MÉMOIRE

SUR

LE TAPIR

MÉMOIRE

POUR SERVIR

A L HISTOIRE DU TAPIR,

ET DESCRIPTION DTJNE ESPÈCE NOUVELLE {LE TAPIR P INCHAQUE)

APPARTENANT AUX HAUTES RÉGIONS DE LA CORDILLÈRE DES ANDES;

PAR M. ROULIN,

docteur en médecine.

LU A L'ACADÉMIE LE 9 FÉVRIER 1859.

( Extrait des Mémoires des Savans étrangers. Tome 6.)

PARIS,

IMPRIMERIE DE BACHELIER,

RUE DU .HRDINET, 12.

1835

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MÉMOIRE

POUR SERVIR

A L’HISTOIRE DU TAPIR,

ET DESCRIPTION DUNE ESPÈCE NOUVELLE

APPARTENANT AUX HAUTES RÉGIONS DE LA CORDILLÈRE DES ANDES;

PAR M. BOULIN,

Docteur en Médecine.

Lu à l’Académie le 9 fe'vrier 182g.

Quelques-uns des animaux les plus remarquables du nouveau continent furent observés par les premiers na- vigateurs qui visitèrent les côtes de ce pays et ne tardèrent pas à être connus en Europe. L’Oppossum (i),

(1) L’Oppossum avait été vu en Espagne dès l’année i5oo, V. Pinzon ayant rapporté de la côte de Paria une femelle qui fut présentée à Ferdinand et à Isabelle. L’auteur du Novo - Mondo donne une assez juste idée de cet animal , en comparant ees diverses parties avec celles d’animaux connus ; ainsi l’on trouve, dans sa description, le museau pointu, la longue queue , les oreilles nues et arrondies, les pouces libres aux pieds de devant et de derrière, et enfin la poche singulière les petits trouvent un refuge après leur naissance. « Videro un novo animale quasi monslruoso che haveva el corpo e muso de volpe e la groppa e li piedi drielto de simia e quelli davanli quasi corne de homo ; le orecchie corne la nolola : et a sotto el ventre uno allro ventre di fora corne una tascha dove asconde soi fglioli dapo nasciuti.... Uno de questi tali animali insieme con soi fgliolifo porlalo de Sibilia a Granala a li Se- renissimi Re. T amen in nave monte i fglioli : et el grande in Spagna : li quali si hror-ti forono visti da molle e diverse persone. » (Cap. CXIII.) On ne sait pas au juste la dan, ia première édition du Tf<nin-iw*r.uu , mais on en a une traduction partielle en allemand qui est de i5o6 , et une latine bien complète,

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MEMOIRE

le Pécari (i), les grands singes à queue prenante (2) sont déjà désignés très clairement dans des relations de voyages publiés vers 1 5o5 ; ce n’est que dans des ouvrages posté- rieurs de quelques années que se trouvent les premières indications relatives au Tapir.

Quoique ce mammifère, le plus grand de tous ceux qui appartiennent à l’Amérique méridionale , soit assez com- mun sur presque tous les points de la côte ferme abordèrent successivement Colomb, Vespuce, Peralonso Nino, Pinzon et Cabrai (3), il paraît que son existence

mais très mauvaise, de l'année i5o8. Je cite d’après la réimpression italienne faite à Milan en i5ig.

(1) Le Pécari est indiqué comme un sanglier sans queue, portant sur le dos une ouverture par laquelle il semble respirer et qui exhale une très mau- vaise odeur.

(2) Ces animaux , différant beaucoup au premier aspect des magots qu’on avait coutume de voir en Espagne, ne sont point désignés dans les anciennes relations sous le nom de singes , mais sous celui de chats ( galos mamones) ; cette épithète mamen, qu’on applique quelquefois aux enfans qui, après avoir été sevrés , conservent l’habitude de tetler à vide , semble faire allusion aux mou- vemens presque continuels des babines qu’on observe chez les singes. Cepen- dant quelques auteurs écrivent mimon, qui signifierait bouffon.

(3) Il est probable que les navigateurs ont eu plus d’une fois occasion de voir quelques parties du Tapir et qu’ils les aui’ont rapportées à d’autres ani- maux; Vespuce compte les ours partni les quadrupèdes delà côte du Brésil.» Non sono cacciatori , penso perche essendo li de molle generationi de animait sil- vestri maxime de lioni et ursi... non Tianno ardire .. exponersi a tanti pencoli . » ( Paesi novamente retrovati et Novo~Mondo , etc. , cap. CXV1I . ) On ne trouve point d’ours sur le littoral ; mais certaines peaux de Tapir, noires et velues, ont pu être aisément prises pour des peaux d’ours.

Les grands os qu’observa Colomb dans son premier voyage près du port de Nipe (pointe N E de l’île de Cuba), et qu’il crut appartenir à une tête de vache , provenaient probablement de pièces boucanées de Tapir que les Caribes avaient apportées de la côte de Paria pour leur servir de provision pendant le voyage. On pourrait supposer que ces os étaient ceux de quelque grand rumi- nant de la Floride, mais quoique la distance de la pointe de ce** 1 2 3^ presqu île à Cuba soit peu conshivvckn ; îi -n’y avait gnp»’û J. ^.mnunication entre les deux pays , tandis que de la côte ferme aux grandes Antilles il y en avait per- pétuellement par les expéditions dévastatrices des Caribes.

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resta ignorée jusqu’à l’époque des expéditions qui eurent pour résultat la fondation de la colonie du Darien. Ces expéditions furent , comme on le sait , très malheureuses , et les hommes qui en faisaient partie, sans cesse menacés de mourir de faim, eurent de pressans motifs pour s’en- quérir des ressources que présentait le pays : le Tapir, dont la chair servait souvent d’aliment aux naturels, ne dut pas échapper long-temps à leur attention.

Les premiers renseignemens sur cet animal purent par- venir en Europe vers la fin de l’année i5io, et dès l’année

Un historien très judicieux , mais qui ne peut faire autorité en pareil cas, M. Irving, pense que ces os provenaient du lamentin , animal qui se trouve sur les côtes des grandes Antilles. « These are supposed to hâve been seuils of ihe manati or sea-calf found on this coast. » Il n’y a rien qui ressemble moins à la tête osseuse de la vache que celle du lamentin, et il est impossible même à l’observateur le moins attentif de prendre l’une pour l’autre. La conjecture de M. Irving n’a sans doute d’autre fondement que le nom de sea-calf, nom qui correspond à celui de vache-marine , que nos colons donnent aussi quel- quefois à l’animal. L’idée de vache et celle de grosses mamelles se liant natu- rellement dans l’esprit d’un européen, et l’existence de mamelles devant sur- tout préoccuper quand elle se trouvait chez des animaux qu’on prenait pour des poissons , on conçoit fort bien comment le nom de vache marine a pu être donné à des cétacés herbivores tels que les dugongs et les lamentins. La condition de mammifère se trouve de même rappelée dans le nom de manati, nom sous lequel le lamentin était connu dans les grandes Antilles et sur une partie de la côte ferme.

On a dit souvent que ce mot, qui est celui que les Espagnols emploient au- jourd’hui , avait été' formé par eux et venait de mano , main. M. de lluinboldt a montré {V ojages aux reg. équinox., cliap. 1 8 ) qu'une telle étymologie est insoutenable. Le mot est indien, et déjà donné comme tel par Fernand Co- lomb, qui eut occasion de voir l’animal lorsqu’il accompagna son père dans son quatrième voyage. ( Ilistoria del Almiranle , cap. 8g.) Or, dans plusieurs dialectes des Antilles et encore aujourd’hui dans le galibi de la Guyane, qui est un mélange de ces langues et du guarani , le mot manati signifie mamelles. {V oy . Boyer, Voyage du sieur de Bretigny, page 4*5; Biet, Voyage de la France équin., page 420.) « Manati be kéirou, ses mamelles ne sont point encore abattues», dit le P. Raymond Breton ( Dict . Caraïbe , page 34g); Manaiioui est suivant lui le nom de l’animal. Suivant Harcourt, il porte dans la langue des^a/o* He la Guyane le nom de Cojumero , mais danc cctie langue, Manalii signifie encore mamelle. ^a’un rapprochement si naturel

n’ait jusqu’à présent été fait par aucun naturaliste.

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i5i 1 l’auteur des Décades océaniques en fit usage pour une description fort inexacte sans doute, mais reconnais- sable à un trait caractéristique, l’existence de la trompe (i).

Une description beaucoup meilleure (quoique ce ca- ractère n’y soit point indiqué, et qu’on n’y trouve même presque aucun de ceux auxquels les zoologistes attachent aujourd’hui le plus d’importance) , c’est celle que donna en i52Ô Oviedo dans le Sommaire de V Histoire naturelle et générale des Indes (2). L’auteur connaissait fort bien

(1) « Les sombres forêts de ce pays (du Darieu ) sont peuple'es non-seulement » de tigres , de lions et d’autres animaux également connus ou au moins » décrits par d’excellens écrivains , mais aussi de plusieurs bêtes monstrueuses. » Il en est une surtout daus la création de laquelle la nature semble avoir » voulu montrer tout son savoir-faire. Cette bête , égale en grosseur à un » bœuf, porte trompe éléphantine et n’est point un éléphant, a couleur bo- » vine et n’est point un bœuf, ongle chevalin et n’est point un cheval. Elle » a aussi les oreilles de l’éléphant moins pendantes et moins larges toutefois, » mais plus larges encore que celles des autres animaux. » (P. Martyr, 2e Déc., liv. 9.)

(2) « On trouve à la Terre-Ferme un animal appelé, par les Indiens, Beori, et auquel nos chrétiens ont donné, en raison de l’épaisseur de son cuir, le nom de Danta. Ce nom , au reste , est tout aussi impropre que celui de tigre qu’ils donnent à Vochi. Le Beori est de la taille d’une moyenne mule; il a poil d’un brun foncé ( pardo muy oscuro) et plus épais que celui du buffle ; il 11’a point de cornes , et ainsi c’est tout-à-fait à tort que quelques personnes lui donnent le nom de vache. Sa chair est bonne à manger, quoique plus mollasse que la viande de bœuf; mais un excellent morceau c’est le pied ; seulement, il faut qu’il cuise vingt-quatre heures de suite, après quoi c’est un mets qu’on peut présenter au plus délicat et qui est de très facile digestion.

» On force le Beori avec des chiens , mais quand ils ont fait prise , il faut que le chasseur vienne promptement à leur aide et tâche de frapper l’animal avant qu’il ait eu le temps de gagner l’eau ; car s’il en est proche , il court s’y jeter, et une fois il a bon marché des chiens, qu’il déchire à belles dents; j’en ai vu emporter d’une seule morsure la jambe et l’épaule d’un lévrier, ou arracher à un autre un lambeau de peau long de deux empans , tout comme l’eût pu faire un écorcheur. Sur la terre ils n’en pourraient faire autant im- punément. Jusqu’à présent le cuir de ces animaux n’est d’aucun usage pour les chrétien»! . cmi ne connaissent pas la manière de le prépare», mais il est au moins aussi épais que îv, «oi,. rlf. hnfflp » (oT;»Ju, JumuriOj etc., cap. XII, Tolède, i52Ô.)

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le Tapir, et tout ce qu’il en dit est parfaitement juste ; mais il ne dit que ce qu’il croit pouvoir être utile aux gens qui iront comme lui courir les hasards au Nouveau- Monde. Il passe sur tous les détails de forme, et il se con- tente d’indiquer la taille et la couleur de la bête, afin qu’on puisse la reconnaître de loin si on la rencontre au hois. Elle vaut la peine d’être poursuivie, car sa chair est bonne à manger, et Oviedo dit comment on doit l’atta- quer; il dit aussi la manière dont elle se défend, parce qu’il importe au chasseur de le savoir pour ne pas expo- ser inutilement la vie de ses chiens.

On trouverait probablement une plus ample description dans le grand ouvrage qu’Oviedo avait préparé, et dont toute la partie relative à la terre-ferme est restée jusqu’à ce jour inédite. Le Sommaire fut écrit pendant un voyage que l’auteur fit en Espagne et sur de simples souvenirs.

Un autre écrivain à qui l’on doit de précieux repseigne- mens sur tous les pays compris entre l’isthme du Darien et les frontières du Chili, Gieça de Léon, dans sa chro- nique du Pérou, nomme plusieurs fois le Tapir. U ne le décrit pas, il est vrai, parce qu’il n’a pas eu occasion de le voir, mais il nous apprend, ce qu’on ignorait jusque la? que cet animal n’existe pas seulement dans les provinces voisines de l’Océan atlantique , et le trouve égale-

ment dans celles qui bordent la mer du Sud, au-delà meme de l’équateur (i).Ua passage de son livre montre de plus qu’on avait dès lors quelque connaissance de la disposition que présentent les couleurs de la robe dans le jeune âge (3).

Gieça avait publié son livré en i553 , et la même année

(1) La Chronica delPeru. Chap. IX et XbJU.

(2) « Quelques personnes disent que aftimaux ont du rapport avec e zèbre , du moins par l’apparence extérieure* » Cbajp* VJ.

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parut Y Histoire générale des Indes, il est aussi question du Tapir. L’auteur, Lopez de Gomara , en parle même en trois endroits de son ouvrage, mais il en fait trois animaux différens. D’abord il le place dans la province du Darien et il en donne une description qui ne diffère presque de celle de P. Martyr qu’en ce qui concerne la forme du pied; du reste, de même que l’auteur des Dé- cades, il oublie de lui assigner un nom (i). Il le compte ensuite parmi les animaux de la province de Cumana , et, sous le nom de Capa (2) , il le décrit un peu mieux. Enfin , à l’occasion du voyage de Magellan , il le fait reparaître sous le nom plus connu àéAnta (3) , le représentant ici comme un animal qui a quelque ressemblance avec la vache, et qui habite les environs de Rio-Janeiro. Dans le même chapitre , le nom ééAnta est encore deux fois employé : l’une pour un quadrupède commun aux environs du port Saint- Julien (côte des Patagons), l’autre pour un animal qui se trouve sur les bords du détroit de Magellan , et dont la fiente sert aux indigènes pour calfeutrer leurs canots d’écorce. Le premier animal est comparé par Go- mara à un âne sauvage ; mais on sait par d’autres his- toriens que c’est du Guanaco qu’il s’agit. Quant au second,

(1) « On y trouve (au Darien) des vaches sans cornes , lesquelles bien » qu’ayant le pied fourchu ressemblent à des mules et ont de grandes » oreilles ; elles ont , à ce qu’on dit , une petite trompe à la manière de l’é- » le'phant; elles sont brunes; leur chair est bonne à manger. » (Gomara, Hist. gén. des Indes , chap. LXYII.)

(2) « Les naturels de la province de Cumana sont continuellement occupes » à la chasse et y sont très habiles... Ils prennent un animal qu’ils nomment « Capa, lequel est plus grand qu’un âne, velu, noir et très méchant, quoi- » que s’enfuyant devant l’homme. Il a le pied fait comme un soulier français, » c’est-à-dire étroit vers le talon , large et arrondi par devant ; il court sur » les chiens d’Europe et les tue, même quand ils sont trois ou quatre en- » semble. » (Gomara, Hist. gén,, chap. LXXX.)

(3) (Gomara, Hist. gén., chap. XCII.)

SUR LE TAPIR.

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c est probablement un grand, quadrupède qui a été vu plusieurs fois aux environs du détroit , mais que les na- turalistes ne connaissent point encore ; peut-être est-ce celui que Molina a désigné sous le nom de Huemul {equus bisulcus).

Pour ce chapitre, Gomara a puisé ses principaux ren- seignemens dans une lettre adressée par Maximilien Tran- silvain, au cardinal de Salztbourg; il paraît avoir aussi fait usage de quelques extraits de l’Histoire écrite par P. Martyr, et perdue avant l’impression, dans le sac de Rome. Il eût évité toute confusion , s’il se fût borné à suivre la relation de Pigafetta , dont il existait alors en Espagne plusieurs copies manuscrites, et dont on avait depuis plus de vingt ans une traduction française im- primée à Paris (i).

(i) Le mot Anta ne se trouve nulle part dans la lettre de Transilvain, et dans la relation de Pigafetta, il ne s’applique qu’à un animal du Bi’ésil, au Tapir. « furent rafraîchis de bâtâtes, pines douces (pinas dulces , ananas), chair de Anta , comme de vache ». (Le voy. et navig. aux îles de Moluques.)

Transilvain compare à des ânes sauvages certains quadrupèdes vus au port de Saint-Julien, mais Pigafetta les décrit assez bien pour qu’il soit impossible de n’y pas reconnaître les Huanacos , qu’on sait en effet être très communs dans ces parages. « La bête , dit-il , a la tête et les oreilles grandes comme une » mule , et le col et le corps comme un chameau , et la queue comme un » cheval »j il j ctv ait lo tcKto coimiie un poulain. Un

autre trait bien caractéristique , mais que le traducteur a omis , c’est que le cri de l’animal est une sorte de hennissement.

On a cru que Pigafetta disait que les Patagons avaient des ânes pour bêtes de somme , cela tient à une des bévues du traducteur. Voici le passage dans l’édition française : « Les nôtres leur firent signe (aux Patagons) de venir aux » navires, et ils prindrent seulement leurs arcs et mirent leurs femmes » sur des ânes, et les mirent en sûreté. » Maintenant voici ce que disait l’o- riginal: « Nos' gens leur firent signe de venir aux navires, et qu’ils les aide- raient à transporter leurs effets. Ils y vinrent, ne portant que leurs arcs etleurs flèches ; pour le bagage, ils le firent emporter par leurs femmes, qu’ils char- gèrent comme des bourriques. »

La traduction de Pigafetta, faite par Fabre, d’après le manuscrit original

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MEMOIRE

En 1 556 , Thievet «donna dans ses Smgtdwri&és de la France antarctique, une description du Tapir,, la première se trouve indiquée l’étrange brièveté d?e la queue de l’animal. Cette description, fort incomplète du reste, fut reproduite en i563, par l’auteur, dans sa Cosmographie générale, avec quelques changemens de rédaction dont un semble représenter le Tapir comme cornu (i).

Jean de Lery, qui en 1578 lit paraître la relation de son voyage au Brésil, dans l’intention avouée de relever les erreurs ou les mensonges de Thevet , ne fut pas heureux dans les corrections qu’il fit à 1 article du Tapir, donnant à cet animal des oreilles pendantes, des jambes grêles et un pied non fourchu « ains de la propre forme de celui d’un âne». A ces différences près, sa description semble avoir été copiée sur celle de Thevet.

Lery désigne l’animal sous le nom de Tapiroussou , Thevet sous celui de Tapihire. Les deux mots sont em- pruntés à la langue des Indiens de Rio-Janeiro , mais l’un et l’autre un peu altérés.

que l’auteur avait présente' à la mère de François Ier, fut imprimé par Simon de Colines, vers i526 ou i53o.

Ea lettre de Transit vain avait été imprimée à Rome en 1S24, sous ce titre : M. Transilvunî , saris a secretis , epistola ad. ~M. card. Salzenburgensem de admirabili et novissimit in orientem navigatione.

(1) Thevet avait fait le voyage du Brésil , mais il n’y était resté qu’un mois, et, pendant tout ce temps , malade, de sorte qu’il ne put presque rien obser- ver par lui-même. La description qu’il donne du Tapir lui avait été certaine- ment communiquée , et il paraît même qu’il ne la comprit pas très bien ; ainsi il disait dans son premier ouvrage , page 649 : « Cette bête a le pied fourchu , » avec une corne fort longue , autant presque devant comme derrière. » Malgré la mauvaise construction de la phrase , il est clair qu’il n’est ici question que de la corne du pied. Mais dans sa Cosmographie , l’auteur fait disparaître l’am- biguité en introduisant une erreur. « Elle ( cette bête ) n’a point de queue , » sinon bien peu , et icelle sans poil tout ainsi que celle de l’agoutin ci-dessus » décrit ; aussi le pied fourchu, et cornue , et le poil rougeâtre comme celui » d’une vache... ( Cosmogr livr. 21, chap. 12.)

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Pour comploter la liste des écrivains qui, dans le seizième siècle, ont parlé dn Tapir, nous nommerons encore le célèbre auteur de Y Histoire naturelle et morale des Indes, Acosta, et un antre jésuite dont les ouvrages eurent aussi dans leur temps une grande réputation , le P. MaffeL,

Ce dernier n’avait jamais quitté l’Europe , mais il avait pu consulter de nombreuses relations sur l’Amérique dé- posées aux archives de Lisbonne. Il est le premier qui ait fait connaître les habitudes nocturnes du Tapir; du reste , la description qu’il donne de cet animal est très mauvaise ; c’est la lèvre inférieure qu’il suppose prolongée, et se méprenant grossièrement sur le mot de trompe em- ployé par les auteurs qu’il consultait , il allonge cette lèvre inférieure en forme de trompette (i).

Acosta, quoique ayant habité assez long-temps l’Amé- rique méridionale, et ayant recueilli pendant son séjour beaucoup de renseignemens sur l’Histoire naturelle, pa- raît n’avoir jamais eu occasion de voir le Tapir. Ce qu’il en dit se réduit à quelques lignes assez insignifiantes (2).

Un auteur dont l’ouvrage parut tout au commence-

(1) « Antœ sunt eliam, gentis vocabulo, ad mulœ simililudinem sed mino-

res et rostro tenuiore , inferiore autem labro iubce instar oblongo , rotundis auribus , brevi caudâ , rclUjuum. ic cviyua. luci-fugce sunt. Non

nisi noctu ad pabulum prodeunt : ubi diluxit in sua se se condunt lalibula. » (Maffei , Hist. ind. , Florence, i588.)

Ce passage , reproduit dans un extrait des tahles géographiques de Bertius, imprimé à la suite d’une traduction française de la description des Indes d’Herrera, a été mal à propos attribué à cet historien par Buffon.

(2) « De même que les Sainas (pécaris) sont semblables aux porcs , quoique plus petits , ainsi les Dantas ( Tapirs ) ressemblent à de petites vaches , quoi- qu’elles se rapprochent peut-être encore davantage des mules, en ce qu’elles n’oxit point de cornes. La peau de ces animaux est fort estimée pour fane des collets et des cuirasses, et elle est si dure qu’elle résiste à quelque coup que ce soit •». (Acosta, Hist. nat. y mor. de las Indias , Séville, i5go, lib. IV, cap 38.)

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ment du siècle suivant , l’historien Herrera ajouta au con- traire plusieurs traits importans à la description du Tapir: ainsi il fit remarquer la petitesse des yeux, le rétrécisse- ment du front et la disposition des articulations des mem- bres , qui sont très bas placées comme chez l’éléphant ; enfin il indiqua la présence d’un doigt de plus aux pieds de devant qu’à ceux de derrière, mais il en donna aux uns et aux autres un de trop. Ces détails se trouvent dans la quatrième décade en un chapitre l’auteur traite de la province de Verapaz (i). Dans la première décade il avait déjà parlé de l’animal d’après Oviedo, et ajoutant seule- ment une particularité relative au mélange de poils blancs parmi les poils de couleur obscure qui forment le fond de la robe, mais sans dire que c’est un caractère propre aux femelles (2). Dans ce chapitre, au reste, l’auteur fit le même double emploi que nous avons signalé dans Go- mara : il reproduisit la description de P. Martyr immé- diatement après celle d’Oviedo , et sans s’apercevoir qu’elles se rapportaient toutes les deux au même quadru- pède. Il renchérit même sur les exagérations de l’auteur des Décades océaniques 3 en donnant à l’animal des oreilles non moins larges que celles de l’éléphant (3).

(1) ( Hist . des Indes Dec. iv, lib. x, cap. *3.) Herrera dit dans ce

paragraphe que la peau du Tapir est tellement épaisse que si l’on cherche à en prendre un pli sur le dos , c’est à peine si ce pli peut tenir dans la main , étant épais de dix travers de doigts. Il y a déjà passablement d’exagération, mais la phrase est tournée et ponctuée de telle sorte, qu’il paraît que c’est la peau elle-même et non le pli qui a cette prodigieuse épaisseur.

(2) « On y trouve (dans le Darien ) des dantes dont la taille est celle d’une moyenne mule , dont le pelage est de couleur foncée et glacé de blanc, pla- teado escnro. » (Décade I, lib. X , cap. IX.)

(3) « On y a trouvé (dans le Darien), entre autres animaux monstrueux , un qui avait la taille du bœuf, le museau d’éléphant, le poil de bœuf, les ongles de cheval. Il avait les oreilles tombantes et non moins larges que celles de l’éléphant. » {Ibid.)

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Nous croyons inutile de passer ici en revue une foule d’ouvrages qui parurent dans la première moitié du dix- septième siècle et il était aussi question du Tapir. Ce qu’ils contiennent de neuf se réduit à très peu de choses, et se trouve d’ailleurs recueilli dans une importante compilation publiée en i633, YOrbis novus de Laët.

Laët parle du Tapir en plusieurs endroits de son livre (i); il en parle sous différens noms, et il reproduit les diverses descriptions données par les auteurs que nous avons in- diqués précédemment ; mais il sait que la plupart de ces descriptions appartiennent à un même animal. Ne pouvant déterminer , d’après ses propres observations , quelle était la meilleure, il agissait beaucoup plus sage- ment en les reproduisant toutes successivement, qu’en essayant de les combiner.

Aux noms déjà cités Laët joint celui de Maïpouri d’après Harcourt, qui l’avait trouvé employé à Cayenne, et, d’après le P. Claude d’Abbeville, celui de Tapijre-ete qui était usité par les Indiens de l’embouchure de l’Amazone. Il

(i) Liv. VII , cliap. 7 , province de Veragua, description d’après Herrera, nom du Beori pris mal à propos à Oviedo. Liv. VIII , chap. 8 , province du Darien ; description d’après P. Martyr; point de nom. Laët ne reconnaît pas plus le Tapir dans cette indication, que ne l'avaient fait cous les auteurs pré- céder.— Liv. X, chap. 5, au Pérou; d’après Garcilasso ; point de nom.et rien qui montre que Laët ait reconnu l’animal. -—Liv. XV, chap. 5, au Brésil, sous les noms de Tapjrete , Tapir oussou et Tapihire; d’après un auteur por- tugais , Lery et Thevet ; la description d'après ce dernier ; les habitudes d’après le premier. « Natandi et urinandi peritissimum est animal, statim pedit fun- dum, et ubi longius processerit , emergit rursus. » Liv. XVI, à l’embou- chure des Amazones, sous le nom de Tapijre-ete, d’après le P. Claude d’Abbeville. Liv. XVII , chap. i3. A Cayenne et sur les bords de l’Oyapock; sous les noms de Maypouri et Maipuri ; d’après des relations manuscrites belges et d’après l’ouvrage imprimé de l’anglais Harcourt. Liv. XVIII, chap. dans îa province du Cumana ; sous le nom de Capa ; d’après Gomara : il ne reconnaît pas le Tapir dans cet animal.

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transporte d’ailleurs maladroitement le nom deBeori(i) qu’Oviedo dit être le nom de l'animal à la terre - ferme, à la description donnée par Herrera pour la province de Veragua. C’est ce passage qui a induit en erreur plusieurs naturalistes modernes et leur a fait dire que le Tapir était appelé Beori par les naturels de la Nouvelle-Espagne.

Laët a pris quelques détails à l’ouvrage manuscrit d’un auteur portugais qui désigne l’animal par le nom de Tapyrete, et donne comme synonyme latin celui d yAlce; cet écrivain dit que le Tapir marche au fond des eaux , et c’est peut-être en raison de cette habitude qu’on a voulu depuis le placer dans le même genre que l’hippopotame. Il paraît au reste qu’on a de bonne heure établi un rappro- chement entre les deux espèces, puisque Herrera dit que le Tapir a rendu aux naturels du Nouveau-Monde le même service que l’hippopotame à ceux de l’ancien, en leur en- seignant l’usage de la saignée.

Deux ans après la publication de YOrbis noms parut l’Histoire naturelle du jésuite Nieremberg, ou le Tapir forme l’objet d’un chapitre (2) composé de fragmens pris au P. Simon, à Jean de Lery et à Hernandez, qui lui- même n’avait fait que traduire le texte d’Oviedo. Ce n’est

(1) Oviedo donne le nom de Beori comme étant employé par les Indiens de la terre-ferme. Or, sous cette dénomination il ne comprend pas la Nou- velle-Espagne, c’est ce qui est bien prouvé par divers passages de son livre, et entre autres par celui décrivant les mœurs des Indiens, il dit : « Je ne » prétends point qu’il en soit ainsi à la Nouvelle-Espagne , bien qu’à la rigueur » le mot de terre-ferme dût aussi s’appliquer à ce pays. » Il est évident que l’auteur , en parlant d’un animal qu’il a eu mainte occasion d’observer , le désigne par le nom usité dans le pays il l’a vu et non par celui qui pouvait être employé au Mexique, il n’avait jamais été. A l’époque Oviedo écri- vait son sommaire , en ï525, les noms mexicains des animaux ne pouvaient être encore très répandus : la prise de Mexico n’eut lieu que le i3 août i52i.

(2) ./. E. Nierembergii,... physiologies professons Hisloria natures maxime peregrinæ. Anvers, i535. Lib. IX, cap. 65.

SUR LE TAPIR.

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pas, au reste, pour ce chapitre, qui n’a rien de neuf, que je cite la compilation de Nieremberg, mais pour un autre emprunt qu’a fait l’auteur à Fouvrage alors inédit d’Hernandez (i). La description du Tlacaxolotl, donnée par ce médecin, est une fusion monstrueuse de deux des- criptions appartenant à des animaux très différens. La taille comparable à celle du taureau , la forte croupe , les ongles de bœuf aux pieds de derrière et à ceux de devant (2), le cou robuste, la grosse tête, le museau allongé , la peau épaisse et comme impénétrable , voilà ce qui appartient au Tapir. La face arrondie, le visage pres- que humain , la grosse et longue queue, sont des traits qui appartiennent à quelque grande espèce d’Alouatte. En- fin, aux deux animaux conviennent également bien les in- dications suivantes : poil fauve et mal couché, oreilles élargies, dents redoutables, goût prononcé pour les fruits du cacaotier et du cerisier mexicain ( quapachtli ), dégâts commis parfois dans des lieux cultivés (3).

Ces habitudes dévastatrices expliquent comment un

(1) Nieremberg, lib. IX, chap. II.

(2) . Le texte dit aux mains ; mais parmi les Espagnols le mot main s’em- ploie en parlant des pieds de devant des quadrupèdes. C’est toujours celui dont on se sert pour le cheval.

(3) C’est mal à propos que Sonini a cru devoir contredire sur ce point l’as- sertion de d’Azara (art. Tapir du Dict. de De'terville). De ce qu’à la Guyane on ne trouve les Tapirs qu'à une grande distance de Cayenne, ce n’est pas une raison pour refuser de croire qu’au Paraguay ces animaux approchent souvent des villages , et viennent de nuit jusque dans les plantations. Ce qu’ils fuient, c’est bien moins le voisinage des habitations que le bruit des armes à feu : or dans le territoire des missions , ce bruit ne vient pas souvent les troubler. Il en est de même dans le haut Orénoque , aussi y ai-je trouvé les Tapirs bien moins sauvages que dans les provinces intérieures de la Nouvelle-Grenade.

Certains indiens de la rive gauche de l’Orénoque, les Piaroas, semblent considérer le Tapir comme un génie protecteur. Non-seulement ils ne le tuent jamais sans une extrême nécessité , mais encore ils cherchent à l’attirer près des plantations ( conucos ) qu’ils forment au milieu des bois, en y cultivant les

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MEMOIRE

nom qui signifie voracité , gloutonnerie a pu être donné, dans un certain canton, au Singe, et dans un autre, au Tapir (i).

La possibilité d’une fusion de caractères appartenant à des êtres aussi dissemblables ne sera point contestée par les naturalistes voyageurs, qui savent bien que , même avec la connaissance des lois de l’organisation , on s’expose à commettre d’étranges erreurs , lorsqu’on cherche à com- biner les renseignemens qui se rattachent à un même nom ou à deux noms qu’on croit synonymes.

Il y a certainement très peu de ressemblance entre un Tapir et un Lamentin, cependant Dampier a mêlé des traits appartenant aux deux animaux, lorsqu’il a voulu décrire, d’après les informations obtenues de ses compa- gnons les flibustiers , un quadrupède dont il avait vu les traces au Darien, et qui lui avait été désigné sous le nom de vache montagnarde . La confusion naissait, suivant toute apparence, du nom de vache marine , qui s’applique quelquefois au Lamentin, quoique le plus souvent il dé- signe le Morse (2).

fruits qu’il préfère. Si un Piaroa trouve, le matin, ses ananas mangés par un Tapir, il s’en réjouit comme d’un heureux augure.

(1) Voyez, au mot Tlacacolloll , le Vocabulaire mexicain du P. Moliiïa, p. 1 15. (Mexico, an iô^i), Si le mot n’est pas écrit ici tout-à-fait de la même manière, il ne faut pas s’en étonner : les Espagnols n’avaient point de lettre ni de combinaison de lettres pour rendre une articulation de la langue Mexicaine qui correspond à notre ch, et ils ont employé tantôt le c et tantôt Yx. Dans quelques-unes des premières relations de la conquête de la Nouvelle-Espagne, on trouve Mecico au lieu de Mexico. Les Indiens prononçaient Mechico.

(2) « La vache montagnarde est de la grosseur d’un taureau de deux ans; elle ressemble à une vache pour la figure du corps , mais sa tête est beaucoup plus grosse, plus ramassée et plus ronde, et sans cornes; elle ale mufle court, les yeux ronds et très grands; elle a de grosses babines, mais pas aussi fortes que celles d’une vache ordinaire. Ses oreilles sont plus longues à proportion de sa tête que celles d’une vache. Elle a le col épais et court, les jambes plus courtes que celles de nos vaches ; sa queue est médiocrement

Sun LE TAPIR.

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Revenant à Nieremberg et à son chapitre sur le Tapir, je ferai remarquer que non-seulement il n’y a rien mis

longue, peu garnie de poils et sans touffe au bout. Elle a le corps tout couvert d’un gros poil clair-semé. Sa peau est de U épaisseur de deux pouces ou environ. Elle a une chair rouge à grain fin , une graisse blanche, et tout en- semble , c’est un manger sain et agréable. Il y en a qui pèsent jusqu'à cinq ou six cents livres.

» On trouve toujours cette vache dans les bois près de quelque grande rivière. Elle se nourrit d’une sorte d’herbe on mousse longue qui croît en abondance sur les bords des rivières mais elle ne paît jamais dans les savanes comme font les autres vaches. Lorsqu’elle est bien rassasiée, elle se couche pour dormir tout au bord de la rivière , et au moindre bruit elle se jette dans l’eau, elle plonge jusqu’au fond, quelque quantité d’eau qu’il y ait , et elle marche comme sur un terrain sec. Elle ne saurait courir fort vite, aussi ne s’éloigne-t-elle jamais de la rivière, dont elle fait toujours son asile en cas de danger.

» Ou trouve aussi de ces vaches dans les rivières de la baie d’Honduras e de tout le pays voisin jusqu’à la rivière de Darien; plusieurs de mes compa- gnons y en ont vu et ils connaissaient bien leurs traces, que je vis moi-même à l’isthme de Darien, mais que je n’aurais pas remarquées s’ils ne m’y avaient fait prendre garde, n’ayant vu de ma vie aucune de ces bêtes, ni de leurs traces, que cette seule fois. » (Dampier. Voyage à la baie de C'ampéche.)

Les parties écrites en caractère italique indiquent les traits qui me sem- blent empruntés au Lamentin ; l’habitude de se coucher au bord de l’eau pour dormir et de s’y jeter au moindre bruit, me paraît appartenir à un troisième animal le Cabiai , ou Capybara, qui, en raison de sa taille, de sa forme générale, de sa couleur et surtout de son allure, peut à quelque dis- tance être pris pour un jeune Tapir. ( « Incedit dorso incurvalo ut Capybara », dit Marcgraff en parlant de notre Pachyderme. ) On a prétendu1, il est vrai , que le Lamentin sort aussi de l’eau pour paître et dormir sur la rive, mais cela est démenti par les meilleurs observateurs.

Dampier connaissait le Lamentin, et il l’a décrit avec assez d’exactitude au 3* chapitre de son premier voyage à l’isthme de Darien; il savait que cet animal est désigné quelquefois par le nom de Vache marine, ainsi la con- fusion que nous avons signalée dans sa description de la Vache montagnarde ne doit pas lui être attribuée , mais à ceux dont il reçut ses informations. Quelques circonstances ont pu concourir avec la ressemblance des noms à causer la méprise de ces hommes. Les deux animaux peuvent se rencontrer l’un et l’autre dans les rivières de l’isthme; l’un., lorsqu’il est poursuivi, se jette à l’eau; l’autre s’y enfonce avec bruit quand on le surprend paissant l'herbe qui pend des bords de la berge : tous les deux sont remarquables par l’épaisseur de leur peau ; tous les deux fournissent une chaire bonne à manger.

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MÉMOIRE

qui ne se trouvât déjà dans des ouvrages très répan- dus (i), mais qu’ayant à choisir entre diverses versions, il a le plus souvent pris la mauvaise. Il devenait, au reste , fort difficile , en présence de tant de données con- tradictoires , de savoir à quoi s’arrêter, et désormais les travaux de compilation, même en les supposant faits avec plus de critique que ceux de Nieremberg, ne pouvaient guère éclaircir la question. De nouveaux renseignemens partiels n’eussent probablement servi qu’à accroître la confusion (2) ; pour y mettre fin il fallait une description

Le nom de Vache montagnarde semble indiquer un animal qui habite les montagnes, mais l’expression espagnole qu’on a cru rendre par celle-là ( Vaca montes ou vaca del monte ) signifie simplement vache sauvage , vache des bois. C’est pour rendre l’expression de vaca brava , qui a exactement le même sens, que le P. Claude d’Abbeville a employé' celle de vache brave. Cela se comprenait de son temps; et encore au dix-huitième siècle le bœuf sauvage des environs de Montpellier était appelé bœuf brave ou brau.

(j) Nieremberg donne au Tapir le nom de Doucunare, qu’il dit avoir pris de Léry; il n’y a probablement qu’une faute d’impression; mais Jonston a re- produit ce mot , qui par une seconde faute d’impression est devenu Doueanare .

(2) Parmi les auteurs qui ont fait connaître de nouveaux faits relatifs à l’histoire du Tapir, on ne doit pas oublier le P. Ruiz, dont l’ouvrage ( Con- quêtes spirituelles , faites par les jésuites au Paraguay ) parut en 163g.

Ruiz avait long-temps habité des pays le Tapir est très commun , cepen- dant dans ce qu’il rapporte de cet animal, le faux et le vrai se trouvent mêle's presqu’en égale proportion. Ainsi, par une confusion dont j’indiquerai plus tard la cause, il transporte à cet animal plusieurs des traits fabuleux qui ap- partiennent originairement à l’histoire de l’Élan s il le représente comme sujet au mal caduc , et se guérissant par l’attouchement de son pied gauche an- térieur, dont il a fait ainsi connaître aux hommes la propriété anti-épileptique. D’un autre côté , c’est dans ce livre qu’on trouve la première indication d’un fait singulier, mais depuis confirmé par le témoignage des meilleurs observa- teurs : je veux parler de l’habitude qu’a le Tapir, dans certains cantons , de manger une sorte d’argile imprégnée de sel. Ruiz, d’ailleurs, avance sans raison que l’animal mange de cette terre pendant la nuit , et de l’herbe pen- dant le jour. ( Conquist. espir. hecha por los PP. de la Ca de J. en el Pa- raguay, Madrid , i63g. )

Le Tapir, comme on le sait, n’est pas le seul herbivore chez qui l'on ait observé cette étrange habitude., et dans l’Amérique du nord, lorsqu'il se trouve des bancs d’argile salée dans les lieux fréquentés par les bisons et les orignals , on voit sur les parties la couche se trouve à nu, des traces nombreuses de dents de ces animaux.

SÜR LE TAPIR. 2 1

faite tout entière par un seul observateur, par un natu- raliste qui portât son attention sur certaines particularités que ne remarquent point les voyageurs ordinaires. On en eut une qui remplissait toutes ces conditions, et les rem- plissait beaucoup mieux qu’on n’eût l’attendre de l’état de la science à cette époque, lorsqu’en 1648 parut V His- toire naturelle du Brésil (1).

Marcgraff, comme On le sait, mourut avant d’avoir pu mettre la dernière main à cet ouvrage, et les notes qu’il avait laissées en partant pour l’Afrique se trouvèrent dans un assez grand désordre. Les plus importantes avaient été

A l’époque le P. Ruiz quittait le Paraguay pour se rendre en Espagne , un autre jésuite, le P. Acuiïa, descendait l’Amazone, et constatait l’existence du Tapir dans presque toute l’étendue de pays parcourue par ce grand fleuve. Son livre contient d’ailleurs peu de détails sur cet animal ; il donne cepen- dant une plus juste idée de la taille, en la comparant à celle d’un mulet d’un an. ( Nuevo descubr. del gran Rio de las Amazonas, Madrid , 1 64 * , XXVIII, p. ia , verso. )

(1) « Tapiierete brasiliensibus , lusitanis An ta, animal quadrupes , magnitudine juvenci semestris : Jigura corporis quodam modo ad porcum accedens , capile etiam lali , verum crassiori , oblongo , superius in acumen desinente , promuscide super os prœeminente , quam validissimo nervo con- trahere et exlendere potest : in promuscide aulern sunl fissurœ oblongœ. Jn- ferior oris pars brevior est superiore. Mûxillœ ambre anterius fastigialæ , et in quolibet decem déniés incisorii superne et inferne ; hinc per cerlum spa- tium , ulraque maxilla caret denlibus , sequunlur dein molares grandes omnes, in quolibet lalere quinque , ila ut habeat viginti molares et viginti incisores. Oculos habet parvos , porcinos : aures obrolundas majusculas , quas versus anleriora surrigit.: crura vix longiora porcinis , at crassiuscula : in anterioribus pedibus quatuor ungulas , in poslerioribus 1res ; media inter eas major est in omnibus pedibus ; in prioribus pedibus , tribus quarto parvula exterius est ad juncta ; sunl autem ungulæ nigricanles , non solidce sed cavœ et quce delrahi possunt. Caret cauda et ejus loco processum habet nudum pilis , conicum, parvum , more cutian. Mas membrum génitale longe exserere potest instar cercopitheci : incedit dorso incurvalo ut capybara. Cutem ' solidam habet instar alcis , pilos brèves. Color pilorum in junioribus est umbrœ lucidœ maculis variegalus albicanlibus ut capreolus ; in adultis fuscus sive nigri- cans sine maculis. Animal interdiu dormit in opacis silvis latitans. Noclu aut mane egreditur, pabuli causa. Oplime potest nalare. Kescitur gramine , arundine saccariferâ, brassicd, etc. Caro ejus comeditur sed ingrati saporis est.

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MEMOIRE

écrites en chiffres, dont heureusement on retrouva la clé; d’autres n’étaient que de simples indications pour mé- moire. Laët, à qui ces notes furent remises par le comte Maurice de Nassau, eut donc à s’occuper non-seule- ment du classement de ces matériaux, mais encore d’une partie de la rédaction : il s’acquitta de cette pénible tâche avec beaucoup de talent et de succès ; cependant , comme il n’avait pas vu la plupart des objets décrits, comme il n’était pas naturaliste, il ne put éviter de commettre quelques erreurs, soit en lisant le manuscrit , soit en tra- duisant ce qui était écrit eu langue vulgaire.

C’est probablement à cette cause qu’il faut attribuer une partie des défauts, d’ailleurs peu nombreux, qui se remarquent dans la description du Tapir, et il en est que l’auteur n’eût certainement pas laissé passer, s’il eût publié lui -même ses observations: tel est celui qui se rapporte au nombre des dents. On concevrait queMarcgraff se fût trompé sur le nombre des molaires, en supposant que l’animal observé par lui n’eût pas encore toutes ses dents ou en eût déjà perdu ; on comprendrait qu’il n’eût pas reconnu les canines et eût compté huit incisives au lieu de six à chaque mâchoire, la canine, chez cet animal, se distinguant à peine par sa forme de l’incisive voisine, et étant même moins volumineuse; mais cela ne ferait encore que seize incisives en tout , et non pas vingt. Il faut donc croire ou que la note a été prise sur un animal vivant, trop indocile pour se laisser examiner la bouche , et dans ce cas, l’auteur, en faisant paraître son livre, eûtdonnéla détermination comme douteuse (i), ou

(i) Laët dit dans sa préface que les papiers de Marcgraff qui lui furent remis par le comte Maurice de Nassau, ne se composaient guère que de notes brutes (commentarii indigesti atque imperfecli) qui notaient point classées, et se

SUR LE TAPIR. 23

bien qu’il y a eu mauvaise lecture de la part de l’éditeur. Plusieurs indices portent à croire que Laët a rédigé en totalité ou en partie ce paragraphe, qui du reste est re- marquable par son élégante concision ; il me paraît évi- dent, par exemple, que ce n’est pas Marcgraff qui a écrit cette phrase : In promuscide antem sunt fissures oblongce , phrase qui ne peut avoir aucun sens pour le lecteur s’il n’a pas vu l’animai , mais qui clans le texte original désignait sans doute d’une manière moins vague la forme étroite et allongée des narines à l’état de repos.

Malgré ces défauts, qui du reste ne furent aperçus qu’a- près plus d’un siècle, la description de Marcgraff était évidemment bien supérieure à celles qu’on avait eues jus- que là, et il semblait qu’elle dût les faire oublier toutes. Cependant, lorsqu’en i653, Jonston publia son Histoire des Quadrupèdes, il ne lui parut pas suffisant d’avoir re- produit textuellement cette description à l’article du porc, il inséra dans un appendice consacré aux animaux dou- teux (i) tout le chapitre de Nieremberg; ne sachant pas si le Tapir devait être rangé parmi les fissipèdes ou parmi les solipèdes.

suivaient dans l’ordre elles avaient été' recueillies. « Nam auclor, nullo ser- vato ordine, et herbas , et frutices alque arbores promiscucrat, prouL vénérant ad manits. »

Il dut souvent trouver sur le même objet plusieurs noies prises à différens temps, et en les combinant, il écarta tout ce qui faisait double emploi. Pison, qui eut plus tard accès aux papiers de Marcgraff, ne dédaigna pas ces rognures: je suis à peu près certain qu’il y a pris textuellement pour sa description du Tapir, ce trait caractéristique : Ore denlalo in utrdque maxilla. Ce trait, qui suffit seul pour séparer le Tapir des ruminans , avait une grande valeur aux yeux d’un zoologiste comme Marcgraff; Pison ne pouvait en sentir l’importance.

(i) « De quibusdam exolicis quadrupedibus iisque dubiis... dubiis inquam, nam ad quod genus referri proprie adhuc mecum delibero. » Le premier dont il parle est le monstrueux Tlacaxolotl, qu’il n’a pas reconnu pour un Tapir, et qui devait en effet lui sembler très difficile à bien classer.

MEMOIRE

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Pison, en i658, fit paraître son Histoire naturelle et médicale du Brésil , ouvrage dans lequel la partie zoolo- gique était prise presque entièrement des travaux publiés ou inédits deMarcgraff (i). Quoique la description du Ta- pir donnée par le naturaliste saxon ne contînt aucun détail oiseux, il voulut l'abréger; il le fit maladroitement, et de manière à donner de fausses notions sur l’animal, à faire croire, par exemple, que les pieds avaient la même con- formation que ceux du cochon.

Ray, qui était plus en état que Pison d’apprécier Marc- graff, n’eut garde de le mutiler ainsi, et quoique dans un ouvrage du genre du Synopsis q uadrupedum , il eût été excusable de ne mettre qu’un abrégé de la description du Tapir, il crut devoir la reproduire tout entière (2) , sauf deux passages que la rédaction de Laët rendait obscurs

(1) Pison ne pouvait pas se dispenser de nommer Marcgraff, dont les tra- vaux étaient publiés depuis dix ans ; mais il n’en parle que dans sa préface, et comme d’un homme qu’il employait à faire les observations les moins im- portantes, afin de pouvoir -lui-même consacrer tout son temps à celles d’un ordre plus élevé. Tout en le traitant d’élève très instruit et très zélé, il cherche évidemment à le rabaisser. « ldeoque ut telam hanc felicius pertexerem par- tent oneris derivaram in domesticos meos , præcceteris in doctissimum et di- ligentissimum D. G . Markgravium mathesios et medicinœ candidalum jquem in Indias meum adduxeram , ut, prœler exercilia astronomica et geographica pensiculate observaret externas polissimum figuras illarum rerum naturalium, quarum ego virtutes internas prœsidiaque medica firmandce vel reslituendæ valetudini nala, sollicite experirer. »

Par les additions que Pison a faites à ses Observations sur l’extérieur des animaux, on peut juger de ce qu’eut été cette partie de l’ouvrage s’il y eût travaillé seul. Par exemple, dans le livre Y, qu’il annonce comme contenant les résultats de ses dissections, ce qu’il ajoute à l’article de Marcgraff sur le Tapr, c’est, pour la partie anatomique, que le mâle est pourvu d’une bourse dans laquelle il porte à son tour les petits, et, pour la thérapeutique , que la queue de l’animal réduite en poudre et prise à la dose de deux gros , est un excellent détersif des reins et de la vessie.

(2) Ray, Synops. quadruped., Lond. , i6g3, page 1 26.

SUR LE TAPIR.

pour lui. Le premier, dont j’ai déjà parlé, est celui qui a rapport à la forme des narines ; l’autre est celui-ci : Mas membrum génitale longe exserere potest instar cercopi- theci. L’auteur avait probablement voulu dire : « Mas membrum génitale sœpius prœbet longe exsertum instar cercopitheci et exprimé ainsi, c’est un caractère vrai. Comme le Tapir est le seul des quadrupèdes américains qui le présente , les indigènes eux-mèmes l’avaient remar- qué, ainsi qu’on peut le voir par le nom qu’ils donnaient au caneficier (i).

Ray, en indiquant les ressemblances qu’a le Tapir avec le cochon sous le rapport de la forme , ne l’avait pas ce- pendant placé dans le même groupe, mais l’avait fait entrer dans celui des ongulés anormaux près du rhinocé- ros et de l’hippopotame. Barrère l’en tira pour le com- prendre parmi les porcs, sous la dénomination de sus aquaticus multisulcus (2).

On pardonnerait à Barrère d’avoir mal classé le Tapir, si d’ailleurs il l’avait bien décrit , comme son séjour à Cayenne lui fournissait les moyens de le faire 5 mais le peu qu’il en dit n’est propre qu’à donner de fausses idées : ainsi il le compare encore à un mulet ; il attribue à l’a- dulte une robe qui n’est que la livrée du jeune, enfin il le représente comme un amphibie qui vit plus dans l’eau que sur terre , il va seulement de temps en temps pour brouter.

(1) « Tapii aquaina dicen a la cana Jislula, tomando lo de la semejanca del miembro génital del Tapii.» (Ruiz. Tesoro de la lengua guarani.) Il faut pro- bablement lire tapiraquaina , puisque le mot tapii quand il est suivi d’un autre dans un nom composé , prend la terminaison ra ou re j on trouve en effet dans d’autres auteurs, tantôt Tapyracoana (Pison, De facult. sirrtpl. , page 80), et tantôt Tapyra coaynana (Marcgr., Hist. plantar., page 34-)

(2) Barrère (Essai sur l’Histoire nat. de la France équinox. Paris, 1 74 1 2 » page 160).

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MÉMOIRE

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Le père Gumilla dit aussi que le Tapir se plaît autant à demeurer au fond de l’eau que sur la terre (1).

La description donnée par Gumilla est beaucoup plus étendue que celle de Barrère , mais on ne peut pas dire qu'elle soit meilleure (2); cependant dans l’une et dans l’autre on trouve quelque chose de nouveau ; ainsi , la première fait connaître le cri de l’animal , qui est une es- pèce de sifflement grêle comparable à celui du chamois; l’autre nous apprend comment le Tapir se laisse tromper par l’imitation de ce cri , et arrive ainsi jusqu’à la portée des flèches du chasseur (3). C’est encore dans Gumilla qu’on voit la première indication des sentiers que l’animal fraye en passant et repassant toujours par les mêmes points (4), et celle d’une particularité d’organisation fort remarquable et cependant négligée par tous les écrivains antérieurs, à

( 1 ) « 11 vit aussi volontiers au fond de la rivière ou du lac que sur la terre ; » il est vrai que pour paître l’herbe qui est sa nourriture favorite, et qui se » nomme gamalote , il vient toujours à terre. » (Gumilla, El Orinoco ilui- trado_, Madrid, 174 G chap. 19, page 201.)

Les ouvrages de Gumilla et de Barrère paraient la même année : ainsi dans ce qu’ils ont de commun, l’un n’a pu rien prendre à l’autre.

(2) Les principales fautes dans la description de Gumilla, sont : de compter trois ongles aux pieds de devant comme à ceux de derrière, de donner à l’a- nimal une queue grêle et tortillée comme celle du cochon, enfin de ne rien dire de la trompe.

(3) La facilité avec laquelle le Tapir se laisse attirer par l’appeau du chas- seur , est un fait connu dans la Guyane française aussi bien que dans la Guyane espagnole. C’est donc à tort que d’Azara a repris Buffon de l’avoir avancé sur la foi de de Laborde.

(4) C’est encore un des faits qui ont été confirmés par le témoignage de Laborde, et contestés mal à propos par d’Azara. Le Tapir, quand il vit dans un canton il n’est pas trop inquiété, revient presque toujours au même lieu pour dormir, et, de cet emplacement à celui il a coutume d’entrer à l’eau , on trouve fréquemment une sorte de sentier indiqué non-seulement par les traces que les pieds laissent sur le sol, mais encore par l’écartement des broussailles. Cela était bien connu des naturels même avant la conquête ; au Paraguay ils donnaient à la voie lactée le nom de Mborebi râpe (sentier de Tapir), comme chez nous les gens du peuple le nomment le chemin de Saint

SUR LE TAPIR.

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l'exception de Marcgraff (1) ; je veux parler de la lame verticale qui fait saillie au-dessus du front, sorte de coûtre dont le Tapir se sert pour diviser les buissons et qu’il pré- sente en avant lorsque effrayé par quelque bruit il s’en- fonce tête baissée dans les taillis, en galopant brusque- ment à la manière du sanglier de nos forêts (2).

En disant quel moyen emploie le Tapir pour se dégager des griffes du jaguar, le P. Gumilla donnait assez à en- tendre que cet animal devait être doué d’une grande force musculaire; déjà au reste un autre jésuite en avait parlé d’une manière plus frappante et cependant sans rien exa- gérer. (t On tue le Tapir à coups de flèches , dit le P. Lo- zano dans sa description du grand Cbaco (3),, ou bien on le prend dans des pièges; car de vouloir l’enlacer, comme on fait pour le tigre, ce serait par trop dan- gereux, puisque sa vigueur est telle, que loin d’être arrêté par le laço , il entraîne après lui et le cheval et le cavalier. » La description que Lozano donna du Tapir n’était guère que la répétition de ce qui se trouvait dans des ou-

Jacques. « Mborebi râpe, camino de aillas ; j asi llainan la via lactea. » (Ruiz, Tesoro de la lengua guarani , page 216, recto. )

(1) « FigurtL corporis quodam modo ad porcum accedens , capile eliam tali , verum crassiori, oblongo , superius in acumen desinente. » Marcgr. , lib. VI, cap, VI).

(2) « La tête du Tapir {Ante) ressemble jusqu’à un certain point à celle du » cochon ; elle pre'sente au milieu du front un as fort avec lequel l’animal » enfonce les broussailles ( malesa ) et rompt les branches qui se trouvent » sur son passage dans les forêts. Le tigre se met en embuscade près des » sentiers par lesquels les Tapirs vont à la pâture , saute sur le premier » qui passe, et s’y cramponne des quatre pattes. Si c’est en un lieu dé- » couvert, le Tapir est perdu ; mais s’il y a tout près de quelque bois ou » quelque taillis , c’est sur le tigre que retombe tout le mal , parce que le Tapir >* court comme un furieux, met la tête par le plus fourre', et continue avec » une telle impétuosité, que si le tigre n’a pas lâché prise tout d’abord, il » meurt fracassé par le choc des branches et déchiré par les épines. »

(3) Descripcion chorographica del terreno , Rios , arb oies y animales del Grau Chaco , Gualamba , etc. , Cordoue , 1733, page 38 et 3g.

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vrages antérieurs , et notamment dans celui de Ruiz ( voyez page 572 , note 2). Il paraît cependant qu’il avait vu quelques parties de l’animal ; ainsi il savait fort bien que le nombre des doigts n’est pas le même au train de devant qu’au train de derrière, mais il crut que les pieds il voyait quatre doigts étaient les pieds postérieurs.

Ce qu’il raconta des mœurs de l’animal était aussi pris presque entièrement du livre de Ruiz, et rendu en géné- ral d’une manière assez peu fidèle (1); il fut au reste lui- même étrangement travesti par un troisième jésuite, par le P. Charlevoix, dont l’ouvrage, plus généralement connu en Europe, induisit en erreur divers naturalistes, et entre autres Buffon (2).

Le P. Charlevoix, dans son Histoire du Paraguay,

(1) « Les Tapirs, dit le P. Ruiz, mangent pendant le jour des lierbes, et » la nuit une sorte d’argile salée. Dans quelques-uns des lieux se trouve » cette terre, les foulées de Tapir sont aussi nombreuses que celles des » vaches dans les parcs on les renferme ( corrales ). Les chasseurs viennent >• de nuit à ces argilières ( barreros ), et, quand ils voient qu’ils en sont tout près, » ils font paraître subitement une torche enflammée : le Tapir est d’abord » ébloui par la clarté, et l’on profite de ce moment pour le tuer. Les chas- » seurs continuent ainsi toute la nuit, et le matin, à l’aide des traces, ils re- » trouvent les bêtes mortes à peu de distance du lieu elles ont été frap- » pées. » (Ant. Ruiz, Conq. esp., page 4, recto.)

Voici maintenant comment Lozano a entendu ce passage. Après avoir parlé des différentes manières de chasser le Tapir, il ajoute : « On dit encore que » comme ces animaux se réunissent pour passer la nuit dans un même lieu, » à la manière des bœufs , qui reviennent chaque soir dormir à la bouverie » ( boeriz ), si l’on se présente tout à coup dans ce lieu avec des lumières, » ils sont éblouis par cette clarté", et Ton a le temps de les tuer. » ( Descrip . chorogr., page 38. )

Charlevoix enfin dit : « La chasse de l’Anta (Tapir) ne se fait que la nuit et elle est fort aisée ; on va attendre ces animaux dans leurs retraites ils se rendent volontairement en troupes , et quand on les voit venir, on va au-devant d’eux avec des torches allumées, qui les éblouissent de telle sorte, qu’ils se renversent les uns sur les autres , etc. »

(2) « Il marche ordinairement de compagnie et quelquefois en grande troupe. » (Buffon , tome XI , in-4% page 44^0

SUR LE TAPIR.

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a donné deux descriptions du Tapir, descriptions qui renferment, outre les erreurs commises par les auteurs sur lesquels il s’appuie, toutes celles qui peuvent résulter d’une connaissance imparfaite de la langue. Ainsi , c’est faute d’avoir connu la valeur du mot mano (main) em- ployé par Ruiz, qu’il a dit que le Tapir se sert des deux pieds de devant «comme font les singes et les castors, et avec la même facilité « ; il n’a pas non plus compris, ou tout au moins il n’a pas fait comprendre le P. Lozano, lorsqu’il a dit que l’animal « a les pieds de devant fendus en deux , et ceux de derrière en trois (i). »

Quelques autres erreurs paraissent être le résultat d’une lecture peu attentive du texte original ; ainsi Charlevoix ne dit point, ce que Ruiz avait eu cependant bien soin d’indiquer, que l’argile mangée par les Tapirs est une terre imprégnée de sel (2).

Ces argiles salées ne se trouvant à découvert qu’en des cantons très circonscrits , les Tapirs y viennent de fort loin, et peuvent s’y rencontrer plusieurs à la fois, surtout pendant la nuit, qui est le temps de leur plus grande ac- tivité. Ruiz ne dit pas autre chose, et c’est à tort que Charlevoix en a conclu que ces animaux se réunissaient en troupe pour passer la nuit. Lozano au reste avait déjà commis la même erreur, et plus tard Gmelin la répéta , en donnant au Tapir, dans la 14e édition du Systema naturœ de Linnée, l’épithète de g re g arius (3).

(1) Lozano dit : « Il a les sabots comme la vache, mais avec cette diffé- rence qu'aux pieds de derrière il y a trois séparations (ce qui fait quatre doigts) et deux seulement aux pieds de devant. »

(2) « L’Ante broute l’herbe pendant le jour, et la nuit il mange une espèce » d’argile qu’il trouve dans les marais il se retire au coucher du soleil. » (Charlevoix , Hist. du Paraguay, tome I , page 33.)

(3) Linnée ne trouvait pas apparemment dans tout ce qui avait été écrit

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MÉMOIRE

Peu d’années après la publication du livre de Charle- voix, Buffon fut conduit par la fausse interprétation d’un passage de Belon à placer à la suite de l’histoire du zébu ce qu’il savait de relatif au Tapir. A cette époque il n’en avait vu que quelques dépouilles incomplètes; aussi ne put-il faire que rappeler ce qu’on avait dit avant lui; il donna seulement une nouvelle figure de l’animal d’après un dessin que La Condamine avait rapporté de Quito. L’image est moins grossière que celle qui avait paru avec le livre de Marcgraff, mais elle est tout aussi peu fidèle , surtout si l’on admet, comme on l’a fait jusqu’ici, qu’elle représente le Tapir de l’espèce commune.

La description et la figure se trouvent dans le onzième vo- lume de Y Histoire des Quadrupèdes ^qui parut en 1764(1), et elles furent reproduites peu de temps après sans aucun changement dans l’édition de Hollande; mais dans le quinzième volume de cette même édition publié en 1771 , Allamand introduisit des additions très importantes, ayant eu l’occasion d’examiner un jeune Tapir mâle qui était arrivé depuis peu à la ménagerie du prince d’Orange , et ayant reçu en même temps de bonnes observations faites sur un individu femelle qu’on montrait à cette époque dans les foires. Allamand reconnut la justesse de la description donnée par Marcgraff, et il n’eut qu’à la

sul' le Tapir, des données suffisantes pour lui assigner sa véritable place dans le cadre zoologique. Cependant Brisson ayant, en 1756, fait entrer le Tapir dans son tableau du règne animal, Linnée, en 1758, lui donna également place dans la 10e édition de son Sjslema naturæ , mais encore avec hésitation. « Animal clubium , hippopotame) genere proximum , præeunte Raio. Il le fit même disparaître de la 12e édition.

(1) Ce volume, sorti des presses de l’Imprimerie royale, porte sur le titre le millésime MDCCLIV, mais l’erreur est rendue évidente, non-seulement par les citations, dont quelques-unes se rapportent à des ouvrages pubüe'sen 17^6 et 1758, mais encore par la date du volume précédent.

SUR LE TAPIR.

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développer un peu davantage. 11 ne put s’assurer du nombre des dents; cependant il lui sembla qu’il y avait moins.d’incisivesquene l’avait cru le naturaliste saxon (i).

Allamand donna les dimensions des deux individus, qui n’étaient ni Fun ni l’autre adultes ; il en donna aussi des figures qui sont assez mauvaises, quoique Pennant les déclare excellentes.

La femelle est représentée assise et avec la trompe en- tièrement retirée, de manière à dépasser à peine la lèvre inférieure. C’est probablement ce qui a fait supposer à Pennant , puis à Gmelin, que le mâle seul est pourvu de cet organe, lequel, à la vérité, est généralement chez lui plus développé (2).

Allamand ne paraît pas avoir eu connaissance d’une figure qui avait été donnée antérieurement aux siennes, mais pos- térieurement à celle de Bulfon. On la trouve dans un re-

(1) « Il ne m’a pas e'té possible de compter ses dents incisives, il ne les dé- » couvrait pas assez long-temps pour que je pusse m’assurer de leur nombre,

» et quand je voulais lui relever le nez pour les mieux voir, il secouait » fortement la tête et m’obligeait à lâcher prise. Il m’a semble' cependant » qu’il y en avait huit à chaque mâchoire... Les dents canines ne m’ont point » paru les surpasser en grandeur, et ne sortaient point hors de la bouche » comme la figure donnée par M. de La Condamine à M. de Buffon semble- » rait le faire croire ; quant aux dents mâchelières , je nrai pu les apercevoir. » Ceci a rapport au mâle ; quant à la femelle , dont on ne parvint pas non plus à compter les incisives, l’observateur anonyme remarqua « qu’elle a deux » dents canines à chaque mâchoire , et que celles de la mâchoire supérieure » sont plus grandes que celles d’en bas » ; ce qui est vrai.

(2) « Tapiir, Long nosed... wilh the nose extended far bejond the » lower jaw and forming in the male a sort oj proboscis capable of being » conlracled or extended at pleasure. . . The nose of the female is desliluted » of proboscis and the jaws are of equal lenglhs. » (Pennant, Quadr , tome ; , page i48.)

« Nasus mari elongatus in proboscidem tenuem , exlensilem , laleribus sul- » catam, ultra maxillam inferiorem prominentem. » (Gmelin, Sjrst. nat. , édit. XIV, Gœttingen, 1788, page 216.)

MEMOIRE

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cueil publié en 1767 par les héritiers de Knorr (1). Le dessin qui servit pour cette planche était fait évidemment par un homme qui avait vu l’animal; mais le graveur avait ensuite corrigé ce qui lui semblait peu exact , réunissant par exemple les doigts de manière à ce qu’il n’en restât que deux à chaque pied. Cependant on peut reconnaître encore les traces de l’ancienne division. Dans cette figure , qui est coloriée , le fond brun du pelage est semé d’un assez grand nombre de taches plus claires qui semblent être un reste de la livrée du jeune âge.

Ce ne fut qu’en 1784 qu’on eut enfin une bonne repré- sentation du Tapir; elle parut dans le sixième volume du Supplément à V Histoire des Quadrupèdes. Buffon l’avait fait faire par un habile dessinateur, d’après un jeune ani- mal qui avait vécu quelque temps à Paris. Dans ce sixième volume, Buffon donnait, outre les additions d’Allamand, quelques détails qui lui avaient été transmis par de La- borde, médecin du roi à Cayenne, d’autres qui étaient extraits d’un Mémoire adressé en 1774 à. l’Académie des

(i) Knorr. Deliciæ naturce seleclœ , 1766-7, tome 2, planche K, i3.

La planche précédente repre'sente encore l’animal et dans la même position, avec cette seule différence que la tête est un peu plus de face , et que la trompe, au lieu d’être contractée, montre le boutoir dans son entier. Cette figure est donnée pour celle d’un hippopotame, les éditeurs ayant supposé, d’après la nomenclature adoptée par Linnée dans la 10e édition du Sjslema nalurce ( hipp . amphib. et hipp. terres tris ) , qu’il devait exister une grande ressemblance dans les formes des deux animaux. Les dessins originaux se trouvaient l’un et l’autre dans le cabinet de J. Trew, mais ils n’avaient pas sans doute appartenu dans l’origine à la même personne , et il pouvait y avoir des différences daus l’inscription qu’ils portaient : peut-être l’un d’eux portait-il le nom de cheval marin , nom sous lequel le Tapir qui avait servi de modèle était désigné par l’homme qui le montrait en Hollande en 1704, et il aura été très aisé de confondre ce mot avec celui de cheval de rivière ou hippopotame. Les éditeurs au reste avouent qu’il n’y a pas grande con- fiance à avoir dans les descriptions et dans les figures qu’on a données des deux animaux.

SUR LE TAPIR.

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Sciences, par Bajon, chirurgien du roi dans la meme colonie ; enfin les résultats d’observations faites au Mu- séum d’histoire naturelle.

La communication de Lahorde n’ajoutait que peu de choses à ce quon savait déjà. On y apprenait cependant que la femelle ne met bas qu’un petit dont elle prend soin pendant long-temps-, et ce fait n’avait été jusque indiqué par personne. On y trouvait aussi des détails, in- téressans encore après la courte indication fournie pai Gumilla, sur les sentiers que l’animal se forme dans les bois et sur l’impétuosité avec laquelle il parcourt la nuit ces routes connues, renversant tout ce qui se trouve acci- dentellement placé sur son passage. D’un autre côté, cette communication contenait quelques assertions un peu sus pectes : ainsi quand l’auteur dit que le Tapir blessé se retourne sur la barque d’où est parti le coup, et essaie e la renverser, il est bien difficile de ne pas voir une îe- miniscence de l’histoire de 1 hippopotame.

Le Mémoire de Bajon , beaucoup plus important que celui de Laborde, contenait un assez grand nom ue e détails entièrement neufs ou qui sei valent à confirmer des observations regardées encore comme douteuses j ainsi il faisait connaître l’époque du rut et les combats que se livrent les mâles à cette occasion, la duiee de la gcs tation , l’espèce d’emplacement que choisit la femelle poiu mettre bas, les lieux en général ces animaux se tien- nent de préférence pendant le jour, et le temps plus ou moins long qu’ils passent dans leur gîte selon la difféience

des saisons.

Plusieurs des détails relatifs aux formes extérieures avaient aussi l’intérêt de la nouveauté *, mais ce qui is tinguait surtout le travail de Bajon, c était une séiie c o servations sur la structure des organes internes-, ma leu

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34 MEMOIRE

reusement au lieu de les présenter in extenso et telles qu’il les avait recueillies, il se contenta souvent d’établir des rapprochemens entre les organes du Tapir et ceux de nos animaux domestiques; et comme l’anatomie de ces derniers ne lui était pas suffisamment connue, il s’exprima quelquefois de manière à donner une très fausse idée de ce qu’il avait pourtant très bien vu.

A T époque ce Mémoire parvint eu France, on avait le moyen de contrôler plusieurs des faits qui y étaient énoncés , car peu de temps auparavant on avait disséqué au Muséum d’iiistoire naturelle un Tapir envoyé vivant d’Amérique. Buffon put donc reconnaître que Bajon s’était trompé en assimilant l’appareil digestif du Tapir à celui des rumina ns ; mais il ne connut pas le fait très curieux qui avait été la cause de cette erreur, l’existence d’un cæcum présentant intérieurement la structure du bonnet.

Tous les naturalistes s’étant accordés depuis la publi- cation du livre de MarcgrafF à donner vingt dents au Ta- pir, Bajon n’avait pas osé affirmer que ce nombre était inexact, et il s’était borné à dire qu’on en trouvait quel- quefois un différent. Allamand, de son côté, avait cru voir moins de tlix incisives à chaque mâchoire ; ainsi cela exi- geait une vérification , et rien n’était plus aisé que de la faire, puisqu’on avait les pièces au Muséum (i).

(i) M. Geoffroy ayant retrouvé, en 1797, ces pièces dans les galeries du Muséum, et ne connaissant point alors le travail imprimé de Bajon, s’em- pressa de faire connaître une vérité qu’il était fondé à regarder comme nou- velle. Il en fit l’objet d’une communication à la Société philomatique, com- munication dont il est fait mention au Bulletin de la Société, tome I, page 96. M. Geoffroy n’avait. parlé que des incisivesetd.es canines, parce qu’il n’avait eu à sa disposition que deux échantillons provenant de jeunes individus chez lesquels il était évident que la dentition n’était pas achevée. M. Cuvier, dans le Tableau élémentaire de l’Histoire des animaux , publié l’année sui- vante, reproduisit cette observation, ce qui 11’empêcha pas que dans une

SUR LE TAPIR.

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Buffon , au lieu d’examiner lui-même ces pièces, donna ordre à Mertrud de voir combien il y avait de dents ; Mertrud trouva douze incisives, mais comme il crut que c était un cas exceptionnel , il ne jugea pas nécessaire d’en parler, et il se contenta de traduire le passage de Marc- graff. Le résultat fut qu’on vit paraître dans le tome VI du Supplément page 20, la note suivante, qui semblait ne plus laisser lieu à aucun doute raisonnable :

<( M. Allamand n’a pu voir toutes les dents incisives du » Tapir, mais nous les avons vues, et elles sont au nombre » de dix en haut et de dix en bas. »

A l’époque cette note fut écrite, le nombre des in- cisives du Tapir se trouvait correctement indiqué dans un livre publié à Paris depuis peu de temps et sur lequel diverses circonstances semblaient devoir appeler plus par- ticulièrement l’attention de Buffon.

Bajon, pendant un séjour de douze années à Cayenne, avait recueilli un grand nombre de faits relatifs, soit à l’histoire naturelle, soit à la médecine, et il en avait fait l’objet de diverses communications adressées à l’Académie des Sciences et à l’Académie de Chirurgie, dont il était correspondant.

De retour en France, il réunit ces dîfférens travaux, les développa , y ajouta les résultats d’observations subsé- quentes, et en forma deux volumes de mélanges (1) qui parurent à la fin de 1777 et au commencement de 1778.

foule de traités d’histoire naturelle, publies bien postérieurement, on 11e continuât à donner au Tapir dix incisives à chaque mâchoire . Cette erreur se trouve répétée jusqu’en iSaà, dans un ouvrage composé par ordre du gou- vernement, pour l’usage des collèges.

(O Mémoires pour servir à l’Histoire de Cayenne et de la Guyane fran- çaise , etc. , par M. Bajon , correspondant de l’Académie royale des Sciences de Paris et de celle de Chirurgie. Paris , 1777 et 1778.

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MÉMOIRE

Le Mémoire sur le Tapir était reproduit dans le second volume , mais avec de grandes améliorations. Il paraît que Bufïon ne prit pas connaissance de cette publication , puis- qu’il n’en profita point pour son article supplémentaire, qui cependant ne fut écrit que vers 1782. Ce qui rend la chose assez étrange, c’est que les deux volumes de Bajon avaient été soumis avant l’impression à l’approbation de l’Académie , et que dans un des rapports fait par Dau- benton et M. de Jussieu (A. L.), les recherches sur le Tapir étaient spécialement désignées (1).

Ces recherches, qui, par une fatalité singulière, parais- sent avoir échappé à l’attention de tous les naturalistes, puisqu’elles ne sont citées par personne, sont pourtant très supérieures à tout ce qu’on avait eu jusque sur le meme sujet, supérieures encore à beaucoup de ce qui s’est fait depuis. Je ne sais même si aujourd’hui on trouverait sur la disposition et la structure du canal intestinal chez le Tapir américain, quelque chose de plus exact et de plus complet que ce qu’a donné Bajon. Je dis exact quant au sens, car souvent l’expression est très impropre (2).

(1) « Nous pensons que ce second volume du Me'moire de M. Bajon est aussi » bon et aussi utile que le premier, et qu’il mérite d’être approuvé par l’Aca- » demie, et imprimé sous son privilège. » Signé Daubenton et À. L. de Jussieu, 25 février 1778.

(2) La description de Bajon bien comprise , s’accorde parfaitement avec celle qu’a donnée sir Everard Home pour le Tapir indien, même en ce qui concerne les proportions de grandeur des parties comparées entre elles et avec les dimen- sions générales. Cependant l’individu qui a fait le sujet de l’observation de M. Home , avait l’estomac et les deux autres renflemens un peu moins amples, ce qui provenait peut-être de ce qu’il avait vécu quelque temps en captivité , et que, faisant usage d’alimens plus nourrissans à volume égal que ceux qu’il trouvait à l’état sauvage, les cavités digestives avaient cessé d’être soumises aux distensions ordinaires. L’état maladif peut apporter de plus grands clian- gemens encore , comme le montrent les résultats de l’autopsie faite par M. Yarrel, sur un Tapir américain qui mourut épuisé en arrivant à Londres.

En lisant la description de sir Everard Home ( Transact of the Roy. Soc.,

SUR LE TAPIR.

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Quoique cette fois il ne paraisse plus croire que l'animal rumine, il fait encore usage, en décrivant les organes digestifs, des termes qui s’emploient pour les ruminans, et il les applique même fort mal. Ainsi quand il nomme le troisième estomac, il y a lieu de croire que c’est du se- cond ou du bonnet qu’il entend parler; mais comme en même temps il indique le croisement des lames de la tunique interne, il n’en résulte réellement aucune con- fusion pour un naturaliste. Il désigne encore, comme dans son premier Mémoire, sous le nom à? estomacs, deux ren- flemens du canal, situés l’un à la terminaison de l’intestin grêle, l’autre dans la longueur du colon. Mais qu’importe le mot employé pourvu qu’on ait de la chose une juste idée; or, on l’a certainement après avoir lu sa descrip- tion , qui donne exactement les dimensions, la figure, les rapports et la disposition tant interne qu’externe des diverses parties du tube intestinal.

Dans la note adressée à l’Académie , Bajon , comme on l’a vu, parlait de variation dans le nombre des dents; il en parle encore dans le Mémoire imprimé en 1778 , mais celte fois les différences paraissent ne porter que sur le nombre des molaires, et l’on conçoit que celles-là peuvent dépendre de l’âge. Considérant le cas ordinaire, il donne à chaque mâchoire vingt-deux dents, savoir : six incisives,

ann. 1821, page 279), on voit que le langage deBajon est jusqu’à’un certain point excusable , puisque celui de l’habile anatomiste anglais s’en rapproche souvent , sans cesser toutefois d’être juste. Bajon, par exemple, dit qu’à l’ouverture du bas-ventre on aperçoit des poches 1res volumineuses qui représentent plusieurs estomacs. Home, parlant de la dilatation que présente le colon , dit qu’elle ressemble à un estomac. Le premier dit que dans le sac qui tient lieu du cæcum la membrane interne plus grande que l’externe, forme des plis qui sont quel- quefois hauts de six lignes, et s’entrecroisent comme dans une portion de l’esto- mac des ruminans. L’autre, en décrivant le cæcum , dit qu’il est intérieurement honej combed manières de rayons d’abeilles), expression qui s’emploié ha- bituellement pour exprimer la disposition alvéolaire de l’intérieur du bonnet.

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MÉMOIRE

deux canines (i) et quatorze molaires. Il n’y a réellement en bas que douze molaires , mais on est très exposé à se tromper sur ce point quand on examine des sujets chez lesquels la seconde dentition n’est pas terminée, et, ainsi que le remarque Bajon lui-même, elle ne s’achève que fort tard. Les plus grands anatomistes ont partagé cette erreur, et jusqu’au commencement du dix-neuvième siècle, ils ont cru le nombre des dents égal aux deux mâchoires; c’est ce dont on a la preuve dans les notes jointes à l’his- toire des quadrupèdes du Paraguay (2).

Le livre de d’Azara, dont la traduction française, pu- bliée avant l’original espagnol, parut en 1801, commence par l’histoire du Tapir. Cette histoire, qui renferme moins d’erreurs peut-être que celle donnée par Bajon , contient aussi beaucoup moins de renseignemens importans, sur- tout en ce qui concerne les habitudes de l’animal à l’état de liberté. D’Azara se montre d’ailleurs dans ce chapitre, comme dans tout le reste de l’ouvrage, déterminé à ne reconnaître pour vrai que ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a conté pendant son séjour au Paraguay, rejetant sans autres motifs beaucoup de faits attestés par de bons obser- vateurs, même quand ils n’ont rien que de très compa-

(1) Bajon donne une fausse ide'e de la figure et de la taille des canines chez le Tapir, en les assimilant à celles du cochon ; il est même à remarquer qu’à la mâchoire supérieure , la canine est plus petite que l’incisive voisine. La canine inférieure, quoique assez forte, ne dépasse point les lèvres, comme l’in- dique la figure jointe à son Mémoire. Cette figure, au reste, est fort mauvaise ; c’est vme copie de celle qu’avait d’abord donnée BufFon , et dans laquelle on s’est contenté de figurer la crinière et d’allonger la trompe et les doigts: ce der- nier changement la rendait encore plus défectueuse qu’elle ne l’était d’abord.

(2) Essais sur V Histoire naturelle des Quadrupèdes de la province du Pa- raguay, par don F. d’Azara, traduits sur le manuscrit inédit de l’auteur, par Moreau-Saint-Méry. Paris, 1801 , tome Ier, page 9, notes a et b.

Dans 1 eDict. des Sciences nat., vol. LII (publié en 1828), p. 227, on donne encore au Tapir américain sept molaires, en haut et en bas, de chaque côté.

SUR LE TAPIR.

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tible avec ce qu’il admet. Ainsi il refuse au Tapir la faculté de plonger (i); il ne veut pas croire qu’il se défende avec vigueur contre les chiens quand il ne peut avoir recours à la fuite, qu’il fraye des sentiers dans les bois en repas- sant souvent par les mêmes lieux, qu’il se laisse attirer à l’appeau du chasseur, et que le cri du mâle puisse être distingué de celui de la femelle. D’un autre côté, il con- firme la justesse de certaines observations déjà faites au Paraguay, mais qui ne Font été que ; telle est celle qu’on devait au P. Ruiz, sur l’habitude qu’a le Tapir de manger certaines terres salées (2).

(1) Il est très possible qu’au Paraguay les goûts aquatiques du Tapir soient moins prononcés qu’à la Guyane , et il y a lieu de croire qu’il existe une différence semblable pour l’espèce asiatique ; ainsi les renseignemens fournis au major Farquhar par les naturels de la presqu’île de Malaca , semblent indiquer que l’animal ne fréquente pas beaucoup les eaux. Tandis que de l’autre côté du détroit, à Sumatra, il en est tout autrement. Un jeune individu qui avait été amené de cette île à la ménagerie de Barackpore, courait à l’eau dès qu’il était libre, y restait une grande partie du jour, et plongeait souvent pendant un temps considérable.

Les habitudes des animaux varient quelquefois notablement suivant les cantons qu’ils habitent. C’est une remarque que M. de Htunbold a déjà laite relativement à plusieurs espèces américaines et dont j’ai eu souvent occasion de reconnaître la justesse. Dans certains lieux j’ai vu le paca avoir des habi- tudes presque aussi aquatiques que le cabiaï ; dans d’autres il ne va presque jamais à l’eau. Je ne parle ici que des individus qui se trouvent dans les régions chaudes, car quant à ceux qui vivent à Une grande hauteur (on en voit jusqu’à une élévation de 1800 mètres), je 11e suis pas certain qu’ils ne forment pas une espèce distincte.

(2) Cette habitude est nécessairement subordonnée non- seulement à la constitution géologique du pays et aux accidens qui en ont mis à découvert certaines parties, mais encore au besoin que les herbivores ont de sel, ce qui varie avec la nature des pâturages, comme j’ai eu occasion de le faire remarquer dans mon Mémoire sur les changemens éprouvés par les animaux domestiques transportés de l’ancien dans le nouveau continent.

La terre salée que mange le Tapir est désignée dans l’édition française du livre de d’Azara , sous le nom de Barrero , Il y a certainement une méprise de la part du traducteur, qui aura pris pour le nom de la substance celui du lieu on la trouve. Si le mot barrero se lit dans l’original , il y est

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MEMOIRE

Mais le principal mérite de d’Azara consiste dans le soin qu’il a mis à décrire les formes extérieures. Les détails qu’il donne ont assez de précision pour permettre de re- connaître des différences spécifiques si l’occasion se pré- sentait d’en observer, et c’est ce qu’on n’eût pu faire à l’aide des descriptions précédentes. Ainsi un trait carac- téristique de l’espèce commune, la crête fronto-cervicale, qui existe chez la femelle aussi bien que chez le mâle , est à peine indiqué par Marcgraff et par Gumilla; Buffon, Allamand et Bajon n’en font même pas mention, et se bornent à parler de la crinière, qui n’est pas un caractère constant , puisqu’elle est quelquefois à peine sensible chez la femelle , quoique d’Azara prétende qu’elle a le même développement que chez le mâle.

Une différence relative au sexe est celle de la taille, et ces deux auteurs l’admettent également; mais Bajon pré- tend que c’est le mâle qui est le plus grand; d’Azara sou- tient, et à ce qu’il paraît avec raison, que c’est la femelle. Une autre différence, que ni l’un ni l’autre ne semble avoir aperçue, est celle qui se rapporte aux dimensions de la trompe. D’Azara, qui a décrit une femelle, dit que la trompe n’a, dans l’état de repos , que deux pouces et demi , et environ quatre pouces dans son plus grand allongement. Bajon, qui paraît avoir pris ses mesures sur un mâle, dit qu’elle peut s’étendre jusqu’à près d’un pied de longueur.

L’individu décrit par d’Azara n’avait pas encore sa der- nière molaire, qui n’apparaît, comme l’avait observé Bajon, que long- temps après les autres; de vient qu’il n’a compté que trente-huit dents au lieu de quarante-deux; il les a passablement décrites , mais mal caractérisées ,

sans doute employé' comme il l’était dans la description de Ruiz, pour signi- fier crgiliere. C’est un dérivé du mot barro, qui se dit de toute terre douée de plasticité.

SUR LE TAPIR.

4r

ayant considéré comme une seconde canine l’incisive la plus externe de la mâchoire supérieure.

D’Azara ne s’est point occupé de l’examen des viscères, et quoiqu’il blâme Bajon d’avoir donné trois estomacs au Tapir, il ne s’appuie évidemment que sur les observations faites au Muséum. Il le reprend avec plus de connaissance de cause pour avoir assimilé les organes génitaux du mâle à ceux du cheval. La description qu’il en donne lui-même et qui se borne aux parties extérieures, confirme la phrase de Marcgraff : Membrum génitale longe exsertum instar cercopitheci.

Les observations de d’Azara appartiennent encore au dix-huitième siècle. Je ne parlerai point de celles qui se sont faites dans le dix-neuvième : on sait qu’elles ont eu pour résultat de faire beaucoup mieux connaître l’anato- mie de l’animal , et dès l’année i8o3, un Mémoire de M. le baron Cuvier, ne laissait presque plus rien à faire pour la partie ostéologique.

Ces recherches, de même que les renseignemens fournis dans l’espace de trois siècles par les voyageurs , se rap- portaient à une seule espèce , du moins les naturalistes le pensaient ainsi, et en effet, les légères différences que quelques-uns d’entre eux avaient notées, même en ne les supposant pas dépendantes du sexe (et cette cause y entrait certainement pour beaucoup) , auraient à peine suffi pour constituer une variété (i).

(1) « Les Indiens, les nègres et les habitans qui connaissent bien cet animal » en distinguent deux espèces, qu’ils appellent grands et petits Maïpouris. Les » petits se trouvent à quelque distance des bords de la mer ; ils ne pèsent » que 3oo à 35olt>. Les grands Maïpouris sont plus avant dans l’intérieur des » terres ; leur poids est communément de 4°°tt> et souvent davantage. » (Bajon, Mémoires sur Cayenne, tome 1, page 216.)

« Il existe au Muséum d’histoire naturelle deux Tapirs différens, l’un noir » et l’autre roux : celui-là est toujours plus gros et pèse 5ooîb. Quoiqu’ils

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MEMOIRE

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Il y avait peut-être quelque sujet de s’étonner qu’un genre si bien tranché , si nombreux en individus , et ré- pandu sur une si vaste étendue de pays, fût ainsi borné à une seule espèce. Les plus grands pachydermes en comp- taient au moins deux par genre , et ceux de taille moyenne en présentaient bien davantage.

Mais si l’on ne se bornait pas aux espèces vivantes , si l’on envisageait à leur tour ces animaux d’une autre époque, dont les admirables travaux de M. le baron Cuvier nous ont révélé l’existence , l’anomalie devenait bien autrement frappante. La famille des palœotlierium , si voisine de celle des Tapirs par tout l’ensemble de ses caractères, présentait jusqu’à onze espèces.

Enfin, deux naturalistes dont les sciences déploreront long-temps la perte, MM. Diard et Duvaucel, vinrent nous apprendre que la famille du Tapir ne s’écartait point autant qu’on l’avait cru de la règle générale, et qu’on en avait trouvé dans l’Inde une seconde espèce (t). Je viens moi-même en faire connaître une troisième, que j’ai dé- couverte dans les hautes régions de la Cordillère des Andes.

Bien long-temps avant de connaître d’une manière cer- taine cette seconde espèce de Tapir américain, j’avais été conduit à en soupçonner l’existence, moins, je l’avoue, par des considérations générales, que sur la foi des vieux chroniqueurs espagnols. Plusieurs de ces écrivains en effet donnent au Tapir un poil épais et d’un brun ap-

'> présentent quelques autres différences on ne peut assurer si ce sont deux ’> espèces distinctes. » ( Bulletin de la Soc. philom., tome I, page 96, extrait de la communication de M Geoffroy.)

(1) Les observations des naturalistes anglais sur le Tapir indien n’ont été connues en France que par les communications de MM. Diard et Duvaucel. Les vagues indications données par Marsden (Hislory of Sumatra ) sur le cheval de rivière des Malais, et celles qu’on trouve dans les transactions de la Société de Batavia (année 1799) , ne suffisaient pas pour faire reconnaître un Tapir.

SUR LE TAPIR.

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prochant du noir, caractères qui ne conviennent point au Tapir des naturalistes modernes , à celui que j’a- vais vu moi-même dans les plaines et les grandes val- lées peu élevées au-dessus du niveau de la mer.

Je crus pendant quelque temps que cet animal pouvait, comme le chien indigène , le couguar, le coati brun , exister à diverses hauteurs, et que le séjour dans les régions froides de la Cordillère expliquait suffisamment le rem- brunissement de la couleur et la plus grande épaisseur de la fourrure ; mais plus tard , lorsque je levai la carte de la province de Mariquita, ayant eu à parcourir pendant six mois les forêts qui recouvrent la pente orientale de 1a. Cordillère moyenne, je remarquai que dès que je m’éle- vais au-dessus de 5 à 600 mètres, je ne trouvais plus les sentiers frayés par les Tapirs: plus de foulées, plus de fu- mées. Il était évident que ces animaux 11e montaient pas jusque là, et si l’on en retrouvait sur les sommets de la Cordillère, ils devaient appartenir à une espèce nouvelle. Il n y avait rien dans cette supposition qui répugnât à ce que j’observais journellement, et les cerfs m’offraient un exemple tout semblable.

Je savais qu’un Tapir avait été tué dans la même Cor- dillère à une très grande hauteur, sur le Paramo de Quin- diu. A la vérité, ce pouvait être un individu égaré , lancé par des chasseurs et écarté de son canton. Mais lorsque je traversai moi-même cette montagne pour me rendre d’Ibagué à Cartago , dans la vallée du Cauca, je vis sur le sommet de nombreuses traces de Tapirs ; j’en trouvai de même à mon retour; et j’appris des porteurs ( cargueros ) qui fréquentent ce chemin , qu’ils voyaient souvent de ces animaux, et toujours dans les mêmes parages, c’est-à-dire dans les parties les plus élevées de la montagne. Leurs des- criptions s’accordaient avec celles qu’on m’avait faites pré-

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MÉMOIRE

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cédemment, et avec une des indications de Gomara , etc. Je ne doutai plus dès lors de l’existence d’une espèce nou- velle ; mais les efforts que je fis pour me la procurer res- tèrent long-temps sans succès.

L’an passé , me trouvant à Bogota , j’appris que deux Tapirs avaient été tués à quelques lieues de cette ville, dans le Paramo de Sumci-Pciz , plus élevé encore que celui de Quindiii; je partis sur-le-champ , et favorisé par une cir- constance toute particulière (i) , j'arrivai assez à temps pour les voir encore entiers.

Je reconnus au premier coup d’œil l’animal que m’a- vaient décrit les cargueros : c’était une espèce nouvelle et nettement séparée de celle du Tapir commun.

Les individus que j’avais sous lesyeux étaientdeux mâles, l’un à peine adulte, l’autre déjà assez vieux. Ce dernier avait les dents usées, et même cariées en plusieurs points; il était d’un sixième environ plus grand que l’autre. A la taille près, ces deux animaux étaient parfaitement semblables.

J’aurais désiré en faire transporter un à Bogota pour pouvoir le décrire à loisir, mais on refusa de me les vendre. Ainsi, je dus me contenter d’en faire sur place une des- cription abrégée , et d’en prendre au crayon un simple trait. Cependant j’obtins la tête et les pieds du plus grand (2) , et le lendemain , à l’aide de ces pièces , je pus

(1) C’est un usage général dans la Nouvelle-Grenade, qu’à l’octave de la Fête-Dieu on dresse devant l’église principale une sorte de bosquet dans lequel ou place des oiseaux à couleurs brillantes, des animaux remarquables par leur grosseur ou par quelque monstruosité , des bêtes fauves mortes ou vivantes. Dans les villages, les chasseurs se mettent en quête long- temps d’avance, et chaque paroisse cherche à surpasser les autres dans cette exhi- bition. C’est une excellente occasion de voir des animaux rares ; et dans l’espace de deux mois que durent les octaves , on peut visiter un grand nombre de villages.

(2) Ces pièces que j’ai rapportées en France font maintenant partie de la collection du Muséum d’histoire naturelle.

Sim LE TAPIR.

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terminer ma première esquisse. C’est la ligure que j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de l’Académie : elle est faite au dixième de la grandeur naturelle. ( V oy . pi. I,

% i.)

Afin de reproduire plus exactement le profil de la tête, je me suis servi , pour en déterminer le contour, de la cannera lucicla de Wollaslon.

On voit que cette tête diffère de celle des Tapirs com- muns par l’ensemble des lignes , aussi b: en que par les dé- tails : le mufle est de forme un peu différente, et la trompe ne présente point des deux côtés ces rides qui montrent que l’animal la tient habituellement contractée; le men- ton a une tache blanche qui se prolonge à l’angle de la bouche et revient jusqu’à la moitié de la lèvre supérieure ; l’oreille manque du liseré blanc qu’elle présente dans le Tapir commun (i). On ne voit point non plus cette crête si remarquable qui commence sur le front à la hauteur des yeux et se prolonge vers le garrot. Le cou de la nou- velle espèce est parfaitement rond , et les poils n’y ont , sur

(i) On voit sur la tète représentée de face qu’une des oreilles est déchirée, lia blessure était ancienne et provenait sans doute des combats que les mâles se livrent dans le temps du rut. Il paraît que le Tapir en colère cherche plutôt à mordre qu’à frapper, et que quand il frappe , c’est toujours avec les pieds de devant, comme font les cerfs , mais avec beaucoup plus de force. La manière dont Oviedo dit qu’il se défend contre les chiens m’a été confirmée par les cica- trices que j’ai vues à ces animaux , et par le témoignage unanime des chas- seurs.

Le Tapir n’est pas le seul animal qui cherche à gagner l’eau quand il est poursuivi : notre cerf d’Europe et plusieurs autres animaux d’Amérique , ainsi que l’a remarqué Bajon, ont à peu près la même habitude; mais presque tous auparavant se laissent long-temps chasser; le Tapir, au contraire, dès qu’on l’a fait lever, court vers le ruisseau ou l’étang le plus voisin; une fois là, s’il est serré de près, il se retourne et fait tète aux chiens. Dans l’eau, il trouve bien plus d’avantage que sur la terre; car, quand il est plongé seu- lement jusqu’au poitrail, les plus grands chiens sont déjà à la nage ; ils ne

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la ligne médiane , ni plus de longueur que dans les autres parties, ni une direction différente. Le poil par-tout le corps est très épais , long , d’un brun noirâtre , plus foncé à la pointe qu’à la racine , et il donne à la robe cette cou- leur qu’on nomme zain chez les chevaux.

Sur la croupe, dans la région correspondante à la fosse iliaque externe , on voit de chaque côté une place nue, large deux fois comme la paume de la main. Cette place n’est pas calleuse. Le jeune la présentait aussi symétrique que le vieux et d’une grandeur proportionnée.

Au-dessus de la division des doigts on voit, comme dans l’espèce commune , une raie blanche dégarnie de

La comparaison des caractères extérieurs ne sépare point encore aussi nettement les deux espèces de Tapir que le fait la comparaison des tètes osseuses. Afin de mieux faire res- sortir les différences, j’ai dessiné la tête du Tapir nouveau sous trois aspects différens ( voy . pl. II), et j’ai représenté de la même manière les deux têtes des espèces de Cayenne et de Sumatra , d’après les pièces que renferme la galerie d’anatomie comparée. ( Voy . pl. III.)

Lorsque je présentai cette tête à M. le baron Cuvier, il fut aussitôt frappé de la ressemblance qu’elle offre avec celle du palæofherium. Il a bien voulu mettre à ma disposition les précieux fragmens qui existent dans la belle collection d’animaux fossiles qu’il a formée, et j’offre ici le dessin d’une tête entière de cet animal. J’ai suppléé , à l’aide d’une

peuvent donc approcher de lui que progressivement, sans se lancer; ils ne peuvent reculer pour éviter une morsure, mais ils sont obligés de se retour- ner, ce qui entraîne une grande perte de temps. Le Tapir peut ainsi résister à plusieurs ennemis à la fois. Élevé au-dessus d’eux, il les saisit facilement à la nuque ; puis , les secouant brusquement, il les étrangle ou tout au moins il garde entre ses dents un lambeau de leur peau.

SUR LE TAPIR. 47

seconde pièce , à ce qui manquait au morceau le plus com- plet; mais de peur d’induire en erreur par quelque com- binaison maladroite, j’ai indiqué par des lignes ponctuées les parties que j’ai ainsi rétablies. ( Voy . pl. III, fig. 4*)

On voit que sous le rapport de la grandeur, la tète du nouveau Tapir se rapproche beaucoup de celle du palæo- therium. Elle s’en rapproche aussi par l’ensemble des lignes, et si l’on suppose pour un instant que, dans ce dernier animal , les barres s’allongent par un transport en avant de la partie antérieure des mâchoires , la ressem- blance , au premier coup d’œil , sera complète.

Comparée aux tètes des deux autres Tapirs, la nouvelle ressemble plus à l’espèce de Sumatra qu’à celle de Cayenne: cette ressemblance se montre surtout dans la direction du front, dans sa largeur, dans le défaut de saillie de la crête bi-pariétale, dans la dimension des os du nez, enfin, dans la forme de la mâchoire inférieure, dont le bord inférieur est droit dans l’un comme dans l’autre , tandis que dans le Tapir de Cayenne il est fortement arqué.

Si l’on ne jugeait que d’après les dimensions de la tête , on croirait que la nouvelle espèce de Tapir américain est d’une taille bien inférieure à l’ancienne: elle est réellement un peu plus petite, mais pas tant qu’on serait porté à le supposer. L’individu que j’ai représenté avait de longueur, depuis l’extrémité du museau jusqu’à la pointe de la queue, 5 pieds 6 pouces et demi. Debout , il devait avoir, du gar- rot jusqu’à terre , 2 pieds 9 pouces ; les jambes de devant avaient , de longueur, 1 pied 4 pouces à partir du coude : elles étaient très fortes, et à leur partie supérieure, elles n’avaient pas moins de 16 pouces de contour. Les jambes de derrière, un peu plus longues, étaient beaucoup plus grêles. L’articulation tibio-tarsienne permettait aux deux

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os articulés de venir exactement dans le prolongement l’un de l’autre. Je ne mesurai point la grosseur du corps: pour faciliter le transport de l’animal de la montagne au village, on l’avait vidé surplace, et tout l’abdomen et même le thorax , étaient affaissés. Ainsi , sans viscères , l’animal pesait encore de 240 à i5o livres. Je regrettais de ne pouvoir examiner l’estomac afin de voir de quoi cet animal se nourrit sur les hauteurs qu’il habite; un des chasseurs me tira de peine et me dit que lorsqu’il les avait aperçus ils étaient occupés à manger du chusque ( Ncistus chusque. Runth) , sorte de bambou dont on trouve une espèce à de très grandes hauteurs ; il m’assura aussi que ces animaux mangeaient du frajlejon (espeletia) ; c’est une plante que le gros et menu bétail , les chevaux, mulets et ânes, rebutent à cause de la grande quantité de résine qu’elle contient ; les cerfs de la montagne eux-mêmes n’y touchent pas; mais il n’est pas surprenant que le Tapir en mange : c’est un animal très glouton et d’un goût qui n’est rien moins que délicat. Ceux qu’on a gardés dans diverses ménageries mangeaient tout ce qu’ils rencontraient , et jusqu’à leurs excrémens. On peut à la vérité ne voir qu’une dépravation d’habitudes produite par la captivité; mais à l’état de liberté même, ils paraissent être d’une gloutonnerie aveugle , et ceux que l’on lue à la chasse ont souvent dans l’estomac des morceaux de bois , de petites pierres et quelquefois jusqu’à des os.

Le père Simon, dans ses Nodcias historiales de Tierra- Firme, a consigné ce fait: « Le Tapir, dit-il, a deux » estomacs , un dans lequel se trouvent ses alimens , » l’autre dans lequel il n’y a jamais que des bois pour- » ris. Jusqu’à présent , ajoute-t-il , on ne connaît pas » l’utilité de cette disposition; mais il faut bien quelle

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» en ait une , car la nature ne fait rien de superflu » (i).

Quelquefois, en effet, ces corps auxquels le pylore re- fuse le passage, déterminent une dilatation partielle de l’es- tomac et finissent par être logés dans une sorte de poche ; parfois même on trouve un second rétrécissement , et alors l’estomac semble divisé en trois. Buffon pensa que c’était quelque apparence semblable qui avait causé l’erreur de Bajon, et lui avait fait dire que l’animal était un luminant; nous avons vu que l’erreur avait une tout autre origine.

On sait que dans l’espèce du Tapir commun le pelage de la femelle offre beaucoup de poils blancs mêlés à ceux de couleur obscure; j’ai vu même les poils blancs si nom- breux , que lorsque les autres étaient roux , la robe avait la couleur qui dans les chevaux est nommée rouan clair. J’aurais voulu savoir si dans le Tapir des montagnes la même chose a lieu, mais les chasseurs ne purent jamais s’accorder sur ce point; je ne pus savoir non plus d’une manière positive si la femelle est plus grande que le mâle (2) , et si le jeune porte la livrée (3). Ces deux par- ticularités d’ailleurs se montrant chez l’espèce asiatique aussi bien que chez l’espèce commune, il est probable qu’on les trouvera également chez la troisième.

(1) Fr. P. Simon. Conquistas de Tierra firme. Cuenca, 1627, 2e. Tab. alph. , art. Danla. Outre les morceaux de bois , les noyaux , etc. , que le Tapir a ava- lés, on trouve souvent dans son estomac des bezoards qui s’y sont formés lentement. Ces concrétions , que les guaranis nommaient Mborebi lia, furent considérées par les Espagnols comme un puissant remède contre l’épilepsie ( Mal de corazon ).

(2) Les plus grandes peaux que j’aie vues dans l’espèce commune appar- tenaient toutes à des femelles. Elles étaient d’une épaisseur remarquable ; au dos 7 lignes, et sur les joues jusqu’à 8 et 9.

(3) On a fait dire à d’Azara, dans l’édition française, que le Tapir «porte jusqu’à sept mois la livrée du jeune chien ». D’Azara 11’a pas pu dire pareille chose : il savait trop bien que le jeune chien ne porte pas de livrée. Je n’ai pu me procurer l’original espagnol ; mais je crois être sûr que l’erreur vient

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MEMOIRE

II parait que le Tapir des montagnes n’a pas tout-à-fait les mêmes habitudes que celui de l’espèce commune, qui dort tout le jour et ne sort que la nuit pour prendre sa nourriture. Ceux qui furent tues à Suma-Paz étaient oc- cupés à manger lorsque les chasseurs les aperçurent , et il était alors près de dix heures du matin. Moi-même j’ai trouvé à neuf heures, dans le chemin du Quindiù , des fientes fumant encore, et la forme des foulées indiquait que l’animal marchait sans inquiétude, de sorte que ce n’était pas la peur qui l’avait chassé de son gîte à une heure inaccoutumée. Il est vrai que dans le dernier cas c’était vers la fin de décembre, époque qui étant celle du rut (du moins pour l’espèce commune), donne à ces animaux plus d’activité pendant le jour* mais dans l’autre cas c’é- tait au mois de juillet.

On sent qu’une espèce qui habite seulement les som- mets des hautes montagnes doit être moins nombreuse en individus que celle qui habite les plaines et les grandes vallées; mais comme la Cordillère s’étend d’un bout à l’autre de l’Amérique méridionale , il serait possible que la nouvelle espèce atteignît les mêmes parallèles que l’an- cienne. Je n’ai pu rien apprendre de satisfaisant sur ce point; je l’ai trouvée dans la chaîne orientale et la chaîne moyenne entre le cinquième et le quatrième degré de lati-

de ce que M. Moreau de Saint-Merry 11’a pas connu la valeur du mot cachorro. Ce mot, qui répond tout-à-fait au calulus des latins, dont il semble dérivé, s’applique à tous les jeunes quadrupèdes, excepté aux veaux et aux poulains, qui ont, comme en fiançais , leur nom particulier. Le manuscrit porte proba- blement : « de cachorro tiene librea », dans le jeune âge il porte la livrée. Et le traducteur, retournant la phrase, a dit : « tiene librea de cachorro », il porte la livrée du jeune chien. Le mot latin pullus , comme nom générique, a aussi son équivalent en espagnol dans celui de polio , qui sert pour désigner un oiseau dans le jeune âge. Quelquefois, pour ceux de petite taille , on se sert du mot pichon , qui cependant s’applique plus spécialement au pigeonneau.

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tucle nord , et je sais qu’on l’a vue jusque vers le deuxième. J’ai d’ailleurs des raisons pour croire qu’elle s’étend jus- qu’à l’équateur. En effet, le dessin rapporté de Quito par Lacondamine, et qui servit à Bufïon pour son premier article, me semble appartenir à la nouvelle espèce en même temps qu’il s’écarte de l’ancienne, par l’aplatis- sement du front; par la forme arrondie du cou et l’ab- sence de crête cervicale ; par la grosseur des pieds. Quel- que malhabile qu’ait pu être le dessinateur, il est diffi- cile de supposer qu’il eût négligé d’exprimer la crête, et ce serait un singulier hasard que les principales inexacti- tudes eussent toutes tendu à reproduire les caractères ap- partenant à une autre espèce (i).

Du coté du nord la nouvelle espèce pourrait bien s’a- vancer jusqu’au dixième degré de latitude, du moins il me semble que c’est à celle-ci plutôt qu’à l’autre qu’ap- partient le Tapir noir et velu de la province de Gumana, dont Gomara parle sous le nom de Capa.

Quant à l’espèce commune , elle s’étend comme on le sait beaucoup plus d’un côté de l’équateur que du côté opposé. La différence cependant n’est pas aussi grande que le croyait Buffon , qui avait pris pour des Tapirs certains grands animaux bisulques vus à diverses reprises par les voyageurs sur les côtes de Patagonie et près du détroit de Magellan. Il avait été probablement induit aussi en erreur par Gomara qui applique sans raison le nom de Danta aux huanacos, que les compagnons de Magellan trouvè- rent près du port Saint-Julien. Loin que le Tapir s’avance jusqu’à l’extrémité australe du continent, ou même qu’il atteigne le cinquantième parallèle comme les huanacos , c’est beaucoup s’il va jusqu’au trente-cinquième ; mais

(i) Voyez planche première pour la comparaison des trois têtes n06 3 et 4*

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au nord de la ligne équinoxiale, il s’arrête vers le dou- zième degré. Il est difficile de trouver pour cette singu- larité une explication satisfaisante. Faut-il croire, en effet, avec Buffon, que l’animal n’a pu franchir les montagnes de l’isthme de Panama ? Mais la petite chaîne qui se prolonge dans cet étroit espace suit la direction générale de T isthme au lieu de le barrer en travers, de sorte qu’en descendant la vallée de la rivière San-Juan ou celle de l’A- trato, l’animal eût pu s’acheminer de l’Amérique du sud dans l’Amérique du nord, sans avoir aucune hauteur à surmonter. Ce ne sont pas de grands cours d’eau qui ont empêché son passage, il n’en eût trouvé aucun sur son chemin qu’il ne pût aisément franchir. Ce n’est pas 1’abaissement de température qui l’empêche d’arriver jus- qu’à la ligne tropicale, puisque de l’autre côté il va beau- coup au-delà. Peut-être pensera-t-on qu’il ne trouve pas dans l’Amérique du nord l’espèce d’aliment qui lui con- vient } mais outre que la végétation à l’est et à l’ouest de l’isthme est à peu près la même, le Tapir est un animal qui s’habitue aisément aux changemens , et c’est certaine- ment, après le cochon, celui de tous les pachydermes qui peut le mieux être dit omnivore.

Quoi qu’il en soit de la cause, voici ce que je sais sur le fait. Le Tapir est très commun dans le bas de l’Atrato, de telle sorte qu’à Murindo (sur la rive droite de la ri- vière et non loin de son embouchure ) il forme une partie importante de la nourriture des gens de couleur. On le suit jusqu’au pays habités par les Indiens indépendans du Darien, et de l’autre côté de leur territoire, qui est peu étendu, il ne se rencontre déjà que rarement. On a dit, à la vérité, qu’il s’en trouvait dans des pays situés encore beaucoup plus à l’ouest : ainsi Herrera semble compter cette espèce au nombre de celles qui habitent la province de

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Verapaz (i); mais outre que le témoignage de cet écri- vain n’est pas d’un grand poids en histoire naturelle, il faut remarquer que le mot qu’il emploie a été appliqué dans les commencemens de la conquête à des animaux très différens de celui qui nous occupe ; et quoique la description qu’il donne ne convienne qu’au Tapir, il suffit qu’on l’ait informé qu’il existait des dantas dans cette province pour qu’il se soit cru fonder à leur appliquer les renseignemens qu’il avait reçus sur les dantas-tapirs de l’Amérique méridionale.

Une considération qui semble beaucoup plus puissante pour prouver l’extension de cette espèce vers les régions occidentales est celle-ci, que le Tapira un nom (celui de Ziminche ) dans la langue des Indiens qui habitent les en- virons de Palenque (lat. N. i^° 10! long. O. 94°) , et qu’il en a même un, celui de Tlacaxolotl, dans le langage des Mexicains. Mais il ne faut pas oublier qu’avant l’arrivée des Espagnols, ces peuples avaient des notions sur les productions de pays souvent très éloignés du leur; le ca- cique de Cheapes , au Darien , connaissait les Llamas du Pérou, et il n’y aurait rien d’étrange à ce que dans cer- taines provinces du Mexique et de Guatimala on connût de même des animaux delà Nouvelle-Andalousie.

Si l’on pouvait former quelque conjecture relativement à l’espèce de Tapir qui a fourni des traits à Hernandez pour la description de son monstrueux Tlacaxolotl, on croirait que c’est la nouvelle plutôt que l’ancienne.

Dans les pays les deux Tapirs se rencontrent à la fois, ils ne paraissent pas avoir été distingués par les chas- seurs qui , cependant , en général , notent les moindres

(1) Herrera. Hist. gén. de las Indias occid. Déc. IV, lib. X, cap. XII, § 3 et Descrip. de las Tnd. occid. , cap. XII.

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différences dans les animaux qu’ils poursuivent habituel- lement, et pèchent bien plus par excès que par défaut , en établissant des espèces (1). Ils leur donnent indifférem- ment à l’un et à l’autre le nom de danta , et ce nom est celui par lequel l’espèce commune est généralement dé- signée dans tous les pays l’on parle espagnol.

En m’occupant de l’origine de ce nom, j’ai vu qu’il se rattache à un système de nomenclature singulier, et sur lequel je crois devoir appeler l’attention, parce qu’il a in- duit en erreur plus d’un écrivain européen, et qu’il a fait faire aux naturalistes voyageurs beaucoup de recherches dans une fausse direction.

Lorsque les Espagnols arrivèrent en Amérique , ils y trouvèrent une nature entièrement nouvelle, et, comme Adam, ils eurent à nommer toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux des deux. Dans l’impossibilité d’embras- ser à la fois tant d’objets , ils durent écarter d’abord tous ceux qui 11’étaient pas pour eux d’un intérêt immédiat. Ainsi les oiseaux trop petits pour être mangés furent tous réunis, confondus sous le nom vague de paxaritos (2); tous les insectes à élytres écailleuses furent des cucar- rones, cucarachas ; ceux à ailes transparentes , des mou- ches, moscas , moscos , mosquilos 3 moscarrones.

Quant aux animaux, ou nuisibles ou utiles, comme on avait fréquemment à s’en occuper, il fut nécessaire de les désigner d’une manière plus spéciale. Les conquérans ne pouvaient guère adopter les noms indigènes, qui, en raison

(1) Ils comptent, par exemple, jusqu’à cinq espèces de pécaris. Je ne sais pas s’ils ont xaison; mais je suis sûr au moins qu’il existe une troisième espèce, que j’ai vue et dessinée.

(2) Ce mot paxarilo ou paxaro , bien qu’évidemment dérivé de passer, ne veut pas dire passereau , mais s’applique à tous les oiseaux de petite et de moyenne taille.

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de la multiplicité des dialectes, variaient d’une province à l’autre , et le besoin d’une nomenclature commune les conduisit tout naturellement à transporter aux espèces américaines des noms européens-, dans l’application qu’ils en firent , ils ne furent pas guidés, comme on aurait pu s’y attendre, par des ressemblances de forme, de taille ou de couleur de telles ressemblances ne leur impor- taient guère : ils ne considéraient toutes ces espèces que sous le rapport de Futilité dont elles étaient pour eux , ou des dommages qu’elles pouvaient leur causer, et ainsi ils leur donnèrent le nom des animaux qui en Espagne rendaient des services semblables ou nuisaient de la même manière.

On trouve, par exemple, en Amérique, pour une foule de quadrupèdes , le nom de zorro accompagné d’une épi- thète qu’on néglige encore bien souvent : zorro gatuno , perrunOj collarejo, zorro hediondo ou zorrilla (i). Peu im-

(i) Les noms de zorro hediondo et de zorilla s’emploient tous les deux en parlant des mouffettes, mais le premier, qui signifie renard puant , s’applique aussi aux grandes espèces de sarigues, dont l’odeur est en effet très désagréable.

Le sarigue opossum est désigné par Cieça de Léon ( Cronica del Peru , cap. XXV) sous le nom de datcha; et ce mot n’est pas, comme on pourrait le croire, le nom indigène de l’animal, mais le féminin du mot espagnol chu- ch o , nom générique des oiseaux de proie nocturnes ; c’est qu’en effet l’opos- sum fait comme ceux-ci, à la faveur de l’obscurité, de sanglantes exécu- tions parmi les oiseaux domestiques.

Il n’y a pas trop lieu de s’étonner qu’on ait transporté à un quadrupède Je nom d’un oiseau. Tous les deux viennent dans les ténèbres , on ne les voit presque jamais, et on ne les connaît guère que par leurs ravages. De vient que quelquefois on n’a aucun nom particulier pour les désigner. J’ai souvent entendu dire dans les hameaux américains : « Nous ne pouvons ici avoir des poules, Y animal n’en laisse pas une en vie. » Cela se dit même en quelques parties de la France, témoin ce vers de Lafontaine :

« Dans mon pallier rien ne m’était resté:

» Depuis deux jours la bétc a tout mangé. »

Comme le Tapir, lorsqu’il s’approche des habitations, est aussi le plus sou- vent un visiteur nocturne, on pourrait croire que le nom vague de la gran

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portait aux colons qu’ils appartinssent aux familles des f élis y des canis des gulo , des mephitis , le chien indi- gène, le yaguarundi , le tayra et le mapurito , mangeaient egalement leurs poules, ils durent tous s’appeler des renards.

Quant aux animaux plus petits qui saignaient les pou- lets, les pigeons, chassaient les petits oiseaux , les souris , poursuivaient celles-ci jusque dans leurs trous, le nom se présentait naturellement : qu’ils eussent les doigts réunis ou un pouce opposable, que leur queue fût prenante ou non, velue ou dégarnie de poils , les ennemis des rats ne pouvaient être que des belettes ( comadrejas ).

Le lama ressemble plus au chameau qu’à tout autre animal de l’ancien continent ; Balboa même s’y méprit quand il en vit les premières figures et se confirma par dans l’idée qu’il était arrivé aux grandes Indes. Ajoutez à cela que les Péruviens l’employaient aussi comme une bête de somme. Cependant les Espagnols, qui dédaignèrent de l’appliquer à cet usage , n’en firent point un chameau \ mais comme ils se servirent de son poil en guise de laine , ils lui donnèrent le nom de brebis (i). Le nom de Llama

bestia (la grande bête), qu’on lui donne en beaucoup de lieux, est relatif à cette sorte d’incognito qu’il se plaît d’ordinaire à garder; mai^, comme nous le verrons bientôt, les mots Danta et gran bestia servaient déjà avant la dé- couverte de l’Amérique à désigner un même animal; cela ne Veut pas dire que les deux mots fussent synonymes : ils ne l’étaient pas plus dans la langue espagnole, que ne le sont, dans la langue anglaise , les mots sheep et mutton.

(i) Oveja del peru, oveja de la tierra, carnero de la tierra. Wafer a entendu cornera au lieu de carnero , et il a supposé que ce nom indiquait un animal cornu. Il prétend avoir vu à l’île de Mocha des lamas qui, sellés et bridés, portaient sur leur dos deux des hommes des plus robustes. « These sheep are » so tame tliat we frequenllj used to bridle one of them , upon whose back » iwo ofthe lustiest Men would ride at once round the island , to drive the » rest to the fold. » Il ne dit pas à la vérité leur avoir vu des cornes sur la tête, et il suppose que ces bêtes les perdent chaque année comme les cerfs, de sorte qu’elles n’en avaient point à l’époque les flibustiers étaient à jyfocha. « Thej had no horns when we were there ; y et we found verjr large

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ou llacma, s’est , il est vrai , conservé au Pérou ; mais c’est qu’il appartenait à une langue beaucoup plus parfaite que tous les autres idiomes de l’Amérique du Sud , langue qui se parlait dans une vaste étendue de pays, et qui même a été cultivée depuis la conquête.

Je ne suivrai point dans ses détails cette nomencla- ture; j’espère qu’on ne se méprendra point sur le mot de système que j’ai employé. Je suis loin de croire que les noms aient été donnés d’après un plan formé d’avance . j’ai voulu dire seulement que les hommes qui les impo- sèrent se trouvant dans des circonstances semblables , durent être guidés par une même idée dominante. Gela posé, voyons comment ils purent être conduits à donner au Tapir le nom de Dcmta.

Quelques naturalistes ont pensé que ce mot était une altération du mot portugais anta (i) ; mais ne serait-il pas bien étrange que les Espagnols eussent été emprunter à la langue portugaise un nom pour désigner un animal dont ils avaient eu connaissance bien avant leurs voisins de la Péninsule.

» horns much iwisted in the form of a snail-shell wich we suppos’d lhey » had shed : lhey lay many of thein scatlering upon thc sandy bay. » Le traducteur français, Montirat, s’est contenté de dire : « Ses cornes sont torses comme les coquilles d’un limaçon ». C’est ce même M. de Montirat qui a con- tribué à faire croire à l’existence d’une nation d’Albinos au Darien. Wafer avait dit : « Il y a des gens ( people ) dans ce pays qui ont une couleur si sin- gulière ; etc.... » Et le traducteur ne comprenant pas le sens du mot people . l’a rendu par peuple.

Il existe une autre traduction moins mauvaise -du livre de Wafer, c’est celle qui a été publiée avec la relation du voyage de Dampier. Du moins celle-là ne contient que les mensonges qui se trouvent dans l’original , et il y en a encore bien assez.

(i) « Les Péruviens nomment cet animal Uagra , les naturels de la Nou- » velle-Espagne Beori , ceux de la Guyane Maipouri ; les Espagnols la grande » bête; enfin les Portugais du Brésil Anta , d’où sont venus les mots de Ent , de D anta , de Anlè , employés par divers auteurs. ( Sonnini , Nouv. Dicl. efffist. nat. , tome XXXII , p. 45?.. Paris 1819.)

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Les mois de Danta et Anta , auxquels il faut joindre celui N Ante , existaient dans les langues espagnole et por- tugaise «à une époque l’existence de l’Amérique n’était pas meme soupçonnée. Ils s’employaient indifféremment tous les trois en parlant de divers animaux, tels que le buffle, l’élan et d’autres grands ruminans de la côte d’Afrique dont on ne connaissait que les dépouilles qui étaient fournies par le commerce avec la côte de Guinée. Chacun de ces noms s’appliquait à tous ces quadrupèdes indistinctement , soit qu’on les trouvât dans les pays tem- pérés , soit qu’ils vécussent dans les régions voisines du tropique ou dans celles qui touchent le cercle polaire ; mais il ne leur était donné que lorsqu’on le considérait sous un certain point de vue, c’est-à-dire comme fournis- sant des cuirs épais que l’art du chamoiseur transformait en buffle ou, comme disaient les Espagnols, en Ante (i).

L’art de donner aux grosses peaux la souplesse néces- saire pour les usages de la buffleterie ne fut long-temps pratiqué que dans les pays du Nord. En Suède, en Nor- wège et dans certaines parties de la Pologne , on préparait de cette manière des peaux d’élan qui se répandaient en- suite dans tout le reste de l’Europe, elles se vendaient fort cher. On disait alors de Y élan, comme on a dit plus tard du buffle , lorsque les Italiens , s’étant approprié ce

(«) Le mot Ante s’emploie encore aujourd’hui pour désigner une peau passée un peu épaisse; .mais il n’a pas tout-à-fait la même signification qu’autrefois. L’usage des armes à feu étant devenu général , le collet de buffle ne suffisait plus pour protéger la poitrine d’un homme, et il n’eut plus pour usage que de préserver les vêternens du frottement de. la cuirasse; il n’y avait pas besoin, par conséquent, qu’il eût la même épaisseur. Aussi quoi- qu’on continuât à donner le nom de buffle à cette partie de l’équipement, on la fit en daim, et ce que depuis cette époque on a appelé daim {gamuza , dé- rivé de gamo , daim) est ce que dans la mégisserie française on nomme du chamois.

SUR LE TAPIR. 5f)

genre d’industrie, y employèrent comme matière pre- mière la peau de buffle. Au quinzième siècle, la Pénin- sule tirait encore ce produit du nord et le recevait par l’intermédiaire des Flamands, qui le nommaient dans leur langue Eelendt, Elandt et Elcmt. Les Espagnols, prenant la première syllabe du mot pour un article, dirent : El Ant , et, en mettant à la fin une voyelle, conformément au génie de la langue, el ante. Le féminin Anta devint quelquefois Danta par l’adhésion du signe du génitif.

Comme le mot flamand s’écrivait aussi avec le double I, on en eût pu faire el lent ou el lant , cependant je n’ai jamais vu cette forme employée par les auteurs espagnols.

A l’époque de la conquête du ]Xouveau-Monde , une partie nécessaire de l’équipement d’un homme de guerre était la cuera ou coleto de ante (i), ce qu’en français on nommait collet de buffle , bien que ce fût un pourpoint

(1) Dès le temps de Pline , la peau d’Élan était employée pour faire des cor- selets. « Tarando magnitudo quœ bovi , caput majus cervino nec absimile

tergori tanta duritia ut thoraces ex eo faciant. » (Plin. , lib. VIII, cap. 340 Ici Tarandus désigne certainement l’Élan, carie Renne, auquel ce nom s’applique aussi, n’a pas la taille du bœuf ni le cuir remarquablement dur ou épais. On a pris beaucoup de peine pour déterminer à qui du Renne ou de l’Élan appartient le nom de Tarandus , à qui le nom à’ /lices et celui de Machlis (puisque, de- puis Gesner, on admet généralement que ce dernier mot est une altération du mot Alces). Pour arriver à une solution satisfaisante on devait d’abord pré- ciser la question. Ne veut-on en effet que savoir à quels noms germaniques correspondent les noms employés par le naturaliste romain, on le peut jus- qu'à un certain point : ainsi, M. Cuvier a fait voir que le mot Tarandus (écrit par Élien Tliarandus) est assez fidèlement représenté par la réunion de ces trois mots The Rein-deer (le Renne , angl.); et quant à la ressemblance entre le mot Alces et les mots Elk et Elch , nom de 1 Élan dans plusieurs langues du nord, elle est assez évidente. Mais si l’on demande quel animal est le Tarandus de Pline et quel est son Aies , dès lors il n’y a plus de réponse possible, car sous chaque nom, Pline a groupé des renseignemens qui se rapportaient à des animaux diftérens. « Hoc etiam vetisimile , dit Gesner à cette occasion, in unam Jeram ab imperilis relata quœ ad diverses perline- bant , vel contrà inlerdum. » Les renseignemens dont Pline fit usage, étaient sans doute pour la plupart relatifs aux deux cerfs à bois palmés qui se trou-

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MEMOIRE

complet, et que par abréviation on nommait encore plus souvent un buffle. Quand les Espagnols pénétrèrent dans l’intérieur de l’Amérique du sud , en s’écartant du rivage de l’Atlantique, ils n’y trouvèrent plus des peuples doux et inoffensifs comme les insulaires de Guanahani, mais des hordes vaillantes exercées à la guerre, et dont quel- ques-unes connaissaient jusqu’à l’art des fortifications. Dans plusieurs de ces tribus les guerriers faisaient usage

vent dans la presqu’île Scandinave ; mais quelques-uns, à ce qu’il me semble, concernaient un animal appartenant à une autre famille, et habitant un pays un peu plus à l’est.

Cet animal, auquel j’appliquerai ici le nom de Maclilis (sans prétendre d’ailleurs cjue ce nom ressemble à celui qu’il portait dans son pays natal) est le Saïga, Antilope, qui, se trouvant par grandes troupes dans les plaines de la Pologne, a bien pu être connu dans la presqu’île Scandinave, quoi- qu’il n’eût jamais été vu en Italie. « 7/em no/am (et non pas na/am, connue le portent les nouvelles éditions) in Scandinaviœ insulâ nec unquam visant in hoc orbe , mullis lamen narralam machlin, haud dissimilem illi Yalces)

sed nullo sujjfraginum ‘flexu Labrum ei superius prœgrande : ob id relro-

graditur in pascendo ne in priora lendens involvalur. » (Pline, lib. VIII, cap. 16.)

On ne trouvera rien dans ce passage qui ne puisse convenir à une antilope aussi bien qu’à un cerf, la forme des cornes n’étant pas indiquée. Pline dit, à la vérité, qu’il y a de la ressemblance entre le Machlis et YAlces , c’est qu’en effet il y a un trait commun à tous les deux, et qu’ils ne partagent avec aucun autre ruminant , c’est le développement excessif du museau. Le volume et la rigidité de celte partie, chez le Saïga, l’oblige, ainsi que l’ont constaté les observateurs modernes, à paître en reculant: « Retrograditur in pascendo ».

De ce qu’on trouvait un trait commun entre l’Élan et le Saïga, il était presque certain qu’on en supposerait d’autres , et en effet ce que César avait dit de la rigidité des jambes de l’Alces, est appliqué par Pline au Machlis. En revanche, ce qu’il eut noter comme appartenant à ce dernier animal, le changement de couleur, il l’attribue , en le rendant incroyable, au Tarandus. La robe du Renne, à la vérité, prend bien une teinte un peu différente selon les saisons, mais cela est loin d’être aussi frappant que chez le Saïga, dont le pelage fauve en été, est dans l’hiver d’un gris presque blanc.

Les naturalistes ont cru reconnaître le Saïga dans le Colus deStrabon; quand même l’identité serait bien démontrée, il ne s’ensuivrait pas que Pline n’eût pu emprunter à l’histoire de cette antilope, quelques traits pour sa description du Machlis.

SUR LE TAPIR.

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d’armes défensives. Ils employaient le cuir du Tapir, au Brésil, pour faire des boucliers (i) comme on en avait déjà vu parmi les nègres du Sénégal (2) et au Paraguay, pour faire des heaumes (3); enfin dans certaines pro- vinces de la Nouvelle-Grenade ils fabriquaient avec cette peau une sorte de dalmatique à l’épreuve des flèches et des javelots (4); c’était leur buffle, et il fut naturel de donner à l’animal dont la peau était ainsi employée, le nom d 'Ante ou Danta.

Buffon a bien vu que ces noms, avant d’être appliqués au Tapir, avaient servi à désigner des quadrupèdes de l’ancien continent, mais il n’a pas su à quelle espèce ils

(1) « Il se trouve davantage en l’Amérique grande quantité de ces bestes » qu’ils nomment Tapihire, désirées, et recommandables pour leur diffor- » mité. Aussi les sauvages les poursuivent à la chasse, non-seulement pour la » chair, qui est très bonne, mais aussi pour les peaux, dont ces sauvages font » boucliers, desquels ils usent en guerre; et est la peau de ceste beste si forte, >■ qu’à grande difficulté un trait d’arbaleste la pourra percer. » (Thevet , Singul. de la France antarct. , cliap. XLIX.)

« Au reste, ils estiment merveilleusement cet animal à cause de sa peau: » car quand ils l’escorchent , coupant en rond tout le cuir du dos, après qu’il » est bien sec , ils en font des rondelles aussi grandes que le fond d’un » moyen tonneau , lesquelles leur servent à soutenir les coups de flescbes de » leurs ennemis quand ils vont en guerre. Et de fait ceste peau ainsi seichée » et accoustrée , est si dure que je ne crois pas qu’il y ait flesclie , tant roi- » dement décochée l'ust-elle qui la sceut percer. >> (Lery, Voyage fait en la terre du Brésil , chap. X. )

(2) >< Voyez plus loin . page 6 ^ note i , un passage de la relation de Ca- » damosto sur les rondaches dont les habitans du Sénégal faisaient usage » lorsque les Portugais visitèrent pour la première fois leur pays. «

(3) Martin del Barco Centenera , dans sa relation limée de la Conquête du Rio de la P lata , dit, en parlant d’un charrua, qui vint en canot défier les Espagnols :

« El salvage se estira i erudercça

» Y un escudo grandissinio ha emhracado.

» Por ielnio un cuero de ylnta en la cabeca-.t ».

( La Argentina, cant. XIII, str. XYI.)

(4) P- Simon, Conquist. de Tierra-Firme , 2* partie, inédite.

MEMOIRE

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avaient appartenu originairement, ni pour quels motifs ils avaient été transportés au pachyderme américain. Sui- vant lui , Ant ou Lant est le nom africain du Zebu (1). Si on Ta donné ensuite au Tapir, c’est seulement parce que la taille de cet animal est la même à peu près que celle du petit' bœuf bossu (2). Buffon n’a pas remarqué que le mot Lant, qui apparaît pour la première fois chez

(1) « J’ai reconnu, en faisant de nouvelles recherches, que ce petit bœuf,

» auquel j’ai donne' le nom de Zebu , est vraisemblablement le même animal » qui se nomme Lant ou Danlas n Numidie et dans quelques autres provinces » septentrionales de l’Afrique il est très commun ; et enfin que ce même » nom Dant, qui ne devait appartenir qu’à l’animal dont il est ici question, » a été transporté d’Afrique en Amérique à un autre animal qui ne ressemble » à celui-ci que par la grandeur du corps; et qui est d’une tout autre » espèce; ce Dant d’Amérique est le Tapir ou Maipouri. » (Buffon, tome XT, page 620.)

Pour arriver à cette conclusion, que Dant est le nom africain du Zebu, Buffon est obligé, d’une part, de reconnaître un bœuf dans l’animal décrit par Belon ( Observ ., f°. 1 18 et 119) , et de l’autre d’admettre l’identité entre cet animal et le Dant de Jean Léon et Mannol.

Pour établir le premier point, Buffon est forcé d’exagérer certains traits et d’en dissimuler d’autres; ainsi il suppose une bosse lorsque Belon dit seu- lement que les épaules sont quelque peu élevées et bien fournies; et il ne lient aucun compte d’un caractère sur lequel l’auteur avait insisté , « les cornes noires et beaucoup cochées comme celles d’une gazelle ».

Relativement au second point, on peut remarquer, i°. que l’animal vu par Belon avait été « apporté au Caire du pays d’Azamie» (Inde au-delà du Gange), tandis que celui de Mannol et de Jean Léon habite les régions sa- blonneuses situées à l’ouest et au sud de l’Égypte. 20. Que le premier a des formes pesantes comme celles du bœuf, «le col gros et court, les jambes trappes et courtes», le poil brun ou fauve, tandis que Léon dit que les jambes du Lant sont plus élégantes que celles du bœuf, et que son pelage est presque blanc ; il ajoute que les ongles du pied sont très noirs , particu- larité que Belon 11’eût pas manqué de signaler si elle eût existé dans l’indi- vidu qu’il décrivait.

(2) Oviedo, qui devait bien savoir quelle raison avaient eue ses compagnons pour appliquer au Tapir le nom de Danta, dit expressément que c’est à cause de l’épaisseur du cuir : « Los chrislianos llaman danta a un animal que los » indios le nombran Beori, a causa que los cueros de eslos animales son muj » gruesos , pero 110 son danlas. » (Sumario, etc., cap. XII.)

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des écrivains du seizième siècle, Léon l’Africain et Mar- mol (i), désigne un animal des Bégences barbaresques, du désert de Barca et de la Nubie , c’est-à-dire des pro- vinces voisines de la Méditerranée et de la Mer Ronge; tandis que dès le milieu du siècle précédent, le nom à’Anta est appliqué par les Portugais à un ruminant dif- férent probablement du premier, et qu ils rencontrent sur les côtes de l’Océan méridional. 11 y a même lieu de penser qu’à cette époque et beaucoup plus tard encore, le

(i) Jean Léon ne dit rien qui puisse faire présumer que les mots Lant et Dant soient ceux qu’emploient les indigènes en parlant de l’animal. En gé- néral, pour toutes ses descriptions, il ne fait usage des noms africains que lorsque la langue italienne ne lui en fournit pas d’à peu près équivalons; or il trouvait, dans des livres qui avaient alors très grand cours en Italie, le nom < VAnta ou Danta , donné à une antilope de la côte orientale d’Afrique, dont la peau servait à faire des rondaches , il était assez naturel qu’il l’ap- pliquât à une antilope de la côte septentrionale dont les dépouilles étaient reclierehées pour le même usage. « Del cuoi di quesio si soglion fare alcune targhe fortissime per modo che altra cosa non le puo passare , che un schioppo, ma molto care si vendono. » ( L’Afrique de Jean Léon , dans Ramusio, tome I, page 92. )

Le paragraphe porte pour titre Lant ou Dant , et ni l’un ni l’autre de ces mots 11’est répété dans le cours de la description. Comme l’ouvrage ne fut publié qu’après la mort de l’auteur, et sur un manuscrit assez peu lisible, on pourrait ne voir que deux lectures différentes d’un mot mal écrit dans l’original.

Marmol, il est vrai , dit expressément que l’un des deux noms est afri- cain , mais Marmol est un écrivain très peu scrupuleux ; copiant sans cesse Jean Léon, qu’il ne nomme jamais, il donne quelquefois des développemeus par lesquels le sens du texte original est complètement perverti. S’il n’a pas reconnu le mot Lant pour un mot employé par les européens, il n’aura pas hésité à le donner comme africain.

Marmol écrit Laml au lieu de Lant. Si ce n’est pas une faute d’impression, et si le mot est vraiment usité en Afrique , on peut le supposer dérivé de l’a- rabe Lamad (humililas , demissio sui ) ; dans ce cas il ferait allusion à une habitude très remarquable qu’on trouve chez plusieurs espèces d’Antilopes, celle de se ieter à genoux lorsqu’un homme approche. Hunter, en effet, observant cette habitude chez le nil-gau , y vit d’abord un signe d’humilité; il apprit plus tard que c’était réellement une menace, une préparation hostile.

MEMOIRE

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mot ne s’appliquait pas à la bête , mais seulement à sa peau (i) qui était devenue un objet de trafic assez im- portant.

En appliquant le nom YYAnta ou Danta au Tapir, les Espagnols et les Portugais voulurent assimiler cet ani- mal, non à l’Antilope africaine, mais à l’Anta qui leur était le premier connu , à Y Elan. Ce qui le prouve sans réplique, c’est que lorsqu’ils ont écrit en latin, c’est sous le nom dYAlce qu’ils ont désigné le Tapir (2).

Le mot Elan a été quelquefois employé chez nous comme terme générique pour les cuirs épais. De vient que le Canna , dont la peau sert à faire des ceintures, a reçu de nos réfugiés établis au Cap le nom d’Elan (3). Le mot Buffle étant devenu plus tard le terme ordinaire, ceux de nos Français qui passèrent à Surinam nommèrent buffle le Tapir (4).

(1) Cadamasto dit, en parlant des liabitans de la côte comprise entre l’embouchure du Sénégal et le Cap Blanc, « Inlende ti che loro non hanno aime de veslirse per difesa, ne hanno olra difesa che la larcha che e de un coro che se chiama Anla che e durissimo ».

Dans la relation du voyage de Lopez au Congo , publiée en i5gi, il semble aussi que c’est aux cuirs et non aux animaux qui les fournissent que s’ap- plique le mot Dante; du moins c’est dans ce sens que ce passage est entendu par un ti’aducteur contemporain. Le texte italien dit : « Le pelli loro sono mollo pregiate pero che si porlano in Portogallo e d’indi in Lamagna per acconciarsi , e V appelano Dante ». {Relal. du roj.de Congo, Rome, i5gr, page 3 j.) Voici maintenant la traduction de Purclias. « Their skins are of gréai estimation, and lherefore thej are carried into Porlugall and from thence into Germanie lo be dressed and then thej are called Dantas ». (Tome I, lib. VTI, cliap. IV.)

(2) Laët ( Novus orbis , lib: XV, cap. V).

(3) Kolbe , tome 3 , page 36 et suiv.

(4) « Dans nos colonies américaines on donne le nom de Buffles aux Ta- » pirs, et je ne sais pourquoi : ils ne ressemblent en rien aux animaux qui » portent ce nom.» (Allamand. Additions à V article Tapir, édition d’Amst., tome XV, page 70.)

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La corne du pied de l’Élan passait dans le quatorzième et le quinzième siècle pour avoir des vertus merveilleuses contre l’épilepsie, et l’incertitude qui régnait, du moins dans le midi de l’Europe, relativement à l’origine de cette amulette, contribuait encore à la faire tenir en plus haute estime. Ce fut seulement dans le seizième siècle qu’on apprit en Espagne que la grande bête (la Gran Bestia, Animal magnum ), qui fournissait ce remède à la méde- cine, fournissait aussi les peaux que mettaient en œuvre les bufïletiers (i). A cette époque on venait de découvrir dans le Nouveau-Monde un quadrupède dont la peau pouvait s’appliquer aux mêmes usages, et qui pour cela avait reçu le nom d’Elan [Anta) , on ne tarda pas à attri- buer à l’ongle de Y Anta américain les mêmes vertus qu’on supposait à celui de Y Anta Scandinave (2). Aussi le nom de gran bestia servit-il bientôt à désigner le Tapir; mais ce nom s’employait surtout quand on le considérait sous le point de vue médical; ainsi le P. Gumilla, dans la des-

(1) Voyez: André Bacci ; Tractalus de magnd besliâ yllce , ejusque pro- prielatibus epilepsice resislentibus. Stuttgard , i568. Menabeni ; Traclatus de magno animali quod Alcen nonnulli vocant , germani vero Eelend, et de ipsius partium inre medicd facultalibus. Cologne, j58i, etc. Gesner parle des propriétés attribuées à l’ongle de l’Élan, et il en parle avec sa raison accou- tumée: « Scio id non rarô profuisse ; sœpiUs tamen frustrà tentatum : causant » alii in morbi discrimen rejiciunt , ego animi persuasionem superstiliosis u rebus magis minusve aut nullo modo confisant effectus rernm maxime » variare crediderim. »

On en pourrait dire autant de bien d’autres remèdes qui opèrent dans les premiers temps des prodiges, et qui deviennent iinpuissans dès que les esprits ont cessé d’être frappés de ce qu’ils avaient d’insolite ou de mys- térieux.

(2) Le P. Simon, Ruiz, Gumilla et plusieurs autres écrivains, nous appren- nent que cette opinion régnait de leur temps, et l’on voit qu’eux-mêmes la partageaient; d’Azara dit qu’elle existe au Paraguay, et moi-même je l’ai trouvée en Colombie généralement établie chez les paysans , aux foyers des- quels il est commun de voir suspendu un pied de Tapir.

Toute la partie merveilleuse de la Matière médicale et de l’Histoire na-

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MÉMOIRE

cription qu’il donne de l’animal (sous le nom d Ante pour le mâle et d ’Anta pour la femelle), dit en parlant des pieds : « Ils se terminent non en deux sabots ( pesu - nas ) comme ceux de la vache, mais en trois 5 et ce sont les ongles fameux , communément appelés ongles de la grand bête , remède justement estimé pour la merveil- leuse efficacité qu’on lui a reconnue contre le mal caduc. «

L’ongle du Canna fut, comme celui du Tapir, supposé doué de propriétés anti-épileptiques, et par suite du même enchaînement d’idées, c’est-à-dire parce que l’animal avait reçu des Français établis au Cap le nom d’Elan , et ce nom, ainsi que nous l’avons dit, lui avait été donné à cause de l’usage qu’on faisait de sa peau dans la buf- fleterie.

La Condamine parle , dans son voyage à l’Amazone, du Tapir, sous le nom d 'élan (1); il savait en effet que c’est le mot français qui correspond au mot espagnol Ante ou Arita. Il ajoute que les Indiens du Pérou donnent à cet animal le nom de Uagra , mais ici il commet évidemment une erreur, puisque l’articulation g ne se trouve point dans la langue du Pérou. Il est probable qu’on lui a dit huaca-racu , composé de racu , qui désigne toute chose remarquable par sa grosseur , et de huaca, qui ici veut dire un monstre par excès, un animal qui a plus de doigts qu’il ne faut (2); ce nom convient très bien au Tapir qui

turelle , aujourd’hui rejetée en Europe, semble s’ètre réfugiée en Amérique. On y trouve tous les anciens contes plus ou moins modifiés. Quelquefois il y a différentes versions pour les diverses localités ; ainsi sur la Cordilière orien- tale, c’est un carabe qui se transforme en fougère, tandis qu’au Choco, c'est une grosse fourmi qui se change en palmier.

(1) fie talion abrégée d’un voyage fait dans V intérieur de V Amérique , etc. Paris , 1 7 4^ , pages 1 1 4 et 1 63 .

(?.) Le mot de Huaca , dans la langue du Pérou, entre dans la composition de beaucoup de noms, mais il n’y a pas toujours la même signification. En

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est le plus gros quadrupède de l’Amérique méridionale, et qui au lieu d’ètre bisulcus , comme les cerfs et tous les animaux à sabot connus des Péruviens , est trisulcus et quadrisulcus , de sorte qu’il a leur paraître un écart de l’état normal. 11 n’y a pas lieu , au reste, de s’étonner que La Condamine ait entendu uagra ou liuacra pour huaca-racu ; il a altéré exactement de la même manière le nom d’une montagne bien connue, qu’il a écrit Caycimbur au lieu de Cayambé-urcu (1).

général , Huaca (prononcé sans aspiration sur le c) sert à désigner toute chose qui l’emporte sur celles de la même espèce, par sa grandeur ou sa bonté et aussi par le nombre de ses parties, comme une couche de deux jumeaux , un œuf à deux jaunes, etc. On nommait ainsi Huaca-runa l’homme qui nais- sait avec six doigts aux pieds ou aux mains.

Il ne faut pas confondre le mot de Huaca avec un autre mot que les Espagnols écrivent de la même manière, mais qui doit se prononcer avec un son guttural pour le c. Celui-ci signifie toute chose sacrée, une statue de divinité , un temple , un sépulcre. Comme ces sépulcres contenaient souvent clés vases et des idoles en métaux précieux , les Espagnols nomment Huaca ou Guaca un trésor enfoui.

(1) La Condamine dit que les Indiens établis près de l’embouchure du Coari , un des affluons de l’Amazone , appellent les hyades ou la tête du tau- reau Tapiera Rayoubflj « d’un nom qui signifie aujourd’hui en leur langue, mâchoire de bœuf. Je dis aujourd’hui, ajoute-t-il, car depuis que l’on a transporté des bœufs d’Europe en Amérique, les Brésiliens et les habitans du Pérou ont appliqué à ces animaux les noms qu’ils donnaient, chacun dans leur langue , à Y Élan, le plus grand des quadrupèdes qu’ils connussent avant la venue des Européens. »

La Condamine. en ne faisant aucune réflexion sur l’accord de ces deux expressions : télé du taureau et mâchoire de bœuf , donne assez à entendre que les Indiens auraient emprunté aux missionnaires le nom par lequel ils désignent ce groupe d’étoiles; la chose ne me paraît pas évidente. Plu- sieurs constellations , en effet , avaient des noms dans les langues américaines avant l’arrivée des Européens ; nous avons vu , par exemple , que dans cer- tains dialectes du guarani, la voie lactée se nommait le sentier du Tapir- les hyades auront bien pu être appelées mâchoire du Tapir, d’autant mieux que la disposition en Y des cinq étoiles t, J', y, 6, et Aldébaran , rappelle très bien l’angle formé par les branches de 3a mâchoire inférieure chez ce pachyderme: Maxillœ antcriiis fasligialœ. (Marcgr. , lib. VI, cap. VI.) Je

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MEMOIRE

On trouverait aussi un nom très convenable pour le Tapir, dans le mot Huac kra , par contraction pour huaca kara (cuir ou peau extraordinaire); nous rencontrons en effet une composition tout-à-fait analogue dans le nom d’où nous avons fait celui du Tapir. Ce mot, emprunté à un des dialectes du guarani , s’y présente sous plusieurs formes, telles que Tapii (i) , Tapiierete (2), Tapirous- sou (3). Ta est une contraction de T ata ou tatai (con- traction qui a lieu toutes les fois qu’on fait entrer dans un mot composé cet adjectif, qui signifie gros, fort, épais, résistant) et de pi ou pii signifiant peau, cuir. Pi> suivi d’un autre mot dans un nom composé , prend à la fin la liquide r, et devient, suivant les cas, Piier , Piira , Pir , etc. Ainsi , peau épaisse, peau dure, se dit Pirana , Piraqua et Pirata; mais lorsque le mot signifiant grosse- peau , doit désigner l’animal qui est remarquable par cette particularité, c’est-à-dire le Tapir, pour prévenir la confusion , on met l’adjectif devant le substantif, et le nom devient Tapii. Pour exprimer la chose plus fortement, on ajoute quelquefois le mot été qui signifie par excellence , et la liaison de ce qualificatif exigeant l’iiftroduction de 1 V euphonique , le mot devient Tapiierete.

Quelques autres animaux de l’Amérique méridionale , tels que certains petits cerfs à cornes non branchues, ont aussi la peau fort épaisse, du moins relativement à leur

fais cette remarque pour qu’on n’aille pas chercher un argument en fa- veur d’anciennes communications entre les deux mondes. J’ajouterai d’ail- leurs que le mot donne' par La Condamine, comme signifiant mâchoire, ne se trouve dans aucun des dictionnaires américains imprimés ou manuscrits que j’ai pu consulter.

(1) Ruiz. ( Tesoro de la lengua guarani , page 355. )

(2) Marcgraff. ( Hist . rerwn nat. Brasil, lib. VI, cap. VI.)

(3) Leri. ( Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, etc. , chap. X.)

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taille; mais le Tapir est beaucoup plus grand qu'eux tous , et ainsi, lorsque Ton dit le grand animal a grosse peau j il n’y a pas lieu de s,e méprendre. C’est ce qu’ex- prime le mot Tapiroussou (de oussou grand).

Le mot Maypouri , dans la langue galibi , qui est un des dialectes du guarani , se rattache à un ordre d’idées très différent. Quand le Tapir s’approche des habitations, c’est ordinairement la nuit , de sorte que si 011 le rencontre on ne peut bien distinguer ses formes ; dès qu’il sent qu’un homme approche, il regagne le fourré où. il rentre avec grand hruit. Ces deux circonstances sont exprimées dans le nom donné à l’animal , par les sauvages de la Guyane. JVTae (t), mbaé , signifie chose en général, chose indé- terminée, chose dont le nom et la nature sont inconnus, et par extension , fantôme ; Puriij veut dire bruit.

Dans le guarani du Paraguay, Tapir se dit Mborebi. En supposant ce nom dérivé de mbae rabi , il signifierait chose velue , fantôme velu , ce qui se rapprocherait du sens du mot galibi , et, comme on le verra bientôt, de celui d’un autre mot en usage parmi les Indiens de P.opayan (Nouvelle-Grenade); cependant il semble plus naturel de le faire dériver de mbo , pied, et du verbe raba , sépa- rer, disjoindre , faisant allusion à l’écartement des doigts qui a lieu lorsque le pied presse le sol, ou a la division multiple de ce pied. Le mot mborebi aurait ainsi pour le sens quelque analogie avec le nom péruvien huaca racu.

Quant au mot Beori (2), qu’on ne trouve dans aucune relation, hors celle d’Oviedo, peut-être faut-il n’y voir

(1) Ruiz ( Tesoro , etc., page 21 1 recto, colonne 2e).

(2) Gmelin dit, et plusieurs auteurs repètent après lui , que Laët appelle le Tapir Beori animal. Il est vrai que ces deux mots se trouvent ainsi accolés dans sa table des matières; de même qu’on y lit Mandioca planta, Mag- dalena Jluvius , parce qu’après chaque nom nouveau pour le lecteur, il a soin de dire si ce mot désigne un peuple, un oiseau, une plante ou une rivière.

MÉMOIRE

autre chose qu’une faute d’impression. D’Azara croit que c’est une altération du mot Mborebi, mais cela me paraît peu probable, ce dernier mot n’étant guère usité que dans les provinces australes.

Clavigero, dans une synonymie fort incomplète qu’il donne du Tapir (tome IV, page i55) , présente deux noms qu’on ne rencontre dans aucun autre auteur, et ne dit point dans quelles provinces ils sont usités; ce sont les noms de huariari et d e sacha vacca. Le dernier, qui doit probable- ment être écrit sacha-vaca , me paraît être de formation espagnole, et signifier vache qui fouille la terre ; il a bien pu être appliqué au Tapir, qui, ne trouvant pas dans les herbes et le feuillage des arbres une nourriture assez substantielle, doit quelquefois creuser la terre avec le pied ou avec le boutoir, pour découvrir, soit certains fruits , comme ceux de la pistache terrestre ( mundubi de Marcgr.), soit des racines succulentes, comme celles du Manioc doux et de l’Aracacha , soit des tubercules , comme ceux de la bâtate et de plusieurs pélégrines. Une belle espèce de pélégrine qui se trouve dans la Nouvelle-Grenade, en des régions que fréquente le Tapir de l’espèce commune, y est désignée sous le nom de sacha fruto (i) , nom qui se donne d’ail- leurs en d’autres lieux à une plante très différente. Le nom de vache fouilleuse ,- comme appliqué au Tapir, n’est pas plus impropre que celui de vache sans cornes qui fut dans

(1) Cette espèce, qui ne me paraît différer de Yalstrœmeria edulis d’Andrew, qu’en ce qu’elle a la tige droite, offre, à peu de profondeur au-dessous de la surface du sol, plusieurs tubercules qui varient d’aspect et de consistance suivant l’âge. Au moment ils ont acquis leur plus grand volume, ils ont la forme et la grosseur d’un œuf d’oie; la chair en est translucide, pleine d’un jus légèrement sucré ; dans cet état ils se mangent crus, apaisent très bien la soif, mais sont peu nourrissans. Plus tard ils perdent de la régularité de leur forme, deviennent opaques, et alors cuits sous la cendre, ils ont le goût de la pomme de terre.

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l'origine employé quelquefois, ainsi que l’atteste Oviedo.

Quant au nom de Huari ari, je doute qu’il désigne le Tapir. Dans les différens dialectes de la langue guarani, le mot liuciri, guari ou cari, etc. , signifie tortueux, qui va de travers. On le trouve dans la composition de beaucoup des noms donnés aux porcs américains, et il fait certaine- ment allusion à la manièredontces animaux tordent le corps en marchant. Dans les relations des flibustiers, Dampier, Sharp, Wafer, etc., il s’applique au Pécari à mâchoire blanche, et est écrit waree ou wari. Le mot wari carii, employé par Laët comme étant le nom du Paresseux en certaines parties de la Guyane, rappelle l’espèce de reptation que présente l’animal lorsqu’il s’avance sur un terrain uni. La progression tortueuse du veau marin sur le rivage et ses habitudes aquatiques , sont également indiquées dans le nom caraïbe Courri tou ; Tou signifie mouillé , humide.

Le mot de Tapir est devenu en français le nom du genre, et il faut aux espèces des noms qui les distinguent. On connaît déjà celle de l’Inde par le mot de maiba, qui est un de ses noms vulgaires dans le pays , et il paraît conve- nable de désigner également les deux espèces du nouveau continent par des noms empruntés aux idiomes américains. Ainsi , l’espèce anciennement connue peut être appelée Tapir maypouri. Pour la nouvelle, je propose de la nom- mer Tapir pinchaque , le mot de pinchaque étant le nom d’un animal fabuleux dont l’histoire se fonde principa- lement sur l’existence de notre Tapir dans une haute montagne de la Nouvelle-Grenade.

En prononçant ce mot animal fabuleux , je sens le besoin de me justifier d’entretenir l’Académie de considé- rations si étrangères à celles dont elle s’occupe habituelle- ment. Mais il est pourtant vrai que cet ordre de recherches ne peut rester étranger aux sciences naturelles. Il est im-

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possible de suivre dans les temps anciens l’histoire des animaux , sans avoir à chaque instant à dépouiller les faits réels des fables qui les entourent , et si nous n’avons pas à en écarter davantage, c’est que ce travail d’élimination se poursuit sans que nous nous en doutions depuis des milliers d’années.

Lorsque les sciences commencèrent à se former , l’homme supérieur ne s’adressait point , comme de nos jours, aux esprits d’un meme ordre : il avait le peuple tout entier pour juge, et pour gagner la faveur publique, il fallait qu’il s’accommodât au goût dominant.

On n’aurait point tenu compte à un naturaliste de l’exac- titude qu’il eût mise à décrire les animaux de son pays , chacun de ses compatriotes croyait les connaître aussi bien que lui ; et s’il parlait d’animaux des pays loin- tains, il ne pouvait compter, pour éveiller la curiosité, que sur ce qu’ils présentaient réellement d’extraordinaire ou sur ce qu’on leur prêtait de merveilleux. On trouve en effet une foule de fables dans les anciens traités d’histoire naturelle , et encore ne savons-nous pas combien leurs auteurs eurent à en écarter dans les traditions populaires ils puisèrent.

Les premiers historiens américains ont eu une tâche à peu près semblable, quand quelques années après la con- quête , ils ont tenté de débrouiller l’histoire des peuplades indigènes , et il en a été de même des missionnaires quand ils ont voulu nous donner une description du pays et nous en faire connaître les plantes et les végétaux. On les a traités avec mépris parce que leurs relations n’étaient pas tout-à-fait exemptes de crédulité ; on devait les louer plutôt de l’esprit de critique dont ils ont fait preuve en répétant si peu d’erreurs , et surtout du courage qu’il leur a fallu pour pénétrer dans ce dédale de traditions

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confuses de contes grossiers , et essayer d y démêler quel- ques vérités.

Je reviens au pinchaque, animal dont parlent souvent certains Indiens voisins de Popayan } et qui , suivant eux, existe dans les montagnes par lesquelles leur vallée est bornée du côté de l’est.

Cet animal est pour eux un objet de crainte et de res- pect à la fois; car mêlant à la religion chrétienne qu’ils professent, des souvenirs de leur ancienne religion, ils croient que l’âme d’un de leurs premiers chefs est passée dans le pinchaque, et pensent, quand celui-ci leur appa- raît, qu’il vient avertir ses descendans d’un malheur pro- chain qui les menace (i).

Quand cette apparition a lieu , disent-ils , c’est à la chute du jour, ou même à la nuit close; le plus souvent sur la lisière d’un bois, dans lequel l’animal rentre bientôt avec un grand bruit. Il ne se montre point en tous lieux, et quand on le voit, c'est communément près du Paramo de Polindara haute montagne à deux lieues du volcan de Pur ace à huit de Popayan.

Les rapports des Indiens sont conformes sur tous ces points et ne diffèrent que relativement à la taille du pin- chaque; les plus modérés le disent plus grand qu’un che- val, tandis que d’autres lui donnent une hauteur dé- mesurée.

Quelques habitans de Popayan se persuadèrent qu’il existait réellement dans cette montagne un animal très grand, et même un érudit prononça que c’était Y éléphant carnivore : c’est le nom sous lequel on désigne le Masto-

(i) Dans la langue de ces Indiens, le mot Pinchaque ou Panchique (car j’ai entendu prononcer des deux manières, et je ne sais quelle est la bonne) , signifie, à ce que m’ont dit des liabitans de Popayan , fantôme, spectre, loup-garou , toute apparition surnaturelle et effrayante.

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donte à dents étroites, dont on trouve en divers lieux de la Nouvelle-Grenade des ossemens et des dents; les col- lines pointues et parfaitement conservées de ces dents ayant fait supposer que l’animal se nourrissait de chair.

Des chasseurs résolurent d’aller à la poursuite de cet animal , et guidés par les Indiens du village le plus voisin du Paramo , ils gravirent à travers les bois dont le flanc de la montagne est couvert, et arrivèrent à la partie nue. Là, ils trouvèrent près du sommet de nombreuses foulées de 9 à io pouces de largeur, et, dans un endroit il parais- sait que plusieurs animaux avaient séjourné, des amas de crottes dont quelques-unes , dit-on , n’avaient pas moins de 5 pouces dans leur plus grande dimension.

Etant rentrés dans le bois vers lequel les pas semblaient se diriger, un des guides, qui s’était écarté delà troupe, entendit parmi les branches un grand bruit, qui ne pouvait provenir, disait-il, que d’un animal de taille gigantesque. Enfin , l’un des chasseurs ayant trouvé accrochée à l’écorce d’un arbre , à plus de 8 pieds de terre , une touffe de poils longs et brunâtres, jugea qu’ils avaient été laissés par un animal qui passait sous cet arbre et ne pouvait pas avoir moins de 8 à 9 pieds de haut.

On envoya à Bogota plusieurs de ces crottes qui avaient été trouvées dans le Paramo. La plus grande partie se brisa en route, cependant il en restait une entière que j’examinai avec soin; elle avait 3 pouces 2 lignes de large, sur 2 pouces 7 à 8 lignes de haut; elle était moins sphérique que celles de l’éléphant, moins anguleuse que celles du cheval , lisse , comme vernie à la surface , excepté à la partie supérieure , d’où un petit morceau semblait s’être détaché. En ce point je pus reconnaître parmi les parties qui avaient échappé à la digestion, des débris de feuilles de frajlejon , et des fragmens de tiges

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de chusque , plantes qui, comme je lai dit, font partie de la nourriture du Tapir des montagnes.

Il est vrai que toutes les fumées de Tapir que j’avais vues jusque étaient molles et s’écrasaient en tombant, mais Bajon dit positivement qu’à Cayenne elles ont la même consistance que celles du cheval; et pour ce qui est de leur grosseur (3 pouces de diamètre), elle n’est point disproportionnée à la taille de l’animal : celles du cochon ont souvent plus de 2 pouces.

Les foulées sans doute étaient très grandes •; mais j’ai vu, sur des terrains résistans, et humides seulement à la superficie, des empreintes très nettes qui n’avaient guère moins d’un empan, car le pied du Tapir s’élargit en pres- sant. Maintenant, si l’on songe que sur le sommet des montagnes, assez près même du point culminant, le ter- rain est imprégné d’eau , souvent tremblant comme dans les tourbières, et qu’en même temps toute la surface, à plus de 2 pouces de profondeur, est formée d’une couche intriquée de mousses et de racines de petites graminées, on concevra comment un pied déjà très grand peut lais- ser une trace beaucoup plus grande encore. On ne pour- rait donc rien conclure de la dimension des foulées re- lativement à la taille de l’animal, qu’autant qu’on aurait mesuré en outre la longueur du pas , chose que ne pensa à faire aucun des chasseurs et qui les eût sans doute dé- trompés.

, Quant au poil trouvé sur l’arbre, à huit pieds au-dessus du sol, il n’avait pas été laissé par un Tapir, cela est cer- tain; il n’appartenait pas non plus à un singe, comme le faisait très bien observer l’auteur de la lettre qui accom- pagnait cet envoi , car ces animaux, très sensibles au froid, ne s’élèvent jamais dans la montagne à une pareille hau- teur; mais ce pouvait être le poil d’un ours, puisque

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cette cordillère en a aussi bien que les deux autres : moi- même je les y ai vus et poursuivis (1).

On voit comment un grand nombre de signes, tous vrais en eux -mêmes, venant se grouper autour d’un premier fait grossi par la frayeur, ont confirmer chez les Indiens la croyance à un être tel que le pinchaque. Ils auraient pu même douer cet animal d’une force pro- digieuse, et en raconter des choses extraordinaires, sans s’écarter en rien de la vérité; au moins, si en ce point le Tapir des montagnes ressemble au Tapir des plaines,

( 1 ) Il existe eu Colombie deux ours liahitans des Andes : un tout noir, qui paraît être assez rare; l’autre, à front blanc ( Ursus ornatus ), l’Osfo frontino des habitans. A une certaine hauteur dans la Cordillère cen- trale, j’ai trouvé à chaque pas la trace de ces ours, des palmiers fendus, de longues et profondes égratiguures sur les arbres, près des ruches des abeilles sauvages ; enfin des restes de bauge } sorte de claie grossière , placée sur les arbres à 1 5 et 20 pieds de hauteur.

Il paraît que dans la Cordillère de l’ouest ces ours se trouvent bien plus nombreux encore que dans les deux autres.

J’ai observé à Bogota un jeune ours de l’espèce à front blanc, qui avait été pris peu de temps après sa naissance. A neuf mois la tache en Y, qui caractérise cette espèce, n’était guère encore qu’indiquée. Jusqu’à cet âge l’animal avait vécu uniquement de fruits, de racines et de pain, refusant la viande crue ou cuite qu’on lui présentait. Un jour je lui jetai un vulturpapa, qui, ayant reçu en l’air un coup de bec à la tête, était tombé étourdi dans la ville , et venait de mourir d’un épanchement au cerveau. D’abord l’animal fut très effrayé, et il se passa près de deux heures avant qu’il osât arriver jus- qu’à l’oiseau. Enfin, s’en étant approché, il le flaira, sembla vouloir jouer avec, puis l’emporta, de la cour il était , dans une chambre obscure. M’étant approché comme pour le lui ôter, il le retira et fit entendre un cri de colère qu’il n’avait jamais poussé auparavant, même quand on le tourmentait le plus. Depuis ce moment il devint méchant, et bientôt j’appris qu’on avait été forcé de le tuer.

Les gens de la campagne m’ont dit qu’habituellement cet ours se nourrit de végétaux ; mais que quand une fois , poussé par la faim , il a mangé de la chair, il y prend tellement goût, qu’il ne veut plus d’autre nourriture. Il devient alors la terreur de toutes les fermes du canton , auxquelles il enlève uu grand nombre de mules et de chevaux.

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qui rompt d’un premier effort le laço de cuir avec lequel ou arrête le taureau le plus vigoureux.

Ce n’est pas seulement dans le nouveau continent que rhistoire du Tapir se lie à celle d’animaux fabuleux. Le merveilleux des auteurs chinois, cet animal à la trompe d’éléphant, aux yeux de rhinocéros, aux pieds de tigre, qui ronge le fer, le cuivre, et mange les plus gros serpens, cet animal, comme l’a très bien jugé M. Abel Hémusat est un Tapir ; mais je ne crois pas comme lui que ce soit un Tapir habitant de la Chine.

L’histoire du me paraît fondée sur quelque descrip- tion incomplète du Tapir de Malaca et sur quelque représentation grossière de cet animal. Les Chinois qui sortent de leur pays appartiennent sans exception à la classe la moins éclairée; on n’a donc point lieu de s’éton- ner qu’au retour ils mêlent dans leurs récits des erreurs et même quelques mensonges (i).

Quant aux figures, elles seront venues gravées sur quel- ques ustensiles, imprimées sur une étoffe, sculptées en amulette dans un morceau de jade, etc. On conçoit que dans ces représentations grossières, le gros pied du Tapir divisé en doigts, a bien pu être pris pour le pied d’un j Felis; les taches du jeune auront été arrangées de manière à figurer celles de la panthère ; la trompe', déjà exagérée dans l’image originale (car c’est le propre de tout dessi- nateur peu habile de charger le trait saillant), aura en- core été allongée parle copiste, qui ne connaissait de trompe qu’à l’éléphant. Ce même copiste, enfin, ne voyant point

(i) Les Chinois établis à Java paraissent avoir confondu le maïba et le ba- biroussa dans la description qu’ils firent à Nieuhoff, d’un animal qu’ils dé- signaient, dit-il, sous le nom de sucolyro. Un autre récit qui me paraît se rapporter uniquement au Tapir indien , et il y a tout au plus erreur de lieu et de nom, est celui que fait Blés à BuiFon, relativement à un éléphant

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de queue , aura suppléé à l’omission prétendue , en lui en donnant une semblable à celles des quadrupèdes les plus communs qui ont la taille qu’on attribue au Mé.

Le ronge le fer, le cuivre et le bois de bambou; le Tapir américain avale du bois , et celui de l’Inde a proba- blement des habitudes semblables. D’Azara a vu le pre- mier mâcher une tabatière d’argent : peut-être aura-t-on vu de même le Maïba promener entre ses dents un mor- ceau de cuivre ou de fer. S’il ronge ce métal , c’est qu’il a les dents plus dures; donc, si l’on frappe ces dents avec un marteau, c’est le marteau qui devra se rompre (i).

à courte trompe, que quelques habitans de Ceylan disent exister dans l’inté- rieur de cette île. Suivant eux , l’animal ne dépasse pas la taille du bœuf, et il a sur le corps beaucoup plus de poil que l’éléphant ordinaire. Il est aussi beaucoup plus défiant, et au moindre bruit il s’enfonce dans les profondeurs des bois. (BufFon , Suppl., tome VI, page 28.)

Jusqu’à présent les naturalistes ne comptent point le Tapir au nombre des mammifères qui se trouvent à Ceylan , mais il ne serait pas impossible qu’on le découvrît plus tard dans les forêts de l’intérieur, forêts jusqu’à ce jour inexplorées. Quant à l’île de Java, il paraît certain que le Tapir y existe.

(1) Le texte chinois ajoute que non-seulement les dents sont aussi dures que nous l’avons dit, mais encore que les os résistent au fer et au feu; de sorte que certains charlatans qui s’en étaient procuré les faisaient passer pour des reliques, pour les os du divin Boudha.

.Te soupçonne que ceci est un conte surajouté et emprunté à un animal autre que le Tapir. J’ai vu plusieurs fois entre les mains de gens ignorans et amis du merveilleux des corps d’apparence osseuse qui , disait-on , résistaient également au fer et au feu. Ils soutenaient assez bien la percussion , mais quant à l’épreuve du feu, les propriétaires de ces pièces n’ont jamais voulu les y soumettre , dans la crainte, disaient-ils, de les ternir.

C’était le plus souvent de petits corps irrégulièrement ovoïdes , déprimés sur le côté et qu’on trouve à la tête de certains poissons. D’autres étaient des fragmens de la portion pierreuse de l’oreille d’un cétacé herbivore, d’un lamentin ou d’un dugong. Je vis une de ces pièces entre les mains d’un matelot espagnol, qui disait l’avoir eue aux Philippines. Si cet homme ne mentait point, pour donner plus de valeur à son amulette en lui supposant une origine lointaine, il serait très possible que les Chinois , qui vont jusqu à ces îles, en eussent rapporté dans leur pays; la prétendue indestructibilité de ces os eût ensuite suffi pour que les philosophes chinois, qui ne nient pas le

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Le Me mange des serpens; mais il n’y aurait rien d’é- tonnant à ce que le Tapir, qui est très glouton , en man- geât aussi :1e cochon, avec lequel il a tant de rapports, poursuit en France la vipère et la dévore , et sous les tropiques, il s’attaque à des reptiles encore plus venimeux.

Plusieurs des traits de l’histoire du s’expliquent, comme on le voit, assez naturellement par ce que l’on sait des habitudes du Tapir; cependant si l’on n’avait pas eu d’autres indices, il eût été bien difficile de découvrir à quel animal se rapportaient dans l’origine les récits qui ont donné naissance à la fable chinoise , et il est même très vraisemblable que sans le secours de la figure il eût été impossible d’y parvenir. Si donc quelques notions re- latives au Maïba sont parvenues dans des contrées plus distantes des îles de la Sonde, comme les récits s’altèrent en proportion du nombre de bouches par lesquelles ils passent, il ne sera plus possible de reconnaître l’animal par ses mœurs, mais peut-être pourra-t-on encore le retrouver par ses formes , puisqu’une même image traverse sans alté- ration sensible un long intervalle de temps et de lieux.

La figure que nous connaissons du chinois nous montre un Maïba marchant et la trompe en l’air ; sup- posons que dans quelque autre image parvenue plus loin encore, au centre de l’Asie par exemple, l’animal ait été représenté assis (i) et la trompe pendante; cette figure, pour peu que l’exécution en soit grossière, semblera une copie mutilée du griffon des sculptures grecques, car dans

merveilleux , mais qui seulement lui refusent une origine divine , les attri- buassent au , dont les dents jouissaient déjà dans leur opinion de pro- priétés toutes semblables.

(i) Un des deux Tapirs américains décrits par Allamand prenait fré- quemment cette posture , et il y a tant de conformité pour les habitudes entre l’espèce asiatique et l’espèce américaine , que l’attitude familière à l’une ne doit pas être étrangère à l’autre.

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la terminaison de cette tète bizarre on croira voir bien plu- tôt le bec crochu d’un aigle ou d’un vautour que le mu- seau d’un quadrupède. Remarquons d’ailleurs que dans le griffon meme les oreilles semblent attester encore que ce qui est devenu une tête d’oiseau ne fut dans l’origine qu’une tête de mammifère mal comprise par les copistes.

Conclura-t-on de ces conformités que l’image du Maïba indien a servi de modèle pour la ligure du griffon grec, ce serait hasarder beaucoup sans doute; cependant quel- ques renseignemens historiques peuvent donner un peu plus de poids à cette conjecture. Ainsi nous savons par Hé- rodote que c’est de l’intérieur de l’Asie qu’arrivèrent d’abord dans la Grèce, sinon les images du griffon , du moins les notions relatives à ses formes. Les Grecs qui trafiquaient vers le Pont-Euxin les reçurent des Scythes, et ceux-ci à leur tour les avaient reçues des Argippéens , peuples à long menton, à nez épaté, à tête rasée, qui habitaient des plaines rocailleuses et salées , situées au pied de hautes montagnes, c’est-à-dire le Step compris entre l’Oural et l’Altaï.

Ces marchands mêlèrent à l’histoire des griffons les notions confuses qu’ils avaient reçues des mêmes Scythes sur les riches mines des montagnes de la Tartarie , et la manière dont ils lièrent les deux traditions, est tout-à- fait conforme à l’esprit et aux croyances de leur temps.

Alors, en effet, c’était une chose reconnue que tout trésor avait pour gardien un animal non moins redou- table par sa force qu’effrayant par sa figure. Le griffon au bec d’aigle, aux griffes de lion (car la division des doigts avait bien pu produire la même erreur qu’à la Chine), aura été naturellement le gardien de l’or de ces montagnes.

Mais les dragons des cavernes de la Grèce avaient la

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plupart des ailes, et ainsi il ne fallut pas grand effort pour en donner au griffon, qui déjà avait la tête d’un oiseau. D’ailleurs une fois dans la Louche des Grecs , Fhistoire ne manqua pas de s’emhellir, et l’on y rattacha succes- sivement plusieurs des contes qui arrivaient par la même voie, c’est-à-dire par la voie de l’Orient (i).

L’histoire du griffon, quelque origine qu’on lui veuille supposer, était certainement connue depuis deux siècles au moins dans la Grèce, lorsque Ctésias vint y ajouter de nouveaux traits. Ce médecin , pendant son séjour en Perse, avait vu sur les monumens diverses ligures d’êtres symboli- ques, tels qu’on en trouve encore aujourd’hui dans les ruines de Persépolis; il ne se fit pas scrupule de les dé- crire comme les ayant vus vivans dans la ménagerie du prince. Parmi ces êtres fantastiques il en était un qui offrait , avec le corps et les pieds du lion , les ailes et la tête de l’aigle, ou plutôt du faucon. Ctésias ne manqua pas d’en faire un griffon, et il ajouta aux contes qui cou- raient déjà sur cet animal, ceux que lui suggéra son ima- gination. Ainsi l’histoire du griffon, telle qu’on la trouve

(i) Tel est le conte des fourmis qui tirent de l’or. D’abord on dit que ces fourmis existaient dans l’Inde (mot qui n’avait pas alors une signification pré- cise comme aujourd’hui); puis Élien les plaça chez les Issedons, c’est-à-dire dans les monts Ourals, dans le pays l’on croyait qu’existaient les griffons.

Une serait pas impossible que cet étrange conte reposât sur un fait réel: il est bien connu en Colombie que Juan Diaz découvrit une mine qui l’enrichit, parce que des fourmis harrieras , en creusant leur demeure souterraine , ame- nèrent à la surface , parmi les petits cailloux qui les gênaient, de nombreuses pépites d’or. La tâche n’est pas au-dessus des forces de cet insecte, et on le voit souvent porter hors de sa demeure des grains de silex bien plus pesans que ne le sont communément les paillettes d’or. Il faut observer, d’ailleurs, que dans beaucoup de lieux, la couche aurifère est très superficielle; j’ai souvent trouvé des fourmilières qui y pénétraient assez profondément, quoique, je l’avoue, je n’aie jamais vu d’or parmi les décombres amenés à la surface.

Ce qu’il y a de plus absurde dans l’histoire des fourmis indiennes , la taille qu’on leur a supposée , ne tient peut être qu’à une confusion de noms. J’ai en-

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dans Élien et dans quelques écrivains postérieurs au temps de Ctésias , est une fusion de deux traditions , l’une venant de Perse et ajustée pour servir d’explication à une image évidemment symbolique, l’autre plus ancienne, arrivée par la route de l’Inde , et qui pourrait bien se rapporter à la figure d’un animal réellement existant, à celle du Tapir malais.

Le griffon persan, composé à dessein de parties d’ani- maux appartenant à des classes différentes , a le cou sur- monté d’une crête qui rappelle la nageoire dorsale de cer- tains poissons. Cette crête se retrouve dans les griffons grecs, quelquefois avec la même forme, et quelquefois ajustée comme la crinière des chevaux (i), lorsque l’on tient les poils assez courts pour qu’ils restent droits. Les sculp- teurs, au reste, ne considérant le griffon que sous le point de vue pittoresque, contribuèrent encore à altérer la forme primitive ; ainsi , au lieu de le représenter sans queue, comme il l’était probablement dans l’origine, les uns lui en donnèrent une qui se rapportait à la forme des pieds; d’autres la firent toute de fantaisie, l’enroulèrent en spirale et l’ornèrent de feuilles d’acantbe.

tendu, en Ame'rique, des récits incroyables sur le Perico ligero , parce qu’on réunissait les traits qui appartiennent à deux animaux de ce nom , au Pares- seux et à un oiseau nocturne voisin des engoulevens et des guacliaros. J’ai vu de même confondre , dans une seule description , une araignée et un gecko , parce que dans quelques parties de l’Italie le nom de Tarentola leur est donné à l’un et à l’autre. Je suis porté à croire qu’on n’aura prêté aux fourmis in- diennes la taille du renard , que parce que leur nom aura eu de la ressemblance avec celui de quelque mammifère fouisseur des mêmes pays.

(i) Il ne serait pas impossible même que ce fût la véritable crinière d’un Tapir qui se trouvât ainsi figurée ; car, bien que nous ne la voyons point dans le maiba que nous connaissons jusqu’à présent , elle peut exister dans une autre variété du même pays. Ce caractèi'e n’est point du tout constant, puisque la femelle de l’espèce commune n’en a presque pas à Cayenne, et qu’au Para- guay elle en a comme le mâle.

ADDITIONS AU MÉMOIRE SUR LE TAPIR.

PREMIERS RENSEIGNEMENS ORIGIMAUX SUR LE TAPIR.

J’ai dit que le Tapir avait été connu des Espagnols vers l’année 1609, époque de leur établissement au Darien ; cependant, les plus anciennes observations originales que j’aie citées, sont celles d’Oviedo, publiées en i52Ô; je ne doutais pas qu’on n’en trouvât d’antérieures dans un livre écrit par un des chefs même de l’expédition , dans la géographie d’Enciso ; mais j’avais cherché vainement à me procurer ce livre, que la Bibliothèque royale elle-même ne possédait pas, et dont elle vient de faire récemment l’acquisition.

Le bachelier Martin Fernandez deEnciso, était, comme on le sait, l’as- socié d’Ojeda pour la conquête du Darien, et se trouva un moment à la tête de l’entreprise. Dépossédé bientôt par Balboa, il fut envoyé prisonnier en Espagne, s’étant aisément justifié des accusations portées contre lui , il reçut le titre d’ Alguazil major de Caslilla del oro. Peu désireux cependant de se retrouver en contact avec ses anciens compagnons , notre bachelier resta en Espagne , reprit ses travaux littéraires, et bientôt fit paraître un Traité de Géographie universelle , dont la première édition est de 1 5 1 g , et la seconde de i546.

Comme Enciso est le premier écrivain qui ait parlé de visu du Tapir, nous reproduirons ici ce qu’il en dit, et même tout le commencement du para- graphe relatif au Darien.

« Sur la bande occidentale du golfe d’Uraba, dit Enciso, et à cinq lieues » dans l’intérieur, se trouve le Darien , qui est peuplade de chrétiens. On y » recueille , dans certaines rivières qui descendent de hautes montagnes » toutes couvertes de bois , de l’or au plus haut titre. Dans ces bois il y a » une multitude d’animaux divers, beaucoup de tigres; beaucoup de lions et » de cliats à longue queue, qui, à la queue près, ressemblent de tout point à » des singes. Il y a quantité de porcs. Il y a encore certaines bêtes, grandes » comme des vaches et très charnues, qui sont de couleur brunâtre; elles » ont les pieds comme la vache et la tête comme la mule, avec de grandes n oreilles. On les appelle dans ce pays vaches écornées ( vacas mochas ) ; leur » chair est très bonne à manger. Il y a encore dans ce pays bien d’autres » animaux , et j’ai vu tous ceux dont je parlerai ici , le sort m’ayant fait « conquérant de ce pays, qui est le premier qu’aient possédé les chrétiens » sur le Continent. Quelques-uns des nôtres m’ont dit avoir vu des onces, » mais pour moi je n’en ai pas vu. » (Suma de Geographia que trata, etc. Scville, i5ig. )

Lorsque les Espagnols arrivèrent au lieu fut fondée la ville de Darien, ils venaient de perdre , par un naufrage , presque toutes leurs provisions ;

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par conséquent , de toutes les productions de ce nouveau pays , celles-là de- vaient les intéresser le plus, qui pouvaient mieux remédier à la perte qu’ils avaient faite. Ils trouvèrent de grandes bêtes très charnues , et dont la chair était bonne à manger j ils les désignèrent sous le nom de vaches, parce qu’en Espagne la grosse viande de boucherie s’appelle de la vache , au lieu de s’ap- peler, comme chez nous, du bœuf.

NOMS DU TAPIR DANS LES PROVINCES AUSTRALES.

Je dois à l’obligeance de M. d’Orbigny de pouvoir joindre aux noms que j’ai déjà donnés , ceux que cet infatigable naturaliste a recueillis dans les pro- vinces de Moxos, Chiquitos et GranChaco. Je les présente ici suivant l’ordre géographique, en allant du nord au sud.

Province de Moxos. Le Tapir est appelé Aüana par les Pacaguaras (rives de l’Opotari jusqu’à son confluent avec le Madeira); il est appelé Bala par les Caiubabas (vill. d’exaltacion de la Cruz); Orna par les Movimas (bords du Santa-Ana ) ; Uaiacu par les Itonamas (riv. Itonama ou S. -Miguel) ; Nip- toxo par les Canichanas (vill. de S. -Pedro , sur leMamore); Sumo par les Muchoxeones (confluent du Rio Baure et du Mamore); Suma par les Baures (sur la même rivière, mais un peu plus haut); Charnu par les Moxos pro- prement dits (moyen Mamore et ses affluens , villages de S. -Ignacio , S.-Xavier, Trinidad-de-Moxos , Loreto); Umui par les Chapacuras (établis par les jé- suites au village de Carmen sur le haut Baure).

Province de Chiqüitos. Le Tapir est nommé Jmui par les Quitemocas , Potapaque par les Cuciquias , Samo par les Paunacas, et lsamo par les Paï- conecas (ces quatre nations réunies par les missionnaires habitent la Concep- cion de Chiquitos vers les sources du Baure ) ; il est nommé Oqüita paquish par les Chiquitos proprement dits (faîtes de partage des rivières de San-Miguel et San-Ignacio ) ; Cuti par les Sarabecas (mission de Santa-Ana de Chiquitos) ; Yipe par les Guarahocas ; Quipe par lesSamucus; I guipe par les Potureros, et Iatacota par lesMorotocas (ces quatre dernières nations amenées de loin par les jésuites, habitent les montagnes au sud-est de la province, les deux versans de la chaîne de Chochiis ; dans ces cantons les Tapirs sont si nom- breux qu’on peut bien, comme le dit le P. Ruiz, en tuer cinq ou six dans l’espace d’une nuit). Les Otuques, qui sont tout-à-fait à l’est de la province et sur les bords du Paraguay, nomment l’animal Cuui.

Gran Chaco. Les Yuracares (versant oriental de la Cordillère de Coclia- Bamba) nomment le Tapir Penche ; les Tobas, vers le haut du R. Pilco- mayo, Cepuehcolo ; enfin les Bejosos, Mataguayos et Matacos, qui s’étendent vers le sud-est entre le Pilcomayo et le Rio Vermejo , le nomment Hiclag.

En ayant égard aux différences de prononciation qui se trouvent dans les dialectes même les plus voisins , et surtout aux changemens qui s’opèrent con- formément à des règles déterminées dans l’articulation initiale ou finale d’un

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grand nombre de mots , suivant la place qu’ils occupent dans la phrase, les vingt-quatre noms qu’on vient de lire peuvent se re'duire à cinq ou six. Ainsi-, nous aurons un groupe forme' des mots Imui, TJmui, Oma, Suma,Sumo , Samo , Charnu et Isamo (i) ; un autre de Quipe, Iguipe et Yipe (2). Aile sera rapproché d’Aiiana ; [ata cota de cuti ; Data de Poto paque, et aussi d ’Oquita paquish , ce dernier mot se prononçant également Opita paquis , comme on le trouve dans un dictionnaire chiquito manuscrit rapporté par M. d’Orbigny (3).

Dans un petit vocabulaire, imprimé à Lisbonne en 1 795 , intitulé Diccio- nario portugez et brasiliano ( titre très impropre , puisqu’il n’y a pas de langue brésilienne proprement dite), j’ai trouvé le mot Anta (Tapir) rendu par les mots Tapjira , Caapoara et [cure. Le dernier, qui signifie cochon d’eau (4) , s’applique plus communément au Cabiai , mais il se peut que dans

(1) Dans le guarani proprement dit, et dans plusieurs des dialectes qui s’y rattachent, il n’v a point d’articulation qui corresponde exactement à celle de l’sj probablemen t des Espa- gnols eussent écrit camo , çumo , etc. (le c ayant dans la Péninsule une prononciation différente de l’s). Cependant le c, qn’on trouve employé dans plusieurs dictionnaires américains, ne rend pas non plus complètement l’articulation indienne, qui est une sorte d’aspirée sifflante ; nos Français ont essayé delà rendre tantôt par une h, surtout quand elle est initiale, et tantôt par nn ch.

(2) Ce nom me paraît formé de deux racines qui se trouvent dans la langue guarani. Yi : dur , difficile à traverser, et Pe, écorce, peau {l’animal a la peau résistante , ce qui est aussi, comme nous l’avons vu, le sens du mot Tapii). L'y dans le mot yi est une demi -consonne, et le mot précédé de la racine I ( eau) , qui dénote les habitudes aquatiques de l’animal , devient iguipe .

(3) Pu, et Mu se mettent très souvent l’un pour l'autre; ainsi en guarani, coup se dit Pua, Qiia et Mua.

Le mot Opita paquis, en chiquito, semble signifier sifflement aigu; il rappellerait le cri du Tapir, crique les Indiens ont bien remarqué, et qu’ils imitent pour attirer l’animal jus- qu’il portée de leurs flèches.

(4) D’Azara donne le mot cure comme désignant collectivement les deux espèces de Pécari , dont chacune du reste a son nom propre. Le mot curi étant dans les langues des Antilles et d’une partie de la Terre-Ferme le nom du Cavia cobaia , on pourrait croire que les Indiens faisaient le mémo rapprochement que nous avons fait en désignant le dernier animal sous le nom de cochon d’ Inde ; ils semblent en effet réunir dans leur nomenclature aux pachydermes américains (Pécaris et Tapirs )|es cavia de Linnée, surtout les grands, qui sont de vrais animaux à sabots; ils ont même pour un de ceux-ci un nom dont la composition est presque identique à celle du nom linnéen du Cobaye ; mais dans le cas qui nous occupe, la ressemblance des deux mots tient seulement h ce que les noms curi et cure dérivent l’un et l’autre d’une même racine.

Cette racine eu ou gu, indicative du mouvement, donne le verbe eue, qui signifie mouvoir, se mouvoir, dans le sens le plus général ( \Tesoro de la langua guarani , page io3 ), quara, mouvoir circulaircment {Tes., page i3o), cure, curei et cute , agiter par un mouvement alternatif, soit latéral, soit de haut eu bas. De là, les noms donnés à des animaux dont la progression est tortueuse, sautillante ou claudicantc, i°. aux pécaris cure; à certains ron- geurs qui, étant, comme notre lapin, habituellement assis, font un petit saut à chaque pas; ainsi curi pour le cochon d’Inde, Acuti , Acuri ( Biet, page 3gq) pour VAgouti-, 3°. à une sorte de canard qui se dandine en marchant plus que les autres, curia.

Sous la forme cure, la même racine exprime chose tortueuse , chose qui va de travers; on pourrait croire qu’elle entre dans la composition du mot pécari, mais ce mot, qui nous a été donné par les flibustiers (Wafer, Dampier, etc.), est, ainsi que le mot Pockiero conservé par Laët, une corruption du nom indien Pagquira , employé en divers points de la côte, depuis le golfe de Honduras jusqu’à l’embouchure de l’Amazone. Le P. Raymond, breton, écrit bac Kira. Les colons, dans la Guyane espagnole, disent Paquira ( Gumilla, cap. XIX), et Ba- quira (Caulin , lib. I, cap. YII ); dans la Guyane hollandaise et anglaise Peccary (Stcdman,

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MEMOIRE

certains cantons il serve aussi à désigner le Tapir. Le mot caapoara ou caas- goara signifie chose des bois , animal qui est Y objet de la chasse en forêts (5) ; et suivant que dans un canton c’est le Pécari ou le Tapir qui est plus spé- cialement le but de la chasse des indigènes , il désigne l’un ou l’autre de ces animaux.

cap. XIV), et Bakkire (Martin, Histor. of the british colonies , tome a, page 87); nos Fran- çais de Cayenne l’ont plus altère' encore et en ont fait Patira (Barrère, Laborde, etc.).

Le nom P agquira est forme’ de deux mots guaranis ; de Pag ou Pak qui désigné le Cavia Paca de Linne'e ( Celogenys de M. F. Cuvier), et de Quira quij signifie gros, gras .

Voilà donc encore un cas dans lequel la nomenclature des indigènes rapproche les Cavia des pachydermes. Ces animaux, dans nos classifications, sont aujourd’hui fort éloignés, mais peut-être ne le seraient-ils pas autant dans une méthode vraiment naturelle. L’ordre dis ron- geurs, il faut le reconnaître, est fondé sur un caractère unique et non pas sur l’ensemble des rapports ; il est donc, au moins par son origine, tout artificiel. La considération des dents est fort importante sans doute, mais c’est surtout parce qu’habituellement elle fournit une indication sur le genre de vie de l’animal; or, dans l’ordre des rongeurs, quoique la disposition des dents an- térieures soit la même, le régime d’une famille à l’autre est souvent aussi différent que possible.

Les colons paraissent avoir souvent confondu les porcs américains avec le Paca, qui, suivant Sonini , porte en quelques parties de la Guyane le nom de Pakiri. Ce que dit Laborde de son p/ityra , et Caulin d’un très petit pécari qu’il nomme Potochis , me paraît se rapporter au Cc- logenys; c’est bien lui qui , caché pendant le jour, va la nuit ronger les cannes à sucre et le maïs; c’est lui encore qui, lorsque sa tannière n’a qu’une issue, comme dans le cas elle est creusée dans une berge, y entre à reculons , et reste tourné de manière à en défendre l’entrée. Ainsi placé dans son trou, il saisit aux jugulaires le chien qui y met imprudemment la tête, et le tue quelquefois du premier coup de dents, ainsi que l’ont vu plusieurs chasseurs de qui je tiens le fait.

J’ai dit que les Indiens avaient une dénomination analogue à celle de mus porcellus, em- ployée par Linnée, c’est celle de cabia capybara. Cavia, comme le remarque Marcgraff, est le nom générique des rongeurs; capiiba est le nom d’une espèce de pécari ( Tesor ., page 90), et la particule ra signifie semblable, c’est donc le mus porcinus.

(5) Les mots caa et monte, l’un espagnol et l’autre guarani, ont la même valeur, c’est- à-dire qu’ils signifient à la fois forêt et montagne; leurs dérivés caapora , caapoara , caa- piguara , d’une part, et monteria de l’autre, se prennent aussi dans le même sens pour chose des bois , chasse aux bois et bêtes fauves qui sont l’objet de cette chasse. Dana la traduc- tion française des Quadrupèdes du Paraguay , la racine caa ^t prise dans le sens de monta- gne, et l'auteur blâme Margraff d’avoir désigné le Pécari par un nom qui, dit-il, signifie sem- blable à une montagne. Dans le texte espagnol que j’ai pu me procurer depuis peu , le mot est pris dans son vrai sens. Il n’y a pas à accuser pour cela le traducteur- d’inexactitude, car, dans cet endroit, comme dans plusieurs autres, le texte espagnol a été évidemment changé, et peut-être d'apres les critiques auxquelles avait donné lieu la publication de l’ouvrage en français.

J’ai trouvé dans le texte espagnol la preuve que l’erreur de Moreau Saint-Merry, relative- ment à la livrée du jeune Tapir, venait, comme je l’avais soupçonné, d’une fausse interpréta- tion donnée au mot cachorro ; quant à celle que le traducteur a donnée pour le mot barrera, je ne puis rien dire , ce mot ne se trouvant nulle part dans l’édition de Madrid. Cette édition renferme plusieurs chapitres qu’on ne trouve point dans celle de Paris, entre autres, un article sur les chiens, dont je regrette de n’avoir pu faire usage pour mon Mémoire sur les animaux do. jnestiques ; les ouvrages d'Azara fournissent en effet toujours quelques bons renseignemens; car si la partie critique y est des plus faibles, la partie d’observation est en général excellente.

L’histoire des quadrupèdes du Paraguay était, de tous les ouvrages que je cite dans ce Mé- moire, le seul que je n’eusse pu consulter jusqu’ici dans l’original. Ce soin m’a paru indis- pensable, ayant reconnu que pour tout ce qui est telatif à l’histoire naturelle, on trouve même, dam Ie® meilleures traductions, les plus étranges erreurs.

EXPLICATION DES PLANCHES.

Planche I. A, le Tapir pinchaque. Fig. i, le plus grand des deux Tapirs mâles tués au Paramo de Swna-Paz. Fig. 2, la tête du même vue de face. B, comparaison de la nouvelle espèce avec les deux figures de Buffon. Fig. 3, dessin fait à Paris d’après un individu vivant. Fig. 4> dessin fait à Suma-Paz, d’après le plus jeune des deux Tapirs pinchaques. Fig. 5 , dessin rapporté de Quito par La Condamine.

Planche II, tête osseuse du Tapir pinchaque, présentée sous trois aspects différens.

Planche III , comparaison des têtes osseuses dans les trois espèces de Tapir et du Paléothérium : AA, Maïpouri; BB, Maïba ; CC, Pinchaque ; D, Paléothérium.

Nota. Les sept figures de cette troisième planche sont faites à la même échelle. Ainsi les rapports de grandeur des quatre têtes sont conservés. Les figures qui représentent la face postérieure des trois têtes , semblent plus réduites que celles qui les montrent de profil , mais cela tient seulement à l’absence de la mâchoire inférieure. En comparant entre elles les deux tètes du Maïpouri et du Pinchaque , vues par la face postérieure, 011 reconnaît que la différence de grandeur dépend presque uniquement du volume des os delà face, et que la capacité du crâne doit être sensiblement la même dans l’une et dans l’autre.

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SECONDE ADDITION

AU MÉMOIRE SUR LES TAPIRS AMÉRICAINS.

Dans l’intervalle qui s’est écoulé entre la lecture et l’im- pression de mon Mémoire, j’ai eu l’occasion d’interroger un assez grand nombre de naturalistes arrivant de l’Amé- rique méridionale ; mais quoique plusieurs se fussent occupés spécialement de recherches zoologiques, aucun d’eux n’a pu me fournir de renseignemens sur la nouvelle espèce de Tapir : aucun d’eux même n’avait entendu dire dans le pays qu’il en existât une , différente de l’espèce commune.

Je ne pouvais croire cependant que la distinction n’eût jamais été faite par les indigènesou les créoles (i), puisque, même en admettant qu’une espèce habitât exclusivement les hautes montagnes, l’autre les plaines ou les basses vallées , il était à croire que , sur un sol fortement accidenté comme l’est celui des Guyanes,de la Colombie et du Pérou, les deux espèces se trouveraient en quelques cantons assez rapprochés pour s’offrir successivement aux mêmes chas-

(i) Bajon, dans un passage que j’ai cite' en note, page-Sqâ., dit bien qu’à la Guyane les nègres et les chasseurs indiens reconnaissent deux espèces de Tapir; mais, en lisant jusqu’au bout son article, on reconnaît que pour lui le mot espece n’a pas , dans ce cas au moins, la même signification qu’il a dans le langage des naturalistes classificateurs, et qu’on doit le prendre seulement dans le sens de variété ou tout au plus de race. En effet, la distinction repose uniquement sur la différence de taille et de volume , et cependant quand il veut donner les dimensions de l’animal , il prend toujours la moyenne entre les dimensions des individus de la grande espece et de ceux de la petite; il le dit expressément.

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9 O MEMOIRE

seurs. Je viens d'acquérir la preuve que, dans plusieurs provinces, ils les distinguent en effet l’une de l’autre, et j’ai en même temps obtenu surla distribution géographique du Pinchaque des données précises qui me manquaient jusqu’à présent.

Dans un ouvrage publié en Angleterre à peu près à la même époque je présentai mon travail à l’Académie, un officier de marine, M. Lister Maw, indiquaitl’existence des deux espèces de Tapir dans la province de Maïnas, les distinguant l’une de l’autre non-seulement par la taille ( caractère qui n’a qu’une importance secondaire , parce qu’on peut toujours lesupposerdépendantdes circonstances extérieures) , mais encore par l’absence de tache à l’oreille. La couleurgénérale de la robe peut varier suivant le climat, la disposition des taches au contraire est constante et forme ainsi, comme l’a reconnu M. Geoffroy Saint- Hilaire , un bon caractère spécifique (i).

(i) Au mois de février 1828, M, Maw se trouvant à Égas , situé au confluent de l’Amazone et du Yapura, obtint la première indication des deux espèces de Tapir. « TVe had an account gioen us of sévirai animais common in lhe woods » and rivers about Egas. Thej were lhe Tapir, lhere called the Alita, and » which is the same animal with the sachywaha , dante , or gran beastia of » Peru , and of which we had heard much bolli before and since embarking.

,) Two Kinds were described lo us, one having the tips of ils ears white , and

» which is the largest » (Maw. Journal of a passage from the pacifie to

the atlantic , Crossing the Andes in the northern provinces of Peru , and fc* descending the River Amazon. Londres , 1 829 , page 273. )

On voit ici reparaître, sous une forme un peu différente, le mot sachi vacca qu’avait donné Clavijero, sans dire dans quel pays il était employé; ce mot me paraît avoir une origine un peu différente de celle que j’avais d’abord soupçonnée. La langue Qquichua a été introduite par les missionnaires dans beaucoup de leurs réductions, comme dans d’autres l’a été la langue guarani ; les Indiens qui ont adopté la première , n’y ont pas trouvé de mot pour désigner le Tapir, et ils l’ont appelé d'un nom composé vache des bois , sachi uaca, formé de uaca, au lieu de vaca (le qquichua n’ayant pas Vu consonne), et sacha ou cachha, arbre, bosquet, forêt.

SUR LE TAPIR. 9 T

Des indications toutes semblables mettent également hors de doute l’existencedesdeux espèces dans une province voisine de l’Océan Atlantique; elles sont fournies par un observateur qui avait devancé de beaucoup d’années M. Lister et moi , mais dont les imporlans travaux sont malheureusement restés jusqu’à ce jour en grande partie inédits. Je veux parler d’un membre de l’Académie des Sciences, feu M. le professeur Richard. Il ma été permis le mois dernier, mai i83 5, de consulter quelques-unes des notes dans lesquelles il a consigné le résultat de ses observations sur les animaux de la Guyane française. J’y ai trouvé la description très complète tant sous le rapport zoologique qu’anatomique de différens mammifères, mais j’y ai vainement cherché celle du Tapir. L’animal ligure seulement dans le catalogue des objets que notre savant et zélé naturaliste avait préparés pour les rapporter en Europe; mais, dans les trois lignes écrites à la suite du nom, les deux espèces sont très suffisamment distinguées par leur taille et leur système de coloration (i); toutefois , comme elles ne sont désignées que sous le nom de variétés, il est permis de supposer que l’auteur n’avait pas eu occasion d’observer lui-même le Pinchaque, et qu’il n’en parlait que sur le rapport des coureurs de bois. M. Lister Maw s’exprime aussi de manière à faire croire qu’il ne l’avait pas vu.

(i) « MAIPOURT. Fait un petit après la saison des pluies. Deux variétés. Celle qui a le bout de l’oreille blanc est la plus forte et pèse jusqu’à 300 1b, Stercus equinum. Acudssime sibilat. Vit de feuillages et graines. Dort le jour. On en tire un saindoux qui ne se fige point et qu’on conserve dans des bouteilles. Il saisit les objets avec le museau, qui est très mobile. »

« Les Indiens et les nègres le sifflent. La peau a un demi-pouce et plus d’épaisseur , et est très propre à être tannée pour des semelles. » (Claude-Louis Richard, Zoologia gallo-guyanensis). Quadrupèdes gallo-guyanenses in- farcto exsicad.

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()2 MÉMOIRE

Quoi qu'il en soit, nous savons maintenant que le Tapir Pinchaque s’écarte de 5 degrés environ de chaque côté de l’équateur: s’avance-t-il plus loin au nord ou au sud, c’est ce que les observations ultérieures des naturalistes pourront seules nous apprendre.

On peut remarquer que le Pinchaque n’a été claire- ment désigné que par ceux qui ont connu aussi le Mai- pouri ; il n’y a rien qui doive surprendre : en effet les caractères qui distinguent les deux espèces sont positifs , quand on les considère par rapport à l’espèce anciennement connue, tandis qu’ils sont comme négatifs, quand on les considère par rapport à l’autre, et qu’ils n’ont par conséquent être signalés que par opposition. On ne s’est avisé d’avertir que la petite espèce a le front sans crête, le cou sans crinière et l’oreille sans tache blanche, que pour empêcher de la confondre avec l’espèce à front tran- chant, à cou surmonté de poils dressés et à oreille mar- quée de blanc.

Beaucoup des auteurs qui ont écrit sur le Tapir l’ont fait avec tant de négligence, que rien ne désigne l’espèce dont ils ont voulu parler: c’est le cas de tous ceux qui appar- tiennent au seizième siècle (2). Dans les descriptions

(2) Benzoni, dans son Mondo Nuovo , publié en i565 , a parlé avec assez de détail du Tapir de l'Isthme, et comme il le représente noir et velu, on pourrait supposer que, de même que Gomara, il a eu en vue le Pinchaque. Sa description, quoique ne contenant aucun caractère spécifique proprement dit, est incontestablement la meilleure de toutes celles qu’on a eues dans le seizième siècle , ou même la seule qui mérite véritablement ce nom : elle donne en effet une juste idée des formes générales de l’animal, de la configuration des oreilles, des yeux et de la trompe, de son cri perçant, etc. Voici comment l’auteur s’exprime en parlant des animaux de la province de Suere, à l’est du canal de Nicaragua.

« Si trovano in questa provincia grandissima copia di porci monlesi , e tigri ferocissimi ed alcuni leoni , pero timidi, perche vedendo un huomo

SUR LE TAPIR.

postérieures, le Maipouri est souvent indiqué par line ou plusieurs des particularités dont nous avons parlé. Ainsi,

fuggeno j e vi sono serpe di grandezza incredibile ma senza veleno , e mol- li gatti mammoni. Vi si troua ancora un allro animale ehe paesani si e detto Cascuij, il quale e di forma d’unporco nero , peloso ; ha il cuoio mollo duro , gli occhi piccoli , le orecchie grande , leugne fesse e una picciol tromba eomo lo Elefante , e da un strido tanlo lerribile che slordisre la gerilej la sua carne si e saporita. Si troua similmenle un allro animale monslruoso che ha una scarsella sotto il ventre, e quando vuole andare da un luogo a un allro vi mette gli fgliuoli denlro; queslo animale ha il corpo ed il muso di