avait pas le titre de roi, mais celui d’époux de la reine.
Néanmoins il ne se piquait pas précisément de fidé- lité : un jour que cet Hercule maori filait aux pieds d’une Omphale, chefiesse de Punavia, la reine Pomaré intima l’ordre au lieutenant de gendarmerie de rame- ner à son palais, le volage saisi au milieu d’une Upa- Upa (1). Sir Ariifaite revint se coucher comme un lion domestique aux pieds de la reine, qui le cravacha de la belle manière et le mit pour quinze jours aux arrêts forcés, avec sentinelle à sa porte. Nous pour- rions raconter mille traits de ce genre, à la gloire de la reine Pomaré. La plus grande qualité, à nos yeux, de son second époux fut d’avoir aimé profondément et sincèrement la France, jusqu’à sa mort, arrivée le 6 août 1873.
De ce mariage naquirent six fils et une fille. Seul le prince Teriitua, né en 1848, aequel sa mère avait donné le nom de Joinville, vint en France avec six de ses compatriotes et resta trois ans dans l’établissement des frères de Ploërmel. Deux ans après son retour, il épousa Isabella Yahinetua Schaw, dont il eut un fils, Teriihimoiatua.
Il est peu de Français ayant séjourné à Tahiti qui ne se rappellent avec plaisir cette charmante princesse de Joinville. Elle eut le malheur de perdre sou mari
(1) Upa-Upa, danse taliitienne.
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bien' peu de temps après son mariage, le 9 avril 1875.
Nous n’avons eu l’honneur de connaître Pomaré- Yahiné que dans les dernières années de sa vie.
Malgré son âge, elle possédait encore une majestueuse beauté : grands yeux noirs, dents blanches, chevelure opulente, physionomie expressive où se peignait la bonté, esprit fin et distingué, cœur dévoué au bonheur de ses sujets, telle nous a paru, même sur son déclin, la reine Pomaré .
Son règne a été en somme heureux et glorieux pour elle et son peuple.
Ihifant, trop docile aux conseils des missionnaires anglais; majeure, elle a souvent résisté, non sans rai- son, aux empiètements des gouverneurs Irançais. Dans la demeure (pfelle habitait, en attendant l’inter- minable palais que nous lui avions promis, assise pen- sive sur un grand tauteuil doré, revêtue d’une espèce de blouse tahilienne en salin bleu de ciel garnie d’un double rang de blonde noire, jouant noncbalament avec un mouchoir de batiste l)rodé aux fines den- telles, Pomaré-^’abiné avait véritablement grand air.
bizarrerie inexplicable, la Tahitienne reparaissait dans son habitude de garder les pieds nus. Un jour même, on raconte que le commandant La Honcière dut pres(jue se fâcher pour la conti'aindre à mettre une chaussure afin d’aller ])résider au farr-uponrnrn (l’alais législatil) l’ouverture de la session.
frès alVable envers ses visiteurs, elle savait s’intéres- ser à tout ce (pli les concernait.
Un jour entre autres, où nous étions allé lui présen- ter nos hommages comme fonctionnaire arrivant à Tahiti, elle s’informa do notre famille, de sa posi- tion, etc., moins par curiosité (pic par savoir vivre.
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Parfois elle aimait à négocier, à la façon tahilienne bien entendu, quelque mariage éphémère entre les dames de son entourage et ses hôtes européens.
Comme nous paraissions un jour admirer la beauté de Tune d’elles, elle nous la fit remarquer avec une expression de fine malice. Les cigarettes de pandanus, que l’une de ses einaa (suivante) tenait toujours pré- parées, ne quittaient ses lèvres que pour passer à la ronde aux lèvres de ses invités, politesse extra- tahi- tienne. Elle ne dédaignait pas non plus le jeu et portait
même la passion jusqu’à la tricherie! Connaissant
cette faiblesse, que de fois ne lui avons-nous pas laissé marquer le Tané (l’homme-le-roi) !
Lorsqu’on lui avait été présenté, elle ne vous oubliait plus et vous étiez sur, en la rencontrant en promenade, d’entendre retentir son sonore et joyeux ia ora na oé (bonjour avons). Parfois elle s’oubliait à vous raconter mélancoliquement les souvenirs relatifs à son premier mari Tapoa, que toujours elle regretta, de son fils Ariiaue de son cher Joinville et de sa petite-fille chérie, fille du prince Tamatoa que la mort lui avait enlevée au moment où elle venait de l’adopter comme héritière du trône de Tahili, sous le nom de Pomaré Y.
Ce dernier deuil semblait l’avoir accablée, elle habi- tait une case élevée près du tombeau de cette enfant, ne voulant pas, selon l’expression de l’Ecriture, être con- solée parce que sa fille n’était plus.
Pauvre reine, de quelles amertumes son cœur n’était- il pas abreuvé lorsqu’elle comparait le présent au passé 1 Elle restait comme pour voir disparaître jour à jour les rejetons de sa race, pour voir son peuple lui-même s’éteindre au contact de l’Européen, pour pleurer sa souveraineté devenue vassale de l’autorité subalterne
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des gouverneurs français. Elle ne sentait que trop la décadence de sa race. Elle savait être la dernière ca- pable de conserver ce fantôme de pouvoir et comprenait bien que son fils, soit par faiblesse, soit par attraction, se laisserait arracher jusqu’à l’indépendance.
La reine Pomaré, quatrième du nom, est morte le 7 septembre 1S77, presque subitement. Nous nous trou- vions là et nous partageâmes avec tous ses sujets la dou- leur d’assister à son inhumation.
Océaniens et Européens confondaient leurs regret^. Des iles les [)lus éloignées où s’étendait le sceptre des l’omaré, un nombreux cortège vint l’accompagner à sa dernière demeure, llummes et femmes prirent égale- ment le deuil, et si l’on doit juger de la sincérité par le sacrilice, combien était vrai l’amour de ses sujets cou- pant leur noire et bixuriante chevelure pour la jeter à la mer, rapace comme la mort!
Lecteur! si jamais, visitant 1 Océanie, vous séjourniez à Tahiti, à peine débaniué au port de Papeete, profitez d’une délicieuse matinée, laissez derrière vous la ville, prenez à lest, brûlez les villages de llamuta et de Pirae, avancez justiu’à la Fareaii (Maison communale) du district d’Arué, coupez à gauche vers la pointe de Papaoa, berceau de la famille royale: un temple se dressera devant vous llampié de son fare vairaa tupa- pau (monument sépulcral). C’est là (jue repose, parmi les siens, celle (pii fut sur terre la reine Pomaré.
Gardez-vous bien de profaner cet asile sacré en y por- tant la poussière de la route. Homme ou femme, vous devrez dépouiller vos vêtements, en revêtir d'autres mis à votre disposition ; ainsi l’exige la coutume tahitienne, et votre esprit frappé de ces soins religieux s’imaginera retrouver Saint-Denis dans ce monument de Papaoa.
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lloi Ariiane Pouiaré V.
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Pomaré IV laissait trois fils : les princes Ariiaue, Tamatoa V (1) et ïaoarii.
Ariiaue a succédé cà sa mère, sous le nom de Pomaré V.
Nous ne savons quel charme poétique s’attache dès l’enfance à la personne de cet aimable prince. Son nom seul renferme tout un poème d’amour et de regrets : nul enfant n’ayant béni la couche royale, les soucis dynastiques avaient contraint la reine à répudier, bien à contre-cœur, son premier époux. A peine l’avait-elle remplacé par le gigantesque Ariifaïte qu’elle apprit la naissance d’un fils de Tapoa, uni à une princesse de Borahora. La douleur qu’elle en ressentit fut si vive,' qu’associant par un lien mystique le premier fruit de sa seconde union avec les souvenirs du passé, elle donna au nouveau-né le nom de Ariiaue, prince des pleurs [arü, prince; aue, pleurs).
D’un caractère charmant et pacifique, on pourrait dire même véritable gentleman, le roi Ariiaue est un homme de taille colossale, de prestance héroïque, au visage ovale, aux traits fins et délicatement arrêtés, gardant ordinairement ce calme olympien qui sied si bien à certaines physionomies italiennes; sa lèvre est légèrement ombragée d’une moustache noire comme le jais ; les cheveux, bouclés naturellement, se groupent en mèches gracieusement ondées autour d’un front large, plein de franchise et de fierté. 11 aurait peut-être quel- que chose de dur, si ses yeux ne paraissaient moins doux sous leur arcade de sourcils noirs.
On comprendra qu’un roi ainsi doué parla nature se soit attiré l’affection des résidents et fonctionnaires
(1) Décédé le 30 septembre 1881.
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français, et que son cœur sympathise profondément avec notre caractère national. En toute occasion Ariiaue s’est plu à nous en donner des preuves: pour costume de cérémonie il a adopté celui de général français, du reste il le porte avec tant d’élégance qu’on ne saurait le lui reprocher, et ses sentiments à notre égard lui méritent Inen cette faveur, puisqu’il a con- senti à ahrliquer sa nationalité pro[)re pour devenir notre compatriote, et, par l’acte de cession (20juin 18<S0), il a étendu les mômes avantages à tous ses sujets, met- tant à plus haut prix le litre de citoyen français que celui de l'oi tahilien. Il aura le double honneur de fermer la dynastie des Pomaré en tant que race royale et d’ouvrir Père de la civilisation en se faisant procla- me!', le premier eulre les Polynésiens, membre de cette grande nation française, |)atrie de la civilisation. Grôice à son inlluence, notre dominaliou s’étendra bientôt, nous l’espérons du moins, sur les îles Sous-le-Vent.
Pomaré a été marié le janvier 1875, un peu conti'e son gré, nous croyons pouvoir rallirmer, à la pi'incesse .loanna iMai-au, issue d’un mariage laliitien entre le colon anglais Salmon et une Felii de la reine lV)mai'('‘. CethMiiiion, dernière velléité d’indépendance (1e la paî t de la vieille reine, valut au gouverneur qui n’avait jtas su s’oppose!' à celte intrusion de l’intlnencc anglaise un hl.àme sévère et mérilé.
Soit anti|)alhie chez le p!'ince Ai'iiaue pour sa femme, soit au contrai!'e t!'op d'admiration |Huir quelque 1 ahiné, le prince ne ténioigna jamais, dit-on, une grande sym- pathie à la reine Harau, du vivant de la i-eine Pomaré.
Du moins, c’est ce (|ui semble résulter des plaintes adressées par la reine Marau à Pomaré qui, toujours selon la chronique, lui aurait enseigné la façon dont
lie i ne iMamii
feiuine de Pomaré V
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elle-même avait rappelé Ariifaïte à ses devoirs. Mais autres temps, autres mœurs!
Nous doutons fort qu’Ariiaue eût ainsi léché la main qui l’eût frappé, et les fines mains de la reine Marau n’auraient jamais su tenir la cravache comme celles de la reine Pomaré.
Notre lecteur a pu voir la belle et séduisante Marau lors de son voyage en France, au cours de février 1884.
Fêtée à l’Elysée, courtoisement accueillie par le peuple français, malgré certaines diatribes de journa- listes par trop indépendants du savoir-vivre, elle
emporta sans doute le meilleur souvenir de la galan- terie française, souvenir que lui rappelle d’ailleurs une médaille d’or frappée à la Monnaie sous ses yeux et en son honneur.
La reine Marau ne manque pas d’une certaine beauté ; peut-être lui reprochera-t-on d’avoir le nez un peu large, mais jamais gros nez n’a gâté beau visage, et l’éclat de ses yeux ferait tout pardonner.
Ses cheveux d’un noir bleu, qu’elle rejelte en arrière, les laissant nonchalamment flotter sur ses épaules, sem- blent l’envelopper tout entière. Un large diadème orné de perles de son pays et d’émeraudes ceignait son front. Dans son costume national, qu’elle avait tenu à con- server pendant son séjour parmi nous, elle eût pu riva- liser avec les plus gracieuses souveraines. Sa blouse montante, fermée au cou par une ruche, non ajustée à la taille, tissue de la soie la plus riche, voilait, plutôt qu’elle ne cachait ses formes, laissant poindre l’extré- mité d’un pied à faire envie aux Parisiennes.
On a souvent reproché, non sans raison, aux Euro- péens d’avoir fait le vide dans leurs colonies et d’avoir établi leur domination sur des ruines, souvent au milieu
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d’un dcfîert. Nous ne nions pas qu’il en ait été ainsi, surtout dans Jes pays soumis, comme la Nouvelle- Hollande, la Nouvelle-Zélande, etc., à la civilisation l)ritanni(jue. Tahili constitue en notre laveur une heu- reuse exception. Certes, sa population n’atteint pas au chillre donné autrefois par Cook, mais ce précis d’his- toire tahitienne a pu déjà convaincre le lecteur que l’on floit attrihuer la décroissance de la population aux guei-res intestines si lon^^lemiis fomentées par les agents de l’Angleterre et aux effusions de sang inséparables, chez un peiqile, de son passage du régime anarchique ou féodal au gouveniement rnonarchi(pie.. Nous ne sa- vons encore <piels avaidages, à ce point de vue, résulte- ront (h‘ l’annexion, mais ce (jue nous aurons à constater plus tard, c’est, malgré les désasties causés par plu- sieurs é[)idémies, la pi'ogressiun constante de la p(qm- lafion tahitienne, à pailir de la [U’oclamation tlu pro- tectoial franrais jusipi’au moment de la réunion à la l'raïu’e.
\’oilà donc une race indigène (pii se sera élev«*e à la civilisation la plus raflimie autant pai’ ses (pialilés |)cr- sonnelles ipie par le don de notre puissance éducatrice.
l-lspt'rant (pie nos lecleurs parfageionl nolie sympa- Ihie envers nos hères tahifiens, nous leur demande- rons de vouloii' bien nous suivre dans r('ludc (piekpie peu ai'ide de la descriplion géograpldhpie.
TAHITI
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CHAPITRE II
Géographie physique. — Topographie. — Orographie. — Hydrographie.
On ne saurait rendre l’impression agréable que l’on éprouve en approchant de Tahiti, quand le matelot de vigie vient de crier Terre !
Bientôt après, la brise vous apporte des bouffées d’air embaumé par les gardénias en fleurs.
Déjà surgissent à l’horizon de hautes montagnes dé- coupées en formes bizarres. Voici le Maiao ou Diadème^ qui, projetant à de grandes distances ses crêtes, peut passer pour une des montagnes les plus remarquables de l’Océanie, et, entre les nombreuses cascades aux filets d’argent, la magnifique cascade de Fatahua; puis, avant de jeter l’ancre à Papeete, à tribord, les hauts et imposants mornes de l’île Mooréa.
Mais, avant d’y parvenir, il aura fallu esquiver les blancs récifs de corail qui entourent presque entièrement Pile et sont placés de chaque côté de lapasse, — àmoins que les exigences sanitaires ne vous retiennent au ver- doyant îlot de Motu-Outu, véritable oasis où la reine Pomaré aimait jadis à promener ses rêveries et qui sert aujourd’hui de lazaret.
L’île de Tahiti est formée par la réunion de deux presqu’îles de diamètres différents : Tahiti [Porionuu ou Tahiti nui, grand Tahiti) proprement dit et la pres- qu’île de Taiarabu [Taiti-iti, petit Tahiti), reliées entre elles par un isthme de 2200 mètres de largeur, dont la
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TAHITI.
I)liis grande hauteur est de 14 mètres au-dessus du niveau de la mer.
L’Ue Tahili mesure en superficie 104215 hectares (loiit 70 485 hectares pour l’ile proprement dite et 24 /dO hectares pour la pmesqu’île.
I.e périmètre total est de 191 kilomètres, savoir • 110 kilomètres pour Tahiti et 72 kilomètres pour la presiju île.
Ile production volcanique sous-marine, son sol, pier- reux et dur au sommet «les montagnes, se compose sou- vent d argile sur les plateaux intermédiaires; mais, dans les vallées et sur les bords de la mer, une épaisse couche de terre végétale le recouvre el le rend propre a toute espèce de |n-oductions trojiicales.
L immense soulèvement amjuel Tile Tahiti doit sa naissance, la dotée de collines et montagnes dont les principales sont :VAonii (l>ü74“), ['Orohemi le Maiuo ou Diadème (1 23'J“) et dans risthme de Taiarabu le Aïa (1 324“).
Lue ligne de recils cnralligènes sépare l’ile Tahiti de la pleine mer; coupee sur dillérents points jmr des ou- vertures nu passes, elle donne en plusieurs endroits un
accès lacile dans des poids spacieux et sûrs, tels (|ue ceux de Papeete, Papeuriri, Phaelon, Tautira elllitiaa.
Le port princi[)al, celui de Papeete, large et sûr, est accessible [lour des bâtiments de tout tonnage. Un y pénètre par trois jiasses. Celle de Papeete même, ou glande [lasse au nord, est la plus fréquentée; son en- trée, située un peu à l’ouest de la ville, a 7ü mètres de largeur; sa longueur, peu considérable, est de 80 mè- tres environ; les tonds y sont de 13 mètres. Lapasse de Tanoa, à l’est, est commode à l’entrée, mais le chenal long et tortueux, est parcouru difticilement.par de
TAHITI.
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grands navires. Enfin, à l’ouest se trouve celle de Ta- puna, que peuvent seuls fréquenter les petits caboteurs.
De nombreux cours d’eau descendent des montagnes, arrosent la plaine et vont ensuite se jeter dans la mer. On peut citer principalement les rivières de Punaru, d’Atimaono, de Yabiria, de Tautira, d’IIitiaa, de Pa- penoo, de Fatabua; cette dernière provenant de la cascade dont nous avons parlé et qui, haute de 130 mè- tres, mériterait d’être rangée parmi les plus remarqua- t)les, si quelques rocbers et collines n’en masquaient la chute à son extrémité.
N’oublions pas le magnifique lac deVabiria, dont on trouvera plus loin la description.
CITAPITRE III
Métoorologio. — Population.
Pour Tahiti comme pour toute la région tropicale, l’année se divise en deux saisons, la saison sèche, allant d’avril en décembre, et la saison pluvieuse, allant de décembre en avril. Cette dénomination de saison sèche n’implique pas forcément la rareté des pluies; elle si- gnifie seulement que la pluie n’afïecte jamais le carac- tère de violence qui la distingue si souvent dans la sai- son pluvieuse ou hivernage.
D’avril en décembre, les vents soufflent du Sud-Est au Nord-Est en passant par l’Est. La hi’ise de l’Est ou de mer, s’élève entre 9 et 10 heures du matin et atteint ordinairement sa plus grande force vers midi et 2 heures; elle décroît de 3 à 4 heures, fait place à un
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TAHITI.
calme auquel succède bientôt la brise de terre qui des- cend des montagnes vers 8 heures et est très rafraîchis- sante; les indigènes l’appellent Ai/p/ve. Dedécembre en avril les vents sont très variables.
Le vent d’Lst amène la pluie et les orages. Les vents du Nord et du Nord-Lst présagent la tempête et durent parfois quatre jours. Alors le grain tombe avec vio- lence et la mer en devient généralement grosse sur les côtes Nord-Ouest.
Les courants sont considérables dans les baies et aux environs des récifs. Consulte-t-on le barométi-e? les hauteurs observées var ient entre 751) et 7b:2 millimètres; le tbermomètre ne s’élève pas au-delà de ;27“ la jour- née (d de la nuit, pendant la Icelle saison ; mais pen- dant riiivernage, il monte jusrju’à dl° le jour et la nuit. Lncore devons-nous l'aire observer que ce cbilfre se i‘a[)poi te à l’apeete, séjour- le plus chaud del’ile, par suite de sa position abr-itée des vents généi'airx du Sud'Lst. Dans les aitlres localités la tempéralur’e est pins fr’aicbe; rarement des ouragans, point de cyclorres pé- riodiiptes comme en Nouvelle-tialédonie, par exeirqrlc; à peine é|)rouve-t-on <pteb|itefois de violents coups de vent, (b's r’az de marée qui rendent la mer Ir-ès grosse sur les côtes.
La plüitre mer a lieit tous les joitr's de 1 à - beur’es, dans la r'ade de l’apeete; les plus gr-andes nrarées n’ont jamais atteint phrs de ôü cenlimèlres. I.es joitrs les plus courts ont itne dur’ée de II beitres; en juin, le soleil se lève à tJ beurras minutes et se coircbe à 5 heur'es dU minutes. I.a durée des jours les plus longs est de Id beures; le soleil se lève à d beures 'Il rnirrutes et se couche à b beures dO rnimrtes. Les levers dtr so- leil varient enti'e 5 heures :iü minutes et 0 heures
TAHITI.
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35 minutes; les couchers entre 5 Heures 28 minutes et 0 heures 39 minutes.
La salubrité du climat est excellente, et convient aussi bien à l’Européen qu’à l’indigène. Le soleil, si redou- table dans les contrées tropicales, reste inoffensif à Tahiti; la moyenne .des insolations semble la même qu’en France.
Les fièvres des pays chauds sont inconnues malgré les marécages. Tout enfin contribue à faire de cette île une terre privilégiée, une sorte d’Eden océanien où les saisons passent inaperçues dans un été continuel.
Si l’on en croyait les récits des anciens voyageurs qui ont visité Tahiti à l’époque de son indépendance anarchique et féodale, il faudrait supposer, ou bien qu’au moment de la découverte, la race tahitienne ten- dait à sa décrépitude, ou bien que le contact des Euro- péens lui a été on ne peut plus funeste.
Cook, en effet, porte la population de Tahiti de 70 à 80,000 âmes; mais, selon toute probabilité, ce célèbre capitaine a prêté à la population de toute l’île une den- sité égale à celle de la baie où il jeta l’ancre.
En 1797, quelque trente ans après, le missionnaire Wilson ne reconnaît que 16,000 âmes; il signale, il est vrai, un décroissement rapide, qui, rationnellement, n’a pu atteindre une proportion si désastreuse. Quoi qu’il en soit, jusqu’en 1832, il n’y eut point d’état civil ou de recensement permettant d’établir une statisti- que digne de foi. Le chiffre officiel paraît varier, de- puis lors, entre 7,000 et 7,300 et atteint avec la popu- lation étrangère 9,380 d’après le dernier recensement, dont, pour Papeete, 3 224 habitants, sur lesquels on comptait la moitié environ de Français ou descendants de Français.
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TAHITI.
L’écart entre l’estimation du missionnaire Wilson et les données officielles semble encore considérable, mais il ne faut pas oublier cjue Tahiti, par sa position cen- trale dans la Polynésie, a vu souvent affluer chez elle les indigènes des autres îles dont le flux et le reflux semblaient augmenter ou diminuer, aux yeux d’obser- vateurs passagers, sa population véritable.
On pourrait encore alléguer que les premiers Euro- péens, ayant peu séjourné, ont été induits eu erreur comme les spectateurs de nos théâtres, aux yeux des- quels une poignée de figurants défilant plusieurs fois sur la scène représente toute une armée. Cette expli- cation nous [)arait d’autant plus plausible qu’avec une population nomade et une minime étendue, Tahiti en- voyait aux vaisseaux étrangers, (juelque part qu’ils abor- dassent, la totalité de ses enfants.
Cependant nous ne saurions nier que des causes mul- tiples et diverses ont contribué à ratfaiblissement de cette race, telles que les luttes intestines entre les divers chefs (le bile pendant la période anarchicjue, la guerre d’unification du pouvoir cpii mit -le sceptre aux mains des Pornaré, guerre compliipn^e par les dissensions re- ligieuses, le désespoir causé aux Tahitiens orgueilleux de leur civilisation par la supériorité d’Européens plus civilisés, leurs elforts suprêmes pour atteindre ou pé- nétrer les secrets de notre puissance, les maladies ap- portées par les équipages des navires occidentaux : nous ne saurions nier, disons-nous, que toutes ces causes multiples et diverses, convergeant vers un même but, la destruction de la race, aient considérablement con- tribué à son atîiiiblissement ; aussi ressentons-nous une véritable compassion, une immense pitié, quand nous
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Vue (le Papeete prise de la iiioulagiie.
TAHITI.
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entendons les Maoris, le sourire aux lèvres, au cœur la désespérance, nous répétée ce dicton fatal :
L’oiseau européen a tué l’oiseau ujaori,
Le rat européen a mangé le rat maori,
L’homme européen fera mourir l’homme maoiâ!...
CHAPITRE IV
Division du pays.
Partagée en royaume et en principautés avant l’ar- rivée des Européens, divisée en districts lors de la réu- nion sous le sceptre des Pomaré, Pile de Tahiti a con- servé cette circonscription sous le protectorat et sous le gouvernement de l’annexion. Elle compte vingt et un districts qui, outre la ville de Papeete, forment dix- huit chefferies.
Papeete, chef-lieu de notre colonie de Tahiti et de nos établissements de la Polynésie, autrefois capitale des Pomaré, a continué à servir de résidence au gou- verneur.
Cette ville, située au nord de l’île, se développe en fer à cheval tout le long de la plage, offrant le plus riant aspect; elle commence à l’Est à la pointe de Fa~ reuté, où s’élèveTarsenal, etse continue à l’üuest jusqu’à la pointe de V Uranie, où se dresse la batterie de l’em- buscade, destinée à défendre la grande passe. C’est une jolie ville, mais située dans une plaine étroite et im- médiatement limitée par une série de mornes qui vont se raccorder aux hautes montagnes de l’intérieur.
Le tracé de ses avenues et de ses rues, dont la plu-
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TAHITI.
part aboutissent à la mer et qui sont toutes ombragées par de hautes futaies de buraos (pnrau), de bois de rose et de flamboyants aux sombres voûtes de verdure, oflVe un aspect charmant. Les habitations à vérandas, garnies de guirlandes de vanille, construites au milieu de jardins capricieusement dessinés et coquettement entretenus, produisent un effet magique, gr<âce à la viva- cité et au parfum pénétrant de la flore tropicale. Sur la plus grande partie de ce parcours semi-circulaire, des quais, également oml)ragés, où peuvent s'amarrer a cause du fond considérable, même les grands navires; a [)eu [)rès au centre, une fontaine d’eau douce la plus limpide, servant d’aiguade, permet aux emljarcations de faire leur eau sans grand dérangement. C’est dans celle parlie de la ville «pie se trouvent les principales maisons de commerce.
On remai'ijue surtoul à l’apeele : l’Iiùtel du gouver- nemenl entouré d’un frais ruisseau et de gi'acieux jar- dins; tout à col(f au pied de la montagne, le palais dn roi, devant leipiel se déroule une pelouse magnitique; erdre ces deux palais se cache* sous un coquet fouillis de |)lantes exoliipies le <‘ei’cle mililaire: flans la spacieuse et renommée avenue de la Heinc-lflancbe, se dévelop- pent deux vastes casernes.
L’bùpilal mditaire, conlenant quatre-vingts lits, les magasins de l’Ltat, le tribumal, l’église Notre-Dame et l’arsenal, attirent le regard dans d’autres (piartiers. On remaripie encore sur la roule de llanuda, un temple, une léproserie et un cimetière ai>partenant aux Chinois.
Mais b's deux endroits les |>lus curieux de Papeete sont la rue de la Pclite-l^:)logne et le marché.
Les alentours ne déroulent pas un spectacle moins charmant; on imut sortir de Papeete par la grande
Maison du directeur de la plantation d’Atiiuaono.
TAHITI.
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route qui fait le tour de l’île, à laquelle s’amorcent de nombreux sentiers ombragés d’orangers en fleurs, de bananiers, de cocotiers, de goyaviers, etc., et se diri- geant vers la montagne. Cette route est coupée d’une multitude de ruisseaux et rivières sur lesquels l’admi- mistration a fait élever des ponts.
En sortant de Papeete dans la direction de l’Ouest, nous rencontrons le district de Faaa, riche en planta- tions de café et de cocotiers et en quelques exploita- tions de cotonniers. Le village de Faaa est presque un faubourg de Papeete, mais son district se prolonge beaucoup plus à l’ouest, jusqu’à celui Punaaum dans lequel s’étend la belle vallée de Punaru (champ de bataille entre les indigènes et nos soldats en 1845) jusqu’au centre de l’île formé par le Maiao ou Diadème, puis débouche sur les deux vallées de Fatahua et de Papenoo. Là, tombe en ruines un grand fort flanqué de plusieurs tours construites sur les collines voisines; là s’élevait jadis leMarae (1) d’Atahourou, dont subsistent encore quelques pierres de l’autel arrosé par le sang de tant de victimes humaines.
Du Diadème et des contreforts environnants des- cendent de nombreux ruisseaux qui sillonnnent le dis- trict de Paea^ le fertilisent au point d’en faire un des plus recherchés par les colons européens.
Papara et Atimaono^ qui confinent à Paea, ne for- maient qu’un seul district; une Compagnie agricole, ayant fondé en 1864, un vaste établissement, en obtint la séparation.
Dans celui de Papara^ se trouve la pointe dite de Moraa, presqu’à l’extrémité sud-ouest de l’île, renfer-
(1) Temple des anciens tahitiens.
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TAHITI.
mant des cavernes naturelles qui s’étendent sous la ” montagne à une profondeur inconnue et ont, dit-on, servi de refuge pendant le jour à la population, au temps des grandes guerres.
Les plantations de la Compagnie agricole d’Atimaono comprenaient également une part du district de Ma- taïea, dans lequel est situé l’excellent port de Papeuriri, où les navires, quittant Papeete pour San-Francisco, opèrent généralement des chargements d’oranges.
Ne quittons pas Mataïea, le point le plus pittoresque de toute l’île, sans parler du lac mystérieux de Vaihi- ria^ lac que la superstition des Tahitiens peuple de Tupnpaus (Lsprits) frappant l’eau de leurs longues ailes d’albatros.
Si l’horreur de la solitude, l’aspect d’une nappe d’eau à -482 mètres au-dessus du niveau de la mer, longue de GOO à 700 mètres et large de 500 mètres, ne vous épouvanle point, gravissez avec nous les sen- tiers embaumés de la montagne, ne craignez pas sur tout de vous mouiller les pieds en traversant les qua- rante et quelques méandres d’un ruisseau qui la ser- pentent, vous vous en dédommagerez en aspirant à mi-côte les suaves senteurs des citronniers, des oran- gers, des mimosas, des pommiers de Cythère, etc. ; vous vous sentirez attiré plus haut par le bruit des cascades (ju’ombragent les larges et vertes feuilles du Feï.
Evcelsinv! ... au sommet du plateau vous attend le lac si vanté, dont le lit fut, d’après les uns, un cratère. Spectacle grandiose non moins (ju’étrange.
Pas un pli ne vient rider cette mer morte, et, comme pour en redoubler l’horreur, des pics élevés, le Tetu- fera et le Purau. semblent en y réfléchissant leur mi- rage, sonder la mystérieuse profondeur de ces abîmes.
Allée conduisant à la vallée de Fatalma.
-Il
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rieiireiisement, nous sommes partis de compagnie, précaution nécessaire, car au cri d’admiration succéde- rait bientôt chez le voyageur isolé un véritable frisson d’épouvante au milieu de ces splendeurs et de ces tristesses.
Arrachons-nous à ce charme, nous dirions presque à ce vertige, et descendons dans le district marécageux et montagneux de Papeari, où l’on rencontre cepen- dant quelques plateaux cultivables.
De Papeari on arrive à Taravao, point cidminant de l’isthme et où se profile le fort du même nom.
Du fort, on découvre à l’ouest le magnifique port de Phaéton, assez vaste pour abriter de nombreux navires, mais dont la position sous le vent de l’île et l’étrangle- ment de ses passes diminuent beaucoup l’importance.
Au delà de Taravao, dans la presqu’île, nous ren- controns à l’ouest les districts de Tohahatu, Vairalio, Mataoaé, Teahupoo; c’est dans ce dernier, le plus occi- dental de l’île, que s’arrête la route de ceinture.
On ne peut donc aller directement de Teahupoo à Taulira que par mer.
A l’est de Taravao, le district de Afaahiti dont il fait partie.
Outre son fort et sa maison de détention, Taravao se distingue par ses bancs d’huîtres d’une saveur ex- quise, ainsi que le lecteur venu sur ce point, en négo- ciant ou en touriste, pourra s’en convaincre en allant demander Tbospitadité à notre vieil ami M. Lucas, chez qui nous avons toujours trouvé le plus gracieux et le plus bienveillant accueil. Dans cette oasis paisible et enchanteresse aux gigantesques orangers on peut frapper à la porte de toute case indigène, sûr d’y recevoir cette vieille hospitalité maorie.
GO
TAHITI.
Tant pis si vous n’aimez pas les odeurs capiteuses, car si vous voulez visiter les deux districts à oranges de Piieu et de Tautira, districts qui se trouvent après Afaahiti?,uY la côte Est, dans la presqu’île, vous n’au- riez d’autre ressource (jue de vous embarquer pour l’ilot Meetia, situé à GÜ milles environ de Tautira, dont il dé|)end.
A Taulii'a s’arrête la roule de ceinture pour la côte l'ist, la lalaise ne permettant pas de la prolonger.
De Tar.ivao, prenant la direction Est de Papeete, tious nous engageons d’abord dans le district tle ///- liaa, où se l'ait aussi un ti’ès grand commerce d’oranges. Ses forêts ont décidé (pndcpies constructeurs pour petits batiments à s’y élablir. Sa vallée est large et d’une culture facile.
Sauf en ce «pii concerfie les ateliei's de construction, nous pourrons appliipier l(;s mêmes i'emar’()ues au district |)lus petit de Maliu/iétia , où se livr;i un comb;il sa nglant en I S i'i.
TiMveisons ù la bàle lt‘ dishict de Tlfuei^ dont la roule si difticile sr; réduit par fois à ttn sinqib* sentier tracé snr' les lianes escar'pt*s do la nronlaune, rd par'- conr'ons à l’aise le vaste di'^lr icl de Pciprnun, en coloyaril sa rivière à Iravcus la vallée la plus corrsidérable de l’ib*, jusqu’au pied des plus baulcs irronlagrr«‘s dord les sornmels r-essnttblenl aux arêtes d’une courorrne. A 7 kilomètres de ce disirici aflleure le banc dt* corail sur' lequel s’échoua l'Artrmise et auqitel on a dorrrré son nom.
Non loin s’r'dêve mre maurniliqne avemre ler rninée par le pbar-e de la poitrie de Vénrus. point le plus septen- Ir’iotral de l’ile dans le distrii'l de Mahina et dans le vil- lage de Ihiiipape.
TAHITI.
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Le lecteur a vu Wallis y débarquer et Cook y éta- blir son observatoire, dans le port appelé Matavaï, cà l’ouest de cette pointe, et ce district a besoin de ces souvenirs historiques pour y attirer le voyageur, car son sol trop sablonneux n’est pas fait pour attirer l’atten- tion des colons.
On y remarque encore aujourd’hui l’arbre magni- fique et vénérable connu sous le nom de Tamarinier de Cook, parce qu’il l’y planta.
La route, en quittant Mahina et allant vers Arué passe sur la colline Tatiarahi^ dont le flanc, taillé à pic sur la mer, montre une coloration rouge très marquée.
Wallis et Cook nommèrent ce morne avancé cap de r Arbre, à cause d’un arbre isolé disparu aujourd’hui et qui en garnissait le sommet.
Arue est un petit district dont toute la grandeur consiste dans son Marae de Papaoa, berceau et tom- beau des Pomaré.
Les sept ou huit îlots Tétiaroa situés à 20 milles au Nord de la pointe Vénus le complètent.
Donnons une larme à la dynastie tahitienne et con- tinuons notre route vers Papeete, après avoir traversé les villages de Pirae et de Hcunuta et la vallée si célè- bre de Fatahua, où le commandant Bonnard écrasa défini! ivement la résistance.
A Fatahua la température est sensiblement plus fraîche qu’à Papeete, si fraîche que les fraises et les artichauts et plusieurs fleurs de France y réussissent admirahlement, cultivés par l’unique gardien du fort. De notre temps la garde de ce fort était confiée à un vieux sous-officier d’artillerie retraité, dont la surdité et l’originalité en avaient fait un vrai type, surnommé
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TAHITI.
par les indigènes le père Fatahua. Chaque samedi il descendait à Papeete apporter ses produits et était riiôte des artilleurs qu’il égayait par ses récits, jus- qu’au lundi matin. Ce vieux brave, connu de tous les voyageurs qui ont visité Tahiti ces dernières années, a été rencontré par nous ces jours derniers à Paris, où il pleure ses chères montagnes et leur solitude.
Nul Européen ne part de Tahiti sans faire un pèleri- nage au fort de Palahua. Ouel site plus grandiose que ces mornes de basalte, ces forêts suspendues aux mon- tagnes où l’on respire au bruit charmeur de la cas- cade, au milieu des lianes et des hautes fougères, dans une solitude imposante, l’air embaumé qui s’exhale de la vallée en (leur? Mais, {)our y parvenir, (juelle rude ascension à travers les gorges étroites des forêts épaisses et des ruisseaux ca[)ricieux ! Souvent ces gorges s’édranglent en vrais délités entre des monta- gnes resseri-ées et inaccessibles. iJans ces thermoi)yles, une [)oignée de hi’aves triompheraient d’une armée.
Aussi n’est-ce [>as sans un juste sentiment fl’orgueil (|ue nous ra[)[)elons la j)rise de Fatahua j»ar les soixante soldats du commandant bonnard ; ces héros, se faisant une échelle de leurs baïonnettes, gravirent non les sentiers, mais les parois de la montagne et apparurent tout à cou[) aux indigènes lerriüés, comme des dieux ou des fantômes auxipicls il serait impie de vouloir résister.
Douze cents Maoris, aux lances redoutables, armés par les Anglais de fusils et même de canons, mettant bas les armes se rendirent à soixaide Français 1 sur la tète de ces braves, certes, ce jour- là, le colossal et co- (]uet Diadème semblait comme une couronne aux mains de la victoire.
TAHITI.
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Depuis longtemps déjà nous nous sommes engagés dans le dernier district, celui de Paré, dont dépendait autrefois Papeete, et qui est à cette capitale ce qu'est à Paris le département de la Seine.
De ce côté, les limites de la ville sont marquées par un épaulement en terre et un fossé qui servaient autre- fois à mettre la garnison à l’abri d’un coup de main des iiiüigenea.
CHAPITRE V
Gouvernement. — Vie administrative et vie privée.
Avant que la dynastie des Pomaré eût établi son autorité sur les ruines de Tahiti et des archipels cir- convoisins, le pouvoir était partagé dans chaque île entre une aristocratie de chefs indépendants, chez qui la force établissait le rang. Nous avons vu que l’île llaialea était considérée comme le berceau des races royales, nous entendons de celles qui portaient le Maro rouge et Pavaient fait triompher par la défaite et la mort de Terii Marotéa, du Maro blanc adopté à horabora.
A Tahiti, lors de sa découverte, un seul chef Oammo, mari de la reine Obéréa possédait cet insigne, et neuf autres chefs, issus de la même famille, quoique de branches diverses, se disputaient le pouvoir.
Le gouvernement était pour ainsi dire théocratique, la race royale descendant du dieu-roi Hiro. Au-dessous du roi, au dessous des princes, la Société Tahitienne comprenait trois classes, les Ariï, les Raatira, les
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TAHITI.
Manafmne. Les Arii {ai'ii, roi, clief principal), probable- ment descendants d’une autre race émigrée victorieuse jouaient à Tahiti et dans le reste de l’Archipel le rôle des nobles au moyen âge ; ils avaient tous les droits, et point de devoirs.
Dans la famille de TArii, commandait toujours un chef, mais dès qu’il survenait à celui-ci un enfant, cet enfant prenait la place de son [)ère devenu simple régent. L’Arii pouvait seul prononcer tel ou tel mol interdit au vulgaire; si par hasard un Arii se mésalliait fût-ce avec une Uaatira, femme de la classe intermé- diaire, le mariage était réputé contracté avec une Tata-hio (mauvais-conjoint). Oui ne reconnaît là l’oi- gueil de ces àpiaroi des républi(jues grecques? Un der- nier trait montrera l’immensité (jui séparait TArii du Itiïatii'a.
Un adoptant un nom, T.\rii le rendait tabou, c’est- à-dire que toute personne le porla[it et appartenant à une autre caste devait immédiatement en changer.
Les Haalira, conquérants plus anciens, conquis à leur tour, possédaient e/icore un reste de puissance sur les autochtones. Les Arii leur avaient laissé une part du sol, mais [)our empêcher (jue jamais cette classe ne pût lutter contre ses mailres, ils avaient imposé une loi en vertu île lacpielle tout objet de litige entre fa- milles raatira pouvait être abandonné aux Arii par l’im ou l’autre des prétendants, ce qui arrivait régu- lièremeril, le vaincu, par dépit, ne voulant pas le laissera son heureux compétiteur.
Huant aux honneurs stériles, les Arii en comblaient les Uaatira ; on disait les hui Haatira, comme on disait les hui Ar/f tandis que Ton se contentait pour la plèbe d’un vulgaire te niait tataa (les hommes).
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Pauvre plèbe, sur laquelle les grands avaient droit
Chef de district et sa leinme.
de vie et de mort! à Tahiti pas plus qu ailleurs elle
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TAHITI.
n’avait rien en propre. Cependant le Manahuné n’était point le serf européen, il possédait son héritage à ferme, moyennant certaines redevances peu onéreuses, et le transmettait intact à ses enfants sous les mêmes conditions. Il prenait plutôt le caractère d’usufruitier permanent que celui de l’esclave ou du serf. Pour lui, pas d’espoir de sortir de sa caste, à moins d’en- trer dans la domesticité d’un Arii [Teuleu Arii) , afin d’y jouir des insolents privilèges habituels à la livrée.
Toutefois la secte des Arioh lui ouvrait son sein, comme le clergé le sien au serf du moyen âge, et alors grâce au prestige (Tu tatouage einldématique, il deve- nait su[)érieur même au Itaatira.
( tutre ces trois classes, nous avons cru eu distinguer une (piatrième (pie nous pourrions appeler bâtarde, [)rovenant de mésalliances princières ou de descen- dants issus des produits de ces mésalliances, ce sont les Eietoaii. Participant aux honneurs princiers, et par là su()érieurs même aux Arii; mais entachés pour ainsi du crime d’illigitimité, ils se trouvaient déclassés et au- dessous des llaalira.
On ne [leut guère leur assigner d’analogie qu’avec les princes morganatiijues russes ou allemands et leur descendance, si ces derniers restaient affectés de bâtar- dise aux yeux de la soci«hé.
Hien ipie la femme fût réduite à un état d’infériorité (pii allait, en certains cas, jusqu’à la servitude, bien ipi’elle fût exclue de la prêtrise et des Maraé, la royauté ne lui était pas interdite : elle voyait ses or- dres aussi bien exécutés par ses sujets, ses privilèges restaient aussi sacrés ((ue dans le cas où le sceptre était tenu par une main masculine. Plie pouvait faire la
TAHITI.
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guerre en personne, et quelques-unes, comme on l’a vu s’en sont bien acquittées.
A Tahiti l’alliance avec une noble anoblissait. Ce privilège, toutes les femmes des classes supérieures en faisaient bénéficier leur descendance.
Le formalisme religieux se manifestait surtout lors de la déclaration de guerre. Les prêtres, comme les llamines à Rome, cherchaient dans les entrailles palpi- tantes des victimes humaines à lire les arrêts du destin. Si le présage était favorable, des hérauts en costume de guerre partaient annoncer à l’ennemi les hostilités proclamées; dès lors tout devenait permis, le Takua Oripo (prêtre coureur de nuit), profitant de son caractère religieux, pénétrait dans le camp ennemi pour s’y livrer à l’espionnage. 11 en résultait souvent des surprises sanglantes où l’on se massacrait sans merci. Quelquefois, après la bataille, la tribu vaincue avouait sa défaite et envoyait des députés pour se re- mettre à la discrétion du vainqueur.
La communauté d’origine des Arii tempérait la barbarie de la victoire; on voulait bien se combattre, mais non s’exterminer, cha(|ue chef conservait üdèle- les archives de sa famille, etjamais chevalier européen ne cita avec plus d’orgueil sa généalogie que les chefs tahi tiens. Nous l’avons dit quelque part, la société tahitienne a eu longtemps pour pivot l’association des Arioïs; cà la guerre, cà la danse, nous les retrouverons toujours au premier rang. Gomme ils n’eurent jamais d’ambition politique, ils ne formèrent jamais un parti et combattaient dans l’un et l’autre camp selon la tribu à lacjLielle ils appartenaient par droit de nais- sance.
Toute cette organisation a disparu sous l’influence
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des missionnaires anglais, qui ont bien su détruire, mais non réédifier.
Un code imposé par Pomaré II à ses sujets, code dans lequel la législation pénale se confondait trop souvent avec la pénitence religieuse, ne pouvait long- temps subsister chez un peuple d’une civilisation aussi peu rapprochée des coutumes britanniques. Tout le résultat obtenu par la mission protestante anglaise se résume en deux mots: hypocrisie, ivrognerie!...
Les Tahitiens désapprirent le respect du à leurs chefs désormais déchus de leur hérédité divine ; la société houleversée vit sombrer, avec les Arioïs, ses coutumes, ses plaisirs, en un mot son existence.
l^e régime parlementaire apporté à Tahiti {via London) fut la plupart du temps une véritable comé- die, qui parfois tourna au tragique, notamment lors des prises d’armes contre catholiques.
Le protectorat a du respecter, pendant un certain temps, cette assemblée pour ne pas jeter un nouveau désordre dans un pays désemparé, mais quand ses re- présentants eurent voté une série de lois destinées à remplacer le code politico-religieux des Pomaré, sa réunion autrefois si pompeuse tomba peu à peu en désuétude.
Depuis 1881, la législation en vigueur semble mieux adaptée à l’es[)rit national des Tahitiens.
La colonie française de Tahiti est administrée par un gouverneur assisté d’un ordonnateur, d’un direc- teur de l’intérieur, d’un chef de service judiciaire. Toutes les afiaires sont débattues dans un conseil d’ad- ministration présidé par le gouverneur et où figurent, outre le gouverneur et ses assistants, le capitaine directeur d’artillerie, deux habitants notables et quatre
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suppléants à la nomination du gouvernement. Pour le vote du budget local et rétablissement des taxes et contributions, il se complétait par l’adjonction des membres du conseil colonial constitué par arrêtés lo- caux des 30 juin 1880 et 5 août 1881, et composé de douze membres élus pour un an.
Le Journal officiel du 11 janvier 1886 a publié le texte de deux décrets élaborés par le conseil supérieur des colonies, où Tahiti est représenté par un délégué, Tun réglant le pouvoir du gouverneur et de divers chefs d’administration des établissements français de l’Océanie, l’autre l’organisation du conseil général en remplacement du conseil colonial. Puisse ce nouveau système rendre à la colonie les services qu’elle en attend !
Il existe aussi à Papeete une chambre d’agriculture, une chambre de commerce et une caisse agricole.
Dans chacune des dépendances de Tahiti, se trouve détaché un résident administrateur et un chef de poste placés sous la haute direction du gouverneur.
Le nombre des résidences est de cinq qui se répar- tissent ainsi : Taravao, les Marquises, les Tuamotu, les Gamhier, Moréa; celui des chefs de poste, de deux : Tu- huai et Rapa. Ces divers administrateurs remplissent, en outre, les fonctions déjugés de paix et d’officiers de l’état civil. Desagents spéciaux ou sous-résidents sont chargés de leur suppléance et aussi du service de la poste.
La justice est rendue par les tribunaux français en ce qui concerne les affaires civiles, commerciales et criminelles et par des tribunaux mixtes où siègent des juges français et indigènes {les toohitu), dont la com- pétence est limitée aux contestations relatives à la propriété des terres entre indigènes.
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Pour représenter leurs intérêts, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Danemark, l’Allemagne, le Chili, l’Italie, le ro3\aume hawaïen, la Suède et la Norwège ont établi à Papeete des consuls chargés de veiller aux transac- tions intervenues, soit enh'e leurs nationaux et les colons français, soit entre ces mêmes nationaux et les indigènes. Ouant aux Chinois qui, comme nous le ver- rons plus loin, pullulent à Taliiti, ils jouissent d’une représentation spéciale : la congrégation. Des chefs de congrégation, véritables consuls et agréés par le gou- vernement, discutent avec l’autorité coloniale les inté- rêts de leurs compatriotes. Ils sont à cet effet apj)ointés sur le budget local.
Cha(jue disti ict possède un chef ou une cheflesse, (jui joue à peu près parmi ses compatriotes le rôle du maire d’une commune en France, et est assisté de con- seillers titulaires de districts et de suppit'ants.
I els sont les principaux rouages du gouvernement.
Pne station locale, composée d’un transport, d’un aviso à vapeur et de quatre goélettes à voiles, est mise à la disposition du gouverneur pour les besoins de la colonie.
Une direction d’artillerie coiujtrenant une demi- batterie et un détai'hement de la G*’ compagnie d’ou- vriers, une compagnie du régiment d’infanterie de marine et un détachement de gendarmerie coloniale, composent la garnison.
Pour s’assurer du fonctionnement régulier des ser- vices admini-^tratifs et montrer aux indigènes la sollici- tude du gouvernement à leur égard, chacpie année le gouverneur accompagné des officiers et chefs de ser- vice de la colonie passe une tournée d’inspection, par- courant chaque district avec son cortège européen et
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indigène: artilleurs, soldats d’infanterie de marine et mutais (garde indigène).
Nous aurons à reparler des fêtes ou Amuraa^ aux- quelles donne lieu dans chaque district cette visite.
Arrivé au fort de Taravao, grande revue des forces militaires, aux acclamations de presque toute la popu- lation de la presqu’île de Taïrabu.
Le retour n’est pas fêté avec moins d’enthousiasme. Toute la jeunesse, tant européenne que tahitienne, se porte jusqu’à Arue au-devant du gouverneur, où géné- ralement a lieu la dernière Amuraa et lui forme, mu- sique en tête et aux lueurs des torches portées par des mutoïs jusqu’à son palais, un cortège triom- phal.
L’anniversaire du protectorat autrefois, l’anniver- saire de l’annexion aujourd’hui, est l’occasion d’une fête, durant une semaine, à laquelle on accourt non seulement des districts de l’île, et de ceux de Moréa, mais encore des archipels circonvoisins dépendant de Tahiti. Un navire de la station locale va chercher à cet effet les visiteurs.
Certes le programme est alléchant; plus comique et plus délicieux est encore l’imprévu de ces fêtes où l’on se trouve, sans le savoir, subitement adopté pour fetii par ces bons Moréens ou Tuamotus, qui s’impo- sent chez vous avec tout le sans-gêne d’une hospitalité parfaitement tahitienne.
Yoyez-vous se mouvoir cette foule bariolée, dont le Costume afl’ecte une couleur spéciale au district? Regar- dez-la circuler, la tête couverte de l’élégant chapeau de pia orné de fleurs et de feuillage ! Entendez-vous ces cris tumultueux, couvrant les sons du tam-tam et procla- mant le nom des vainqueurs du mât de cocagne, des
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joules et des régates? Rien de plus gracieux que ce dernier concours.
De jeunes et robustes Vahinés tahiliennes montent la pirogue de leur district, la chevelure parsemée de Heurs, le regard étincelant de déti, le torse s’ahaissant et se relevant en cadence avec saillie des omoplates ou de la poitrine, frappant vigoureusement les flots de leur pagaie jusqu’à moucheler leur peau cuivrée d’une blanche écume, glissant sur la mer aux applau- dissements frénétiques d’une foule en délire. Ah ! certes (piicompie n vu pnreil spectacle s’exj)lique aisément la défaite des Tanù tafritiens, leurs rivaux, à qui tant de charmes doivent infailliblement arracher des mains la pagaie et la victoire.
Ije soir au concoui's d'/t'unéné (chant) ré<piipage vic- tor'ieux aspire à de nouveaux lauriers et quand le leu d’arlitice tiré en pleine mer, du Gliapeau-de-Fleurs, l’îlot aura couronné la fêle, infatigable, in-
satiable, nos triomphatrices se livreront juscprau jour aux ébats de Ui (danse).
CII \I*1TDK VI
Mapports dos intérêts publics el «les intérêts privés.
Malgré les combats «le Fafnlmn et de /h/anra, Tlle Tahiti ne s’est i>as livrée mais donnée à la France. Ce n'sultal, d’autant plus honorable pour notre pays que son inthience se suhstititail à celle de l’Angleterre, notts oblige tant envers les chefs qu’envers les particu- liers, à des ménagements inu-ités en pays conquis.
Fête devant le palais du roi.
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Aussi le gouvernement ne s’est-il point réservé, comme en Nouvelle-Calédonie, où il a eu à réprimer tant de révoltes sanglantes, une part des terres en vertu du droit de conquête pour le service des ventes, échanges, ou concessions.
L’œuvre de civilisation entreprise d’abord par l’Angle- terre, mais sans, mesure et avec un esprit des plus étroits, menaçait de compromettre à jamais l’action européenne.
Le gouvernement français, plus habile et plus hu- main, est parvenu, sinon à restituer à Tahiti son an- cienne splendeur, au moins à sauver d’une destruc- tion totale la race indigène. Le réseau des voies de communication a été agrandi, des débouchés commer- ciaux créés avec l’extérieur, une franchise relative ac- cordée aux navires étrangers.
Ce n’est pas dans la constitution de la propriété que nous trouverons les pouvoirs publics en relation avec les intérêts privés : aux colons d’acheter, s’il leur est possible, des indigènes, les terres nécessaires à leurs exploitations.
L’administration a dû se contenter de favoriser dans la mesure de ses moyens le développement agricole, in- dustriel et commercial des établissements des colons.
Le Tahitien, nous le savons, bien que admirable- ment doué par la nature au point de vue des forces physiques et musculaires, se montre réfractaire à toute espèce de labeur.
Ayant peu de besoins à satisfaire, il ne sent point la nécessité du travail.
D’ailleurs l’étranger ne refuse jamais à ses Vahinés le peu de luxe admis par leur état social.
Force était donc de faire appel à l’émigration.
Ce que nous avons dit au sujet des Néo-ITébridais
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dans notre volume sur la Nouvelle-Caledonie et les Nouvelles-Hébrides [V) et relativement au contrôle du gouvernement dans les engagements des travailleurs pour Nouméa, nous avons àl’appliquer auximmigrants des lies Gilbert.
Pour Papeete, un contrôle sévère assure la liberté du louage et l’empêclie de dégénérer en traite véritable.
Hélas! nous le craignons, longtemps encore cette paresse des Tahitiens s’opposera à toutes les mesures prises pour sauver les débris de la race indigène, malgré d’honorables exceptions, celle de M. Paroi, par exemple, récemment nommé membre du Conseil général et l’im des citoyens les plus intluents par son mérile i)ersoimcl.
Comme il n’y avait aucuns changements à espérer des mœurs de l’adulte, on s’adressa ji l’enrant.
Pour les missionnaires anglais, apprendre aux indi- gènes la lecture et l’écriture était assurer leur domi- nation à l’aide de la bible.
Aussi déployèrent-ils à les instruire, le meme zèle que leurs rivaux en religion ont souvent montré eu lùiroi^c pour maintenir l’ignorance. Il n’est donc pas étonnant (jiie nous ayons trouvé la bible dans tou- tes les mains des Tahitiens.
Nous avons dù imposer aux indigènes la connais- sance de la langue IVançaise, surtout après l’annexion à la France.
Aujourd’hui cba(pie village est contraint d’entretenir une école communale Hanpiiraa, et nous voyons fi- gurer avec plaisir parmi les instituteurs bon nombre de naturels.
(1) Voir la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Uébridps.
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Suivant un procédé qui semble être passé en cou- tume dans les colonies françaises, les membres ensei- gnants appartiennent presque tous à des congrégations tant catholiques que protestantes.
On peut observer qu’à Tahiti, ce procédé devenait presque obligatoire pour arracher les indigènes à Tin- lluence des UR. anglais.
Gomme en France, l’instruction est à Tahiti gratuite et obligatoire.
La Société nouvellement fondée à Paris pour la propagation de la langue, nous avons nommé {'Alliance française, trouverait encore à exercer son œuvre bien- faisante en Polynésie, car jusqu’ici les indigènes préfè- rent parler la langue maorie ou anglaise largement ré- pandue.
De nombreux emplois officiels ou privés attendent nos jeunes écoliers, ils deviennent missionnaires, ins- tituteurs, interprètes, pilotes, petits négociants, em- ployés de commerce, etc. Grâce à l’œuvre des apprentis, sous le patronage du R. P. Collette, curé de Papeete, l’élément masculin fournit à la colonie des maçons, des menuisiers, des charpentiers, etc. ; l’élément féminin des couturières, des blanchisseuses. Le R. P. Collette, originaire de la Chapelle du Pont Flambard, dans le diocèse de Coutances, et depuis une trentaine d’an- nées curé de Papeete, a su par les charmes d’un esprit large et sympathique envers tous, maintenir et accroî- tre même, dans les circonstances critiques, le prestige de la France.
Afin d’assurer la réparation et l’outillage des navires, le gouvernement a créé à Papeete l’arsenal maritime de Fareulé, une cale de halage, sorte de plan incliné, reçoit le navire halé à la sortie des flots à l’aide d’un
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cabestan, de manière à en permettre une minutieuse inspection et là réparation des avaries avant de le lais- ser à nouveau glisser sur la mer.
La cale de halage ne pouvant recevoir que des na- vires d’un tonnage faible, un quai dit d’abatage y supplée : une fois le navire amarré au rivage, on l’at- tii‘e sur la grève et dé[)laçant les gueuses de saumons servant de lest, oii le couclie sur Je liane, jusqu’à ce (pi’il soit en état de re|U'endre sa course.
Cale de halage et (piai d’al)alage doivent être dans peu d’années i-emplacées par un hassin de radoub.
La direction de l’arsenal (‘st également chargée du service du port, des phares, du sej-vice du pilotage et du sémaphore.
Le service des ponts et chaussées, conlié au.v mains d’un ingénieur colonial des ponts et chaussées, perfec- tionnant l’œuvi'e de l’omaré 11, mais sans faire servir à la réfeclion des loules la r émission des péchés, assure au.\ colons de rintéi ieni' un accès facile vei’s les centres r‘(jmmerciau.\ et les ports d’emhaicpiement. 11 existe même un service de voitures pirhli(|ues entre Tirpeele et Papetrrir'i.
La poste entr'c la métropole (d 'l'aliiti se fait par la voie d’.\rir«M i(pre, à l’aide de goélettes à voiles ; c«da est d’aulartt phts regr’eltahle (jir’avec un ser'vice à va[ieur, le tr'ajet se trorrverait corrsidérahlement abrégé et jjar sirite, les relalioits devierrdr-aient phrs lré(juenles. Le départ a lieu de Satr-Fratrcisco le I*’’’ de chaque mois et de Lapeete, du 1:2 au Id ; à l’aller le cortrrier s arrête à Nuka-lliva files Mat(prises) ; le retours'opère dii’ecte- ment.
Le prolongement du service des Messageries Natio- rrales, rpti a son terminus à Noirméa, a été demandé à
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plusieurs reprises jusqu’à Tahiti. Ce rattachement de nos deux colonies océaniennes serait, en effet, très favorable à nos intérêts coloniaux, mais aussi très coûteux. Pour y remédier, la Chambre de commerce de Papeete vient de prendre (mai 1886) la résolution suivante : la colonie alloue 200,000 francs à une ligne à vapeur entre la Nouvelle-Zélande et San-Francisco avec annexe de la Nouvelle-Zélande à la Nouvelle-Calé- donie. Tahiti sera le point intermédiaire entre la Nou- velle-Zélande et San-Francisco à l’aller comme au retour, avec départ mensuel. Le service annexe de la Nouvelle-Zélande à la Nouvelle-Calédonie s’effectuera tous les deux mois.
Le service postal est assuré entre les Tuamotu, les Marquises et Tahiti par un bateau faisant une tournée régulière de quarante-cinq jours.
Entre Tahiti et Moréa, la correspondance est faite tous les samedis, pour l’aller comme pour le retour.
Le service postal intérieur est fait à l’ouest jusqu’à Mataiea, par les voitures publiques et dans le reste de l’île par les mutoïs à pied ou à cheval.
On arrive à Tahiti en quarante, quarante-cinq jours, par la voie Havre-New-York, San-Francisco, les Mar- quises (Nuka-Hiva) et Papeete, et si, charmé par un voyage aussi agréable, on désire faire le tour du monde, on peut gagner par la Noiu^elle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, l’Australie, Sidney, Melbourne, Adélaïde, Albany, Maurice, la Réunion, Mahé, Aden, Suez, Marseille.
Reconnaissants envers la France de tous ces bien- faits, les indigènes se sont assez facilement pliés aux exigences du service financier.
Nos impôts, plus légers que ceux qui les accablaient
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SOUS l'ancien régime anglo-pomareen, sont perçus sans conteste.
Si parfois les circonstances ont exigé un budget plus considérafde, aiïecté aux services locaux, pour l’achè- vement du palais du roi par exemple, les indigènes ont payé la surtaxe sans murmure. Quant aux prestations en nature, vivres, services dans les Amuraa royaux, ils s’y sont toujours prêtés avec joie et avec empresse- ment.
Aüu d’assurer les rapports des Talntiens et des co- lons entre eux, et aussi a(iu d’imposer une certaine ré- serve aux mœurs du pays, le gouvernement a institué, OLili'e la gendanneric et la police européenne, une police indigène, les mutoïs.
Ces mutoïs se divisent en cavaliers d’escorte et en gar-diensde la paix puldique.
lœs premiers accom[)agnent le roi et le gouverneur, sont chai-gés du trans|)ort de la correspondance, les se- conds r'xercent la police urbaitre à l’égard des indigènes.
bien de plus curieux et de plus comiipie parfois (jue les scènes auxipielles donne lieu l’arrestation pour ivresse ou scandale sur la voie publicpie.
T’out indigène emmené à la Calabousse violon) n’est relâché (pi’après avoir- payé itne amende de 10 francs, ou s’ètre acrprilt»', envers la direction des ponts et chau=;sées, d’trne corvée cor respondante.
Torrte vahiné arrêtée, si elle ne peut j»ayer l’amende, doit en punition de sa faute une corvée de balayage. Pauvres chères Vahinés!... la honte de se voir en si piètre éiptipage les pousse à se cacher la face sous des monceauxdefeuillages. Songez donc, si leur tané-farani (mari français) allait les reconnaitre, adieu le Mafatu iti (Petit Cœur).
Tahitiens,
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Aussi ne s’expose-t-on pas facilement à un sem- blable affront, à moins d’avoir toute honte bue comme les vieilles et’ incorrigibles bacchantes, dont les mauvais instincts étaient si soigneusement entretenus par le rhum des RR. anglais.
Pour porter à la connaissance de tous les divers arrê- tés et règlements émanés du gouvernement, une im- primerie officielle a été créée et publie toutes les se- maines un journal français et tahitien, destiné tant à la manifestation de l’opinion publique qu’à favoriser les relations de la colonie avec l’extérieur (1).
CHAPITRE VII
Type. — Caractère. — Mœurs. — Contumes. — Ileligion. — Maladies. — Fêtes. — Danses. — Chants (hyménées).
La race tahitienne, expression la plus affinée du ra- meau Malayo-Polynésieyi est belle entre toutes. Elle possède la souplesse, la force, l’agilité; aussi ne doit- on pas s’étonner outre mesure des ébauches de sa civi- lisation, de l’intelligence de ses membres et de leur aptitude parlictdière pour les exercices physiques, no- tamment pour l’art de la navigation.
Le teint des Maoris tire généralement sur le blanc, mais varie cependant entre la couleur chocolat et la couleur olivâtre des Portugais.
Le sang blanc s’accuse plus particulièrement chez les principaux cliefs, moins sujets aux mésalliances, ce qui
(1) Récemment vient de paraître .un journal, le Messager de Tahili {Vea no Tahiti), dû à l’initiative privée. Nos vœux à cette tentative décentralisatrice.
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semble une nouvelle preuve de leur orjoine malaisienne.
En 1767, W allis trouva à Matavai des chefs presque blancs et à chevelure rousse.
En s’écartant de son berceau, l’émigration malaise ne pouvant plus se retremper, ni au foyer de la race jaune, ni au foyer de la race noire, abandonna de plus en plus ces deux derniers éléments. Nous ne (rouverons donc dans le type polynésien ni le caractère du nègre ni ceux du Mongol.
Chez les Maori, le crâne est renflé au niveau des bosses pariétales, la crête médiane affecte la forme d’une carène, la chevelure noire, fine, parfois bouclée mais non laineuse, ombrage un front l)ombé et des yeux légèrement (jbli(|ues, toujours très grands. Des pommettes faiblement saillantes, un nez ijuelquefois é[)alé, une bouche large, des lèvres sensuelles, des dents foit belles, un tneidon peu accusé, couvert d’une barl)e rare et mal louniie, un cou long, des ('xtrémités petites, une tjiille élevée, élancée, mais souvent gâtée pai‘ une ol»ésilé précoce, achèvent le j>or- ti-ail, le tout formant un ensemble des plus imposants et (les plus séducleiu s par la douceur de la physionomie et la grâce du maintien.
('aradhr. — C(dle douceiii' avait longlem|is avant la découverte fait abolir ranlhropophagie à Tahiti, si ja- mais elle y fut prati(jU(‘e, ce dont s’est toujours défendu la Heine Domaré.
D’un caractèi’c devenu j(acili(jue. mais autrefois bel- li([ueux, joueur et capricieux, riant, jileurant et l»ou- dant sons raison, les Tahitiens sont de véritables en- fants. Ee contact des Européens n’a jai modifier leur légèreté.
S’ils ne sont plus aussi voleurs (ju’au temps de Wallis
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et de Güok, ils ont conservé le même amour de tout ce qui brille.
L’esprit de contemplation est extraordinairement dé- veloppé chez eux, ils sont très sensibles aux aspects gais ou tristes de la nature, et accessibles à toutes les rêveries de rimagination. Mais le trait principal de leur caractère, c’est la superstition : la solitude des forêts, l’obscurité de la nuit les effrayent, partout ils voient des Tupapau (esprits).
Ln somme, ils manquent d’énergie; le moindre cha- grin les abat, mais le sourire un instant après renaît sur leurs lèvres. Très sensibles à l’objet présent, ils ne tardent pas à l’oublier.
Leurs peines sont courtes et vives, leur gaieté folle, mais ils sont trop aimanls du plaisir pour s’abandonner à la sensibilité.
Maint voyageur a tenu en plus haute estime la beauté majestueuse du Tahitien que les charmes langoureux de la tahitienne et cependant quelle séduction ne se dé- gage-t-il pas des yeux noirs de la Valiiné au regard ve- louté. N’est-ce point là ce teint cuivré que nous envions aux bohémiennes?
Si la bouche paraît un peu grande, les lèvres un peu grosses, l’une renferme un si splendide écrin de dents éclatantes, les autres sont d’un éclat si vif que ces dé- fauts légers se transforment en une beauté nouvelle. Les bras sont parfaits dans leur rondeur, les jolies mains longues et potelées siéraient bien à quelque du- chesse.
Pourquoi faut-il qu’un stupide préjugé, reste des vieilles mœurs, vienne parfois encore empâter tant de grâces? Autrefois, en effet, pour ajouter à ces charmes naturels celui d’une obésité factice, le Tahitien nour-
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rissait la Yaliine de Popoï, de fruits, de bananes, etc., lui interdisait tout exei-cice autre que le bain.
Enfants. — On comprend facilement que de Funion d’êtres aussi beaux, aussi forts que le tané et la vahiné, résulte une fourmilièreTle rejetons robustes et superbes. Ils possèdent, même à nos yeux, un complément de beauté inconnue à la génération contemporaine, nous voidons dire la régularité d’un nez à j)eu près aquilin. Ignorant 1 ancienne bobitude tabilienne d’écraser le cartilage du nez aux nourrissons, certains voyageurs ont considéi'é, mais à tort, l’aplatissement de cet organe comme un des caractères de la race maorie.
IFenfarit, même de nos jours, ap])artient rarement à scs propres parents ; peut-être la fré(juence de l’adop- tion se rattacbe-t-elle à la doctrine des Aiioïs (jui, ne pouvant conserver- leur progéidtui e, tenaient cependant à jouir des pr ivilèges de la paternité, bntt'e le Melua na- liu'cl et le Metua l*aaamu ( I) s’opère un échange inces- sant d entants à la marmdle ; struvenl même radojdion précède la naissance et tmijours elle fait naitr’c enti’e rancienne et la nmivrdle famille une sorte de liens de parente, (iet échange traditionnel des enfants semble êlr r' une des originalités la plus comme des mœui’s |>o- lynésiennes.
Saut en ce ipii concernait les fils de princes dont nous avons vu la situation analogue à celle rl im mariage morganatiipie en làiiope, rillégitimité, loin d’être comme chez nous une tache et une cause de vexations, emportait chez les Tahitiens honneurs et profits.
bien entendu, il ne faudrait pas demander aux en- fants cette afleclion, ce respect dont on entoure les
(I) Melua Faaamii, père adoptif.
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parents, là où la société a resserré plus étroitement les liens de la famille; il en résulte que l’autorité pater- nelle morale est nulle et nulle aussi la piété filiale.
Lejeune Tahitien et la jeune Tahitienne croissent à la merci du climat et des circonstances. Heureux si quel- que affection précoce vient rassurer les auteurs de leurs jours contre les chances hasardeuses d’un libertinage passé à fétat de coutume.
Langue. — Dans nos considérations préliminaires, nous avons annoncé que tous les Polynésiens sortaient d’une même race, nous en trouvons une preuve écla- tante dans l’étude des dialectes en usage aux archipels formant la Polynésie.
La langue maorie a cinq voyelles : a e i ü u, et neuf consonnes : g h ou s k, m n p r ou 1 1 v. On trouve encore f ou w.
llègles générales : 1° jamais un mot maori ne finit par une consonne; 2° jamais il n’admet deux consonnes de suite; 3° toutes les letfres qui le composent se pro- noncent. Houong ou ^c^sont des fautes d’orthographe. Cette langue quoique moins perfectionnée que la langue grecque, la rappelle à certains égards, tant par l’élé- gance et l’accentuation que par ses formes particulières.
Ainsi Grecs et Maoris distinguent outre le singulier et le pluriel, le duel, le maori possède même deux formes de duel.
Gomme en anglais, les mots n’ont pas de genre et si l’on veut leur en prêter un, il faut ajouter tane (époux), pour le masculin, vahiné (épouse), pour le féminin parlant de l’espèce humaine, et uni (mâle), et ufa (fe- melle), s’il s’agit d’animaux ; otane, ovahiné, après ceux des plantes ; quelques exceptions ne servent qu’à confirmer la règle.
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Gomme en français, le snbstaiilif n’a pas de décli- naison et les particules te, no te, ite, comme en fran- çais et en allemand, remplacent les terminaisons des cas. Le j)luriel se forme en plaçant man après l’article te et devant le mot (pi’ii détermine. Parfois il se forme aussi par un redoublement de la racine cà la façon des veibes fréquentatils grecs et latins, mais qui ne s’exerce (|Lie sur les substantifs. Lxenqjle, Eruau raid, un gi*and arbre, et Eraau rarald, de grands arbres.
lies verbes tabitiens sont actifs, |)assifs et neutres; de ])lus ils possèdent un causatif. Lxemple, ite (savoir), faa-ité (faire, savoir), ite hia (su), et faa ite hia (mettre en état d’être su). Le causatif s’indique par les pré- lixes faa, haa, r)u la, le passif se forme par l’adjonc- tion do la désinance hia oua, et le passif causatif sera lonm'* (lu radical précédé de la prélixe faa, haa, ou ta et suivie de hia.
Les verbes néuh'cs mêmes se transfonnent en causatif actif et en causalif passif par la même voie, lixemple : male (mort), haa male (occasionnel' la moi'l), et haa m ite hia (ètie amené à l’état ,de mort).
Los verbes ont tiois personnes au singulier, trois au plui'iel et (piatre au duel.
Ils comporlenl les modes suivaids : J^arau (racine parob'i, le paraa nei (parlei' ici , a parau (par ler ou pai'léi, ahiri paraa, e paraa aa ahiri (si j’avais (piebpie chose à dire je parlerais). .Ainsi, une sorte d inlinitif local, un infinitif (ndinaire, un particijie local et un conditionnel présent.
Ij’agencement de celte conjugaison ne vaut certai- nement pas le jeu des aori-tes premiers ou seconds et les dilVerents modes du verbe grec, mais il ne mam|ue cependant jioint d’originalité. Il y a (juatre
Femmes tahitiennes de l’intérieur.
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temps : le présent, l’imparfait, le parfait et le futur.
Ces quatre temps ont pour caractéristique, le pré- sent, la particule préfixe et la modification /^e^, qu’on place toujours entre le verbe et le pronom, l’imparfait fe au lieu de te et ra au lieu de mi; le parfait i au lieu de te et na au lieu de nei;\Q futur se contente de la préfixe e au lieu de la préfixe te. Telles sont les formes substantielles de la langue maorie.
Les divers dialectes se distinguent par une sorte d’adoucissement chez les habitants de Tahiti et de Tonga, que l’on peut regarder comme les Ioniens de la Polynésie, et au contraire par des accents gutturaux à la façon des Doriens chez les peuples anthropophages et belliqueux de la Nouvelle-Zélande et des néo-civi- lisés des îles Sandwich. Exemple : Kamaka, aux îles Sandwich et aux îles Marquises ; Tangata (avec g aspiré), à Tonga-Tabou; Taata, aux îles de la Société.
Sonore autant que l’ancien celtique, plus sonore que l’espagnol moderne, \q Maori se prête admirablement à la poésie et à l’éloquence.
Aussi, orateurs et poètes abondent-ils même de nos jours, dans toute la Polynésie. Un seul exemple nous montrera à quel degré de splendeur sont parvenus à Tahiti ces deux formes de la littérature. Voici l’exorde du discours prononcé par le chef Tati (d), ému des trou- bles qu’avait fomentés la reine Pomaré.
« Quoi! elle-même veut reprendre ces lances encore fumantes du sang de nos pères ; mais que la nouvelle religion qu’elle veut détruire enterra dans le tombeau de l’oubli! Ne craint-elle qu’indignées les ombres de
(1) Tati., d’origine royale, mais d’une branche aînée par rapport à celle des Pomaré, auxquels il s’était rallié par amour de la patrie, oubliant le meurtre de son père.
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nos aïeux ne sortent du séjour obscur pour nous re- procher que leur mort n’a pas été vengée. » Ne croi- rait-on pas entendre Démosthène tonnant contre Phi- lippe ?
Nous empruntons à M. Moerenhout, dont le lecteur connaît les profondes recherches sur Ja langue et les coutumes polynésiennes, une élégie tirée d’une scène appartenant au théâtre des Arioïs.
PLAINTE DE JEUNES FILLES.
JMiEMIÈHE.
« ^ ous, légeies hi ises du sud et de l’est, (pii vous joignez pour vous jouer et vous caresser au dessus de ma tête! hàtez-vous de couiir ensemhle à l’autre île; vous y verrez celui (|ui m’a abandonnée, assis à l’ombre d(î son arhn' lavori. Diles-lui cpie vous m’avez vue en pleurs, à cause de son absence. »
DEUXIÈME.
« r.est ici, c est à celte |>ointe (pii s’allonge dans la mer, ipie celui (pii m’a abandonnée me jiroinit son amour. O mes jeunes compagnes (pii voyez mes pleurs! aidez-moi à ramasser des herbes marines, je veux lui en former des chaînes s’il revient eii ces lieux. » Homère et les classiipies grecs ont-ils jamais chanté sur un mode plus tendre et plus doux ?
iiniérahou . — .Mais c’est surtout par son jirogrès dans I arithmeti(pie ipie se distingue entre les peuples imdvilises le peuple taliitien.
TAHITI.
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Dans notre dernier ouvrage (1) nous avons vu les Kanacks de la Nouvelle-Calédonie en s’aidant de la numération digitale des pieds et des mains, compter par vingt jusqu’à un nombre fort limité, quatre cents environ.
Nous trouverons un mode à peu près semblable aux îles Marquises, mais, de toute l’antiquité, les Tahi- tiens pouvaient compter au delà de plusieurs million-s et, chose étrange, ils avaient inventé le système dé- cimal bien avant nous.
Astronomie. Division du temps. — Au point de vue scientifique, les Tahitiens s’étaient élevés à un degré bien supérieur à celui des autres sauvages et surtout des Kanacks mélanésiens. Ils avaient de réelles notions en astronomie, (|ui leur permettaient, sans autre boussole que le soleil le jour, et les étoiles la nuit, de faire des expéditions maritines lointaines et dange- reuses.
Gomme les anciens Gaulois et les anciens Germains, ils comptaient par lunes; bien qu’ils eussent une idée vague de Tannée solaire qu’ils appelaient Mataiti et divisaient en deux parts, V Aroua-roua (été) et V Aroïia- oto (hiver) quant à Tannée lunaire, elle comprenait, outre deux divisions mata rü inia (figure de roi) ou temps des pléiades ^levées, et mata rü iraro (ou temps des pléiades basses), trois saisons : Tetaa (allant de mi-février à mi-juin), Tetaie poui (juillet à novembre), Tetaie miti rai (novembre à février).
Ils n'avaient pas conçu l’idée de la semaine, mais ils avaient inventé le mois qui se composait de trente jours.
(l) ha Nouvelte-Calédu7iie et les Nouvelles-Hébrides.
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Chaque nuit de la lune portait un nom spécial. Si les Tahitiens possédaient une nomenclature rappelant messidor, fructidor, etc., ils n’avaient point la décade républicaine, leurs semaines se confondaient avec le mois.
Ouant à la division diurne, ils n’employaient pas encore la subdivision horaire et ne distinguaient que ciruj [)ériodes du jour: l*opoa oa, le point du jour; avatea, midi ; tapé raa rna/uma, l’après-midi ; fiai ai, le coucher du soleil et votoitepo, minuit.
Sciences phtisiques et naturelles. — Nous parlerons à peine des sciences physicpies, il est évident que chez un [)euple (jui attribuait aux Tupapau tout incident im[)révu, la physique et la chimie n’avaient pas dû faire de grands progrès.
Cn revanche, la médecine et plus particulièrement la chirurgie et la hotani(jue médicale ne le cédaient guère à la science européenne à la lin du wiii® siècle.
D’ailleurs ce grou[>e malais dél)arrassé de l’élément négroïde et de rélément jaune n’élait guère sujet (|u’aiix maladies affaiblies de ses principes constitutifs (l)lancs, jaunes, noirs) et il y avait si longtemps »pi’il s’était éloigné du principe dominant (race blanche) qu’il n’en avait conservé que les qualités les plus vivaces.
Le climat de Tahiti se |>rètait admirablement à une longévité bibli(|ue; nulle paî t la vie ne s’offrait à meil- leur marché, par suite de la fécondité du sol; nulle part la tem[>érature ne se montrait aussi clémente : nulle part un air plus sain et plus pur ne dilatait les pou- mons d’une race plus musculeuse et plus athlétique.
Hélas! combien s’est assombri un si riant tableau; les blancs dégénérés ont emporté dans cet Eden avec
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la civilisation les maladies de leur décrépitude. L’accli- matation de la race maorie n’a pu s’opérer en un jour, et cette race infortunée n’a fait que dépérir. Espérons qu’avec les survivants plus ou. moins infectés de nos virus morbides, ayant subi une sorte de dégénérescence hâtive ou plutôt encore avec les métis acclimatés, nous pourrons reconstituer un type qui rappellera celui des anciens jours. Il semble que l’arrivée de l’Européen ayant changé la proportion existante entre les élé- ments blancs, noirs ou jaunes, ait désagrégé le mé- lange polynésien, race artificielle qui pouvait être appelée à de grandes destinées.
Maladies. — De la race blanche, les Polynésiens tenaient la propension aux rhumatismes, mais, comme un travail excessif n’aiguise jamais la douleur, des frictions habilement pratiquées et un massage intelli- gent en ont promptement raison.
De l’élément noir ils tiennent l’éléphantiasis (féfé) ; de la race jaune, ils avaient conservé jusqu’à la décou- verte une immunité qui lui est spéciale contre la phtisie, mais cette immunité disparue, la désagréga- tion du type polynésien semble avoir eu pour premier effet de rendre à cette fatale maladie toute sa nocuité. Bien plus, elle paraît l’avoir exaspérée, car là où l’on rencontrait tant de centenaires, la phtisie moissonne aujourd’hui sans distinction de sexe la fleur de la jeu- nesse. Nous avons, avec la reine Pomaré, pleuré la presque totale extinction de sa famille victime de la tuberculose.
Heureusement la période d’acclimatation touche à sa fin, car d’après les divers recensements, la population indigène de Tahiti reste stationnaire avec faible ten-' dance à l’accroissement.
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. Il n est pas étonnant de voir enfants et adolescents profitant des ombres du soir courir se baigner au ruisseau le plus proche.
La nature a placé dans les environs de Papeete un grand nombre de petits bassins qu’on dirait faits exprès par la main des hommes pour les usages du bain. Ce sont, en eflet, des baignoires naturelles agrémentées de bouquets odorants et de bruyantes cascades.
Les bains nocturnes sont en honneur à Tahiti. Au contraire des Néo-Caledoniens et de presque tous les Mélanésiens, les Tahitiens préfèrent l’eau douce.
Ilehrjion. — Thucydide parlant des anciens Grecs nous les monti’e se livrant à l’anthropophagie et à la piraterie, llomèi'e, Hésiode, nous font assister à Len- tantement de la civilisation helléni(jue : en lisant les légendes tahitiennes, on croirait parcourir leurs ouvra- ges. Même panthéisme, même personnalité des dieux iulV'rieurs, meme divinisation des forces de la nature.
(4 est la C //é à la main (celte œuvre capitale
de M. iMistel de Goidanges) fpi’il faut descendre dans les organes de 1 antique civilisation lahilienne.
Nous allons ollrir au lecteur h* inoyeF» de s’en con- vaincre lui-méme, et, peut-être déjdorera-t-il comme nous, au point de vue ethnographi([ue, le l>rusque arrêt d une ci vilisati<3n en |tleine efflorescence et (jui n’a pu nous donner les fruits que promettait son incomparable splendeur.
Toute idée religieuse à part, la genèse grec(|ue, la genèse héhr.FKpie elle-mèFue, dépassent-elles en sim- plicité, en naturel, en énergie, celte genèse tahitienne?
« Il était, raaroa(I) était son nom; il se tenait dans
(1) Taa, étendu; roa, très (très étendu, Dieu créateur).
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Fête de distinct ou amuraa.
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le vide, point de terre, point de ciel, point d’hommes, Taaroa appelle, il appelle à l’est, rien ne répond; il appelle an nord, rien ne répond; il appelle à l’ouest, rien ne répond; il appelle au sud, rien ne répond; et seul existant, il se changea en univers. Les pivots sont Taaroa, les rochers sont Taaroa, les sables sont Taaroa, c’est ainsi que lui-même s’est nommé. Taaroa est la clarté, il est le germe, il est la base, il est l'incorrupti- ble, le fort qui créa l’Univers, l’Univers grand et sacré qui n’est que la coquille de Taaroa. C’est lui qui le met en mouvement et en fait l’harmonie. »
Création. — « Vous pivots, vous rochers, vous sables ! Nous sommes... Venez vous qui devez former cette terre, il les presse, les presse encore, mais ces matières ne veu- lent pas s’unir. Alors de sa main droite, il lance les sept cieux pour en former la première face et la lumière est créée et l’obscurité n’existe plus. Tout se voie l’inté- rieur de l’Univers brille, le dieu reste ravi, en extase à la vue de l’immensité, l’immobilité a cessé, le mouve- ment existe. La fonction des messagers est remplie, le Créateur remplit sa mission. Les pivots sont fixés, les rochers sont en place, les sables sont posés, les cieux tournent, les cieux se sont élevés, la mer remplit ses profondeurs, l’Univers est créé.
« Taaroa dormait avec la femme qui se nommait Déesse du dedans (de la Terre). D’eux est né le premier germe, est né ensuite tout ce qui croît à la surface de la terre, est né ensuite le brouillard des montagnes, est né ensuite celui qui se nomme le fort ou le brave, est née ensuite celle qui se nomme la belle ou l’ornée pour plaire.
« Taaroa dormait avec le féminin qui se nomme déesse de l’air, est né d’eux, ce que l’on nomme l’arc-
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en-ciel, est né ensuite ce que l’on nomme la lune, sont nés ensuite les nuages rouges, la pluie rouge.
« Taaroa dormait avec le féminin qu’on nomme déesse du dedans du sein de la Terre, est né d’eux ce qu’on nomme esprit souterrain. »
Suit la naissance des dieux dont la nomenclature in- téresserait |)eu le lecteur du moins dans l’état actuel de la philologie tahiticnne qui ne nous permet pas de saisir les atti-ibuts contenus dans leurs noms mystiques et in- ti'aduisihles. l‘]t la légende se t(Minine par ces mots : (( et ta source de ces esprits est dans le lieu d’où sont envoyés les messagers. »
FAern 'ité de lu mniière. — « Hina (une déesse) disait à Fatmi (un dieu): faites levenir l’homme après sa mort. Fatou lépond : non, je ne le ferai point revivre, la terre mourra, la végétation mourra, elle mourra ainsi (pie les hommes ipii s’en nourrissent, le sol cpii les |)io- duit mourra, la tei'ie linira, elle tinira j)our ne plus renaitre. llina répond : faites comme vous voudrez, moi je ferai revivre la lune et ce ipie possédait llina continue d’étre et ce que possédait Fatou périt, et l’homme dut mourir. »
divinités. — Cette genèse est l’emartpiahle encore par h; caractère de ses dieux : les .Atouas, dieux supérieui's présidant à toutes le^ actions des hommes, mais sans en jugei’ la moralité. (>es Alouas se divisent en Atouas nationau.x ou supérieurs et .\louas inférieurs ou dieux des familles.
Nous citerons parmi les dieux, l’anoua leur Fsculapc, et Oro, le Mars tahilien; Iliro dont nous av(_ms déjà eu l’occasiou de parler et (pii jouait le njle de Mercure, mais d’un .Mercure qui serait à la fois un Hercule; Mahoui, un Josué et Apollon qui |>èche la terre à l’ha-
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ineçon, l’arrête, la dirige, arrête aussi le soleil et eu règle le cours de manière à faire naître sur le globe la fertilité et le bonheur.
A côté de cet Olympe, nous trouverons sur la terre des'Atouas inférieurs analogues aux Oréades, Naïades, Dryades, Sylvains et Faunes des Grecs.
Parfois les dieux revêtaient la forme humaine et les dieux la forme animale, de là croyance à une sorte de métempsycose.
Comme nous avons vu tout à l’heure les dieux se di- viser en olympiens et en terrestres, nous allons voir une seconde catégorie de dieux : les Oromatouas, dieux do- mestiques ou dieux lares, absolument identiques aux dieux mânes, lares et pénates des Latins. Enfin au bas de l’échelle théogonique, les Tiis, fils de Taaroa et de Hina, la lune, intermédiaires entre le verbe et la chair, l’esprit et l’être, presque des anges.
Culte. — « Jupiter est qundcumque vides », Jupiter est tout ce que tu vois, s’écrie Lucrèce à la suite d’Épi- cure ! ainsi parle le voyant Polynésien qui regardait Taaroa comme étranger à l’univers après sa création. Point' de culte pour ce dieu égoïste, en revanche par- tout s’élèvent des Maraé (1) soit nationaux, soit féo- daux, en l’honneur des divinités moindres mais inti- mement mêlées aux actes des hommes.
Le Maraé consistait en un parallélogramme terminé à Tune de ses extrémités par une pyramide de pierre entourée d’arbres sacrés, le Tamanu, le Miro, l’Aïto. Une espèce de plate-forme en bois, montée sur quatre pieds formait le Fata ou autel; là on offrait la victime, ou on déposait le cadavre des chefs, mais dans ce cas.
à) Maraé, temple païen.
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une légère toiture le protégeait contre les intempéries.
Dans le Maraé, çà et là, se dressaient grossièrement taillées, les 7oos ou images des Atouas^ et à l’extérieur, la statue mieux travaillée des 7m veillait en sentinelle.
Aucun peuple, pas même le peuple romain, ne se montre plus formaliste dans sa religion, et n’accorda aux dieux et à leurs ministres une importance plus considérable que le peuple taliitien.
Paix ou guerre, rien des actes politiques et civils n’échappait à leur entremise.
I.a personne des prêtres Fnaoun-Pouré était sacrée, l’autorité sacerdodale héréditaire; leur pouvoir allait jus(pi’au droit de vie et fie mort. Ils étaient les gar- diens des légendes, les .bardes, les historiens de la nation.
A côté des orfires supérieurs vivaient des ordres mi- neurs Amoi-ion, Pouré opounoui, sortes de diacres et saci’istains.
Supérieurs aux siru[)les serviteurs de la divinité, les prêtres, [)arfoi'î un prophète, sortaient de la foule et se donnaient cotnme interprètes des dieux.
.\u-dessous des thaumaturges, prophètes, interprètes des Atnuas se glissaient dans la foule qu’ils exploi- taient, les inspirés des Tiis, représentant les divinités inférieures, il se contentaient du rôle d’exorcistes et de sorciers.
Kniin une sorte de corporation religieuse analogue aux prêtres de ( A'hèle, ayant une initiation mystérieuse, comme à Pleusis, recrutée parmi la fleur de l’aristo- cratie lahitienne, doit appeler noire attention d'une façon toute particulière par le rôle considérable que leur franc-maçonnerie a .joué dans la splendeur et la décrépitude de la race polynésienne. Nous voulons
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parler de rassociation des Ariois sectateurs d’Oro.
Le créateur de cette société fut, dit-on, Mahi, qui prit pour emblème le cochon sacré (Bouaa-Aî^ioi)^ et divisa la Société en douze loges, c’est-à-dire entre Tahiti et et les onze îles environnantes.
Chaque loge était présidée par un chef nommé à l’élection et placé à la tête d’une hiérarchie dont cha- que grade était le prix du mérite comme orateur, chan- teur ou poète. La variété du tatouage distinguait les sept grades, et formait une espèce d’armorial qui semble nous donner la clef de la coutume du tatouage en Polynésie. Pour ces hommes nus, le tatouage dut valoir un écusson, la foule progressivement s’en em- para par imitation, et ce signe particulier d’abord de- vint un atour parce que, dans l’esprit du public, il représentait une supériorité.
Nous laisserions de côté les cérémonies de l’initiation, si elles ne se terminaient par le serment du néophyte de détruire ses enfants à naître.
On s’est plu à expliquer cette cruauté, en prêtant aux Ariois un malthusianisme pratique. Cette explication, admissible au temps où Tahiti regorgeait de population, nous semble dérisoire quand la population est tombée à moins de seize mille âmes.
N’y faut-il pas voir plutôt une protestation égalitaire contre une Société dont l’hérédité était la loi ? Cela ne résulte-t-il point de la constitution hiérarchique obtenue par une sorte de concours et à l’élection? Ces Ariois semblent être à la fois prêtres et séculiers comme jadis les bardes et les scaldes, troubadours, trouvères et ménestrels, mais, avant tout ils étaient francs-maçons!
Revenons aux moyens de communications entre les hommes et les dieux.
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Pour gagner la faveur divine, on avait recours aux prières et aux offrandes, et parfois ces offrandes con- sistaient en victimes humaines. Doux jusque dans l’horreur de ces sacrifices, les Tahitiens tuaient à l’im- proviste ceux qu’avait réclamé la divinité. A l’épo- que où l’anthropophagie régnait encore dans la Po- lynésie, ces victimes fournissaient aux prêtres et au peuple un abondant repas, l’œil était le morceau du chef, d’où ce nom, Aiinata{\), porté par plusieurs per- sonnes de souche royale. Les dieux répondaient aux mortels, soit par fiuspiration des ministres, soit par des songes, soit [lar des augures tirés du sifflement du vent, du cri des oiseaux, etc.
(ies cérémonies religieuses étaient particulièrement célébrées à l’époque des fêtes trimestrielles correspon- dant aux saisons et aux occupations qu’elles amènent.
Outre ces fêtes ofücielles, qui duraient plusieurs jours et qui étaient célébrées avec tout l’éclat et la solennité possible, il en était d’autres que motivait la paix ou la guerre et les événements de la famille.
Depuis lSi9, é[)0(pie a laquelle Ihimaré 11, abjurant le paganisme, reçut le baptême, les Marcuï «mt perdu tout prestige; on en rencontre encore à chaipie jjas sur son chemin, mais le culte païen ne les arrose plus du sang des victimes.
I^a vieille religion tahitienne e>t bien morte, est-ce un résullat heureux pour l’avenir de la race? nou'? ne nous permettrons pas de trancher la question!
Souvent nous avons constaté (;ue les changements de religion trop brusques entrainaienl le désem|»are- ment des sociétés qui, tro|) faibles pour s’élever aux
(I .0. manger; mata, yeux.
Chœur ou hijineiu' d'uii district de Taliiti.
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conceptions d’une civilisation plus avancée, perdaient à la fois leur direction ancienne sans pouvoir en ac- quérir une nouvelle. Dès lors, tout marche à la dérive, l’existence est sans but, la liberté morte, la nation dé- périt, n’empruntant aux étrangers que leurs vices, et c’est à peine si quelques familles échappées, comme par miracle, à ce déluge de croyances viennent à bout de rendre à la race une force factice et de prolonger par le métissage sa décrépitude.
Certes, une direction intelligente qui aurait non pas détruit, mais transformé la religion nationale, pourrait sauver les restes d’un grand peuple. Noble était cette œuvre, toute de charité, mais combien peu convenait- elle au mercantilisme formaliste des missionnaires pro- testants anglais !... La mission catholique française, qui a repris en sous-œuvre cet apostolat, parviendra, nous l’espérons, à force de douceur, à panser les plaies faites à la race tahitienne par le Code mercanti-politico-reli- gieux imposé par les Pomaré, alors que pour le mal- heur de leur pays, ils s’inspiraient des idées anglaises.
La mission protestante anglaise remonte à 1797, tandis que les premiers missionnaires catholiques fran- çais ne parurent à Tahiti qu’en 1836.
L’antagonisme des deux cultes chrétiens ne tarda point à éclater, jetant un nouveau trouble dan's la mal- heureuse population qu’ils se disputaient II fallut bientôt régler les rapports entre les églises protestantes et les églises catholiques, placées, elles, sous la protec- tion de la France. En 1831 et 1832, intervinrent des règlements locaux sur le libre exercice du culte.
Nous avons parlé ailleurs de Pritchard et de ses acolytes, l’animosité de leur conduite pourrait servir de mesure à leur esprit de charité.
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Dès qu’ils virent les indigènes échapper à leur in- fuence, ayant vite calculé la peine et le profit, ils se hâtèrent de déserter.
Kn 1863, deux pasteurs protestants français sont venus offrir leurs services, conformément aux vœux exprimés en 1860 par l’assemblée législative des États du protectorat.
Un essai de mornaonisme, en 1831, avait été sévère- ment réprimé par le commandant Bonnard.
L’évangélisation des habitants de toutes les îles de la Polynésie, ])our le culte catholique, avait été confiée h la congrégation des révérends pères de la Société de Jésus et de Marie, dite de Ihcpus. Deux vicariats apos- t(di(pies existent en Polynésie, l’un à Taiohaé {i\uka- hivn), l’autre à Papeete ; ce dender comprend Tahiti, les archipels de Mangareva, des Tuamotus, desTubuaï.
Pour le culte protestant, une loi tahitienne du 18 mars 1831 a fixé à un, par disfrict, le nombre des missionnaires européens ou indigènes; une autre loi du ^2 mars 183;2 a déclaré (pi’ils seraient élus par les haliitants, sous réserve de l’investiture française si l’élection [)ortait sur un étranger. Lnün un décret du 23 janvier 1881, est venu abolir toute la législation anlér'ieure sur la matière et a organisé d’une manière plus cord'orme aux intérêts français l'exercice du culte dans J’ahiti et ses dépendances. Aujourd’hui chaque district a son temple ou son église, souvent même les deux, bien entretenus et fréquentés régulièrement par les fidèles. Moins nombreux sont les catholiques, mais la disproportion s’affaiblit tous les jours. Uiaint aux anciennes croyances, à peine trouverait-on un indigène capable d’en expliquer le cérémonial.
Une remarque à faire, c’est que les indigènes catho-
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liques, comme les indigènes protestants, disent leurs prières par inspiration et d’après les circonstances, habitude que leur ont donnée, sans doute, les métho- distes anglais, les premiers qu’ils ont connus tout de suite après leur changement de religion.
D’une tenue irréprochal)le à l’église, ou dans le temple, à la porte desquels ils ont le soin de déposer leur couronne de fleurs, à peine sont-ils sortis que les conversations provoquent, même delà part des enfants, les éclats de rire les plus bruyants.
Cependant catholiques et protestants sont restés éga- lement en proie aux vieilles superstitions, comme aux vieilles mœurs : Les tupapau ou revenants ne les eflVayent pas moins qu’autrefois.
Tabou. — Le tabou (défense), chez les Tahitiens, par- ticipait à la fois de Tordre religieux et politique. C’est bien un prêtre qui le prononçait, mais il ne le pouvait qu’à la demande d’un chef.
Souvent un instrument de tyrannie, il fut parfois une sauvegarde chez un peuple où la propriété était si peu déterminée; l’abus de jouissance pouvant amener dans Ja suite des famines mortelles à la race.
Nous avons parlé des Aromatouas, dieux domesti- ques; c’étaient eux qui présidaient à la naissance des enfants, aux souffrances, à la mort, aux funérailles, mais jamais au mariage, resté à Tahiti la manifestation de la volonté personnelle des conjoints, sans aucune consécration civile ou religieuse.
Naissances. — A la naissance de l’enfant ses parents devenaient Tabou. La mère ne devait plus rien toucher de ses doigts pendant un laps de six semaines à deux mois, d’autres femmes lui donnaient la becquée. C’était là une marque de respect que nous voyons pratiquer
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envers les femmes de souche royale en toute occasion; coutume commune aux Tahitiens et aux Abyssins d’Afrique. Des fêtes où Ton invitait les Ariois avaient lieu.
lia société n’était point parvenue à ce degré de civi- lisation qui voit dans chaque méfait une preuve de folie, les nndadies même passaient pour des manifes- tations des Oromatouas. Le malade considéré comme coupable n’inspirait aucune pitié ; on recourait alors aux sorciers (pii, au nom des tiis, le clélf 'raient des es[)i its malins, à moins qu’ils ne jetassent des sorts, car ils exploitaient la superslilion en se livrant à ce jeu. Dans les cas graves on a[)pelait le prêtre et non plus le sorcier. Mais, si la pitié n’entourait ))oint le malade il était de bon ton de le tuer à force de lamen- tations, (u'i la sensibilité n’entrait pour rien. On pleimait. on gémissait, on se déchirait la poitrine ou la face par pur usage: à iieine avait-on achevé (ju’on se livrait aux démonstrations les plus folles, à la joie la plus fn'méli- i|iie (1).
Mort. Sépultures. Funérailles. — S’il en était ainsi pour les maladies, (juel deuil devait entraîner la mort?
Aussil(jt après le décès, le corps transporté dans une espé(‘e de hangar, (jue cluupie case possédait pour cet usage, était dé[>osé dans un châssis de bois, sur des nattes, couvert d’une étoile blanche ; à ses C(jtés étaient ses armes et près de sa tête des coques de noix de C()cos, tandis (pTâ ses pieds ()ar une pieuse attention on [durait une pierre, une baguette sèche, des feuilles
(I) Aujourd’hui encore, la sensibilité des Taliitiens est toute de surface. Le Taliitien vit pour le plaisir, il n'aime point à s'attrister Pt paraît trop léger pour prendre une part quelconque aux souf- frauces de ses semblables.
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. liées ensemble ; près de là encore se trouvait
une tige de plane, symbole de la paix, des noix de jDal- mieretau sommet de l’arbre, ombrageant sa case, une coque remplie d’eau douce. A un des poteaux était sus- pendu un panier en feuilles de cocotier où étaient des tranches de fruit de l’arbre à pain. Cet usage de pla- cer des mets auprès des morts est de toute antiquité et à peu près universel. La pirogue du défunt était brûlée publiquement. Les membres de la famille s’arra- chaient les cheveux, se déchiraient, avec des dents de requin, diverses parties du corps, puis après deux jours de lamentations venaient encore pleurer auprès du Fataa dans l’intérieur du Maraé, payant un haiva tonpapu (pleureur sacré) à la façon des Romains et des Grecs. Ce haiva n’était pas seulement un pleureur à gages, il représentait encore l’esprit du défunt tant que la famille voulait bien rémunérer ses services.
La mort des chefs était signalée par un deuil public; des cris, des hurlements, des blessures pendant quatre » jours, après quoi le corps déposé sur le fata, un com- bat s’engageait entre les guerriers du district et ceux d’un district voisin, venus exprès pour y prendre part et honorer en jouant leur vie, la dignité du défunt.
Le corps arrivé à la dessiccation par embaumement, on en séparait la tête que l’on transportait dans des cavernes appelées Anna (chaîne), le reste de la dépouille était confié au sol du maraé.
Les funérailles avaient lieu avec tout le cérémonial possible; les assistants se barhouillaient le corps jus- qu’aux épaules et revêtaient des habits spécialement affectés au deuil. Ceux qui ne faisaient pas partie du convoi s’enfuyaient au bruit de castagnettes que por- taient ceux qui le présidaient.
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Puis, lorsque le prêtre qui présidait aux fuuérailJes avait prononcé imalata (il n’y a personne), alors tous les gens du convoi allaient se baigner et reprenaient leurs habits ordinaires.
Mœurs. Coutumes. — Chez un peuple si léger, aux sensations si vives et si passagères, d’une beauté si remarquable, l’instinct artistique dut s’éveiller de bonne lieure et on put en augurer un développement complet.
Comme autrefois les Aedes parmi les populations lielléniques, les .\rioïs donnaient le branle à cette société naïvement corrompue, à ces saturnales ingé- nues dans la célébration desquelles s’écoulait, au milieu des jeux, des rires et des plaisirs, la vie du Tabitien, à ré[)oque de l’indépendance. Les Arioïs prenaient ()art à toutes les fêtes, c’était tour à tour f^scbyle dramati- sant les gloires de sa patrie, Tyrtée animant les guer- riers au combat, Anacréon chantant les loses et l’amour, lloméie payant en épopées l’hospitalité des villes placées sur son passage, Piudare poétisant les moindres actes de l’existence, Hésiode enfantant les (ru'ux ou enseignant aux hommes les saisons ou les jours. Ils président aux danses et animent les joyeuses fifiü-fjpu.
Le costume des femmes, même aux jours de fête, consistait en une longue blouse droite, tissue avec le« libres ligueuses d’une écorce macérée, battues et teintes des plus riantes couleurs. Lu guerre, le costume mi- litaire consistait en trois grandes pièces d’étoffe super- posées et étagées l’une sur l’autre; celle de dessous, blanche etlarge, tombait jusqu’aux genoux ; la seconde, un peu plus étroite et rouge, ne descendait (ju’à la cuisse; la troisième, brune et plus courte, s’arrêtait à la
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Femmes tahitiennes habitant Papeete.
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ceinture. Les guerriers portaient aussi une cuirasse d’osier, recouverte de plumes et de dents de requin. Leur casque très élevé, de forme cylindrique, était orné d’aigrettes luxuriantes, bleues, vertes, et em- pennées d’une jolie bordure blanche. Un nombre prodigieux de longues plumes d’oiseaux du tropique dévergeait des bords et formait une espèce d’au- réole dont les couleurs et les rangées indiquaient le grade.
Aujourd’hui le Tahitien porte généralement une che- mise, tombant soit sur le pareu à bandes jaunes, bleues ou rouges, qui lui ceint les reins, soit sur le pantalon de coutil, mais très rarement à l’intérieur de l’un ou l’autre de ces inexpressibles.
Les femmes se vêtent d’une espèce de tunique longue et sans taille, avec collerette serrée, et savent malgré la sévérité de ce costume le porter non sans coquette- rie. Nous ne dirons rien, et pour cause, des bas et des chaussures; un cordonnier n’ayant pour clients que des indigènes risquerait fort de mourir de faim; quant au chapelier il lui resterait bien peu à faire, chaque vahiné confectionnant pour elle et les siens un fort élégant chapeau canotier fait de bambous tressés. Pour les jours de fête, on le remplace par celui de pia (1), ou bien encore par une couronne de cette même plante et que surmonte, semblable aux panaches de nos cava- liers, le reva-reva, nœuds de rubans transparents, jaunes, verts, fournis par le cœur du cocotier. Mais ce que n’oublie point surtout la Vahiné, c’est le tiare miri, superbe Heur blanche dont elle parsème sa noire
(1) Pia, arrow-root {tacca primatifuia). Les Tahitiens en ob- tiennent une sorte de paille fine et blanche comme celle du riz.
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chevelure et qui répand à l’entour une odeur plus suave que la fleur d’oranger.
A la musique, ou à la U'pa-U'pa, les cheveux parfu- més, au monoi (poudre de santal ahif et séparés en deux longues nattes très épaisses, la tête recouverte de simples couronnés de fleurs et de verdure (hei) par- semée de fleurs de gardénias, d’érytrina aux œillets de pourpre qui donnent une pâleur transparente à ses joues cuivrées, suflisent à gagner à la femme tahitienne l'admiration de chacun.
Si vous voulez bien, cher lecteur, partager avec nous un repas indigène, accroupissez-vous sur cette natte recouverte de larges feuilles de bananier ou du taro devant une écuelle formée d’une moitié de coco et remplie de müi. (Jardez-vous bien de la prendre pour coupe! Le mitt, coco aigri étendu d’eau salée, vous ferait faire une olfreuse grimace, la main armée d’un morceau de maioré rôti (fruit de l’arbre à pain) ou de popoï(l), acceptez de l’InMesse votre part d’un crustacé (genre bénitier) ou d’un poisson argenté, semblable au liareng, i)iessez un citron sur le tout et savourez, en ayant soin de tremper votre l>ouchée de maioré dans le miti. Si vous assistez à un repas de fête, mangez egalement au miti une tranche de porc frais, ou ce varo, sorte de langouste à la chair si exquise, jadis réservé pour les festins royaux. Voici (jue l’on ai>porte, enfermé dans de longs bambous verts, l’entre- met national, le tmcro ! Si vous n’aimez pas un mé- lange horriiite de Iruits, de jioissons et crevettes, le tout passablement fermenté, Dieu vous garde de tou- cher à ce ragoût ! La gloutonnerie de vos hôtes vous
(1) Popo't, pâte obtenue du maioré et qui se conserve.
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en saura gré. Ah! par exemple^ vous apporte-t-on un massepain composé de maioré, de mangues et de bananes arrosé de jus d’oranger? Délectez- vous-en à loisir et si vous ne tenez à restez sur ce mets délicieux, choisissez à votre aise, ou ces odorantes goyaves, ou ces pommes d’or de Cythère ou ces oranges savou- reuses que l’on vous présente dans un panier de coco- tier. Ne demandez, par exemple, ni vin ni liqueurs, il vous faudra vous contenter d’eau pure ou de lait de coco ; mais cette eau est si limpide, ce lait de coco si doux au palais que vous oubliez facilement Bacchus et ses dons.
Autrefois ni les femmes, ni les enfants ne s’atta- blaient avec les hommes; heureusement la coutume a changé, et c’est un vrai plaisir aujourd’hui de se mêler à l’intimité des familles tahitiennes. Leur sociabilité atteint le plus haut degré ; un voisin vient-il à chauffer son four pl), tout le voisinage accourt pour profiter de la cuisson et il en résulte souvent des agapes presque fraternelles. Chacun s’improvise cuisinier ou cuisinière, car depuis l’ère de la civilisation, les soins de la table ne sont plus exclusivement la charge de la femme, affranchie désormais.
C’est le samedi, en tahitien Mahanamaa (jour de la nourriture) que les Tahitiens, la tête enguirlandée de fleurs et de feuilles, n’ayant pour tout vêtement qu’un pantalon ou plus souvent un pareil, vont dans la mon- tagne couper les régimes de fei. Le fruit du fei (variété de Bananier) est d’une couleur jaune safran et se mange après cuisson, comme le Maioré.
Outre ces repas privés on célèbre à Tahiti, à cer-
(I) C’est le four cauaque tel que nous l’avons décrit. Voir la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides.
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laines époques de 1 année, un festin national, appelé Amuraa. Chaque district cherche à éclipser celui de ses hôtes, aussi certains de ces Amuraa peuvent-ils être comparés à nos plus beaux festins de gala. Pendant cette fête de l’hospitalité le chef amphitryon et ses compagnons se font honneur de servir leurs invités sans s asseoir à la table commune.
Cénéralement ce repas se donne dans la Fare-han splendidement décorée. Le gouverneur et le roi ont toujours cru devoir en rehausser l’éclat par leur présence.
(Jue de lois n avons-nous pas vu Pomaré A’ahine dans ces occasions solennelles? La joie éclatait sur son visage, elle se sentait réellement la reine de son peuple (pii 1 acclamait joyeux et reconnaissant de son la ora nu Fumant 1 ahtne. Mais, même au milieu de ces hom- mages, un ti'iste souvenir, une divination fatale assom- hi'issaient soudain la face épanouie de la vieille reine.
L fmropeen Iratei’iiise en ce jour avec les indigènes et, comme à notre anniversaire du 14 juillet, chacun s’(‘mpresse de conh ihuer à la pompe el à l’éclat de la cérémonie. Pas j)his a Pa|)eele (pi’à Paris, on ne trou- vei’ait alors de voiliu’es inactives.
^ous laissons deviner au lecteur le nombre de vic- times, el, pour lui donner une idtie de ces noces de tlamaches, disons seulement qu’au dernier Amuraa auquel nous avtins assisté, sur une table recouverte de leuilles de fougères et d’amarantes, tigurail après le repas une immense théière, d’une capacité supé- rieure à cent litres.
t^omme dans les festins anti(]ues, comme aujourd’hui au Lrand -Hôtel, les fanfares et les chœurs de jeunes tilles, formant de blanclies théories, aug?iientent encore
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l’ivresse des assistants et se disputent la palme du con- cours. La nuit venue on termine la fête par les ébats frénétiques de la Upa-Upa, danse tahitienne qui n’a sa similaire dans aucun pays, soit par la légèreté des mouvements, soit pour l’originalité des caractères,
A la clarté de la lune, jetant sur l’assemblée ses rayons d’argent, sous un ciel étoilé des constellations les plus brillantes, à l’ombre des cocotiers, des arbres à pain, des orangers, sur un tapis de verdure où la rouge verveine se marie au vert gazon, s’agitent les danseurs et les danseuses en proie à une allégresse infinie.
Vainement plusieurs gouverneurs ont essayé d’en réprimer la licence. La Upa-Upa est tellement enra- cinée dans les coutumes tahitiennes que l’un deux s’at- tira cette réponse. « Nous laissons bien les françaises danser dans vos salons les danses françaises, laissez dans les jardins les Tahitiennes danser la danse tahi- tienne. » Avant le Protectorat, la pruderie des révé- rends anglais avait obtenu le même succès. Gomme ils la défendaient cà la reine Pomaré dans toute la fleur de ses seize ans, elle répondit à leurs remontrances par une Upa-Upa monstre à l’île Moréa; inventant, à son insu, la danse des bayadères, elle distribua, comme voile, à ses compagnes des dentelles transparentes que ces mêmes révérends lui avaient offertes pour orner la case royale.
Il faudra longtemps encore se résigner à la Upa- Upa, elle semble faire partie de la vie des Tahitiens comme le mainré fait partie de leur alimentation.
Au centre de la place même du gouvernement bordée de beaux puraus et munie de bancs^ illuminée par des torches de cocotier et les bougies des marchands am-
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bulants, s’élève un kiosque réservé à la musique mili- taire et à la musique locale; sur cette même place, on danse presque chaque soir, au son d’un tambour ou d’une simple cuvette de fer battu, la Upa-Upa tout en dévalisant les étalages de Heurs, de cannes à sucre, de pastè(}ues, de Iriiits variés ou de glace à la vanille (pape toeloé).
Musique. — Bien que passionnés pour la musique, les Tabitiens ne (jossédaient avant l’ai'rivée des l’]uro|)éens aucun auti'e instrument qu’une espèce de tlùte de ro- seau, le vivo, et une sorte de tambour analogue à nos anciens mortiers. Ce tambour, d’environ trois à quatre pieds de hauteur et neuf à douze ponces de diamètre, se composait du tronc d’un bois jaune et dur appelé ponu (crateru reliogiosa) cfilièiemenl évidé et (ju’ils agi'émentaienl de sculptures et de dessins; l’ouverture d’en haul était garnie d’une [)eau de reipiin rortemenl tendue par de petites cordes altaché«'s au milieu ou au bas de l’instrument.
.Xutrelois, ils l)atlaienl le tambour à poings fermés, ils se servent à présent soit de baguettes, soit de la mailloche à grosse caisse.
Depuis noire ariivé'e, la jeunesse labilienne a mer- veilleusement développé* dans nos écoles ses inslincls musicaux et il n’est guère (rindigèncs (pii ne joue au- jourd’hui tel ou lel instrumeni aussi habilemenl (jue nos artistes.
IaiUcs. — C’est sans doute aux sons des lam- bours (pi’à repo(|ue de rindépendance la |K)pula- tion tabilienne, sans distinclion de sexe ni d’.àge, se livrait au [lugilat et à la lutte avec tant de force et d’adresse (pie nous avons vu Cook avouer la défaite de ses matelots, boxeurs si l enommés. Bien de curieux
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comme le spectacle offert alors par la lutte entre femmes : pieds et poings liés, dents et ongles entraient en jeu, malheur à celle qui se laissait saisir par sa longue et épaisse chevelure, elle tombait bientôt sous les genoux de son adversaire. Cette dernière cou- tume a été abolie sous le règne de la reine Pomaré et nous n’avons point songé à la rétablir.
Car chez nous point de ces coups de poing qui font tant d’honneur à l’Angleterre!
Ayant tout à souhait, le Tahitien ignore le travail, ses forces athlétiques ne se dépensent comme nous l’avons vu que dans les jeux, la danse, le chant ou la pêche.
Voyez-vous à l’avant des pirogues, entre la côte et la ceinture des récifs, s’agiter de grands corps nus, à tournure fantastique, la main armée d’une lance prête à frapper?
La flottille s’ébranle; est-elle destinée à surprendre une des lies Sous-le-Vent comme aux jours de la bar- barie ?
Aux lueurs des torches rouges jetant leur lumière sur les récifs à la blanche écume, et qu’un compagnon placé à l’arrière est chargé de renouveler, ces géants apparaissent comme des demi-dieux prêts à répandre la terreur, à lancer la mort! Cherchent-ils une passe pour gagner la haute mer? Au contraire ils semblent l’éviter et sonder la redoutable ceinture de corail. Mal- heur aux peuplades qu’atteindront leurs lances redou- tables! tlassLirez-vous, cher lecteur, Borabora dort sur la foi des traités; Huahiné et Raiatéa n’ont rien à craindre du Tahitien civilisé, et cet appareil belliqueux ne menace que les hôtes de la mer. C’est la pêche noc- turne telle qu’on la pratique chaque soir à Tahiti.
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Oïl ne saurait obtenir du Tahitien aucune exploita- tion agricole, aucun labeur commandé. Quant à son intelligence non moins vive que son corps est robuste, il ne l’emploie guère qu’à gagner les bonnes grâces des vahinés et à déjouer les ruses commerciales de l’Européen.
Nous nous souvenons qu’nn midskip avait donné à une indigène, comme bague d’or, une bague en doublé, en échange de (juelques services; il avait compté sans le flair exquis du Taliitien qui, après avoir approché de ses narines l’objet suspect, refusa de se laisser tromper.
Quant aux femmes, elles ont conservé jusqu’à ce jour cette molle oisiveté, ce sans-gène olympique. I.a rêverie, la promenade, la sieste, la danse, le chant et le bain, sont leurs principales occiqiations.
Véritaldes sœurs de Calypso, si Calypso et ses com- pagnes avaient connu les cartes, le tabac et la bière, dont lualbeureusement abusent les vahinés.
Ce malin, c’est au marché (jue les Tabiliennes habi- tant l*a[)oete et les environs, après avoir l'ail leurs provisions de poisson et de fruits, se rassemblent de- vant des tables où des Chinois leur vendent du thé, du café, du beuri’c, des gâteaux, etc. ITiis elles rentrent chez elles pour y prendre leur rei>as j)rincipal, qui a lieu vers 11 heures et ipie les Inimmes ou les femmes âgées pré[)arenl.
A })eine les restes en sont-ils distribués aux animaux domesliipies, errants en grand nombre autour des cases, qu’elles procèdent à leur toilette. Les nattes sont éten- dues, et elles se livrent à la sieste inévitable sous le soleil des troiiiques, et ([ui dure jusqu’à environ 2 heures.
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Alors, toujours allongées, mais formant le cercle, les jeux de cartes qui passionnent énormément les Tahitiennes, commencent; la cigarette roulée dans une longue feuille de pandanus, dont chaque vahiné tire deux ou trois bouffées de fumée qu’elle rend lentement par le nez, passe de bouche en bouche.
Celles qui ne se livrent pas aux émotions de l’écarté ou du poker se racontent les événements de la soirée précédente, en fredonnant des chants du pays accom- pagnés par un accordéon ou des guimbardes, singulier instrument très répandu dans les îles de la Société.
Le soir, lorsqu’il n’y a pas de upa-upa ou de mu- sique, c’est dans la rue de la Petite-Pologne, l’une des principales rues de la capitale et qui est le but com- mun de leurs promenades, qu’elles se donnent rendez- vous. Là, côte à côte, le chapeau canotier entouré de guirlandes de fleurs et de feuilles odorantes, posé sans façon sur le sommet de la tête, se tenant d’une main par le petit doigt et de l’autre relevant, non sans grâce, la traîne de leurs longues robes de mousseline blanche, rose, bleue, elles vont et viennent fredonnant des airs nationaux.
Ainsi s’écoule, dans une fête perpétuelle, la jeunesse de la femme tahi tienne.
Hélas ! le temps a promptement flétri cette fleur de beauté. Pauvre vahiné! adieu la upa-iipa, les fiymé- nés, les longues rêveries.
Autre temps, autres mœurs : à toi le fer à repasser, à toi la batte du lavoir.
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CHAPITRE YIII
Industrie. — Agriculiure. — Cominorce. — Hègne auimal. — Hègne végétal.
Industrie. — On a pu voir par les instruments de musique que l’industrie avant la découverte, était encoi’c à l’état d’enfance à Tahiti.
f.es maisons (ju plutôt les abris, sauf la case des chefs, ne com|)ortaient pas f’rand travail; de gros galets formant pilotis, avec murailles de bambous garnis de nattes, le tout surmonté d’une toiture on feuilles de cocotier ou do j)andanus débordant un peu les [)an)is, telle était toute l’architecture. C’est au bord de la mer que se trouvent les villages, le centre est à peine habité. I..es cases actuelles entourées d’un vaste enclos, proprii té de la famille, à l’ombre des coco- tiers, des arbres à pain, dos manguiers, sont à peu de cbos*î |)rès colles des anciens lenq)S. l’intérieur, où de tout temps a régné la plus grande propreté, le pied, au beu de s enloncor dans des herbes sèches, rappelant la suave od(Mii' du neir tnoirn hay (foin fraîchement coupé), et ipii recouvraient le sol, glisse sur un parquet lui- sant »pie recouvrent dos nattes de pandanus linement tressées, et sur los(pielles les indigènes trouvent (ju’il est plus doux de s’étendre que de se plier le corps sur ces incommodes sièges (]u’ils jmssèdent cependant. Si l’on y trouve toujours la lampe légendaire devant lacjuelle est [dacée une feuille de l)ananier pour en cacher le trop vif éclat, au lieu des nattes qui servaient de lit, de bonnes couches garnies <le matelas, de draj)s et de
Case taliitienne de l’intérieur.
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couvertures, et qu’entourent des moustiquaires de mousseline d’une blancheur irréprochable.
Insulaires, les Tahitiens, parvinrent de bonne heure à s’élever à un degré respectable dans la construction maritime. Ils avaient trois catégories de pirogues : Voure, le vaa et le pahi.
Le pahi, la plus remarquable, était formé de deux grandes pirogues réunies par une plate-forme, et com- posées elles-mêmes de pièces s’emboîtant parfaite- ment les unes dans les autres, reliées par des tresses incorruptibles de filaments de cocotier, le tout n’ayant qu’un seul mât; une voile, quelquefois deux, ser- vaient à la navigation en pleine mer.
Il est très extraordinaire que, réduits à une hermi- nette de pierre noire pour outils, n’ayant d’autres clous que des coquillages, ils aient obtenu d’aussi grands résultats. Sur ces pirogues, on eût pu trouver des hameçons de nacre artistement travaillés, des filets finement tressés.
Les Tahitiens contemporains ont remplacé ces embarcations par des baleinières qu’ils construisent souvent eux-mêmes ; mais presque chaque case a sa petite piroque de pêche, plus commode pour aller le soir au long des récifs, surprendre le poisson.
Le battage des étoffes, le tissage de la paille, n’exigeant que de la patience et du goût, fut une des gloires de Tahiti indépendante. On achèterait cher aujourd’hui ces étoffes si brillantes, si habilement ourdies qui ont contribué à la réputation des Tahi- tiennes, non moins que leur splendide beauté.
Ils tiraient de trois arbres différents l’écorce propre à la confection de leurs étoffes. Le mûrier [7no7nis papy7Hfe7'a) fournissait la plus fine; Tarbre à pain, une
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moins blanche et moins douce; une espèce de figuier sauvage une grossière, mais la plus utile, car elle était la seule (jui résistait à l’eau. Cette dernière était naturellement parfumée et servait aux habits de deuil; ils teignaient ces étoffes avec un très beau rouge (|u’ils ol)tenaient du fruit d’une espèce de figuier et du cordia sedeslina; ils avaient aussi une teinture jaune très brillante, tirée fie la racine flu inorinda citri folia.
Les Tabitienncs ne veulent plus manier le battoir servant à étendre l’écorce, et nous ne pouvons |)lus juger de la délicatesse de leur goût (pi’en admirant ces cbapeaux artistement travaillés, ces couronnes en pia et les rr.va rêva, aussi élégammeni montés cpie le pourraient faire les meilleures fleuristes paidsiennes.
On trouve encore cependant des nattes flont (juel- (jues-unes surpassent ce (jue nous avons de meilleur en iMirojie. 11 y en a de plusieurs espèces; l’une est faite avec une espèce d’ortie {Itibiscus liüaceus) et il en est d’aussi fines (ju’un flrap grossier; l’autre espèce, plus belle, blanche, lustrée, brillaide, se fait avec les feuilles de [)andanus; on en fait encore avec des joncs (il des herbes, et elles leur servent de lits et de sièges. Ils soid aussi fort adroits à confectionner les ouvrages d’osier, ils font des paife rs de mille formes diffé- rentes. Dans l’espace de f[uel(jues minutes, ils en fa(M)nnenl un avec les feuilles vertes de cocotier. C’est surtout dans les iles circou voi-ines (pie l’on peut se prot'urer les objets les plus soigneusement travaillés.
Afjrirallare. — Ouant aux produits agricoles |iro- premenl dits, (Ui comprend (pi’ayant l'arbre à pain, les Tahitiens n’aient guère songé à la culture des céréales. Leur agriculture porte surtout sur le laro,
Case taliitienne des environs de Papeete.
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l’igaame, et autres racines du même genre. A l’arrivée des Européens, sous Pomaré cette source de richesses reçut de grands développements. II semble au premier abord qu’une île aussi riche en terre arable (30 à 40,000 hectares, sur 104,215 hectares) eût dû porter davantage ses habitants à exploiter ses trésors. La cause du peu de progrès faits par l’agricul- ture jusqu’à la découverte tient principalement aux idées d’hérédité et d’indivisibilité de la propriété entre membres d’une même famille.
Les Tahitiens ne comprenaient l’aliénation du sol que par la guerre, la donation ou la confiscation ; ni échanges ni ventes, de sorte qu’il se passait à Tahiti ce que nous avons vu en Europe avant la Révolution française. Propriétaire d’une étendue considérable, on n’en cultivait quTme partie, juste de quoi suffire aux besoins de la famille, étendue jusqu’au clan, besoins bien atténués par la prodigalité de la nature envers Tahiti.
Cette manière d’envisager la propriété a subsisté, et l’Européen trouve difficilement à acheter aux indigènes le moindre lopin de terre. Au sujet de la confiscation, elle s’exerçait d’une façon fort curieuse ; notre lecteur n’a point oublié que le roi était arii arii par excellence. S’il plaisait à Sa Majesté de faire en chaise à porteurs une tournée dans son royaume, et qu’elle vînt à mettre pied à terre, l’endroit que son pied royal avail foulé deve- nait tapn [tabou, défense) absolument comme les mots de la langue adoptés par la caste supérieure, et si Sa Majesté était en humeur de faire une longue promenade, pour visiter ou admirer la forêt ou la plaine, la fantaisie royale ne laissait pas de coûter cher à son humble sujet. Nous ayons parlé- également du privilège retenu
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par les arii : la faculté, en cas de litige, pour le per- dant, d’abandonner à Varii le plus proche, ses droits dès lors reconnus incontestables. 11 serait curieux de rapprocher ces coutumes de celles usitées chez nous sous le régime féodal, on y trouverait la confirmation du vieil adage. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, fût-ce en des temps plus ou moins éloi- gnés et à des distances de plusieurs milliers de lieues.
La constitution de la [)ropriété comprenait en dehors de cette propriété individuelle ou de famille, le domaine royal, le farii hau ou apanage des chefs de district.
Jaloux de respecter les droits des indigènes, le gou- vernement français, ])ar une loi du 2-4 mai 18u2, o con- saci'é la possession seigneuriale des farii hau, en les garantissant à’ leurs propriétaires, sans possibilité d’aliénation, autre (pTune décision de l’assemblée législative sanctionnée par le souverain.
bien plus, le gouvernement s’est engagé, en cas d’extinction de l’.lr/i et de la famille, à nommer de concert avec les iriti ntira (fiolahlcs) du district un nouvel arii et à lui Iransmetlre les biens du défunt.
(Juels obstacles de semblables coutumes ne doivent- elles [Kis opposeï’ à l’essor de l’agriculture et de la colonisation?
Domaines [)rivés, seigneuriaux ou royaux, n’ont pu être entamés jaar l’immigration européenne; c’est (]ue sans être parfaitement défini, le sentiment de la propriété existe très vif dans le cœur du Tahitien. Chicanier et processif, il défend devant les Tonhitiis sa motte de terre avec la même énergie qu’il dé- ployait jadis à interdire aux ennemis la violation de son marae, aussi la législation sur la propriété est-elle
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féconde en arrêtés divers, qui attendent une loi codi- fiant la matière. En 1852, on crut pouvoir prévenir la plupart des contestations entre Maoris, en prescrivant l’inscription de toutes les terres privées sur un registre public.
Cet essai cadastral, qui ne visait d’ailleurs qu’un seul des modes de la propriété, ne reçut d’exécution que dans neuf districts sur vingt, resta parfaitement inapplicable dans les dépendances de Tahiti, et échoua misérablement devant l’inexpérience des indigènes.
Pour défendre les propriétaires inscrits contre les revendications des tiers, il fallut décréter une pres- cription quinquennale. Nous ne citerons que pour mémoire les ordonnances complémentaires de 1868 et 1877 qui n’amenèrent pas grand résultat.
Tout porte à croire les Tahitiens trop peu avancés pour l’application d’une mesure aussi procédurière que l’inscription. Rien ne semble pouvoir empêcher la revendication du non inscrit contre l’inscrit sui- vant le proverbe Tama ta, no aiou (nous perdrons, mais essayons toujours).
Bien que le sol fût des plus fertiles ou plutôt à cause de cette fertilité, l’agriculture indigène ne reçut pas de grands développements; pourquoi cultiver quand la nature pourvoit à tous les besoins? Au début de l’arrivée des Européens, quelques essais de plantations de canne à sucre, de caféiers, ont été tentés, mais ce n’est à proprement parler que depuis l’année 1862 que la culture a attiré l’attention des habitants du pays. Avec une végétation aussi riche, se prêtant si admira- blement aux diverses branches de l’agriculture, il est regrettable de ne point voir se renouveler l’entre- prise de M. Stewart, à Atimaono.
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En 1864, la colonie crut cependant sortir de son apathie; une puissante compagnie, Tahiti cotton and coffee plantation Company, envoyait un agent à Tahiti et aux îles Marquises. Celui-ci achetait sur les districts de Papaoa et de Matacia tous les terrains que les indi- gènes voulurent Ijien lui vendre. 11 payait bien et avait pour lui la reine, de sorte qu’il put facilement réunir .‘1 à 4,000 hectares.
Pour remédier à l’incurahle paresse des Tahitiens, cet agent obtint du gouvernement rautorisatioii d’in- troduire des coolies chinois et des indigènes de l’archipel de C(jok.
lùi peu de temps, cette plantation devint très lloris- sante et [)romettait à la colonie un essor rajdde. Malheuremenl, la Société mère avait dans un coin de l’Orient un établissement analogue, mais fort dispen- dieux. Tahiti seule réussit, et la solidarité des opéra- tions amena la faillite d’Atimaono.
Après des fortunes diverses, la plantation dite d’Alimaono est lomhée aujourd’liui aux mains d’une Société dont le seul but, nous dit-on, est de la revendre en totalité ou par jiarcelles.
I*our favoriser les queh|ues colons rpii s'étaient livrés à fngriculture, un arrêté formait, le 30 juil- let 1863, une caisse agricole destinée à favoriser rexjiloilation en centralisant les productions pour la vente à rembaniuemcnt. Un autre arrêté, du 30 avril 1866, autorisait la même caisse à prêter sur connaissement déchargement de colon et autres denrées àdestination de la France; lesopéralions se sont encore étendues depuis la réunion à la France. Aujourd’liui cette caisse agricole, placée sous le contrôle du con- seil général y a ajouté l’achat et la revente des terrains.
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Elle ne fait aucune spéculation sur cette revente, qui a lieu avec des facilités de remboursement sous la forme de délais variant entre un et dix ans. De plus elle prête sur récolte, sur hypothèques, sur signatures, et supplée ainsi dans une large mesure aux avantages que la colonie retirerait d’une banque qu’elle ne pos- sède pas encore.
Elle offre ainsi aux personnes peu aisées, mais ayant la ferme volonté de travailler à se constituer un petit domaine, des facilités considérables. Elle a aussi une agence aux îles Marquises, possédant une usine à égrainer le coton.
Nous souhaitons vivement que cette nouvelle orga- nisation profite à notre colonie, en assurant une posi- tion honorable aux immigrants agricoles jusqu'ici les moins privilégiés.
Au commencement de l’année 1886, le Conseil gé- néral a décidé, afin de favoriser les opérations de la Société de colonisation, dont le siège esta Paris, bou- levard de Gourcelles, 71, de voter une subvention assez importante; mais a jugé essentiel, avant tout, que le ministre de la marine et des colonies prescrive au gouverneur de s’occuper d’une façon définitive et sé- rieuse de l’inscription des terres, sans laquelle toute entreprise agricole est impossible.
Enfin, en mars 1887, la Société française de colo- nisation a ouvert des nouvelles négociations avec le Conseil général de Tahiti pour l’emploi d’un crédit de 10,000 francs accordé par la Colonie et affecté à l’envoi à Papeete de colons français.
Nous ne nous appesantirons pas davantage sur la grande culture. La culture maraîchère est pratiquée pour la plus grande partie par des Chinois, et nous
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TAHITI.
nous plaisons à leur rendre celte justice que si leur irt- gérence commerciale est chose regrettable, nous n’a- vons qu’.à nous féliciter de les voir fournir avec abon- dance le marché, de légumes et de fruits.
Commerce. — Comme sur leurs anciennes pirogues, les Tahitiens vont sur des baleinières trafiquer d’ile en en île, des productions de leur pays et des importa- tions européennes.
Tahiti commandant les désertes Tuamolus, les belli- (pieuses îles Sous-le-Yent, admirablement dotée par la nature au point de vue agricole et surtout horticole, dut voir depuis longtemps ses eidants approvisionner ces îles.
Ceursconnaissances astronomiques, déjà connues des lecteurs, leur permettaient de parcourir cette mer du Sud à une distance souvent supérieure à trois cents lieues. C’est ain<i ([u’.\taourou, l’hote et le protégé de Bougain- ville, prédit à notre illustre compatriote qu’en se diri- geant sur telle étoile [Vétoile (Ktrion) on aboutirait à telle île, ce (pie l’événement justilia.
Knfre rAmériijue et le monde austral, Tahiti est le cenire d’un commerce ipie viendra développer encore, ajirès le percement de l’isthme de Panama, la naviga- lion.
Depuis la découverte, la gracieuse hospilalité de ses hahilants lui valut d’étre un point de relâche pour les éipiipages ayant à renouveler leurs |)rovisions et pour un grand nombre de navires baleiniers. I.a pêche de la nacre y attira de bonne heure la convoitise de rCu- ropéen. Avec leur égoîMue ordinaire, les Anglais, tant qu’ils eurent la haute main sur les afTaires de la colo- nie, accaparèrent tout le commerce, et même sous notre protectorat ils l’ont conservé.
Négociant chinois de Papeete et son fils,
TAHITI.
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C’est à Papeete que presque toutes les affaires com- merciales se traitent ; c’est là que les négociants ont établi leurs magasins et réuni les ressources de toute nature nécessaires au ravitaillement des navires.
Mais, hélas! quelle tristesse de voir la France se dé- sintéresser ainsi dans l’exportation des produits de sa colonie qui, presque tous, vont à San-Francisco ou sont embarqués sur des bâtiments étrangers, et ne ne nous parviennent de la sorte que de seconde et de troisième main, après avoir enrichi deux intermédiaires anglais ou allemands! Les produits expédiés pour la France en 1884 ne sont en effet que de i200, 459^02, tandis que ceux à destination de l’étranger sont de 1,222,081^72.
Les principaux articles d’exportation sont le coton (sea-jalaud), qualité supérieure et dont on peut évaluer l’exportation actuelle à 600,000 kilos ; bien cultivé il donne 1 800 kilogrammes par hectare, produit une ré- colte moyenne en sept mois et demi , et une grande récolte en onze mois; la graine de coton, le coprah (amande sèche de cocotier); le sucre de cannes, dont la plante n’a point à craindre, comme en Nouvelle-Calédonie, les sauterelles, assure à deux sucreries un revenu rému- nérateur et procure aux habitants un rafraîchissement peu coûteux et très savoureux ; le rhum, le café, pro- duisant au bout de cinq ans ; la vanille au bout de dix- huit mois, le maïs au bout de seize semaines, le tabac, qui devient superbe et ne demande que seize à dix- neuf semaines pour venir à maturité; les oranges, dont la production annuelle est de 15 000000, mais dont 5 000000 seulement trouvent débouché en Californie. Combien de tonnes de curaçao et de vin d’orange ne pourrait-on livrer à la consommation si quelque distil- lerie enlevait aux porcs et aux autres animaux dômes-
TAHITI.
tiques des trésors si précieux ! les citrons, l’arrow-root Igname, le taro, le fungus, le tabac, la cire jaune, le miel, la noix de bancoulier {aleuristes tribola), la na- cre perlière provenant des îles Tuamotu (ioOOOO à 500 OOO kil. par an), les perles fines dont on estime le produit a 200 000 francs par an, estimation selon nous inferieure au revenu réel, car, aussi peu volumineux que précieux, cet article n’est pas souvent déclaré.
On pourrait encore utiliser pour la confection de ces excellentes gelées de goyaves, ces immenses buissons de goyaviers dont le défricliemênt coûte tant de peine au cultivateur. ^
iN'mis ajoiitorons, |iour terininer cotte listo qui, par initiative des colons européens, jiourrait être aug- iiientée, que (pielques colons ayant essayé la culture de la vigne, ont été surpris d'un résultat qui leur assurait deux récoltes par an.
-\ces dillorents produits il est bon d'ajouter le coni- inerce de l'opiuin, airernié (100(10 Irancs à iincoinmer- rant Irauçais qui se charge de la surveillance doua- nière, non seulement pour Tahiti, mais encore pour ses dépendances.
//inqiortalion, en se chin're par la somme de
•),0-2.), i!li''-,(i,'-,, l’exporlalion par celui de 4, 'i34,H0:t'y7i Dans ce cluirrc. la Krance ne ligure pour l’importa- lion que pour I .(l'iC.iMO" o i, ,a„,|js ,|„e par la Société commerciale de l'ncéaiiie, de Hambourg au mouvement commercial élrançer de Tahiti a été à elle seule de 2,2:12.5:18 francs; elle a contribué pour un tiers au moins dans le ebitfre des recettes produites par 1 octroi de mer ; de plus elle possède une usine d égrai- nage de coton et de vastes propriétés aux îles Marquises, une usine à l’apeete, une sucrerie à Papeuriri et de
TAHITI.
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grands terrains, soit en son nom, soit sons des raisons sociales diverses, sans parler d’autres propriétés fon- cières très importantes, tant à Tahiti que dans les au- tres îles. Aux îles Sous-le-Vent, elle occupe une place très considérable et n’a guère d’autre concurrent sérieux que le capitaine Higgins, de nationalité anglaise ou américaine.
Une semblable disproportion sur des articles égale- ment fabriqués en France, n’appelle-t-elle pas toute l’attention de nos gouvernants sur l’état précaire où végète notre marine marchande? A quoi bon coloniser et semer aux quatre coins du monde les os de nos sol- dats, si la patrie ne doit point en profiter, soit par une importation accroissant son bien-être, soit par une ex- portation écoulant son trop-plein ?
On ne doit pas toujours s’en prendre au gouverne- ment : l’initiative privée manque chez nos commerçants ; il suffira, nous l’espérons, de leur signaler l’état des choses actuel à Tahiti pour exciter en eux, en même temps que la flamme du patriotisme, l’appât du gain; car il y a, nous n’en doutons pas, d’immenses sommes à gagner par une exploitation sage et n’encourant que des risques presque nuis.
Voyez les Chinois? Une mention spéciale est due à leur commerce. Venus comme coolies à la plantation d’Atimaono, grâce à leur sobriété et à leurs habitudes d’épargne, les Chinois n’ont pas tardé à accaparer presque tout le petit commerce, tant à Papeete que dans le reste de Tîle.
Une sorte de drainage s’est établi par leur entremise entre San Francisco et Tahiti, au grand détriment des Européens. Vainement le gouvernement a-t-il interdit à de nouveaux arrivants chinois le sol tahitien, le mal
TAHITI.
éUitfait, et on évalue à deux mille le nombre des indi- vidus de race jaune, leur invasion dans nos possessions de la Polynésie formant ainsi une petite Chine dans notre petite colonie.
Ce qui s’est passé à San Francisco semble nous me- nacer également.
Hègne animal. — bien que certain voyageur ait con- sidéré le porc comme autochtone, nous avons vu qu'il faut rapporter au dépôt fait par Quiros dans les Tua- motus, ceux ipi’y trouva Wallis à l’époque de la décou- verte. La nature, si |)rodigue envers cette île au point de vue végétal, semble lui avoir refusé toute espèce de (lua.lrupèdes. La classe des reptiles, au grand plaisir ries habitants, n’y est guère mieux représentée : ni serpent, ni vipère, seul rinoffensif lézard.
Les Aracbiiides, sans pulluler, ont fait leur apparition à Tahiti ; quehpies scorpions, quelques cent-pieds y ont <‘te, prétendent les labitiens, importés par les navires, t hi V I e'iicontre aussi le cancrelat, bote plutôt incommode 'picdangereux, et rinévitable moust ique. Heureusement la mtîdecine indigène a su remédier aux morsures et aux piqûres en réinventant la (bjctrine de Salerme. Sumba s/mil/ljns runinfur. (iliaque case possède un bocal ou macère dans l’alcool scorpion ou cent-ju'eds, et en cas d’accident, le patient se frotte avec le liquide ainsi traité.
lai ce qui concerne les oiseaux, même rareté qu’en Anuvelle-Caléd(mie : on pourrait parcourir des forêts entières sans entendre le gazouillement charmeur de nos forêts.
Les ([uelques espèces indigènes habitent pre^ïque toutes les marais et les bords de la mer : pliaétons (oiseaux des tropiques), petites perruches vertes, mar-
TAHITI.
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tins-pêcheurs, canards sauvages et sarcelles, quelques hérons, chevaliers et alouettes de mer. On y trouve aussi une espèce de pigeon nommé par les indigènes rupe (serrésius galeatus). C’est une espèce assez rare, gros comme une poule, au plumage verdâtre et dont la shair est fort délicate.
Après le porc et la chèvre, les Européens ont importé le bœuf, le cheval, le chien et le chat.
L’espèce bovine, qui cependant trouve de gras et beaux pâturages, ne semble guère s’être développée, car Tahiti jusqu’ici emprunte aux îles Sandwich un bétail qui, le plus souvent, lui parvient en mauvais état d’abatage. Actuellement l'initiative privée tend à éta- blir un courant d’échange entre nos colonies polyné- siennes et nos colonies mélanésiennes, fournissant ainsi un excellent débouché aux éleveurs de la Nouvelle- Calédonie, et un nouveau moyen d’alimentation au marché de Tahiti.
En revanche, la race chevaline a pris une extension considérable; l’indigène a volontiers adopté le cheval, dont l’élevage, tout en ne lui coûtant pas, comme celui du bœuf, un soin inaccoutumé, lui a procuré un nou- veau plaisir, acquis à vil prix, en raison de l’exubérante végétation du pays. Dans leur inexpérience et leur soif de jouissances, les Tahitiens n’attendaient même pas pour s’en servir, que le cheval fût formé, et le gou- vernement a été obligé d’interdire la monte des pou- lains surmenés.
La race porcine (espèce chinoise), s’est propagée avec rapidité, et il n’est point de case indigène qui n’ait pour hôte quelques-uns de ces animaux. On en ren- contre même à l’état sauvage dans l’intérieur des forêts. Pendant le séjour de Cook à Tahiti, le bouaa (porc)
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TAHITI.
semble avoir été l’objet de soins particuliers. Ce navi- gateur rapporte qu’un jour il vit une jeune vahiné tenant dans ses bras un porcelet et présentant le sein à cet enfant nouveau genre.
La race caprine, introduite par les missionnaires espagnols Hieronimo et Narcisso, de Bonechéa, s’est admirablement reproduite, mais les Tahitiens se se- raient passés (le son lait si elle eût, comme la vache, exigé des soins im[)ortuns à leur paresse.
On ne saurait trop s’étonner de l’absence complète du mouton, nous ne croyons cependant pas avoir en- tendu [)arler d’une herbe malfaisante, comme en Nou- velle-Calédonie, qui compromît son existence.
Dans la l)asse-cour, caqnèlent et co(iuetlent poules et co(js en quatdité, d’une espèce naine, dont la saveur fait regretter la })etitesse.
Le chien pidlule, sans a{)partcnir à une race l)ien détinie. .ladis les indigènes en lirent un article de bou- cherie ; aujourd’hui ils le considèrent comme un com[)agnon tidèle, et lui témoignent la même alfeclion (pie nos enfants et nos dames.
Oii court donc celte gracieuse Tahitienne, alerte- ment suivie par un geidil compagnon? Tâchons de caresseï* la rohe soyeuse de l’angora chéri ! il ne nous grillera pas, sa maîtresse a [tris soin de lui em- [)risonner les grilles dans des gants de peau et nous [)ourrons donc admirer à notre aise la mine co(juette et bizarre (jiie lui donne sa collerette enrnbannée et ses mignonnes oreilles ornées de [tompons de Heurs.
Nulle part la mer ne s’est montrée [tlus féconde et plus généreuse. .M. Forster rapporte ([u’il reconnut dans la baie de MatavaV (juarante-cimj espèces de [>oissons. Tararao et Papeuriri abondent en huîtres,
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Baie de Papetoai (île Mooréa).
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TAHITI.
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semblables aux huîtres de Marennes et d’Ostende. Nous pourrions parler de l’huître perlière dont nous renvoyons l’étude au chapitre des Tuamotus.
Quelles admirables ressources n’offriraient pas à l’exploitation européenne l’exubérante végétation de Tahiti, si l’on pouvait vaincre la paresse invétérée des naturels. Mais, hélas 1 on ne saurait l’espérer, et Tahiti n’a pas à sa portée, comme la Nouvelle-Calédonie, un archipel des Nouvelles Hébrides pour y recruter des travailleurs. Malgré cet inconvénient, l’exportation des produits végétaux atteint des proportions relativement considérables.
Les forêts fournissent à profusion, à la charpente, à la menuiserie, à l’ébénisterie et à la teinturerie, à la sparterie; le purau {paritiuin tiriaceuin)^ le santal, le tamanu, le miro ou bois de rose, le morus papirifera, dont l’écorce fournit une étoffe fine et douce, le ban- coulier, le bois de fer, etc., etc.
La liste complète en a été fournie lors de l’exposition de 1878, par M. Poroï, entrepreneur indigène. Gomme arbres fruitiers : l’arbre à pain, le cocotier, le spon- dias dulcis (evi de Tahitiens), l’oranger introduit par Cook, le citronnier, l’avocatier, le manguier, le bana- nier, le goyavier, etc. Le goyavier (psidium phnferum) — taara en tahitien — introduit en 1815, a littérale- ment envahi l’île. Il y a détruit les autres plantes, même les vieux et gros arbres, au pied desquels il pousse avec une incroyable vigueur.
Dans les vallées, il prend des proportions arbores- centes, tandis que sur les montagnes, il ne dépasse guère celle d’un arbrisseau. On attribue sa propaga- tion surtout aux animaux qui, tous recherchent ses fruits délicieux.
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TAHITI.
L’ananas y est tellement abondant, que les Tahitiens en gaspillent une grande quantité pour orner leur cou et leurs coifï'ures. Comme plantes ornementales, Tahiti nous oiïre le pandanus odoratissimus, la fougère arbo- rescente, le gardénia, le guettarda, le colophyllum, le mimosa, la verveine, le tiaré miri, et une foule d’œil- lets et de roses transformant les jardins et la campagne en véritaljles [)aradis de fleurs.
L’arbre à pain [artoccu'pus incisa) est originaire de Tahiti ; la légende dit : « Sa semence fut apportée du ciel par un pigeon blanc, (jui avait mis deux lunes pour aller et deux pour revenir. » Nous avons vu que hligb y fut envoyé' exprès [)Our y chercher des plants, et les transporter à la .lamaïque avec des cannes à sucre également prises à Tabili. De là, ces deux végé- taux ont été répandus à Saint-Domingue, à Cuba et à la l'iinité, où la culture de la canne est devenue dTine grande importance.
Toutes ces dillV'rentes espèces sont représentées dans le jardin botanique (pii entoure le palais du gouverneur. Idles y sont mêlées aux plantes médicales confiées aux soins du médecin en chef de l’hôpital militaire.
DEUXIEME PARTIE
DÉPENDANCES DE TAHITI.
[LOTS TETIAOROA.
Nous avons dit que Tahiti occupait une position cen- trale dans le monde polynésien.
En quittant cette île et après avoir laissé à gauche Tîle Mooréa, les premiers îlots que l’on rencontre sont les îlots Tetiaoroa, du district d’Arue, au nombre de sept ou huit et à 25 milles (1) environ de la pointe Vénus. Ils sont la propriété personnelle de la famille Pomaré, qui y possède de superbes planlations de co- cotiers.
MEETIA.
En continuant de naviguer vers l’est, c’est-à-dire vers l’archipel des Tuamotus, on trouve la petite île de Meetia, que l’on a cru faussement être la Decema de Quiros.
Wallis la vit en 17G7 et la nomma Osnabrück. D’autres navigateurs venus après eux la baptisèrent à
(1) Le mille marin vaut 1852 mètres.
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TAHITI.
leur gré. Aujourd’hui, comme Tahiti, elle a repris son nom indigène Meetia.
Située sur la route de Tahiti aux îles Tuamotus, Meetia offre un bon point de reconnaissance à l’atter- rissage des navires (jui viennent mouiller à Tahiti; s’élevant verticalement de la mer à GO milles environ, elle regarde le district de Tautira, dont elle relève. Ce n’est guère qu’un double roc à hauteur de 400 mé- trer du niveau de la mer, surmonté d’un cratère éteint, quoique béant.
(Juand, à grand’peine, on est parvenu à franchir l’arôle tranchante, qui en forme les bords , l’œil plonge dans un vaste vallon de 200 à 300 mètres de profondeur, dont les parois sont parsemées fie Fei au luxuriant feuillage, de I.utus, semblables à de gigan- tes(jues camélias; excepté dans le voisinage des crêtes, magniüiiue s})lendeur végétale !
Cotte île possédait une population assez dense qui sombra, dit-on, en se rendant à Papeete un jour de fête. Les soixante ou (luatre-vingts survivants occupent en- core les deux anciens villages. Doux, hospitaliers, actifs et industrieux, ils se livrent à la culture et à la pèche, n’ayant plus à craindre les invasions des indi- gènes des Tuamotus cjui, |)his d’une fois, les obligèrent à aller chercher un refuge dans la presqu’île de Taïrabu. leur })romier berceau.
L’ile Meetia ne possède ni port, ni source d’eau douce, aussi les navires restent-ils sous voiles quand ils y abordent. Les habitants sont obligés de conserver dans des vases, ou des calebasses, l’eau de pluie néces- saire à leur alimentation; ils boivent, en mangeant, l’eau de coco frais.
MOORÉA
EIMÉO OU DU DUC d’yORK.
Vue de Tahiti, dont elle n’est éloignée que de 12 milles marins au nord-ouest et entourée, comme celle-ci, d’un récif, Mooréa offre un aspect plus pittoresque encore et une végétation plus vigoureuse.
Se profilant sur des masses de verdure, comme au- tant de Titans assemblés en conseil, s’élève un groupe de montagnes, dont l’un des pics percé à jour, juste au- dessous de son point culminant, a reçu, dit la légende, le coup de lance de nous ne savons quel demi-dieu tahitien.
L’île tout entière embrasse un périmètre de 48 kilo- mètres; sa superficie comprend 13,237 hectares, dont 3,500 au moins d’excellente terre cultivable.
Elle se divise en quatre districts : Papetoaï, Haapiti, Afaréaïtu, Teaharoa, ayant à leur tête des chefs indi- gènes. Sa population, d’après le dernier recensement, atteint 1,445 habitants presque tous protestants.
L’île Mooréa est très bien arrosée et possède des ports admirables, qui sont, aux dires de Bougainville et de Cook, des merveilles de la nature, et dont le principal, Papetoaï fait face à Papeete.
Nous avons vu qu’elle offrit un refuge en 1810 aux
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TAHITI.
révérends anglais, chassés de Matavaï. On trouve en- core de nos jours à Papetoaï leur premier temple construit en pierres de corail, très soigneusement tail- lées, et à Afareaïtu, l’établissement où ils avaient créé leur imprimerie.
Cette île, réunie à la France en même temps que Tahiti, possède une résidence.
D une manière générale , disons-le une fois pour toutes, les fonctions de résident sont confiées à un ofticier de marine assisté d’un agent spécial, de un ou de plusieurs gendarmes et de quelques soldats d’infan- terie de marine et d’artillerie, selon l’importance du lieu et des principaux chels. Un grand conseil dont le résident est forcément président, s’occupe des affaires pul)li(juos. Les linances sont flirigées par l’agent spé- cial. Pour ce (pii est de la justice, le résident remplit seulement les fonctions déjugé de paix et un gendarme celles d’huissier; les dill’érends entre indigènes ou entre eunjpéens, sont tranchés par un tribunal mixte sous la présidence du résident. S’agit-il d’affaires criminelles ou correctionnelles? les délimjuants sont envoyés de- vant les ti’ihunaux de Papeete.
L’instruction puhlicpie se divise en écoles du gouver- nement et écoles libres ou congréganistes, ayant presque toutes des instituteurs indigènes.
Les actes de TKlat civil sont confiés à l’agent spé- cial, au lieu de la résidence et aux chefs indigènes dans les districts.
I.a police est confiée aux indigènes. Nous avons vu (pi un service postal était établi entre Mooréaet Papeete.
f.es productions sont les mêmes qu'à Tahiti, mais les indigènes, plus actifs, plus industrieux, savent en tirer meilleur ]>aiTi.
Plantation de M. Michaeli à l'île Mooréa.
MOORÉA.
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LesMooréens jouissaient dune grande renommée sur mer; Cook nous raconte une bataille navale entre eux et les Tahitiens.
Maintenant on laisse reposer la pirogue de guerre des ancêtres jusqu’aux jours de fête, pendant lesquels le simulacre des anciens combats doit offrir un nouvel attrait à la joie publique.
Devenus d’excellents ouvriers, c’est sur des balei- nières, construites de leurs propres mains, qu’ils trans- portent au marché de Papeete les produits de leur sol ou de leur industrie.
Au milieu de la population mooréenne se sont établis, au centre de la baie de Papetoaï, deux planteurs européens : M. Vallès, capitaine d’infanterie de marine en retraite et le D’' italien Michaeli, dont les belles plantations de cannes à sucre et de cotonniers donnent le regret à tout visiteur de ne pouvoir s’établir dans le voisinage.
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ILES SOUS-LE-VEXÏ
ou GROUPE d’iLES SITUÉ A l’oUEST DE TAHITI.
Pour achever l’histoire de l’arcliipel des îles de la Société, dont le premier groupe a été, comme nous l’avons vu, réuni à la France en même temps que Tahiti, il nous faut étudier le second sur lequel s’étend notre iidluence, mais que la jalousie envieuse de rAngleterre ne nous a [>as encore jiermis d’annexer à nos possessions polynésiennes.
Ouand donc, secouant le joug de l’alliance anglaise, nos gouvernements comprendront-ils rimj)uissance et l’hypocrisie d’Alhion, hahituée à exploiter notre esprit chevalerescpie et lujtre amour de la paix? Avec l’A?igle- tei re, (pie l’on s’en souvienne, il tant répondre comme l’a (h'rnièrcment l'ait l’Allemagne au sujet de la Nou- velle-tiuinée : « Le gouvernement de sa très gracieuse Majesté la Heine et Impératrice des Indes désirerait savoir jusiproù l’.Ulemagne entend étendre ses posses- sions dans le Nord ?
« Si le gouvernement de sa très gracieuse Majesté avait accordé l’attention (pi’il devait aux communica- tions d’un gouvernement ami. il eût dû com[>rendre (|ue l’Allemagne, maîtresse du Nord, avait porté ses vues à l’Ouest. »
Ainsi à toute demande en partage d'un point quel- conque du monde, la seule ligne à suivre est de mettre, à l’ombre du pavillon, une plus large jiortion de la terre en litige.
ILES SOUS-LE-VENT.
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L’Angleterre criera, mais laissera faire.
Cet avis, applicable à la question de Madagascar, n’est malheureusement pas de mise au sujet du groupe qui nous occupe. La France a donné sa parole, elle doit la respecter jusqu’à ce que l’Angleterre la prie elle-même de tenir pour nulle la convention de 1847 (19 juin).
Espoir légitime en face de la situation dans laquelle l’égoïsme et l’hypocrisie britanniques ont fait tomber les trois royaumes.
Quant à nous, simple pionnier de la civilisation et jaloux de l’honneur de la patrie, nous nous efforcerons de faire connaître à nos concitoyens l’m portance que prendront nos établissements de la Polynésie, lorsque le groupe d’îles situé à l’ouest de Tahiti et connu sous le nom d’îles Sous-le-Yent, leur ap[)ortera un nou- veau contingent de richesses.
Depuis 1815, chaque fois que la France a manifesté le désir de planter son pavillon en pays barbare, l’Angleterre est accourue, comme un bouledogue, cherchant à effrayer de ses aboiements, et au pis aller à happer son morceau.
Quand les circonstances eurent établi notre protec- torat sur Tahiti, l’Angleterre assez bien partagée, puis- qu’elle possédait déjà la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Fidji, voulut pour elle les îles Sous-le-Vent.
Le système de la paîx à tout prix triompha dans l’entourage du roi Louis-Philippe, et nous conclûmes avec le Foreign-Office une convention assurant l’indé- pendance de ce groupe.
Depuis, à plusieurs reprises, le cabinet de Saint- James nous a marchandé les moindres droits résultant de nos relations avec les indigènes, nous faisant
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TAHITI.
acheter chaque concession, ou apparence de concession, par des concessions trop réelles, soit à Terre-Neuve, soit ailleurs.
N’est-il pas temps de mettre fin à ce système bâtard (|ui répugne à notre caractère franc et loyal, et ne fini- rons-nous point comme le pataud de la fable à dire une bonne fois pour toutes à l’Angleterre :
J’aimo mieux un franc ennemi Oii’un bon ami qui m’égratigne.
Un fait tout récent offre au gouvernement français foccasion de rompre en visière avec les anciens erre- ments usités sous la législation théocratique inepte de ces îles.
Un jugement vient d’y être rendu en dépit .du bon sens contre les échanges; fautorité française n’a aucun droit d’intervenir dans cette judicature fantai- siste, mais en vertu de notre demi-droit, nous sommes réputés responsables de dits jugements. Ainsi en a-t-il été dernièrement d’un arrêt des juges de Haialéa contre une maison anglaise d’Auck’land. 11 fallut, pour mettre tin à ce conflit, le déplacement du navire fran- çais « la Vire », sans remboursement des frais de voyage bien entendu ! l’Angleterre n’a-t elle pas montré une condescendance royale en ne réclamant pas de dommages-intérêts? Non, encore une fois non, plus de ce système bâtard, plus de ces toiles d’araignées que, dans son vol énergique, l’alouette gauloise aurait dû depuis longtemps emporter avec l’insecte au bout.
Voici un extrait de cette législation ridicule :
1® Tout individu étranger au pays, qui y arrive sans caractère officiel, est immédiatement interrogé pour savoir le but qui l’amène.
ILES SOUS-LE-VENT.
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A la suite de cet interrogatoire, le voyageur reçoit son permis de séjour, ou doit s’éloigner sans plus tarder.
2° Tout individu placé dans ladite position, peut être réclamé par les représentants de son pays tant qu’il n’a pas été interrogé, mais dès qu’il a subi favorable- ment cette formalité, il est en sûreté dans l’île et ne peut plus en être enlevé. Le Gode pénal de Raïatéa qui est du reste le même pour ses congénères, édicte pour toute infraction à la morale d’assez fortes amendes, partagées entre l’autorité et le dénonciateur, digne inspiration des R. R. anglais.
Du reste, pour que nul n’en ignore, en arrivant à bord du navire, le pilote a bien soin de vous remettre un exemplaire desdits règlements.
Nous avons vu que Tahiti rapporte son berceau à Raïatéa. La légende des îles Sous-le-Yent, complète nos observations; jadis, cinq lunes brillaient au ciel au-dessus du grand Océan; elles avaient des visages humains plus accusés que la lune actuelle, et jetaient des maléfices sur les premiers hommes qui habitaient Tahiti; ceux qui levaient la tête pour les fixer, étaient pris de folie étrange.
Le grand dieu Taoroa se mit à les conjurer, alors elles s’agitèrent, on les entendit chanter ensemble dans l’immensité avec de grandes voix lointaines et terri- bles ; elles chantaient des chants magiques en s’éloi- gnant de la terre; mais, sous la puissance du dieu Taoroa, elles commencèrent à trembler, furent prises de vertige et tombèrent avec un bruit de tonnerre sur l’Océan, qui s’ouvrit pour les recevoir.
Ces cinq lunes en tombant formèrent les îles Bora- bora, Eiméo, Huahiné, Raïatéa et Toubouaï-Manou.
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TAHITI.
Ilaiatéa (Princesca de Bonechéa, Uliétéa de Cook, que M. Forster a toujours accusé d’estropier les noms), la plus considérable, est bien la seconde de l’archipel de la Société, dont Tahiti est la première.
Sa [josition ollre a tous les points de vue un pano- rama délicieux, quoiqu’on n'y remarque pas celte belle verdure, cette extrême abondance, ces ruisseaux lim- pides si abondants à Tahiti.
Fn arrivant, on a derrière soi Iluabiné et en face Ilaiatéa, a droite la petite ile Tahaa, entourée par un même récit, et dans le lointain les f^i’acieux clochetons rocheux de Borabora.
I/eulrée du port principal, Outournaoro, sur la côte orientale, est des plus agréables avec ses deux ilôts bien verts, sentinelles vigilantes, (pii indiquent aux navires la voie (jui conduit au mouillage.
< Bi y remai'ipie un chantier de construction pour goélettes et emharcations.
I.a |)Opulalion assez dense (1,400 habitants) proCes.se le protestantisme. Comme ces insulaires sont encore imb'pendants, le rigoiismc des missionnaires anglais s’y donne libre carrière, et l’on peut dire (pi’ils se trouvent dans la situation regrettable à laquelle nous avons arraché les Tahitiens.
Les indigènes sont beaucoup moins débauchés qu’à Ikipeele, aussi y envoie-t-on, pour cette raison, comme en maison de correction, les l'emmes et les tilles qu’il est impossible de contenir flans notre colonie.
Ihinhnw possède deux bons ports, le principal est celui de Faré ; quant à son orographie, elle se résume dans la haute montagne le Matoériré, dont la base est voIcani([ue.
A Iluabiné se rattache un fatal souvenir. A peine
Tombeau des rois de Borabora.
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avions-noüs établi notre protectorat à Tahiti que le commandant Bonnard, ayant envahi cette île, y éprouva de sérieux échecs en 1845.
L’Angleterre, qui avait préparé notre défaite en livrant aux indigènes un armement européen, s’em- pressa, comme toujours, d’arrêter notre vengeance par la convention de 1847.
A l’instar de Tahiti, Huahiné possède une route cir- culaire qui rayonne vers les dilférents villages de l’île. Elle possède également une école, une maison com- munale, servant aussi à l’exercice du culte protestant.
Borabora. — (San Pédro de Bonechéa) Bolabola de Cook, est la plus petite de ces trois îles. Elle a une montagne centrale, le pic Pahia (1,200 mètres). La chaîne extérieure de ses brisants, au lieu d’être tantôt sous-marine, tantôt à fleur d’eau, ici unie, là couverte de végétation, est toute plantée de pendanus et de cocotiers, ce qui l’a fait comparer à un bouquet ceint d’une guirlande de verdure.
Son port, Vaitapé ou Beulah, se trouve dans une situa- tion ravissante et est dominé par un pic de 730 mètres.
Les produits de ces îles Sous-le-Vent sont les mêmes que ceux de Tahiti, mais les fruits y mûrissent plus tôt.
Mottu-iti est un groupe d’îlots bas et couverts de bois, et dépend avec Mapiha et Tubuai-Manou de Borabora.
Maupiti ou Maurua n’est remarquable que par son pic.
L’inaccessible lethuroa servait autrefois, dit-on, de citadelle au roi de Tahiti, pour y conserver son trésor; elle est composée de cinq îlots bas et insignifiants ; on vante sa salubrité et ses eaux thermales.
Les îles Scilly ou Bellinghausen n’ont pour habi- tants que des oiseaux de mer.
Baïatéa, Tahaa et Borabora, peu éloignées les unes
TAHITI.
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des autres, jouissent aux yeux des Maoris d’une gloire mythologique.
A Borabora, Oro descend des cieux et trouve la belle Yaia Aumniate. A Batatéa, il institue la fameuse société des Arioïs; de Baïatéa, lliro part à la recherche du Maroourou. C’est là qu’il bâtit les premiers Maraés où l’on conservait les aixliives sacrées et profanes. Cn un mot, Baïatéa fut, pour les Polynésiens, ce qu’est Borne aux chrétiens, la Mec(pie aux musulmans. Mais la souveraineté politique semble avoirap|)artenu à Tahiti.
Pour ne [>as nous répéter, nous ne toucherons à i’histoiro de cette dernière ile (ju’autant (ju’elle se trouvera uièlée à celle du groupe (pd nous occupe.
Borabora et Baiatéa se disputaient la possession de d’ahaa, devenue t(jur à toui' pour l’im ou poui* l’autre parti, le boulevard de la défense, ou le coin enfoncé dans les lianes de l’ennemi.
Cook vit t'dal)lir la supi'ématie de Borabora sous le chef Pouni, (pie ses vassaux renversèrent bient('»t, il nous parle aussi des leprésimtations théâtrales des .Arioïs. Notie lecteur pourra se reportei* à l’extrait cpie nous en avons donné page ll'ü. (iesl également dans cette ile que ce navigateur jicbcta l’ancre [lerdue par Bougainville.
i'ài 1801), né de l’esjU’it d’égalité (jue nous avons vu présider au collège des .Aiioïs, un parti liLiéral national s’éleva à Borabora et jiril pour idief Tapoa, petit-tils de l’ouné, tpii réduisit fahaa, Baïatéa et Iluabine. Ci’est ce prince (pie nous avons vu éf.touser la reine Pomai’é(l) et en être répudié.
Pu instant on put croire (jue l’archipel lahitien
( I) Voir page 1 l'2.
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allait passer tout entier sous les ordres d’un roi. Ce ehef avait même jeté les yeux sur Tahiti, nous avons vu qu’il y commandait les contingents de Huahine, de Haïatéa et de Borabora, quand un soulèvement de ses sujets^, qui craignaient pour leur liberté, ne lui laissa plus que la souveraineté de Tahaa. Heureusement pour les Pomaré, Tapoa mourut, et la dynastie de Otou recueillit l’héritage du grand chef de Borabora.
Quand les Tahitiens adoptèrent le christianisme, les missionnaires protestants anglais s’établirent éga- lement aux îles Sous-le-Vent ; exploitant la ferveur des néophytes, ils y firent régner l’ascétisme et la terreur. Là, le péché se confondait avec la violation de la loi. Nous emprunterons à l’excellent ouvrage de M. Moerenhout, témoin oculaire, quelques traits caractéristiques de cette tyrannie : « Dans toutes ces îles on poussa la sévérité beaucoup plus loin qu’à Tahiti, et il faut le dire, beaucoup trop loin; car on y connut même la torture, presqu’une véritable inqui- sition. Si une femme était soupçonnée de quelques écarts de conduite, on lui mettait autour des leins, le nœud coulant d’une grosse corde qu’on tirait par les deux bouts et qu’on serrait jusqu’à ce que l’infortunée avouât sa faute et dénonçât son complice, genre de tyrannie dont il y a quelques exemplaires même à Tahiti. Mais le pis c’est que lorsqu’elle était con- vaincue, on la tatouait de certaines marques sur la ligure... On voyait, il y a peu de temps encore, nombre de femmes et de filles en cet état, chose hor- rible pour les habitants des îles de la Société ; aussi ces marques qu’elles emportaient au tombeau perpé- tuaient leur haine; elles n'attendaient que le moment de la vengeance.
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TAHITI.
Je sais que Jes missionnaires anglais ont toujours pré- tendu que ce n’était pas eux qui ont établi ces lois ty- ranniques ; cela est possible, mais il est difficile de croire qu’à cette époque ils n’aient pas eu le pouvoir de les abolir ou d’en empêcher l’exécution. S’étant trompés sur l’état de ce peuple, ils n’avaient dans le principe que trop exagéré le bien du changement qu’ils avaient opéré, et quand ils découvrirent leur erreur, ils voulu- rent à tout pi ix arrêter les désordres naissants ; voilà le mot de l’énigme. »
Dejniis lors, l’bistoire des îles Sous-le-Vent ne nous oll're guère d’intéressant que l’échec à Iluahiné (1845) du commandant Bonnard qui voulait étendre le pro- tectorat et une guerre civile atroce (janvier 1859) à haiatéa, (jui amena le gouverneur de l’ahili à prendre un arrêté [)rescrivant une forte amende à tout navire y inli’oduisant des ai’ines.
L’indépendance de ces îles ayant été gai’antie en 1847, voilà ce (jue les indigènes de cette ile firent de leur libei'té.
Ihitin en 1878, la société commerciale d’(.)céanie de Hambourg (pii possédait à HaVatéa un comptoir assez important, faillit par ses démêlés avec les indigènes |)rovo(juer l'annexion à rAllemagne.
Mais les Maoris abattirent le drapeau allemand, et il fallut rintei'vmition du navire français « le Segond » pour empêcher le massacre des trafiquants germauitpies.
Le dernier trait n’inditiue-l-il pas à nos gouvernants la nécessité d'accorder aux îles Sous-le-Vent les mêmes bienfaits qu’à Tahiti?
.Aujourd’hui la politique allemande nous semble favorable, il importe d’en profiter, car si les vicissi- tudes politiques amenaient un revirement, la prise de
ARCHIPEL TUAMOTU.
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possession de la Nouvelle-Guinée et des îles Samoa, le traité conclu avec l’Angleterre, fourniraient à l’Alle- magne une base d’opérations qu’elle n’avait point alors. Espérons que bientôt le pavillon semi-indépen- dant, pavillon de l’ancien protectorat à Tahiti, à bandes blanches et rouges avec le yacht protecteur français, ne tardera pas à être amené, franchement remplacé par le drapeau tricolore.
ARCHIPEL TUAMOTU OU DES ILES-BASSES.
Les îles Tuamotu (Touamotou) autrefois Pomotu, ancienne colonie de Tahiti, leur berceau d’origine, lui étaient restées assujetties. Bien que d’une population supérieure à celle de la mère patrie, elles ont gardé pour elle une sorte de respect religieux, revendiquant ainsi leur liberté.
Au commencement du régime du Protectorat, les chefs indigènes des Tuamotus protestèrent énergique- ment auprès du commandant Bonnard contre l’appel- lation honteuse de Pomotu (îles soumises) et deman- dèrent à être désignés dorénavant sous le nom de Tuamotu (îles lointaines) par rapport à l’étendue du protectorat.
Cet archipel, appelé aussi l’Archipel des îles Basses, ou encore Archipel Dangereux, a été découvert par F. de Quiros, et le lecteur a vu à ce sujet la discussion géographique soulevée au sujet de l’une d’elles (1).
(1) Voir page 4.
TAHITI.
Placées à I esl de Taliili, elles occupent une étendue du nord-ouest au sud-est de près de 250 lieues entre le ISO» et le loi» de longitude sur une largeur de âOO heues entre le 14» et le 23» parallèle de latitude sud, et sont au nombre de quatre-vingts : les unes liabitées, les autres parfois désertes, nous disons par- fois, car à certaines époipies de l’année, surtout au