LES GRANDES USINES Paris. Typographie de E. Pion et C'", rue Garancière, 8. LES GRANDES USINES ETUDES INDUSTRIELLES EN FRANCE ET A L'ÉTRANGER TURGAN Membre du jury d'examen et de révision de l'Exposition universelle en 1862 Membre suppléant du jury des récompenses Membre du Comité des sociétés savantes, chevalier de la Légion d'honneur Officier d'Académie, etc, etc. PARIS MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS RUE AUBER, 3 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, l5 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE 1875 Tous droits réservés. LES GRANDES USINES DE FRANCE PAR TURGAN LES GOBELINS i ■' PARIS MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS RUE AUBER, 3 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, l5 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE Tous droits réservés. Pjaris. Typ. E. Pion et C'« LES GOBELINS I Louis XIV était un grand roi, qui faisait de grandes choses et quand il les avait accomplies ou seulement décidées, il en assu- rait le souvenir en ordonnant de belles médailles. Ces médailles, reproduites par d'habiles graveurs en estampes parfaites, réunies en superbes in-foHos, merveilles de typographie et de reliure, forment un livre magnifique, où l'on retrouve aujourd'hui non- seulement l'histoire du règne, mais encore la pensée intime du souverain. S'il faisait frapper une médaille à la Bataille de Lens, à la Conquête de la Franche-Comté, à la Prise de Besançon, à Soixante mille matelots levés et entretenus, il en ordonnait d'au- tres, et de non moins belles, à la Paix de VÉglise, au Roy acces- sible à tous ses sujets, au Roy se condamnant lui-même dans sa propre cause. Il en ordonnait aussi quand il fondait un de ces étabhssements si admirablement conçus et si vigoureusement constitués qu'ils ont résisté à l'incapacité et à la néghgence qui les ont si souvent régis depuis deux siècles. Une médaille aux Invalides, à V Académie d' architecture , au Roy protecteur de V Aca- démie française, aux Manufactures, etc., etc., etc. C'est cette dernière que nous avons prise pour exergue de notre livre, c'est . GRANDES USINES SOUS le patronage du roi Parens arlium, le vrai père de Tiiidus- trie française, que nous mettons ce travail destiné à raconter nos gloires industrielles comme d'autres racontent nos gloires militaires. Aussi commencerons-nous par les Gobelins, une de ces fondations de Louis XIV dont le temps et l'incurie n'ont pu détruire la grandeur. Parmi les usines françaises les plus célèbres à l'étranger, la Manufacture impériale des Gobelins doit être mise au premier rang : la réputation européenne de ses tapisseries s'est conservée depuis son fondateur, et les jours d'entrée aux Gobelins amènent au faubourg Saint-Marceau une foule d'Anglais, d'Allemands et de Russes qui viennent voir la grande galerie d'exposition et sur- tout les ateliers où se travaillent ces précieux tissus. Nous nous rappelons encore avec quel empressement on ^e portait au salon des Gobelins et de Sèvres aux expositions universelles de Londres et de Paris : on se pressait pour admirer les envois de nos manu- factures. Nous examinerons plus tard si cette admiration tradi- tionnelle a toujours été méritée. Exposons d'abord le plus rapi- dement possible la topographie et l'histoire de la manufacture. 11 existe à Paris un quartier presque complètement ignoré, dont le nom seul est pour les habitants des autres parties de la ville la personnification de la misère et de l'insalubrité. Ce quartier, situé sur la rive gauche de la Seine, au sud-est de la ville, se trouve à peu près Umité par le quai d'AusterUtz, la rue Saint-Jacques, le Panthéon, les rues des Postes et de Lourcine, et enfin par le boulevard de l'Hôpital : c'est le faubourg Saint- Marceau, dont les deux artères principales sont la rue Saint- Victor et la rue Mouffetard. Toute la partie comprise entre la rue Saint-Jacques et l'hôpital de la Pitié est en effet un amas de ruelles étroites et sombres, habitées par une population qui offre le triste spectacle de la mi- sère trop souvent unie au vice et à l'ivrognerie; mais, si l'on a le courage de traverser les rues qui entourent la place Maubert, de gi avir la rue de la Montagne-Suinle-Gene viè ve si célèbre au moyen LES GOBELINS 5 La Savonnerie. (Tiré du cabinet de M. Amédée Berger.) âge, ae redescendre la rue Mouffetard, en la suivant jusqu'à la barrière d'Italie, et de faire ensuite quelques pas sur le boulevard intérieur, on se trouve brusquement en face du point de vue le plus curieux et le plus inattendu.— Devant les yeux s'enfonce une petite vallée dont le centre est sillonné par les deux bras de la Bièvre, rivière étroite, mais assez profonde et stagnante, renfer- mée dans un canal de pierre; au premier plan s'étendent de vertes prairies qui servent d'étendoirs aux blanchisseries riveraines; à droite et à gauche, sur les pentes delà vallée, d'immenses jardins entourent d'anciennes maisons de plaisance converties en usines de toute sorte, mais surtout en tanneries, dont les hauts séchoirs à Persiennes offrent l'aspect le plus pittoresque; puis l'Observatoire avec sa terrasse couverte de constructions étranges, le dôme du Val-de-Grâce, le Panthéon, que l'on voit jusqu'à sa base entre l'aiguille de Sainte-Geneviève et la tour carrée de l'église Saint- Jacques; au loin, le haut des tours Notre-Dame; à droite, la butte 6 GRANDES USINES aux Cailles et ses moulins, et enfin lesGobelins, prolongeant leurs jardins entre les deux bras de la rivière et leurs bâtiments entre la Bièvre et la rue Mouffetard. Si nous avons conduit nos lec- teurs aux Gobelins par le petit pont de pierres séculaires qui donne sur la Bièvre, et non par la grande entrée qui forme un hémicycle monumental dans la rue Mouffetard, c'est que l'histoire de la manufacture est intimement liée à celle du cours d'eau qui, pendant quelque temps, s'appela même rivière des Gobelins. Une vieille tradition, peut-être fondée sur la vérité, attribuait aux eaux de la Bièvre des qualités précieuses pour la teinture en écarlate ; on ne peut plus se rendre compte, aujourd'hui, de l'exactitude de cette croyance ; car les eaux de la rivière, enfer- mées par des écluses, -renouvelées seulement de quinzaine en quinzaine, sont maintenant considérées comme un fléau à cause des miasmes qu'elles dégagent, surtout l'été, et sont remplacées, dans les ateliers de teinture, par celles de la Seine ou d'un puits situé dans le terrain de l'usine. Quoi qu'il en soit, cette tradition avait amené sur les rives de la Bièvre, presque en face d'un vieux château dont il reste quelques ruines sous le nom de maison de la Reine Blanche, une famille de teinturiers de Reims, dontle chef, Jean Gobehn^ devint peu à peu fort riche et acquit de grands ter- rains sur le bord de la Bièvre. Jean Gobelin et son fils Philibert habitèrent les bords de la Bièvre pendant la fin du quinzième siècle et au commencement du sei- zième, comme le prouve ce passage de Rabelais : « Et c'est celluy ruisseau qui de présent passe à Saint-Victor auquel Gobelin taincl l'escarlatte... » Mais ils arrivèrent bientôt à une telle fortune que leurs successeurs renoncèrent peu à peu à la profession de leur famille, achetèrent des lettres de noblesse et s'allièrent à la magis- trature. On retrouve, en effet, en 1 651 , un Antoine Gobelin, devenu marquis de Brinvilliers, épousant Marie-Marguerite d'Aubrai, fille du lieutenant civil de Paris, et qui devait, plus tard, acquérir une si triste célébrité. Quand les Gobelins quittèrent leur usine, ils la cédèrent aux LES GOBELINS 7 sieurs Canaye, qui joignirent à la teinturerie de leurs prédéces- seurs une manufacture de tapisserie de haute lisse, qu'ils montè- rent avec l'aide d'ouvriers flamands commandés par un nommé Jans. Puis vint Gluck le Hollandais. Enfin Colbert acquit d'un nommé Leleu, conseiller au parlement, l'hôtel proprement dit des Gobelins, tandis que la famille Gluck, unie à une autre famille nommée Julienne, continuait, dans des bâtiments adjacents, l'ex- ploitation d'une teinturerie qui dura jusqu'au commencement de ce siècle. Avant de raconter l'établissement définitif de la Manufacture royale des meubles de la couronne (car c'est sous ce titre et dans ce but que Louis XIV créa les Gobelins) , exposons rapidement l'état de l'industrie de la tapisserie en France. On croit généralement que l'art de travailler les tapis et tapis- series vient de l'Orient, le nom même de la plus ancienne corpo- ration en serait une preuve; nous trouvons, en effet, dans le Registre des métiers d'Étienne Boileau, l'énoncé suivant: « Des tapisseries de tapiz sarrazinois. » Quiconques veut estres tapicier de tapiz sarrazinois à Paris, estre le puet fran- chement, pour tant qu'il euvre aus us et aus coustumes del mestiers, que tel sont : » Nus tapiciers de tapiz sarrazinois ne puet ne ne doit avoir que i apprentiz tant seulement, si ce ne sont ses enfants nez de léaul mariage, et li enfant sa femme tant seulement nez de loi au mariage » Nule famé ne puet ne ne doit estre aprise au mestier devant dit pour le mes- lier, qui est trop greveus. » Nus ne puet ne ne doit ouvrer de nuiz ; car la lumière de la nuiz n'est pas souffîsans à ouvrer de leur mestier » Bien d'autres ouvriers nommés haut -lissiers, vinrent par- tager les privilèges et les statuts de la corporation des sarrazinois, mais ce ne fut pas sans contestation, comme le prévôt Pierre le Jumeau le dit en \ 302 : » Après ce, discortfeu meu entre les tapiciers sarrazinois devant diz d'une part, et une autre manière de tapiciers que l'on appelle ouvriers en la haute- lice, d'autre GRANDES USINES part, sur ce que les mestres des tapiciers sarrazinois disoient et maintenoient contre ! les ouvriers en la haute-lice, que ils ne pooient ne ne dévoient ouvrer en la ville de Paris jusques à ce qu'ils fussent jurez et serementez, aussi comme ils sont de tenir et garder tous les poinz de l'ordenance dudit mestrier, etc. » Jusqu'à François P% les tapisseries et les tapis furent fabriqués par l'industrie privée; les haute -lissiers, les sarrazinois et les couverturiers-nostrés développèrent leur art à l'abri des privi- lèges que les rois et les prévôts des marchands leur accordèrent aussi étendus que possible; mais ce furent surtout les Flamands et les Itahens qui perfectionnèrent cet art, si important à cette époque, où les papiers de tenture n'existaient pas encore. François 1er réunit les plus habiles tapissiers qu'il put trouver soit en France, soit dans les deux pays où cette industrie florissait, et les étabht à Fontainebleau sous la direction du surintendant des bâtiments royaux et de Salomon de Herbaines, tapissier du roi. Ces artistes, pour lesquels on prodiguait la soie, l'or, l'ar- gent filés, firent, d'après les dessins du Primatice, d'admirables et riches tentures: le roi, à qui la France doit une si grande prospérité artistique, ne borna pas ses encouragements à ses ta- pissiers royaux, et acheta, soit à Paris, soit en Flandre, les plus belles pièces qu'on eût faites jusqu'alors. Il détermina ainsi une mcroyable activité dans toutes les manufactures de tapisseries. Henri II, tout en maintenant sa maison de Fontainebleau dirigée par Philibert de Lorme, en créa une nouvelle dans l'hôpital de la Trinité. Les guerres civiles et reUgieuses des règnes suivants furent fatales aux étabhssements royaux comme à l'industrie privée. Au milieu des troubles continuels de la Ligue, les successeurs de Henri II ne purent consacrer à des travaux d'art le peu d'argent qu'ils pouvaient recouvrer, et que la solde de leurs troupes ab- sorbait complètement. Lorsque la paix eut ramené le calme et la tranquillité, vers l'an i 600, Henri IV voulut rétablir en France des usines de toute sorte pour la fabrication des meubles et ornements de ses palais; il rencontra dans Sully une opposition que la LES GOBELINS « misère générale semblait justifier, mais il passa outre en disant à son ministre : « Je ne sais pas quelle fantaisie vous a pris de vouloir, comme on me l'a dit, vous opposer à ce que je veux établir pour mon contentement particulier, l'embel- lissement et enrichissement de mon royaume, et pour oster l'oysiveté de parmy mes peuples. » Il installa ses tapissiers Laurent et Dubourg dans une maison du faubourg Saint-Antoine laissée vacante par le départ des jésuites expulsés de France : au retour de ces derniers, on trans- féra les ateliers dans les galeries du Louvre, et là fut organisée une réunion de maîtres ès-arts en toutes choses, peintres, sculp- teurs, graveurs en pierres précieuses, horlogers, tapissiers, etc. Cependant les tapissiers haute-lissiers restèrent peu de temps au Louvre ; réunis à deux cents ouvriers flamands venus sur l'ordre du roi, ils furent étabhs d'abord dans les ruines du pa- lais des Tournelles, puis dans un hôtel de la rue de Varennes. Henri IV leur accordait, pour les encourager, les privilèges les plus étendus ; mais Sully ne les payait qu'à la dernière extré- mité, comme le prouve la lettre suivante : ' Lettre de Henri IV à Sully (1607). « Mon amy, vous avez assez de fois veu les poursuites que les tapissiers flamans ont faites pour estre satisfaits de ce qui leur avait esté promis pour leur établisse- ment en ce royaume : de quoy ayant, par une dernière fois, traité en la présence de vous et de M. le garde des sceaux, je me résolus enfin de leur faire bailler cent mille livres ; mais ils sont toujours sur leurs premières plaintes s'ils n'en sontpayez. C'est pourquoy je vous fais ce mot pour vous dire que j'ay un extrême désir de les conserver, et pour que cela despend du tout du payement de ladite somme, vous les en ferez incontinent dresser, en sorte qu'ils n'ayent plus de sujet de retournera moy; car autrement, je considère bien qu'ils ne pourraient pas subsister, et que, par leur ruine, je perdrais tout ce que j'ay fait jusques à maintenant pour les atti- rer ici et les y conserver. Faites-les donc payer, puisque c'est ma volonté, et sur ce, Dieu vous ait, mon amy, en sa sainte et digne garde. » Ce quinzième mars, à Chantilly. Henry. » LES GOBELINS 13 Le roi voulait affranchir la France du tribut qu'elle payait à l'étranger pour l'introduction de toute tapisserie, étoffe d'or ou de soie ; il le voulait, non-seulement pour empêchei* le numéraire de sortir du pays, mais encore pour donner de l'ouvrage à une foule de gens qui avaient pris forcément, pendant les derniers troubles, des habitudes de vagabondage et d'oisiveté. Sa mort prématurée l'empêcha d'accomplir ses utiles projets ; son fils Louis Xlil, quoique fondateur de la nmsm de la Savon- nerie, laissa tomber peu à peu en décadence les établissements de son prédécesseur, et les longues guerres de la minorité de Louis XIV les ruinèrent presque entièrement. Aussi lorsque ce prince voulut, lui aussi, rétablir le commerce en France, comme il le dit lui-même dans le préambule des let- tres patentes constituant la manufacture de Beauvais : « Gomme l'un des plus considérables ouvrages delà paix qu'il a plu à Dieu nous donner, est celui du rétablissement de toute sorte de commerce en ce royaume, et de le mettre en état de se passer de recourir aux étrangers, pour les choses né- cessaires à l'usage et à la commodité de nos sujets. » il fut obligé de faire venir de Flandre et des Pays-Bas un grand nombre d'ouvriers et de maîtres. Sous l'énergique volonté du roi et grâce à l'habile activité de Golbert, en quelques années toutes les manufactures royales ou particulières reprirent une existence nouvelle, et leur prospérité dépassade beaucoup celle de leurs meilleurs jours: Lebrun, premier peintre du roi, dirigeait l'établissement de la Savonnerie, situé à Chaillot, et dans lequel Phihppe Lourdet faisait travailler les enfants tirés des hôpitaux ; Hinart recevait le privilège de la manufacture de Beauvais ; les usines particuUères de Felletin et d'Aubusson devaient à la libéralité du roi un peintre et un teintu- rier entretenus à ses frais. Enfin, Louis XIV voulut donner aux artisans de son royaume l'exemple d'une usine modèle, où l'activité saurait se joindre au talent, non pour écraser l'industrie privée par une concurrence GRANDES USINES disproportionnée, mais pour la stimuler et la diriger dans les travaux : il créa donc les Gobelins. Les considérants et quelques articles de Tédit qui régularise cette fondation sont assez curieux pour être reproduits ici : ils prouvent l'intérêt que le roi mettait à cette création. « c. L'affection que nous avons pour rendre le commerce et les manufactures florissantes dans notre royaume nous a fait donner nos premiers soins, après la conclusion de la paix générale, pour les rétablir et pour rendre les establissements plus immuables en leur fixant un lieu commode et certain ; nous aurions fait acqué- rir de nos deniers Thostel des Gobelins et plusieurs maisons adjacentes, fait re- chercher les peintres de la plus grande réputation, des tapissiers, des sculpteurs, orphèvres, ébénistes et autres ouvriers plus habiles, en toutes sortes d'arts et mes- tiers, que nous y aurions logés, donné des appartements à chacun d'eux et accordé des privilèges et advantages ; mais d'autant que ces ouvriers augmentent chaque jour, que les ouvriers les plus excellents dans toutes sortes de manufactures, conviés par les grâces que nous leur faisons, y viennent donner des marques de leur in- dustrie, et que leurs ouvrages qui s'y font surpassent notablement en art et en beauté ce qui vient de plus exquis des pays estrangers, aussi nous avons estimé qu'il estoit nécessaire, pour l'affermissement de ces establissements de leur donner une forme constante et perpétuelle, et les pouvoirs d'un règlement convenable à cet effet. » A CES CAUSE et autres considérations, à ce nous mouvans, de l'advis de nostre conseil d'État, qui a vu l'éditdu mois de janvier 1607 et autres déclarations et rè- glements rendus en conséquence et de nostre certaine science, pleine puissance et authorité royale, nous avons dict, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons ainsi qu'il en suit : » C'est à sçavoir que la manufacture des tapisseries et autres ouvrages demeurera estabUe dans l'hostel appelé des Gobelins, maisons et lieux et dépendances à nous appartenant, sur la principale porte duquel hostel sera posé un marbre au-dessus de nos armes, dans lequel sera inscript: Manufacture royalle des meubles delà couronne. i) Seront, les manufactures et deppendance d'icelles, régies et administrées par les ordres de nostre amé et féal conseiller ordinaire en nos conseils, le sieur Col- bert, surintendant de nos bâtiments et manufactures de France et ses successeurs en ladite charge. » La conduite particuUère des manufactures appartiendra au sieur Le Brun, nostre premier peintre, soubs le titre de directeur, suivant les lettres que nous luy ayons accordées le 8 mars 16G3, etc.. et'j... LES GOBELINS 15 » Le surintendant de nos bastiments et le directeur soubs luy tiendront la manu- facture remplie de bons peintres, maistres tapissiers de haute lisse, orphèvres, fondeurs, graveurs, lapidaires, menuisiers en ébène et en bois, teinturiers et autres bons ouvriers, en toutes sortes d'arts et métiers qui sont establis, et que le surin- tendant de nos bastiments tiendra nécessaire d'y establir... » Les ouvriers employés dans lesdites manufactures se retireront dans les mai- sons les plus proches de l'hostel des Gobelins, et affin qu'ils y puissent estre, eux et leurs familles» en toute liberté, voulons et nous plaist que douze maisons dans les- quelles ils seront demeurant soient exemptes de tout logement des officiers et soldats de nos gardes françaises et suisses, et de tous autres logements de gens de guerre, et, à cet effet, voulons qu'il soit expédié par le secrétaire de nos commandements, ayant le département de la guerre, des sauvegardes, sur les certificats dudit sieur surintendant de nos bastiments... » Sera loisible au directeur des manufactures de faire dresser, en des lieux propres, des brasseries de bierre, pour l'usage des ouvriers, sans qu'il en puisse estre empêché par les brasseurs de bierre, ny tenu de payer aucuns droits. » Et, au moyen de ce que dessus, nous avons faict et faisons très-expresses in- hibitions et deflfenses à tous marchands et autres personnes, de quelque quaUté et condition qu'elles soient, d'achepter ny faire venir des pays estrangers des tapisse- ries , sous peine d'être confisquées, etc., etc. » Donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant nostre cour de parlement, à Paris, les gens de nos comptes et cour des aydes audict lieu, que ces présentes ils les fassent publier, enregistrer, etc., etc., et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre seel à cesdites pré- sentes, données à Paris, au mois de novembre 1667, et de nostre règne le vingt- cinq. » Signé Louis, » Par le roy, i) De Guénègaud. * Louis XIV préludait ainsi à ces constructions spiendides, à ces utiles travaux, à cette merveilleuse impulsion donnée à l'industrie et aux arts de la France, et l'affranchissant d'abord du reste de l'Europe, dont elle était tributaire, il la rendit bientôt assez pro- spère pour imposer aux autres nations son goût, ses modes et ses produits de luxe. Comme on peut le voir par la teneur même de l'édit, ce n' était pas seulement une fabrique de tapisserie que Louis 11 V 16 GRANDES USINES créait aux Gobelins, c'était un vaste atelier où l'on composait et exécutait tout ce qui constitue un ameublement. Deux cent cinquante maîtres tapissiers tissaient les riches tentures dont le premier peintre du roi ou ses élèves avaient donné les modèles, et dont l'habile Jacques Rercoven avait teint les laines ou la soie. Des sculpteurs sur métaux et des orfèvres fondaient et ciselaient le bronze en torchères, en candélabres, en appliques, dont les dessins concordaient avec ceux des tentures; des ébénistes sculptaient, tournaient et doraient le bois des meubles. Des Florentins, dirigés par Ferdinand de Megliorini, assemblaient le marbre, l'agate, le lapis, pour com- poser ces mosaïques précieuses ornées d'oiseaux, de fleurs et de fruits que l'on admire encore aujourd'hui sur les tables de tous les palais du temps de Louis XIV. Enfin, il n'y avait pas jusqu'aux serrures des portes et aux ferrures des fenêtres qui ne fussent des chefs-d'œuvre d'exécution, faits d'après les dessins de l'universel Lebrun, qui semblait se multiplier pour suffire à tout. Aussi quelle activité et surtout quel ensemble régnait dans l'ancien hôtel des Gobehns ! Rie;i ne peut donner une meilleure idée de la manufacture à cette époque, qu'une vieille gravure représentant une cour pleine de carrosses sculptés et dorés, de gens qui se hâtent, disposant tous les ornements d'une fête, tandis que d'autres élèvent un mât surmonté des armes du roi couronnées de fleurs : un air de vie et de bonheur anime tout ce monde, et sur une large banderole déployée dans un coin du ciel, on lit : « La grande cour de VHôtel royal des Gobelins^ où les habiles hommes qui y sont établis pour les manufactures des meubles de la couronne font élever un mai à Monsieur Lebrun, premier peintre du Roy. » 11 La direction de Lebrun, qui dura depuis 1663 jusqu'en 1690, année de sa mort, fut une ère de prospérité pour les Gobelins. Il fit exécuter, dans les ateliers de tapisserie, des tableaux com- posés par lui pour être copiés en laine : Les batailles d'Alexandre; r Histoire de Louis XIV , les Éléments , les Douze mois de Vannée, une histoire de Moyse, etc. La plupart de ces pièces étaient char- gées d'ornements en or. Il ne se borna pas à la reproduction de SOS propres œuvres , il fit créer de beaux modèles par Van der Meulen, Yvart, Boëls, Baptiste, Anguier, etc., entre autres une série de châteaux royaux encadrés dans de splendides ornements, entourés de beaux paysages, et animés de chasses , de marches et de ballets du Roy ; car à cette époque d'absolutisme inteUigent, le Roy était le commencement et la fin de toutes choses. Les sculptures, les mosaïques, les ciselures représentaient toujours, en réalité ou en allégories, le Roy. Les œuvres des brodeurs en soie ou en or retraçaient sa vie ou son chiffre ; les artistes en tapis eux-mêmes trouvaient toujours un moyen ingénieux de rappeler dans leurs œuvres, les goûts, les idées, les fantaisies du Maître. Mais le Maître était reconnaissant et payait largement noi - se L.V. Typ. a. Pion. IC GRANDES USINES seulement en argent, mais en grâces et en faveurs de toute sorte. Il donnait à Lebrun l'emplacement et l'argent nécessaire pour se faire construire une maison à Versailles, l'encourageait par de riches et fréquentes gratifications ; enfin, dit le Mercure de France : * La réputation de le Brun augmentant de jour en jour, tant en France que parmi les estrangers, le roy lui envoya son portrait entouré de diamants, dont il y en a un d'un fort grand prix, et lui donna peu de temps après des lettres de noblesse et des armes qui sont un soleil en champ d'argent et une fleur de lys en champ d'azur, avec un timbre de face. » Des comptes de cette époque patiemment recueillis et classés par M. Lacordaire, directeur actuel de la manufacture, constatent la pluie d'or que Louis XIV répandit sur la Manufacture royale des meubles de la couronne. En 1 690, Lebrun mourut ; Mignard lui succéda comme premier peintre du roi et comme directeur des Gobelins : on lui adjoi- gnit La Chapelle-Bessé , architecte et contrôleur des bâtiments du roi au département de Paris. Les premières années furent fécondes : on étabht une école de dessin dirigée par Tuby, Coysevox et Sébastien Leclerc, on commença des travaux importants; les revers qui frappèrent le grand roi , vers la fin de son glorieux règne , le forcèrent de réserver ses ressources pour la défense du pays. Ce dut être pour Louis XIV une douloureuse nécessité de congédier la plupart des ouvriers qu'il avait eu tant de peine à réunir et à former ; mais l'ennemi avait envahi le territoire de la France, la question d'art et de luxe devenait peu de chose en présence des dangers du pays. Les merveilles créées par les orfèvres de Launay, Villers et J^alhn, furent portées à la Monnaie, on appela aux armes les plus jeunes tapissiers, on fut forcé de remercier une partie des plus habiles. La paix , enfin rétablie , permit de rendre quelque activité aux Gobelins ; mais à partir de ce moment , la Manufacture LES GOBELINS I9 royale des meubles de la cowrow.wp perdit peu à peu son caractère, et tendit à devenir seulement une manufacture (je tapisseries et de tapis. Les peintres, les sculpteurs, les orfèvres et les mosaïstes disparurent peu à peu ; ce ne fut plus une école d'arts et métiers de luxe comme sous Lebrun ; et l'on finit par se borner à copier des tableaux, quelques-uns faits spécialement pour servir de modèles de tapisserie, les autres choisis à cause de leur sujet. Les principales pièces exécuté.es depuis cette époque jusqu'à la fin du règne de Louis XVI sont : . Les quatre Saisons, d'après Mignard^ — l'histoire d'Esther et celle de Jason et de Médée, toutes deux en sept piècess, d'après de Troy ; - plusieurs scènes du Nouveau Testament, d'après Jouvenet ; — les copies des tableaux du Vatican, d'après BouUongne ; — les douze Mois„ d'après Lucas de Leyde; — l'histoire de Moïse, d'après le Poussin ; — une suite de portières à fond d'or et de soie, d'après Boullongne, Baptiste Monoyer, de Fomtenay, Audran et autres; — huit scènes du Nouveau Testament, d'après Restout; — Thistoire de Marc-Antoine et de Cléopâtre, en trois pièces, d'après Natoire; — une suite de tableaux allégoriques pour la chan- cellerie, d'après Coypel, Restout et auttres; — huit sujets des Indes,. d'après Des- portes et autres; — les chasses de Lomis XV, en quatre tableaux, d'après Oudry; — vingt et un sujets du roman de Don Quichotte, par Ch. Coypel ; -- une suite de sujets mythologiques et de pastorales, par Boucher; — le siège de Calais, la prise de Paris, d'après Barthélémy; — plusieiurs sujets de l'histoire de Henri IV, d'après Vincent et le Barbier; — la continence (de Bayard, d'après du Rameau ; — l'assas- sinat de l'amiral Goligny, d'après Suvée ; — la mort de Léonard de Vinci, d'après Ménageot ; — ■ le triomphe d'Amphitrite^ d'après Taraval. Ces tentures étaient faites, la plupart du temps, sans destina- tion propre. Une fois terminées, le roi les donnait en présent, soit aux autres monarques, soit à ceux de ses sujets auxquels il voulait témoigner son estime et sa satisfaction ; d'autres fois même il en faisait don au clergé pour les ornements du culte, quand le sujet permettait cet usage. La tapisserie d'Esther, et celle de Jason et de Médée, données au roi d'Angleterre, sont encore au château de Windsor. En 1685, Louis XIV avait donné GRANDES USINES au roi de Si&m de superbes tapis de la Savonnerie, destinés pri- mitivement à la galerie d'Apollon au Louvre. Sa Majesté czarienne (sic) fut très-favorisée : elle reçut, en 1708, une tenture laine et soie, sujet des Indes, en huit pièces, vala it 27,810 livres; et de plus, en 1717, quatre autres pièces, repré- sentant la Magdeleine chez le pharisien, la Pêche miraculeuse, les Vendeurs chassés du Temple et la Résurrection de Lazare, ainsi qu'une Teste du Christ et une Espagnolette, le tout du prix do 46,131 livres. Les Quatre éléments iureni donnésaunonce du pape en 1719. Le duc de Lorraine reçut, en 1730, une superbe tenture enrichie d'or, exécutée, d'après Raphaël, sur des sujets mytholo- ^ giques. Enfin, 1736, on fit au roi de Prusse le magnifique cadeau de 87,5121 livres de tapisseries. Parmi les personnages de considération qui reçurent de ces présents royaux, on trouve cinq chanceliers, car l'usage s'était établi de donner à ces hauts dignitaires, à leur installation, uiio tapisserie allégorique. Ainsi, M. Voisin en reçut une en 171 G, d'Argenson en 17^1, d'Armenonville en 17^3, Chauveliu cl d'Aguesseau e.i 1730. On exécutait aussi, sur comiiiande, des tentures pour de riches particuliers; en 1763, on vendit pour en- viron 76,000 livres de tapisseries, et, plus tard, le prince de Condé, le duc de Northumberland et d'autres riches Anglais firent un noble usage de leur fortune, en l'employant à ce luxe princier. Pendant ce temps, la Savonnerie, comme les Gobehns, sui- vaient le goût et partageaient le style de l'époque à laquelle ils appartenaient, et l'œuvre de Louis XIV était déjà profondément modifiée lorsque les luttes politiques de la fin du siècle dernier vinrent mettre en question l'existence même de ces admirables créations. On ne considéra plus les Gobehns, la Savonnerie, Sèvres, comme des étabhssements d'utiUté pubhquo fondés pour résister à l'importation des produits étrangers et pour donner à l'industrie nationale privée des exemples et des modèles, qui la mettaient à même non-seulement d'empêcher de sortir de la LES GOBF.LINS 2! France l'argent du pays, mais encore d'y attirer le numéraire des nations rivales; on n'y vit plus que des établissements de luxe inutile dont on ne comprenait pas la portée au point de vue des relations de commerce extérieur. Déjà, le 17 août 1790, Marat écrivait dans VAini du peuple : « On n'a nulle idée chez l'étranger d'établissements relatifs aux beaux-arts, ou plutôt de manufactures à la charge de l'État; l'honneur de cette invention était réservé à la France, Telles sont, dans le nombre, les ma- nufactures de Sèvres et des Gobehns : la première coûte au pubUc plus de deux cent mille francs annuellement, pour quel- ques services de porcelaine dont le roi fait présent aux ambas- sadeurs; la dernière coûte cent mille écus annuellement, on ne sait trop pourquoi, si ce n'est pour enrichir les fripons et les intrigants... » Puis vinrent ces jours mauvais pour les arts où l'on osa porter la main sur les chefs-d'œuvre du passé, sous le prétexte qu'ils renfermaient les emblèmes rappelant l'ancienne forme de gou- vernement. Un directeur des Gobehns, nommé Belle, demanda au ministre de l'intérieur, dans les attributions duquel on avait classé les manufactures autrefois royales, l'autorisation de brûler pubhquement, on grande cérémonie, d'admirables pièces de tapisserie coupables de représenter « des fleurs de lis, des chif- fres et des armes ci-devant de France. » Aux destructeurs par zèle succédèrent les destructeurs méthodiques, et il fut nommé un jury des arts composé de Prudhon, Ducreux, Percier, archi- tecte ; Bitaubé, homme de lettres; Moette, Legouvé, homme de lettres; Monvel, acteur et homme de lettres; Vincent, peintre d'histoire ; Belle, directeur des Gobehns ; Du vivier, directeur de la Savonnerie. Ce jury des arts eut le courage de consigner dans un procès- vrrbal des considérants assez curieux pour que nous en repro- duisions quelques-uns : "ï Le Sié(jc de Calais, pnr Barthélémy; sujet regardé comme contraire aux idées 22 GRANDES USINES républicaines, le pardon accordé aux bourgeois de Calais ne leur étant octroyé que par un tyran, pardon qui ne lui est arraché que par les larmes et les supplications d'una reine et du fils d'un despote; rejeté. En conséquence, la tapisserie sera arrêtée dans son exécution. » « Hcliodore chassé du Temple, copie de Raphaël, par Noël Nallé ; sujet consacrant les idées de l'erreur et du fanatisme ; d'ailleurs, copie très-défectueuse d'un superbe original, et, conséquemment, à rejeter. La tapisserie sera discontinuée, » « La Robe empoisonnée, par de Troy ; rejeté comme présentant un sujet contraire aux mœurs républicaines; mais la tapisserie, étant presque achevée, sera terminée avec la s-uppression des deux diadèmes qui sont sur la tête de Creuse et de son père. » « Jason domptant les taureaux, par de Troy. Le sujet est rejeté comme contraire aux idées républicaines. La tapisserie étant faite à moitié, sera terminée à la lon- gueur de quatorze pieds, un peu au delà de la figure de Jason, déjà faite, et, par ce moyen, elle offrira un ensemble sans présenter les personnages de Médée et du roi son père, qui blesseraient les yeux d'un républicain. » « Méléagre entouré de sa famille, qui le supplie de prendre les armes pour re- pousser les ennemis prêts à se rendre maîtres de la ville de Calydon; tableau dont le sujet ne paraît pas compatible avec les idées républicaines relativement au sen- timent qui dirige Méléagre, lequel est sur le point de sacrifier sa patrie à l'esprit de vengeance dont il est animé, et qui, près de voir son palais réduit en cendres, se rend moins à l'amour de son pays qu'à son intérêt personnel. Conséquemment, tableau à rejeter. » « Mathias tuant des impies, par Lépicié; sujet fanatique, tableau rejeté. » « Cléopâtre au tombeau de Marc-Antoine, par Ménageât; sujet rejeté comme immoral. » « Polyxène arrachée des bras de sa mère, par Ménageot; sujet à rejeter d'après les personnages qu'il retrace et les idées qu'il rappelle. » Quant à la Savonnerie, ce fut encore pis : on proscrivit tous les modèles, sauf deux tapis de fleurs. D'un autre côté, le jury com- manda immédiatement la reproduction de toutes les allégories et de tous les sujets républicains, tels que les deux tableaux de - David représentant la mort de Marat et celle de Lepelletier ; mais il défendit expressément, quant au tapis « de mêler des figures humaines qu'il serait révoltant de fouler aux pieds dans un gouvernement où l'homme est rappelé à sa dignité, necom- LES GOBELIN? 23 prenant, toutefois, dans cette acception, aucune espèce de chi- mères, telles que centaures, tritons et autres monstres. » Depuis ce moment jusquà la réunion des manufactures natio- nales à la couronne impériale, Fexistence des ouvriers des Gobe- lins qui ne voulurent pas quitter leur profession ne fut qu'une longue souffrance. Ils envoyèrent au ministre de l'intérieur péti- tions sur pétitions, où ils exposaient leur position malheureuse. Le comité de salut pubhc leur accorda une livre de pain et une demi-livre de viande par personne et par jour ; mais au bout d'un an on ne continua même pas la distribution de ce faible secours. La manufacture, qui, sous l^ouis XIV, comptait près de trois cents ouvriers tapissiers, ne pouvait, en 1797, donner que qua- rante-six signatures de la pétition suivante : « Citoyen ministre, nous venons de nouveau vous exposer notre misère; la tré- sorerie nationale n'effectue aucun des payements que vous ordonnancez à notre profit ; sur cent trente-cinq jours de salaire qui nous sont dus, nous n'avons reçu qu'un à -compte de cinq jours ; sans pain, sans vêtements, sans crédit, il nous est impossible d'exister; nous sommes au désespoir; nous vous prions de nous donner les moyens d'exister ailleurs, si vous ne pouvez nous faire exister ici. a A laquelle il fut répondu : « Que le ministre n'a aucun moyen dont il puisse faire usage auprès de la tréso- rerie nationale pour accélérer le payement de ce qui est dû aux ouvriers... » L'administration consulaire essaya de relever les tapissiers en rétabhssant les apprentis supprimés pendant les derniers temps ; elle rétablit aussi un directeur des teintures, et sut pré- parer ainsi la période impériale , qui rappela par son activité celle de Louis XIV. Pendant cette époque on chercha â faire des tentures et des tapis pour une place désignée d'avance. La Savonnerie, dont les ouvriers avaient été doublés, exécuta rapidement divers tapis. Il n'en fut pas de même des Gobehns, 2i GRANDES USINES qui ne parent terminer avant la Restauration les magnifiques tentures représentant des scènes intéressantes et glorieuses de la vie de Napoléon I^r. Ce fut une grande perte , car la plupart étaient parfaitement exécutées , comme on peut en juger par divers fragments exposés aux Gobelins, la Reddition de' Vienne entre autres, qui est un chef-d'œuvre de coloris et de conser- vation. Sans aller aussi loin que la république, la royauté laissa inachevées ces tapisseries , qu'elle ne brûla pas , mais qu'elle fit démonter et mettre de côté. Il était réservé au gou- vernement actuel de comprendre que la gloire de la France n'a pas à compter avec les passions des partis, et qu'on peut mettre dans le même musée les fleurs de hs de Fontenoy et les aigles d'Austerhtz. La Restauration , à son tour , fit exécuter l'histoire de saint Louis , de François 1^^ et d'Henri IV ; un Pierre le Grand co- lossal, conduisant une barque au miheu d'une tempête, d'après le tableau de M. Steuben, dont on fit présent à l'empereur de Russie. On tissa aussi un grand nombre de bannières pour les éghses et de tableaux de rehgion, parmi lesquels on remarque la Sainte Famille d'après Raphaël, et la bannière de sainte Geneviève d'après Guérin. Ces travaux furent exécutés sous la direction de M. le baron des Retours, qui resta directeur jus- qu'en 1833, époque à laquelle M. Lavocat le remplaça. On s'occupa beaucoup des Gobehns pendant le règne du der- nier roi ; on y fit quelques travaux heureux , entre autres la copie de quelques Rubens et du Massacre des mameluks par 11. Vernet ; cette dernière tenture fut donnée à la reine d'An- gleterre. Jusqu'à cette époque, le choix des modèles, chose si importante pour la reproduction en tapisserie, avait été assez bien dirigé. On recherchait , en effet , les pages des grands maîtres dont les couleurs vives et harmonieuses permettaient aux laines de développer leurs teintes si fraîches et si bril- lantes, ou bien on se servait de modèles faits exprès et dans lesquels on n'avait employé que des tons simples qui con- 26 GRANDES USINES viennent à ce genre de travail. Puis, quant au choix du sujet même, c'étaient ou des allégories rentrant dans l'ornement pur, ou la reproduction de scènes militaires, et de céré- monies rappelant les hauts faits d'un souverain ou d'une époque. Jusqu'à Louis XVI, on suivait presque toujours un plan déter- miné pour exécuter une série de pièces : chaque sujet formait un ensemble de tapisseries de largeur et de hauteur variables qui pouvaient s'accommoder aux divers appartements qu'elles décoraient tour à tour : quelquefois on avait composé le même sujet sur deux dimensions, ainsi François 1er avait fait faire le grand Scipion et le petit Scipion pour des appartements d'échelle dilTérente; mais à partir de la fm du dix-septième siècle, on se mit à reproduire à peu près au hasard un modèle qui plaisait, sans créer un ensemble de tentures. Les tapis de la Savonnerie, au contraire, avaient presque toujours une place fixée d'avance, et trouvaient leur emploi aussitôt après leur achèvement. L'ad- ministration du derj?ier règne voulut faire pour le salon de famille, aux Tuileries, une tenture représentant les vues des principales résidences royales. Ce travail, si l'on en peut juger par le médaillon qui forme aujourd'hui le centre d'une vaste tenture exposée aux Gobehns, ne fut pas heureux. En effet, la tapisserie se prête peu à la reproduction des dessins d'archi- tecture pure, comme la vue du quai du Louvre en pierres de taille grises, à arêtes sèches et déterminées, attristée par un bateau à vapeur noir et blanc, et, comme premier plan, les barres de fer qui servent de support au tablier du pont des Arts. Certes, ce n'était pas la peine de former de si excellents ouvriers et de faire faire aux teintures de si grands progrès pour employer ouvriers et laines à de pareils travaux. Louis-Philippe avait voulu imiter Louis XIV, qui, lui aussi, avait fait représenter des châteaux et de l'architecture, mais toujours mêlée avec une profusion de verdures, de person- nages, d'animaux et d'ornements de toute sorte : l'idée était LES GOBELINS 27 bonne, mais elle fut mal rendue, non par les tapissiers, mais par le peintre chargé de composer les modèles. Depuis ce temps, on s'entêta à vouloir faire reproduire par la tapisserie ce qu'elle ne peut exécuter que comme tour de force ou comme étude. Aussi, en 1850, lors de la discussion qui eut lieu à l'assemblée nationale législative, lorsqu'un représentant, par imitation du passé, vint proposer de supprimer purement et simplement les manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de Sèvres, ce fut avec raison qu'il insista sur la fausse direc- tion donnée au choix des modèles. M. de Luynes, tout en avouant la justesse de ces reproches, fit comprendre qu'il ne fallait pas rendre la manufacture elle-même responsable des fautes de la direction supérieure, et fit ressortir d'une manière si claire les avantages de la conservation des ma- nufactures alors nationales, que l'amendement fut rejeté. On étabht un conseil dont la composition semblait d'abord pro- mettre un meilleur choix de modèles; mais, en fait de tapisserie, les fautes passées ont des conséquences de longue durée, et les premières années de l'administration actuelle eurent à les subir. Un grand nombre de pièces commencées d'après de mauvaises copies des œuvres les plus tristes et les plus mornes que l'on pût trouver ont été achevées avec des efforts inouïs : on avait été chercher, comme pour une gageure, et au grand chagrin des exécutants eux-mêmes, les toiles et les fresques les plus ternes et les plus austères, pour les donner à reproduire aux habiles artistes tapissiers des Gobelins, qui ' les copièrent con- , sciencieusement, gris pour gris, brun pour brun, et les termi- nèrent, après avoir cherché et trouvé d'ingénieux procédés qui feraient envie à des artistes chinois, de façon à sauver par le velouté de l'exécution la sécheresse de leurs lugubres modèles. m Aujourd'hui la manufacture des Gobelins se compose de trois parties bien distinctes; l'atelier de teinture, l'atelier de tapisserie, et l'atelier des tapis, réunis sous la direction de M. Lacordaire , auteur d'une remarquable monographie à laquelle nous avons largement puisé pour le long historique que nous venons de faire sur le passé de la manufacture. L'ateHer de teinture est, incontestablement , la première tein- turerie du monde , non par la quantité de ses produits , qui dépassent à peine quinze cents kilogrammes de laine par an, y compris la fourniture de Beau vais, mais par la perfection et la multiplicité de ses opérations. Il a pour directeur, depuis 1824, M. Ghevreul , membre de l'Institut, dont les travaux importants ont rendu tant de services à l'industrie française, et pour sous- directeur M. Decaux, nommé en 1843. L'atelier est simple; il se compose d'un séchoir, d'une grande pièce où sont les chaudières à mordants et à teinture, et d'un couloir souterrain servant d'accès aux sept fourneaux qui font bouillir les liquides colorants. Sous les fenêtres passe la Bièvre, grise, opaque, infecte, traînant lentement entre deux quais de 30 GRANDES USINES pierre, ses eaux visqueuses chargées de tous les résidus des usines d'amont. Elle amenait autrefois les teinturiers sur ses bords ^ au- jourd'hui , elle les ferait fuir, et la Seine l'a remplacée avanta- geusement , même pour le lavage des laines après la teinture. Les riverains demandent qu'on la couvre d'une voûte pour la cacher comme un vil égout. Il en est de la réputation de la Bièvre comme d'un autre préjugé qui attirait jadis aux directeurs des Gobelins des lettres dans le genre de celles-ci : 0 Je suis las de la vie et je suis disposé, pour en finir avec elle, à me soumettre au régime imposé aux teinturiers des Gobelins. Pour vous donner une idée des ser- vices que je suis en état de rendre à l'établissement, je dois vous dire que je puis boire par jour vingt bouteilles de vin sans perdre la raison. Si vous voulez me prendre à l'essai, vous jugerez tout à votre aise de ma capacité. » Le malheureux avait pris au sérieux une plaisanterie du temps de Rabelais; un autre, non moins convaincu, écrivait, en 48^3, à M. des Rotours, alors directeur- « J'ai entendu dire, plusieurs fois, que l'on admettait dans la maison dont vous avez la direction des personnes condamnées à des peines graves, afin qu'étant nour- ries avec des aliments irritants, eUes procurent plus sûrement 1' pour les écar- lates que l'on y fabrique. « 3ïe trouvant malheureusement, condamné à la peine capitale, je désirerais terminer ma carrière dans votre maison; veuillez donc, monsieur, avoir la bonté de m'instruire s'il est vrai que l'on y admette ces sortes de condamnés, et quelle serait la marche à suivre pour y entrer. » Ces procédés sauvages ont pu être employés dans d'autres pays et à d'autres époques, mais nous pouvons affirmer que nous avons visité les GobeHns de fond en comble, et que nous n'y avons vu aucun condamné à mort occupé à produire de l'écarlate. Voici à peu près les opérations de l'atelier de teinture : Les laines viennent du comté de Kent et se filent à Nonancourt, dans le département de l'Eure. Choisies et visitées avec le plus grand LES GOBELINS 31 soin par ia maison Vulliamy, elles sont classées à leur arrivée aux Gobelins : floches et brillantes pour la Savonnerie et Beau- vais, un peu plus fines et montées sur trois bouts tordus en cor- donnet pour les tapisseries. Quand elles ont été examinées par M. Perrey, actuellement chef de l'atelier, on les soumet à un dé- graissage calculé suivant les couleurs qu'elles doivent recevoir. Passées au lait de chaux, au sous-carbonate de soude, ou bien simplement au son, elles ont plus ou moins d'amour pour telle ou telle teinture, suivant leur provenance et la nature du liquide dégraisseur. L'opération du dégraissage doit être surveillée avec vigilance, surtout dans le bain de sous-carbonate de soude dont la température ne doit pas s'élever au-dessus de quatre-vingts degrés, sous peine de désagréger la laine. Les écheveaux, passés sur de longs bâtons appelés lisoirs, sont ensuite plongés dans une des chaudières carrées en cuivre rouge qui renferment le mordant plus ou moins aluné ou tartrique, sui- vant les teintures, et qui bout à gros bouillons; de là, ils sont soumis au bain coloré. La teinture des Gobelins n'a aucun rapport avec les établisse- ments du commerce qui produisent, les uns, une seule couleur, comme les usines à teinture bleue ou à teinture noire, les autres, des couleurs variées, mais Hmitées de ton, dont on peut confier l'exécution à des ouvriers plus ou moins habiles, tandis que pour produire non-seulement la multitude de nuances, mais encore les vingt ou trente tons de chaque nuance exigés par la fabrica- tion de la manufacture, il faut de véritables artistes teinturiers. Aux Gobelins, on s'attache à produire des couleurs de grand teint, c'est-à-dire persistantes ; la difficulté est donc bien plus grande que dans la plupart des industries privées, où l'on recherche seulement l'éclat. C'est surtout pour les tons clairs qu'il est im- portant de ne pas faire fausse route : un grand nombre de belles pièces du commencement du dix-neuvième siècle se perdent peu à peu par la décomposition de certaines teintes qui ont totalement tourné au brun, tandis que les autres se décoloraient tout à fait: 32 GRANDES USINES le travail de trois ou quatre ans d'un artiste est ainsi rendu inutile par une négligence ou un maladroit essai du teinturier. Depuis M. Chèvre ul, ce danger n'existe plus, et les derniers chefs-d'œuvre dureront, sans perdre de leur valeur, autant que peut durer une matière organique. Chaque teinte, aux Gobelins, a sa gamme, c'est-à-dire ses vingt-quatre tons environ, se dégradant de l'intense au plus pâle ; ainsi du rouge au rose blanc, du gris foncé de l'ardoise au gris clair de la nacre ; rien n'est plus 'charmant à voir que ces vingt-quatre écheveaux placés à côté les uns des autres, de manière à donner l'aspect de la gamme. La dégradation d'un écheveau au suivant est insensible pour toute personne qui n'est pas du métier, et cependant le teinturier les distingue non-seule- ment hors du bain coloré et séchés, mais encore tout mouillés et trempés dans la chaudière. Voici comment l'opération se conduit quand la couleur est simple : on charge le bain à l'intense de la gamme cherchée ; le teinturier ayant placé sur ses bâtons les écheveaux qu'il destine au ton le plus élevé, les plonge dans le bain, les regarde, les soulève, les accroche à des montants situés à sa main droite, les replonge dans la chaudière, examine, apprécie la durée du temps pendant lequel il les laisse baigner ou sécher; quand il les juge au point désiré, il les retire et les étend, quitte à les retremper plus tard. « Pendant ce temps, le bain va en s'affaiblissant de plus en plus; on le ravive s'il se décolore trop vile, puis, peu à peu, le liquide étant de moins en moins chargé, on arrive à des tons si pâles, que le vingt-quatrième rapproché du premier a l'air tout blanc. C'est dans l'exécution de ces derniers numéros qu'il faut un œil sûr et une main exercée ; la laine doit être solidement et profondément teinte, et cependant le ton doit avoir la pâleur voulue; la teinture, arrivée à ce degré de perfection, est véritablement un art qui peut à peine se transmettre et qui demande une grande intelligence et de longues études spéciales. LES GOBELINS 33 Les opérations que nous venons d'indiquer sont modifiées sou- vent dans la pratique : au lieu de teindre d'abord les tons intenses, on commence par les tons moyens , on continue par les tons clairs, et s'ils ne réussissent pas aussi purement qu'on le désire, les écheveaux de laine ne sont pas perdus, on les joint à. ceux que l'on destine aux tons intenses, qui sont alors exécutés en dernier. Il faut aussi faire grande attention aux matières étrangères contenues dans toute matière tinctoriale et qui sali- raient le bain pour les tons clairs ; il est donc important de le purifier et de le renouveler pendant le cours de l'opération. Quand la couleur à obtenir est un composé, comme les verts, les bruns, et d'autres nuances, il faut surveiller encore plus attentivement le bain, et savoir remettre au besoin la couleur la plus rapide- ment absorbée. Le blanc est simplement de la laine pure bien dé- graissée et passée au soufre. Ces opérations se font aux Gobelins sur une petite échelle, plutôt dans un laboratoire que dans un atelier ; aussi chaque chaudière a son fourneau séparé. La manufacture n'a qu'un' petit générateur de vapeur nécessaire pour quelques manipulations accessoires destinées à fixer certaines couleurs. Il nous est impossible de quitter l'atelier de teinture sans men- tionner les beaux travaux de M. Chevreul, travaux dont nous parlerons sommairement aujourd'hui , mais sur lesquels nous nous étendrons, quand nous traiterons la fabrication des papiers peints. M. Chevreul s'est attaché depuis longtemps à étudier les phénomènes physiques et chimiques des couleurs, et de ses laborieuses études il est résulté d'abord une classification, puis une loi, loi indispensable à connaître dans tous ses détails par toutes les personnes qui s'occupent de peinture : c'est la loi du contraste des couleurs, simultané et successif. La classification est étabhe sur l'image prismatique qui donne les couleurs simples, fractions d'un rayon de lumière blanche. Si l'on étale circulairement cette image prismatique sur une table ronde, si on la subdivise en 721 nuances, de façon qu'ily en 3e LIV. Typ. H. Pion. 34 GRANDES USINES ail 213 entre le rouge et le jaune, 23 entre le jaune et le bleu, et 23 entre le bleu et le rouge, et si l'on subdivise ensuite cha- cune de ces nuances en 20 parties se dégradant, du noir qui est à la circonférence au blanc qui occupe le centre du cercle, on aura 20 tons par nuance : ce qui a fait 1,440 tons pour le premier cercle chromatique composé de tons francs sans mélange de noir. Chaque ensemble des 20 tons d'une nuance forme une gamme. Si l'on ternit uniformément tous les tons de ce cercle a\ec du gris normal (c'est-à-dire le gris du noir qui représente une ombre dépourvue de couleur), on aura un second cercle dont les gammes seront ternies à 4/iO de noir, on en construira un troisième à 2/10, un quatrième de même, etc., jusqu'au dixième, où tous les tons seront notablement obscurcis puis- qu'ils seront à 9/10 de noir. En ajoutant aux 14,400 tons ainsi produits les 20 tons de la gamme de gris normal, on aura 1 4,420 tons pour l'ensemble de la construction chromatique. Gr^ce à cette classification, on peut indiquer, noter exactement une couleur quelconque. Il serait donc possible à un voyageur qui aurait emporté son album chromatique au delà de l'Océan, de décrire exactement une fleur, un métal, un vêtement ou tout autre objet coloré en disant, par exemple, de la fleur du gre- nadier : elle est le rouge orangé du premier cercle, ton 1 0 ; ce qui serait moins poétique, mais plus facile à retrouver que rouge éclatant, éblouissant, ou tout autre superlatif. Notre glorieux pantalon garance répond à la couleur rouge, gamme 3, ton 12, terni à 3/10 de noir. L'écariate employé dans d'autres uniformes, qu'il soit teint à Berlin, aux Gobelins ou à Sedan, se rapporte exactement au troisième rouge du premier cercle chromatique, tons 1 0 et 1 1 . Ces travaux, qui paraissent de pure théorie au premier abord, ont eu immédiatement leurs conséquences pratiques : on a exé- cuté les gammes avec de la laine ; le cercle chromatique n'a plus été une simple démonstration de physique, et il existe aux Gobelins, composé d'écheveaux colorés. Pour obtenir ces cou- LES GOBELINS 35 leurs, ces nuances et ces tons, il a fallu faire de nombreuses recherches qui ont conduit à donner des types parfaitement déterminés. Les études de M. Chevreul ont donc créé une science de la teinture et de la fabrication des couleurs qui, jusque-là, avaient été dans le vague le plus complet. Il est évident, cepen- dant, qu'il en est de ces formules comme de presque toutes les sciences humaines, c'est qu'elles n'ont qu'un absolu relatif, et qu'il reste encore un champ bien vaste réservé au hasard, au tra- vail du savant, ou à l'habileté de main de l'ouvrier. La loi du contraste agit de plusieurs manières différentes, mais elle agit constamment ; ainsi placez plusieurs bandes de gris à côté les unes des autres, à la condition que chaque bande sera située entre un ton plus foncé et un ton plus clair , et vous aurez immédiatement l'aspect d'une cannelure, la partie juxta- posée au ton plus foncé paraissant plus claire et réciproquement. Pour bien constater que ce n'est qu'une simple illusion d'opti- que, il faut isoler chaque tranche de gris en couvrant ses deux voisines avec du papier blanc. On voit alors que la cannelure disparaît. Les peintres qui représentent des colonnes cannelées le savent bien ; ils n'ont qu'à ajouter sur le fond gris la zone blanche, qui fait immédiatement paraître noire toute la partie grise adjacente. Si la loi des contrastes se fait sentir entre les divers tons d'une même couleur, son action est encore bien plus apparente entre deux couleurs différentes, ainsi qu'on peut s'en convaincre par l'expérience suivante, facile à répéter : Dans une feuille de papier mat non glacé et coloré en gris clair, découpez un ornement quelconque, rosace, palme, etc., appli- quez-le au milieu d'une feuille de papier blanc. Faites au miheu d'une autre feuille de papier blanc une ou- verture correspondant entièrement aux contours de l'ornement, de façon que, posée sur la première feuille, elle laisse paraître la rosace grise. Découpez ensuite dans la même feuille de pa- pier gris six . rosaces pareilles, et apphquez-les au miheu de 36 GRANDES USINES six feuilles de papier mat des couleurs suivantes : violet, bleu, vert, jaune, orange, rouge. Placez sur une table bien éclairée la feuille de papier blanc sur laquelle se trouve la rosace grise. Placez à côté, et successivement vos papiers colorés, le phéno- mène suivant se produira : Tandis que le gris placé sur la feuille blanche vous paraîtra seulement un peu plus foncé, la rosace grise identique placée au milieu du violet prendra un reflet jaune très-sensible, sur le bleu une teinte orangée, sur le vert une teinte rose, sur le jaune une teinte lilas, sur l'orange une teinte bleuâtre, et sur le rouge une teinte verte. Pour constater Tillusion, il faut placer sur un des pa- piers colorés la feuille de papier blanc dans laquelle on a fait une ouverture, et immédiatement le gris retourne à sa valeur réelle, et n'a plus de teintes colorées. Ces expériences sont très-faciles à faire, et donneraient à toutes les personnes qui emploient, sous quelque forme que ce soit, les matières colorantes ou colorées, la raison d'une foule d'efîets dont elles ne peuvent se rendre compte autrement. M. Chevreul a fait aussi de longues et intéressantes recherches sur le mélange des couleurs matérielles. Tout le monde sait que les couleurs sont produites par la décomposition de la lumière blanche, mais ce que l'on sait moins, c'est que tous les rayons colorés réunis reforment du blanc. Ainsi, construisez un toton dont la surface supérieure représentera le prisme étalé circulai- rement, et faites-le tourner rapidement, il paraîtra blanc. Si vous peignez sur la surface supérieure d'un autre toton du violet et du jaune seulement, vous aurez un effet grisâtre, de même du rouge et du vert, de même du bleu et de l'orange. Les couleurs qui produisent cet effet deux à deux sont dites complémentaires, l'une à l'égard de l'autre. En se servant de la propriété des couleurs complémentaires de se détruire l'une l'autre pour former des gris plus ou moins fon- cés, la teinturerie des Gobelins est arrivée à créer des couleurs rabattues bon teint, tandis qu'autrefois on les ternissait avec une LES GOBELINS 37 composition appelée rabat, qui, sauf la gomme, ressemble à de l'encre, et se décompose assez rapidement à l'air. Il faut, au con- traire, quand on veut des teintes pures éviter avec le plus grand soin les complémentaires qui les terniraient, les éviter non-seu- lement dans l'opération de la teinture, mais dans l'emploi des laines teintes. Ainsi, un tapissier qui mêlerait intimement un fi^ bleu violet avec un fil jaune orangé, ferait un vert grisâtre et non un vert franc. Les laines, une fois teintes, lavées et séchées, passent aux ma- gasins des tapisseries et des tapis, ou s'en vont à Beauvais avec les soies très-employées dans cet établissement, et qui sont teintes aussi à l'atelier des Gobelins. On les range dans de vastes armoires où elles se conservent intactes pendant plusieurs années. Quand on veut les employer, on les roule en pelotes rondes et serrées, puis^ au moyen d'un mécanismes ingénieux et simple, on les dresse sur des broches que l'artiste tapissier choisit pour composer sa boîte, comme un peintre dresse sa palette. L'atelier de tapisseries est depuis 1828 sous la direction de M. Laforest, artiste tapissier de père en fils, dont le nom est attaché à toutes les belles pièces exécutées pendant la Restaura- tion. Il a sous ses ordres M. Gilbert, artiste très-habile, adjoint depuis 1858, comme chef d'atelier de deuxième classe, deux sous- chefs, trente-cinq artistes tapissiers et quatre élèves. Le travail se fait dans de vastes ateliers très-aérés et bien éclairés, en se servant de métiers dits à haute lisse, dont nous trou- vons l'exacte description dans la notice de M. Lacordaire ; Les métiers de tapisserie ont de quatre à sept mètres de longueur, ils se com- posent d'une paire de forts cylindres en bois de chêne ou de sapin, dits ensouples^ disposés horizontalement, dans lemême plan vertical, à quelque distance (de 2"", 50 à 3™, d'axe en axe) l'un de l'autre, et supportés par de doubles montants en bois de chêne appelés cotrets. Les ensouples sont munies, à chacune de leurs extrémités, 38 GRANDES USINES d'une frette dentée, en fer, et d'un tourillon ; elles s'engagent par ces tourillons dans des coussinets en bois, et y tournent librement, quand cela est nécessaire. Ces cous- sinets sont mobiles (c'est en général le coussinet supéfieur) dans l'intérieur des cotrets, au moyen de rainures dans lesquelles ils glissent. La chaîne du tissu des tapisseries et des tapis se fixe sur les ensouples, dans une situation parfaitement verticale, tous les fils ou brins exactement à la même distance l'un de l'autre, et de plus avec une division, de dix en dix, ou même tout à fait arbitraire, par un fil autrement coloré que les autres, quand il s'agit des tapis; chaque fil de la chaîne a été préalablement arrêté sur une tringle en bois, dite le verdillon, et ce dernier, logé dans une rainure creusée dans toute la longueur des ensouples. Quand on veut tendre la chaîne, enrouler ou dérouler des parties de tapisserie, on fait tourner les ensouples au moyen de leviers de fer, ou même en bois, qui s'en- gagent dans des trous pratiqués à cet effet, à chacune de leurs extrémités. La por- tion de tissu fabriquée s'enroule sur l'ensouple inférieure, en amenant et dévelop- pant de l'ensouple supérieure une nouvelle portion de chaîne et ainsi, partie par partie, jusqu'à ce que la pièce en cours de fabrication soit terminée. Le dernier degré de tension est donné par une vis de pression en fer qui, logée dans le vide des cotrets, et placée entre les deux coussinets, fait monter ou descendre à volonté celui qui est mobile, en s' appuyant sur le coussinet fixe, ou sur une traverse. Les ensouples demeurent fixes au moyen de valets en fer, ou déclics, engagés dans les ff ettes dentées de leurs extrémités. Les fils de chaîne sont tendus verticalement, parallèles les uns aux autres et dans un même plan. Ils sont passés alternativement sur un bâton dit de croisure, remplacé maintenant presque par- tout par un tube en verre de la grosseur du pouce environ. Les fils qui se trouvent placés du côté du tapissier sont dits fils d'arrière, ceux qui sont tendus à la partie antérieure du métier s'appellent fils d'avant. Les fils d'arrière peuvent être tirés en avant par des ficelles appelées lisses qui les relient à une perche mobile située en dehors du métier et au-dessous du bâton de croisure. L'artiste est placé derrière le métier, tournant le dos à son mo- dèle ; il fait d'abord une sorte de calque générale où il indique sur les fils de chaîne des points de repère assez éloignés, de façon à retrouver l'ensemble. Il reporte d'une façon plus dé- taillée une partie très-limitée de son modèle et l'indique sur la LES GOBELINS 39 chaîne au moyen de points noirs pour les tons foncés et de points rouges pour les tons clairs. Il prend alors une broche pointue sur laquelle se trouvent enroulés les fils de laine dont il a choisi la couleur et le ton après les avoir étudiés sur la toile qu'il copie ; il passe cette broche entre les fils d'avant et les fils d'arrière ; il tire ces derniers en avant au moyen de lisses, repasse la broche de gauche à droite et passe ensuite le fil de trame avec la pointe de la broche. Cette passée, qui est ordinairement de dix fils, cinq devant, cinq derrière, s'appelle duite. Quand elle est terminée on l'abat avec une sorte de fort peigne d'ivoire, dont les dents gUs- sant entre les fils de chaîne, serrent la trame de façon à cacher ces fils. C'est au moyen de ces duites disposées en hachures que le tapissier peint sur sa chaîne, un peu comme le mosaïste peint avec ses cubes colorés; seulement ici ce sont des Hgnes. Après une longue suite d'essais, Deyrolle, chef tapissier de basse lisse, préconisa et finit par pratiquer exclusivement à tout autre un procédé de hachure à deux tons. Parallèlement à chacune des hachures, on en conduit une autre d'une nuance calculée de manière à soutenir le ton de la première couleur : cette mé- thode, appliquée d'abord à la basse lisse, importée dans Taie- her de haute lisse, en 1820, par M. Gilbert, est maintenant universellement employée ; on est arrivé même à des hachures à trois nuances. On peut ainsi, par le travail avec des laines de grand teint, produire des tons rabattus, qui, par la teinture, seraient dé- composés plus tard, ou n'auraient eu qu'une coloration insuf- fisante. Ainsi, pour prendre les extrêmes, un travail fait avec des hachures noires et blanches, donnera, à distance, un gris absolument solide, tandis que le gris en teinture serait moins bon teint et ne donnerait pas les mêmes effets de transparence. Les tapisseries terminées depuis quelques années ont mon- tré d'une façon évidente la perfection de cette méthode; on peut en voir la preuve dans le portrait de Louis XIV, d'après Rigaud, ) GRANDES USINES exposé dans la galerie des Gobelins : aucune pièce, depuis la créa- tion de la manufacture, ne peut se comparer à cette page admi- rable, véritable chef-d'œuvre; il est vrai que, par extraordi- naire, cette fois, on avait '[parfaitement choisi le modèle, et on avait bien voulu confier le tableau original lui-même à l'artiste chargé de le copier. Le grand roi est en costume de cérémonie, manteau bleu bordé d'hermine, culotte blanche, et bas de soie blancs arrêtés 'par une jarretière brodée, le plus merveilleux trompe-l'œil que nous ayons jamais vu. Ce por- trait a été exécutéjpar M. Collin en quatre ans; il appartient à la manufacture. Un autre chef-d'œuvre qui jmontre bien ce que peut pro- duire le talent des artistes tapissiers actuels, est l'imitation de -12 GRANDES USINES ï Assomption du Titien, d'après une assez bonne copie faite par M. Serrur à Venise, où se trouve l'original. — Cette immense page n'est pas exposée faute de local suffisant à contenir les sept mètres de hauteur qu'elle mesure Développée sur le plan- cher de la grande salle d'exposition, elle présente l'aspect le plus saisissant. La figure de la Vierge se détache vivante sur un fond lumineux d'un éclat divin ; les deux images du Père et du Fils l'attendent dans les cieux, des groupes d'anges l'accompa- gnent, et sur la terre, les apôtres regardent s'élever vers l'empy- roe la mère du Sauveur des hommes. Nous avons été surtout frappé de la parfaite exécution du groupe d'anges situé à droite de la Vierge : l'effet est incomparablement préférable à celai de la copie de M. Serrur, quelque bonne qu'elle soit. Le vernis dont on est forcé d'enduire la peinture à l'huile finissant tou- jours par jaunir inégalement, l'éclat des tapisseries tissées au- jourd'hui avec des laines convenablement teintes et distribuées par le procédé à double hachure, se maintiendra plus long- temps, et conservera cette apparence veloutée, quoique transpa- rente, qui rappelle l'effet pulvérulent des ailes de papillon. Les Gobehns peuvent attendre avec confiance la première exposition universelle : avec leur Assomption, ils sont sûrs de la première place. Malheureusement aucune grande pièce n'est aujourd'hui sur le métier, et les artistes tapissiers sont en grande partie occupés, en ce moment, à terminer une série de vingt-huit portraits d'ar- tistes et de souverains destinés à la galerie d'ApoUon, au Louvre. Un grand nombre sont déjà en place, on peut juger de l'effet produit ; parmi ceux qui se terminent en ce moment, nous ne pouvons passer sous silence une magnifique tête du Poussin, admirablement exécutée en un an par M. Marie Gilbert. Un essai assez heureux, qui se continue encore aujourd'hui, est la reproduction, sur une plus grande échelle, des gracieuses pages de Boucher. Nous ne parlerons qu'avec mesure de plu- sieurs imitations des portraits de S. M. l'empereur Napoléon III LES GOBELINS et de S. M. l'impératrice Eugénie ; ces portraits ont les qualités et les défauts de Winterlialter, d'après lequel ils sont copiés. Celui de l'impératrice, heureusement composé, donne un en- semble assez harmonieux; celui de l'empereur manque de style. L'atelier de tapis est conduit par M. Legrand; il occupe deux sous-chefs, -trente-sept artistes et quatre élèves. Leur travail diffère entièrement de celui des tapissiers. Le tissu qu'ils produisent est un velours, dont la chaîne est en laine, et la trame en fils de chanvre extrêmement soUdes. Les fils de laine qui forment le velours sont arrêtés par un double nœud sur deux fils d'une chaîne tendue verticalement, comme dans le métier de haute hsse. Ils pendent du côté de l'artiste travaillant à l'endroit, qui les tond avec grand soin au moyen de ciseaux à double bri- sure. Dana les grands tapis cette tonte laisse un centimètre de hauteur à la laine ; les devants de foyer sont plus ras. C'est après la tonte que le tapissier juge de son travail : il a produit une sorte de mosaïque dont les particules colorées sont des brins de laine à section infiniment petite. La surface parfaitement plane qui résulte de la dernière opération donne donc des teintes presque aussi fondues qu'une peinture. Aux tapis, l'artiste a devant lui, un peu au-dessus de ses yeux, son modèle qu'il a préalable- ment étudié pour remplir la boîte à broches qui lui sert de palette. Il a eu soin, en tendant sa chaîne, de la composer de neuf fils blancs pour un fil coloré ; en tirant horizontalement une suite de lignes noires distantes chacune de vingt-cinq mil- Hmètres, il produit un petit carré correspondant à un point de son modèle. Ce carré est couvert par soixante-dix nœuds, répondant chacun à un brin de velours composé de six fils co- lorés, mélangés au moment de la mise en broche. Il faut donc à fartiste en tapis, non-seulement une grande habitude, mais encore une grande science théorique des couleurs qui peuvent se marier ensemble de manière à donner un effet éclatant ou éteint. L'exposition de la Savonnerie, à la manufacture, n'est pas nom- 4i • GRANDES USINES breuses; toutes les compositions exécutées ont été employées presque immédiatement dans les palais impériaux, il s'y trouve cependant deux médaillons pour meubles fort jolis : un immense tapis de neuf mètres de long, imité d'un tapis du temps de Henri IV, à ce que l'on croit, ne peut être déroulé faute de place; il représente des ornements divers sur fond brun avec une bordure imitant de larges pierres précieuses enchâssées dans de l'or. Il y a maintenant sur les métiers un grand tapis de sept mètres de long sur six de large, et huit ou dix devants de foyer destinés au palais de Saint-Cloud. Ces tapis, qui sont presque tous fond blanc, sont d'une disposition agréable, surtout celui sur le miheu duquel se trouvent deux colombes. 11 nous a semblé cependant qu'on y abuse un peu trop des tons mauve et lilas tendre, nous comprenons très-bien qu'on veuille éviter de ressembler aux tapis trop criards du commerce, mais il faut prendre garde à force de vouloir être distingué, de ne plus être élégant et de devenir fade. Un dernier atelier annexe, dit de rentraiture ou rentrayure, occupe un maître rentrayeur, deux ouvriers et deux ouvrières; on y réunit habilement les pièces de tapis ou de tapisseries faites séparément, on y raccommode les parties déchirées ou altérées, si bien qu'il faut une grande habitude pour retrouver la trace de la reprise. Une école d'apprentis tapissiers, fondée en 1848, contient maintenant vingt-deux élèves, qui passent aux ateliers après cinq, six, ou même sept ans d'études; quelques-uns se font remarquer par une aptitude singulière. L'école de teinture fondée en 4 804, et qui aurait une si grande utihté pour les progrès de cet art, a été supprimée en 4816. Quelques élèves attachés au laboratoire, par autorisation ministérielle, peuvent seuls en suivre les opérations. M. Chevreul fait bien tous les ans un cours de chimie appliquée à la teinture ; mais en chimie industrielle, la théorie ne va guère sans la manipulation, et le cours n'a pas les LES GOBELINS 45 résultats féconds qu'il pourrait avoir, fait par un tel professeur. Une école gratuite de dessin, recevant non-seulement les per- sonnes de la maison, mais encore des élèves externes, donne les meilleurs résultats, et a fourni souvent, cette année encore, des lauréats à l'école des Beaux- Arts. C'est une institution digne d'encouragements. L'influence de ces études élevées de dessin est immense dans l'industrie : les ameublements, les étoffes, les tentures, les bijoux, toutes les productions de luxe, et même du simple confortable, doivent leurs formes, leur agencement, leur style enfm au talent des dessinateurs industriels, qui ne peuvent avoir le goût délicat, le crayon pur, s'ils n'ont pas été dès l'enfance frappés des beautés de l'art antique, source de toute élégance et de toute noblesse. On sait quels services rend aux arts appliqués l'école de dessin de la rue de l'Ecole- de-Médecine. Outre leur destination spéciale de manufacture de tapis et de tapisseries, les Gobelins pourraient, avec la moindre impul- sion, et sans nécessiter de nouvelles dépenses, devenir d'abord une pépinière d'artistes teinturiers, qui se répandraient ensuite dans les établissements privés ; en outre, une sorte d'école de goût, qui ne serait i)as inutile aujourd'hui, et qui conserverait à la France la suprématie traditionnelle qu'elle exerce sur tous les arts de luxe. Quant à l'avenir de la manufacture, il nous intéresse trop pour ne pas lui consacrer quelques lignes avant de terminer cette étude, plus longue que nous ne l'avions prévu et cependant si rapide, de notre plus vieille gFoire industrielle. Nous avons entendu bien des opinions contraires émises par des personnes compétentes ; bien des questions ont été soule- vées et résolues dans un sens ou dans l'autre. Les uns sont d'avis que l'on doit maintenir la méthode actuelle de travail avec ses sages et habiles lenteurs ; les autres, que l'on doit au con- traire chercher à appiïquer, autant que possible, les meilleurs procédés inventés de nos jours par la mécanique pour simplifier le travail manuel rendre l'exécution plus rapide et abaisser, 40 GRANDES USINES par conséquent, le prix de revient de chaque pièce. Les premiers pensent que l'on doit chercher, le plus possible, à reproduire ce que la peinture a de plus difficile à imiter, pour maintenir la distance qui sépare les productions des Gobelins et celles du commerce ; les seconds, que l'on doit au contraire abandonner toute idée de faire des tableaux, et se borner à tisser de splen- dides tentures ornées d'arabesques et de fleurs, enrichies de métaux précieux, destinés à égayer la vue sans prétention à la grande peinture. Il me semble qu'on pourrait prendre un moyen terme entre ces deux exagérations : il est bon, il est nécessaire à l'existence même de la manufacture de rester par sa perfection hors de concours avec les produits du commerce, et cela lui sera toujours facile, malgré les efforts, quelquefois heureux, de plusieurs tapis- siers, MM. Planchon, de Neuilly, Mourceaux, de Paris, etc., qui n'ont pu et ne peuvent encore produire des tentures à person- nages, tout en exécutant de bonnes tapisseries d'ornement. Il nous semble aussi qu'elle pourrait, maintenant qu'elle a fait ses preuves, renoncer aux sujets sévères ; elle devrait tenir un peu plus compte de la structure même du tissu de la tapisserie, dont la surface cannelée ne peut rendre ni une ligne droide ni un cercle, dont les lumières ont toujours un peu d'ombre, et les ombres un peu de lumière, et demander qu'on fît créer pour elle par un peintre qui connaîtrait ses exigences, des modèles spéciaux ; ces modèles ne seraient pas seulement des peintures d'ornement pur, rfiais le talent de l'artiste saurait y offrir aux yeux de belles allégories à personnages, aux tons riches, et sur- tout de grand teint de beaux paysages, rappelant, en les dépas- sant de tout le progrès accomph, les belles verdures d'autrefois si riantes et si gaies; puis, pour les petits appartements, de gracieuses pages où l'imagination pourrait se laisser aller à des fantaisies heureuses. N'y a-t-il donc plus de Rubens, de Titien, de Veronèse, dont les compositions pourraient guider les peintre contemporains ? N'y a-t-il pas à la Maison du Bois, à la Haye, LES GOBELINS 47 l'adQiirable Oranje-Zaal, décorée depuis la coupole jusqu'à la plinthe de splendides allégories de Jordaens et de Kubens, dont l'ensemble dicterait une merveilleuse tenture? Et le Louvre !... Mais surtout pourquoi ne fait-on pas faire des modèles à Baudry, Daubigny, Baron, Couture, Glaize, Nanleuil, La- pierre, Leleux, Appert, Doré, Saint-Jean, Philippe, Rousseau, Leys, Machse, et d'autres faciles pinceaux qui sauraient éviter la sécheresse tout en maintenant l'élégance et la précision du contour ? Il faudrait enfin être de son temps et montrer que les enfants valent les pères. 11 y a là une question plus élevée qu'on ne pense : il s'agit d'une suprématie nationale à conserver. Grâce aux merveilleux produits des Gobelins de Sèvres et de Beauvais, la France a su prouver à l'Europe qu'elle la domine par ses arts industriels, comme elle la maintient par ses armes : cette persuasion vaut des centaines de millions au commerce français. Mais qu'on y prenne garde : les nations rivales, à force de travail et de sacrifices, sont à la veille de nous atteindre et de nous dépasser. Sans un vigou- reux effort, nous serons bientôt, pour les arts de luxe, au-dessous de l'Angleterre dont on a tant médit. Depuis que ces lignes ont été écrites, l'exposition internatio- nale de 18621 est venue malheureusement fortifier encore l'opi- nion que nous émettions en 1860. Le courageux rapport de M. Mérimée, au nom d'une commission nommée par le jury français, signale en ces termes l'état d'infériorité relative d'une de nos industries artistiques : « Depuis l'exposition universelle de 1851, et même depuis celle de 1 855, des progrès immenses ont eu heu dans toute l'Eu- rope, et bien que nous ne soyons pas demeurés stationnaires, ♦ nous ne pouvons nous dissimuler que l'avance que nous avions prise a diminué, qu'elle tend même à s'effacer. Au milieu des succès obtenus par nos fabricants, c'est un devoir pour nous de leur rappeler qu'une défaite est possible, qu'elle serait même à prévoir dans un avenir peu éloigné si, dès à présent, ils ne 48 GRANDES USINES faisaient pas tous leurs efforts pour conserver une supériorité qu'on ne garde qu'à la condition de se perfectionner sans cesse. » L'Union centrale des beaux arts appliqués à l'industrie vient, comme le demandait l'honorable rapporteur, d'ouvrir une série de cours spéciaux faits par des hommes éminents. Ce n'est pas encore l'école de South-Kensington, niais c'est le commencement du mouvement, et nous pouvons espérer que les hommes coura- geux formant le comité directeur de la Société n'en resteront pas là et conduiront leur œuvre utile à ses dernières limites. Puis- que ce n'est plus de l'État que vient l'initiative artistique, il faut qu'une grande école nationale se fonde sous le patronage de souscriptions privées. Ce ne sont pas seulement des cours , mais des ateliers qu'il faut; c'est un musée de modèles, ce sont des récompenses pour encourager les efforts; mais ce qu'il faut surtout , et ce que le public seul 'peut donner, ce sont des com- mandes. LES MOULINS DE SAINT-MAUR L'histoire du blé serait l'histoire de l'homme, ou plutôt de la race sémitique ; dans toutes les contrées qui entourent la Méditerranée, les trois quarts au moins de, la population pas- sent leur vie tout entière à semer, récolter, battre, emma- gasiner, moudre le blé, et cela depuis des temps où la mé- moire des hommes n'atteint pas. L'art de réduire le blé en farine et d'en faire du pain est parti de l'Egypte, af ait 1g tour de la mer intérieure, s'y est implanté et perfectionné de telle façon que rien n'a pu l'en détrôner. L'usage de cet aliment s'est introduit dans le Nord, s'est répandu dans l'Est et le Sud, et a traversé l'Atlantique sur les vaisseaux des Génois ; mais en s'éloignant de son berceau, le blé a rencontré le riz, l'orge, la pomme de terre, dont il n'a pu entièrement triom- pher. Cependant, plus ce qu'on appelle civilisation s'étend sur le globe, c'est-à-dire plus les mœurs des Latins prennent de prépondérance, plus l'usage des différentes préparations du blé et surtout du pain devient général. Bien des causes ont amené et maintiennent ce résultat ; nous les discuterons en parlant de la Manutention. Nous ne nous occuperons aujourd'hui que de l'art de réduire le grain en farine. Typ H. Pion. 50 ghandes usines Sans remonter aux temps fabuleux ou poétiques, qui trans- formaient en dieux ou en demi-dieux les premiers meuniers, on peut être à peu près sûr que l'on commença par torréfier le grain pour le débarrasser de son enveloppe, comme aujour- d'hui on fait griller des marrons. On arriva assez vite à la meule ; les livres saints nous montrent Samson tournant celle des Philistins ; l'histoire de la république romaine raconte les fatigues de Plante le comique, attaché ad molam, ce qui était alors le dernier degré de la misère humaine. En effet , ad molam, à la meule, était un châtiment qui égalait et dépassait même les trirèmes, les galères. Les criminels n'étaient pas assez nombreux pour suffire à l'alimentation de la ville éternelle, et des miUiers d'esclaves courbaient, sous le fouet, leurs épaules sillonnées par la sanglante lanière des pisteurs : les boulangeries de Rome avaient fourni à l'armée de Spartacus de nombreux soldats gaulois, germains, thraces et numides. Les cours d'eau ne tar- dèrent pas à être utihsés, surtout après la guerre contre Mithri- date. Les moulins à vent sont, à ce qu'on croit, d'une origine plus récente. Les croisés les trouvèrent chez les Arabes, où ils existaient, dit-on, depuis le sixième siècle, et les rappor- tèrent en France et en Allemagne. Les Maures d'Afrique les avaient déjà acclimatés en Espagne. Ces mouUns se multi- plièrent beaucoup, car ils s'établissaient à peu de frais; depuis les perfectionnements de la meunerie, surtout depuis l'établis- sement des grandes usines à mouture, ils ont été peu à peu délaissés. En France, le vent est un moteur trop inconstant, et on ne peut laisser chômer pendant des mois entiers, quelque- fois, un établissement servi par un nombreux personnel. Au- jourd'hui, la Flandre et la Hollande semblent avoir recueilli tous les moulins à vent de l'Europe. Rien n'étonne plus un Parisien, habitué à regarder comme des curiosités archéolo- giques les trois mouHns de Montmartre dont .les ailes tournent quand il plaît au vent. L'aspect étrange que donnent, sur les LES MOULINS DE SAINT-MAUR 51 levées de Dordrecht, à perte de vue, ces longues lignes de tours élevées, surmontées de leurs grandes ailes en croix, trouble sin- gulièrement l'esprit. On croit, au premier abord, que tous les meuniers du monde se sont donné rendez-vous là pour y moudre des moissons miraculeuses apportées par des nuées de galiotes. En approchant, on voit que les moulins à. farine sont très-rares, et que la plupart des moulins hollandais sont occupés simplement à moudre la mer, le Rhin, la 3feuse ou l'Escaut, c'est-à-dire à mouvoir des pompes qui rejettent aux canaux les eaux qui ont envahi les polders. Là le vent est si fort, que la pluie est hori- zontale. On a donc raison d'en utiHser la puissance et de l'em- ployer à tout : à exprimer l'huile, à scierie bois, à forger le fer. On lui fait animer tous les engins que meuvent chez nous les chutes d'eau, absolument inconnues dans ce pays, plat comme l'Océan d'où il est sorti. Les moulins à eau sont les vrais moulins de la France, et les mouhns à vapeur peuvent leur apporter un concours utile, mais ils ne les remplacerons jamais ; leurs frais sont trop grands. Les premiers ont cependant leurs jours de chômage comme les moulins à vent, moins fréquents toutefois. Les glaces, pendant quelques jours d'hiver, arrêtent les aubes ; les grandes eaux les noient, les inondations les emportent et quelquefois le mouhn avec elles : la sécheresse excessive des étés torrides les laisse en l'air; somme toute, un moulin à eau établi dans de bonnes conditions va bien onze mois sur douze, et une fois construit marche presque sans frais. Aussi égaye-t-il toutes nos vallées de son joyeux tic-tac. — La petite maison noircie par l'humidité, lézardée par l'effort de la mule, la grande roue aux palettes Termoulues, soulevant une chevelure d'herbes aquatiques dont h verdure noire et veloutée donne une transparence brillante au cristal de l'eau ; le ruisseau ou le petit torrent qui se brise, éclate en blanche mousse, irisée par les rayons du soleil, et fuit en roulant ses galets luisants, aamiheu d'une prairie d'un vert franc, parsemée d'un feu d'artifice de marguerites, de lu- 52 GRANDES USINES zerne, de trèfle, de boutons d'or, voilà le moulin à eau tel que le cache tout pli de terrain dans notre vieille France. Aussi,, légendes et ballades commencent-elles presque toujours par : « 11 y avait une fois un riche meunier... » Aujourd'hui, le meu- nier est resté un des gros bonnets du village, et même du pays. MOULIN A VENT. (Encyclopédii-. — 1788.) quand son moulin ou plutôt ses moulins sont installés sur une bonne et large rivière, comme la Seine ou la Marne, qui apporte à ses meules les grains de la Beauce, de la Bourgogne et de la Champagne, au centre d'un immense réseau de chemins de fer, à deux pas d'une grande ville comme Paris, qui renferme neuf cents boulangers. LES MOULINS DE SAINT-MÀUR 53 Les premiers moulins, exploités par MM. Darblay, dans le système anglo-américain , s'élevaient à Étampes. Cette industrie fut transportée par eux à Corbeil , où des moulins construits en 1769 par l'hôpital général de Paris, après être restés longtemps inactits, venaient d'être achetés par la famille de Noailles. Leur MOULIN A EAU. (Encyclopédie. — 1788.) gestion est confiée spécialement à M. Paul Darblay, fils de M. Darblay jeune. Ces moulins, échelonnés sur l'Essonne, renferment encore quatre-vingts paires de meules, et sont mus par la chute d'eau de cette petite rivière à son confluent dans la Seine. Le bâtiment principal est considérable, il est tout à fait sur le quai, en travers du grand bras de l'Essonne. Les menles GRANDES USINES y sont mues par deux grandes roues et deux turbines, cachées dans une sorte de bâtiment en planches, où elles sont à l'abri des grands froids : on y fait même du feu quand la gelée trop forte menace d'arrêter le travail. Pendant la saison des basses eaux, une machine à vapeur d'une vingtaine de chevaux vient au se- cours de la chute. C'est dans ce gigantesque étabUssement qu'ont été essayés tous les perfectionnement dont a hérité le mouhn de Saint-Maur. De ces perfecrionnements, dont nous parlerons plus tard en détail, deux surtout sont très-importants : le premier est la substitution de la courroie qui donne un mouvement uniforme et sans à-coup à l'ancien engrenage, lequel détermine au con- traire au tremblement presque continuel, et, qui, de plus, nécessite l'immobilité de l'ensemble pour arrêter une seule des paires de meules. Avec les courroies, au contraire, on déblaye seu- lement l'arbre de meule dont l'arrêt est nécessaire, et les autres peuvent continuer leur travail. Le second perfectionnement, qui a demandé bien des essais, à pour but d'arriver à la parfaite et constante horizontahté de la meule gisante. Nous verrons au moulin de Saint-Maur comment on l'a résolu. A Corbeil, on y est parvenu, au moins d'un côté, en appuyant les meules le plus près possible des gros murs du bâtiment, au heu de les laisser au miheu du plancher comme à l'ordinaire. Les étabhssements de Corbeil se doublent d'une importante huilerie à colsa. Passons maintenant à la description du moulin de SaintTMaar, spécimen de la grande meunerie en 18C0 : Pour éviter un parcours presque circulaire de quinze kilo- mètres environ fait par la Marne entre Joinville-le-Pont et Cha- renton, Napoléon fit creuser, à la hauteur de Saint-Maur, un canal de deux kilomètres ; ce canal, pendant la moitié de sa longueur, passe dans un tunnel perçant de part en pari une petite colUne. C'est à l'endroit même où il débouche du souter- rain que sont étabhes les usines animées par la chute d'eau de son trop plein. Cette chute très-puissante pèse de trois mètres de hauteur sur une largeur de huit mètres ; le trop plein, divisé LES MOULINS DE SAINT-MAUR 5:. en deux bras dont l'un s'écoule à l'ouest, l'autre à l'est, donne la vie à huit usines possédées par MM. Darblay, et M. Béranger, chargé spécialement de l'exploitation du mouUn de Saint-Maur H . Le mouUn principal est étabU sur le bras de l'est et animé par quatre puissantes turbines. Une vaste cour lui donne accès, et deux porches avancés permettent aux chariots de venir, à l'abri de la pluie, décharger du grain et charger de la farine. De nom- breuses ouvertures l'aèrent et l'éclairent ; de grands cyhndres en toile métallique font sailhe devant les fenêtres, situées aux extrémités du bâtiment : c'est dans leurs gigantesques tamis que sont précipités du sixième étage les blés qu'on a besoin d'agiter vivement pour éviter la fermentation. Si on entre par la porte du miUeu dans la vaste salle qui comprend, sans séparation, tout le rez-de-chaussée, on voit au premier coup d'œil que le moulin de Saint-Maur est composé de quatre mouHns, ou plutôt de quatre ensembles de dix meules chacun, répétant à peu près la même disposition. Nous allons essayer de décrire ce qui se passe dans l'un de ces ensembles, et pour cela nous suivrons un sac de blé depuis son entrée dans l'usine, jusqu'à la sortie du sac de farine en laquelle il s'est mé- tamorphosé. Entrons d'abord dans la salle de réception, où le grain qu'on apporte est soumis à un scrupuleux examen ; là, d'ha- biles experts constatent ses qualités ou ses défauts, supputent son rendement, reconnaissent les fraudes. Une fois le grain reçu, il ne peut, même le meilleur, la lête, comme on dit, être employé comme l'agriculture le donne, c'est-à-dire remph de graines étrangères, de petits cailloux, de terre, et de mille autres impu- retés nuisibles à la panification. On le livre à un système de circulation dû à l'Américain Olivier Evans, système qui a rem- (a) On vient d'établir sur le bras de l'est, auprès du moulin principal, un appareil destiné à fournir de l'eau aux rivières artificielles créées au bois de Vincennes par la liste civile. On n'a pas eu besoin de monter une machine à vapeur, le force de la chute suffit — l'eau envoie l'eau — par conséquent à peu de frais. Deux pompes animées par une forte turbine, fournissent, par vingt-quatre heures quatre à cinq mille mètres cubes d'eau à raison de treize mille francs par an, ce qui fait revenir le mètre à moins d'un centime, prix du reste très-modéré et qui pourrait donner l'idée d'utiliser la chute de Saint-Maur pour fournir de l'eau aux quartiers de Paris situés à l'est des boulevards. LES MOULIN 58 GRANDES US.INES placé presque tout travail manuel dans les moulins modernes. Il est du reste d'une parfaite simplicité : il se compose d'une noria ou chaîne à godets, pour faire monter le grain et de tuyaiix de métal plus ou moins inclinés, pour le faire des- cendre par son propre poids. Pendant qu'on engraine le blé dans la noria qui doit le porter au sixième étage, nous y mon- tons nous-même par un bel escalier à pente douce qui rem- place heureusement l'ancienne échelle du meunier ; nous arrivons assez à temps pour voir les godets de fer-blanc se re- tourner et lancer le grain dans un vaste entonnoir faciUtant l'ac- cès d'un premier crible dit émoteur. Là s'arrêtent les pierres et les mottes de terre de gros calibre. Un tube de fer-blanc incHné reçoit le grain sortant de l'émoteur, pour le conduire entre deux cylindres verticaux en tôle placés l'un dans l'autre. Le cylindre extérieur est fixe, le cylindre intérieur est mobile autour d'un axe garni à ses deux extrémités d'un ventilateur à palettes. Les lames de tôle sont percées de trous au poinçon, de telle sorte que la sailKe déterminée par le refoulement du métal se trouve à la face interne par le cylindre extérieur et à la face externe pour le cylindre intérieur. Aussi le grain engagé entre les deux surfaces est-il nettoyé, égratigné, gratté, étrillé enfin, si violemment, qu'un nuage de poussière s'échappe de l'appareil, accompagnant une grêle de petites pierres et de détritus de toute sorte. Le grain passe ensuite, non-seulement par V émoteur et le grat- ^ leur, mais encore par le batteur, qui le débarrassent de tout corps terreux ou minéral. Il reste cependant des semences étrangères, des petits grains de blé avortés ou de mauvaise nature, dont les morceaux se mêleraient sous la meule à la farine dont elles amoin- driraient la quahté. On en débarrasse le blé en le faisant passer par des cyHndres cribleurs et trieurs qui retiennent le grain de bonne grosseur, et laissent échapper au dehors la grenaille et les semences qui s'y sont introduites au moment de la récolte. Pen- dant ces opérations, descendant d'étage en étage dans des tubes cyUndriques en fer-blanc ou quadrilatères en bois, le blé se pré- LES MOULINS DE SAINT-MAUR cipite jusqu'au rez-de-chaussée avec le crépitement d'une pluie d'orage sur les carreaux d'une serre. Une autre noria le remonte, d'autres tubes le descendent dans un appareil inconiiu aux an- ciens meuniers, et qui a pour usage de comprimer légèrement le blé avant de le livrer à la meule. Il est formé de trois cylindres : deux sont lisses, se regardent par leur surface extérieure, tour- nent en sens contraire et laissent entre eux l'espace suffisant pour laminer en quelque sorte chaque grain sans le pulvériser. Au- dessus tourne un cylindre cannelé dont les cavités uniformes égalisent le travail en retenant et mesurant le blé, qui, au sortir de ce comprimeur, descend aux meules. En se reportant aux procédés primitifs, on croit qu'on n'a qu'à écraser le grain entre deux grosses pierres, à tamiser le résultat de cet écrasement, et qu'on a d'un côté la farine, de l'autre le son. Les choses ne sont pas aussi simples que cela. Pour obtenir de bonne farine, c'est-à- dire de la farine qui fasse du bon pain, pour l'obtenir dans des conditions normales qui donnent tout le rendement possible, il faut apporter la plus grande attention, non-seulement à la quaUté même des meules, mais encore à la manière dont elles sont juxta- posées. C'est ici que se manifeste la supériorité d'aménagement du moulin de Saint-Maur. Dans les mouhns ordinaires, même bien établis, la meule gi- sante, c'est-à-dire fixe, est située au premier étage du bâtiment et sur un plancher qui n'est pas et qui ne peut être d'une horizon- talité absolue. Quelles que soient les précautions que l'on ait prises dans l'installation, la moindre circonstance peut détruire cette horizontahté : le poids de sacs de blé déposés sur le plan- cher, le jeu d'une poutre par le temps et fhumidité. On com- prend que le garde-moulin aura le plus grand mal à régler la position de la meule courante par rapport à une surface obhque, même légèrement inclinée. A Saint-Maur, la meule gisante est fixe, irrévocablement horizontale, puisqu'elle est enfermée dans un massif de fonte et de maçonnerie scellé dans le sol même sur lequel est construit le mouhn. On est arrivé à ce résultat en super- 00 GRANDES USINES posant aux meules l'appareil moteur, qui se trouve ainsi au premier étage, tandis qu'elles restent aux rez-de-chaussée. Ordi- nairement l'arbre de meule traverse le gîte et porte à son extré- mité supérieure la meule courante, qui retombe de son poids sur sa jumelle ; et comme le fer est un métal très-sensible au calorique, il s'échauffe par le frottement, s'allonge, et finit par soulever la meule qui ne fait plus alors de la farine, mais du gruau. A Saint-Maur, la meule courante est mise en équihbre sur sa jumelle ; le fer de meule vient d'en haut et se fixe à la partie supérieure de l'anille, sans soutenir ni presser : il ne fait que transmettre le mouvement qu'il reçoit lui-même d'une cour- roie mue par une grosse poulie verticale sur laquelle s'embrayent les dix courroies des dix arbres de meule. La grosse poulie ver- ticale est mue par une forte turbine dont l'arbre, après avoir traversé le massif du rez-de-chaussée, se prolonge jusqu'au premier étage au miheu de tout l'appareil moteur. Les meules dont on se sert dans les environs de Paris viennent presque toutes de la Ferté-sous-Jouarre, où se trouvent des car- rières justement renommées. Il y a longtemps qu'on a renoncé à les faire d'un seul morceau ; elles sont composées de plusieurs pièces réunies entre elles par du plâtre très-fin et d'une quahté très-tenace. Il y aurait des volumes à écrire rien que sur les meules, leur provenance, leur densité, leur forme, les procédés pour les dresser, rayonner, rhabiller (a) . A Saint-Maur on rhabille les meules presque tous les huit jours. Il ne suffit pas que la meule ait une (n) La meulerie comme la meunerie dont elle est l'instrument priu^Ipal et le plus essentiel, est restée longtemps dans l'enfance. Si nous nous en rapportons aux traditions, les Grecs, pour moudre leurs blés se servaient de meules en laves scorillées ou laves de volcan. Les Romains employaient des pierres de basalte, de granit ou de porphyre. Toutes ces meules étaient de petite dimension, elles n'excédaient pas un mètre. Chez les peuples modernes, on s'est longtemps servi de meules en granit et d'une espèce de grès compact. La meulerie ne commença à progresser que lors de la découverte lu silex meulier de la Ferté-sous-Jouarre. Des titres établissent que l'on exploitait la meulière à la ierté-sous-Jouarre il y a près de cinq cents ans. Ces exploitations avaient peu d'activité. Elles ne corr.mencèrent à en prendrL' qu'en 1752, époque à laquelle la famille Gueviu donna la première impulsion à oelte industrie, lit adopter ses produits meuliers en France, en Belgique et en Amérique, et étendit ses relations en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Russie, en Turquie, etc., etc., de telle sorte que tonte l'Europe et mêm'j l'Amérique sont devenues tributaires de la Ferté-sous-Jouarre. Pendant longues années, les meules pr>ve- nant des carrières de la Ferté, employées par les meuniers français, étaient d'un seul morceau de pierr,; très-poreuse. C'est dire que le plus souvent elles étaient sans régularité, avec des parties dures, avu Jes parties tendres, et très-grossièrement façonnées. Ces meules avaient six pieds deux pouces de diamètre LES MOULINS DE SAINT-MAUR 61 surface bien préparée, il faut qu'elle soit bien montée, c'est-à-dire qu'elle tourne en équilibre parfait sans presser inégalement aux divers points de sa course : pour cela il faut voir si elle a ce qu'on appelle des lourds, c'est-à-dire des parties plus denses qui la font dévier. On y remédie de diverses manières. La grande et perpétuelle difTiculté de la mouture est de faire un travail égal, c'est-à-dire 4'écraser assez le grain et de ne pas l'écraser trop, de manière à l'échauffer, ce qui fait fermenter et évaporer des parties très-nourrissantes et essentielles à la panification. Malgré toutes les recherches et toutes les inventions possibles, on n'a pu arriver à ce résultat que par une surveillance continuelle; on a donc trouvé bon à Saint-Maur de faire sortir à l'air libre le mélange de farine, de gruau et de son qui s'échappe d'entre les meules. Ce mélange tombe sur une espèce de parapet circulaire et mobile nommé récipient, sur lequel le garde-moulin peut sans cesse le voir, le toucher, l'apprécier, et par sa température et sa consistance juger s'il doit serrer ou écarter ses meules. Ce résultat de la mouture est appelé boulange, parce qu'il était ainsi hvré autrefois aux boulangers qui le blutaient chez eux. Le récipient tourne d'un mouvement lent et réguUer et amène la boulange devant une palette qui la précipite dans une ouverture, du fond de laquelle une vis sans fin la porte à une noria dont les godets la remontent au sixième étage et la versent dans une salle appelée chambre à refroidir. La boulange à ce moment se com- pose d'abord de son, — puis d'une partie formée de son fin, de C'esl seulement en 1826 que la meunerie, adoptant le système de mouture américain, perfectionné par les Anglais, les exploitants de pierres meulières de la Ferté commencèrent à rivaliser avec ces derniers, puis à les surpasser dans tous les détails de la fabrication des meules dites à l'anglaise. La dimension des meules à l'anglaise le plus en usage a été d'abord de 1 mètre 30 centimètres. Ce diamètre exigeait un choix de pierres pleines et vives, qui ne pouvaient travailler qu'a l'aide de rayons trcs-mullipliés taillés sur la surface de la meule. Mais l'impulsion extrêmement rapide donnée a ces meules dè p''"" . fussent insoriis. Chacun regarde ces écussons avec'laisir et intéït ! ' ^^urs é^.nités ?A;l^i";tS:s'q:::il|! iu"ï '^"^ avedesquenes on apprenait à lire aux enn.nts : « élèves parviennent à les reconnaître à leur Lp ?t ni i '-"Ph^bet, jusqu'à ce qu'enlin leurs « l.s.ge d'exciter le .èle ^s enfants L \::^lJZ:'.:. Il t ngi^^e:'^:- ^" ^-^'"^ .i::;:r;rsi-:r^ri::;t::r^ « soit point conservé, mais au contraire au' 1 s. S n , , ' '"^^''^''t"'" ^ l'o^'l-'e "'en -< du milieu, et celles du milieu aveT es Lr iS r fi: ' '''''''''' ^"'^ '''''' « vue qui les lui fasse cr^nna^e. > ' ''''' ''"'^ ''''' '''' ^«"'«'"«"^ ™ais encore la Une foule d'autres causes aurai Mit dû mpitro uc i • , toutcssortesimpriméessurlesbriq ,s 'S 1^'" ''^P^^-'^' " pour relever le courage de ses s Ida s é riv. T/h ? des esclaves, etc. Plutariue dit qu'Ag..silas, ie foie des victimes. On m^^TLZrieU r"'''l ''«PP"''"«" de planches avec lesquelles o, t le art" à o de In'i' '^''^^"^^V-'"'' ''''' ^-^"-Christ, avec la vraie et sérieuse décou er"e eVca a t res "o^^ """" ^'^"""'•^ découverte que l'on doit à Pierre SchœLr I f - etl'aidèrenU la perfectionner ^"'^"^^''^ profitèrent de sa découverte L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 67 poids de l'or, d'avoir deux manuscrits ou deux épées identiques. Aujourd'hui c'est le contraire, bien peu d'objets échappent à la copie et même à la copie indéfiniment multipliée. Nous ne pré- tendons pas que c'est à l'imprimerie seule que l'on doit cet état de choses, mais nous maintenons que l'exemple du procédé de travail inventé par Schœffer («) a servi à toutes les industries ayant pour but la reproduction prompte et à peu de frais, et par suite à tout le système moderne qui repose presque entière- ment sur cette reproduction. Avant de commencer l'étude de l'imprimerie contemporaine en décrivant V Imprimerie impériale et ses annexes, il faut racon- ter rapidement par quelles vicissitudes a psssé ce magnifique étabUssement avant de devenir un juste sujet d'admiration et d'envie pour les nations rivales. Les guerres qui troublèrent et ensanglantèrent le monde à la fin du moyen âge n'avaient pas empêché l'introduction en France des procédés mayençais p), et, depuis 1469, Ulric Gering, (o) « Il ne faut pas non plus perdre de vue que les tables en bois, en marbre plan et poli, servant à « dresser, à aligner par la base cette multitude de caractères ou nouveaux types métalliques mobiles; que « le manteau, la platine supérieure horizontale, qui, dans leur descente verticale et parallèle, effectuée sous « l'action d'une vis à levier, viennent presser sur tous ses points la feuille de papier placée sur la forme « déjà encrée ; qu'enfin les faces extrêmes et latérales de ces caractères quelquefois microscopiques, mais « sni'tout celles des platines lixes et mobiles qui les soutiennent ou les pressent pendant le tirage, avaient « elles-mêmes besoin d'être planées, dressées avec une précision pour ainsi dire mathéraathique , jusque-là, « certes, sans aucun antécédent dans les arts, et qui, à dater du quinzième siècle, où vivait et travaillait « Gutenberg, aura pu servir d'exemple aux fabricants d'instruments de géométrie, d'astronomie, etc., dont « aujourd'hui même les ateliers sont munis, sans exception, de la table, du marbre à dresser. » {Rapport du sixième jury. Exposition de Londres en 1851.) (b) « Différentes nations et plusieurs villes ne s'accordent point entre elles ni sur le temps m sur le lieu « où cette découverte s'est faite, non plus que sur son véritable inventeur. En effet, c'est quelque chose d'assez « surprenant que le nombre considérable de traités historiques, critiques et polémiques touchant ce point de « l'histoire moderne; et ce ne serait pas une petite affaire que de dresser un catalogue exact et raisonné de « tous les auteurs qui ont écrit sur ce sujet. « Cependant, après une lecture attentive et réfléchie des principaux d'entre eux et singulièrement du trithème « de la chronique anonyme de Cologne, de Jean Arnaud deBregelles, de Junius, de Salmuth, de Naudé, de Mal- « lintkrot, de Boxhorn, de Mentel de Chevillier, deStruve, d'Oudin, de Maittaie, ceux de tous qui ont examiné « cette question avec le plus de soin et qui l'ont traitée avec le plus de lumières, voici ce que l'on trouve ce de plus vraisemblable et de plus authentique à cet égard, suivant l'opinion de Prosper Marchand, et d'après « le sentiment du savant bibliothécaire de Sainte- Geneviève, M. Barthélémy Mercier, abbé de Saint-Léger : « vers l'an 1440, Jean Gutenberg ou Jean Gemtheicht, surnommé Gutenberg, ou Jean Zumjungen de Gu- « tenberg, natif de Strasbourg et bourgeois de Mayence, selon les uns, et natif de Mayence et bourgeois de « Strasbourg selon les autres, simple domestique selon quelques-uns, seulement orfèvre selon quelques auires, « mais gentilhomme selon plusieurs et véritablement de.l'ancienne famille de Zumjungen, qui avait un hôtel «t de ce nom dans Mayence et une espèce de palais nommé Gutenberg, dans le voisinage de celte ville; cet « homme enfin très-industrieux imagina l'imprimerie à Strasbourg, et la perfectionna à Mayence. « La première idée de Gutenberg fut d'abord un essai très-imparfait, ne consistant simplement qu'en ccr- 68 GRANDES USINES Martin Crants et Michel Friburger, appelés en France par la Sor- bonne, y avaient établi des ateliers consacrés presque exclusive- ment à la fabrication des livres de théologie et de hnguistique. Mais au miheu de ses préoccupations guerrières, la France ne Dut faire les progrès rapides auxquels les Allemands et surtout es Itahens arrivèrent presque du premier coup, et lorsque l'avé- nement de François l^" vint commencer la belle période de la renaissance des lettres et des arts , nos écohers et nos savants devaient encore faire venir leurs livres de Mayence, de Harlem ou de Venise. Ce fut vers i 538 que François I^^ résolut d'affranchir la France de ce tribut plus humihant qu'onéreux. 11 venait de fonder le collège des Trois-Langues , aujourd'hui Collège de France. Il voulait que ses futurs savants étudiassent dans des livres im- primés à Paris. Il se résolut donc à fonder une typographie grecque («). Ce fut pour lui une affaire importante que de dési- gner le directeur de cette imprimerie nouvelle ; il consulta les gens de lettres ses amis, et sur leur recommandation, nomma imprimeur royal pour les lettres grecques, Conrad Neobar, hellé- niste fort savant, lui donnant cent écus d'or par an, à la charge de faire graver des caractères grecs,'d'établir une imprimerie et de déposer à la bibliothèque un exemplaire de chaque ouvrage édité par lui « afin, dit la patente royale, que si quelque calamité pu- :< taines planches de bois, sur lesquelles il se proposait de graver à rebours et én relief les lettres, les « mots et les périodes d'un discours suivi, « Après beaucoup de tentatives inutiles, ayant déjà dépensé tout son bien sans avoir pu réduire cette théorie « en pratique, désespérant enfin de pouvoir y réussir, Gutenberg découvrit son secret ou plutôt son p;ojct « à quelques riches bourgeois de Mayence qui l'aidèrent et s'associèrent avec lui. Les seuls qu'on connaisse sont « Jean Medinbach ou Meydenbach, dont on n'a conservé que le nom ; et Jean Fust, homme de très-bonne famille « de cette ville, originaire d'Aschaffenbourget orfèvre de profession, qui contribua beaucoup à l'avancement de « cette entreprise. Un de ses domestiques, nommé Pierre Schoiffher ouSchoiffer, en latin Opilio, ce qui signifie . berger, natif de Gerneserheim dans l'éleetorat de Mayence, ayant pénétré quelque chose de leur secret y fut « admis et s'appliqua aussi avec eux à le perfectionner. » (Panckoucke. {Encyclopédie méthodique.) (a) « La passion de François I^' pour les manuscrits grecs, luy fit négliser les latins, et mesme les ouvrages « en langues vulgaires étrangères ; on ne distingue qu'une vingtaine des premiers qui luy ayent appartenu, et les « livres italiens qu'il eut ne méritent pas d'estres comptez. A l'égard des livres françois qu'il faisoit mettre dans « sa bibliothèque, on en peut faire cinq classes différentes : ceux qui ont été escrits avant son règne, ceux qui luy « ont été dédiez, les livres qui ont été faits pour son usage , ou ceux qui luy ont clé donnez par les au- • theurs, les livres de Louise de Savoye, sa mère, et enfin ceux de Marguerite de Valois, sa sœur : ce rrù « ne fait qu'à peu près soixante-dix volumes. » (Mémoire hi$torique sur la bibliothèque du Roy, par l'abbé Jourdain.) L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 69 blique venait frapper cruellement, les lettres, il fût permis à la postérité de réparer en partie la perte des livres. » Ces lettres patentes du 17 janvier 1538, écrites en latin et imprimées par Neobar lui-même, sont un curieux spécimen du mouvement de esprits à cette grande époque ; nous voudrions pouvoir les repro duire en entier. Ce roi, accusé si souvent d'inconsistance et de légèreté, comprenait l'importance des lettres, aimait la société des lettrés, s'occupait de l'éducation de la jeunesse; il comprenait aussi que les études bien dirigées font les hommes utiles et les hommes honnêtes («). Il se vantait d'avoir pour amis et pour con- seils des savants et des httérateurs (^) . Il les consultait sur le choix d'un imprimeur, et quand ils l'avaient désigné, le roi le comblait d'immunités et savait le défendre contre la méchanceté et 1 envie pour qu'il pût vaquer en* paix aux travaux entrepris (f) . Neobar ne (a) Universis et singulis liquide constare volumus, niliii perinde nobis in votis esse, aut unquam fuisse, atque cura bDnas litteras praîcipua quadam benevo- lentia complecti, tum juvenilibus studiis pro virili nostra recte consulere. Nam his probe conslitutis, ar- bitramurnon defuturos in regno nostro, qui et rcli- gionem sincère doceant, et leges in foro non tara privata libidine quam ajquitate publica metiantur : ac denique in reipublicae gabernaculis ita versentur ut et nobis sint ornainento et communem salutem privato emolumento praeferant. (b) Quapropter viris aliquot eruditis, quorum vel convictu, vel alioqui consuetudine familiariter uti- mur, id muneris demandaviraus, ut nobis quempiam invenircnt, cum rei typographia; studiosura, tum eru- ditione pariter ac sedulitate comprobatum, qui nostra benignitate adjutus, graîce excudendi provinciam obiret. (c) Cui edicto si quis non parebit, is et fisco ob • noxius erit, et nostro typographo^ quas in iis libris excudendis fecerit impensas, plene refundet. Manda- ffius insuper urbis Parisinae prœtori aut vice prsetori, cœterisque omnibus qui vel in prœsentia sunt, vel in posterum erunt nobis a reipublicaî gubernaculis, quo et ipsi hune nosîrum typograpiium, concessis tum immunitatibus tum privilegiis perfrui légitime sinant, et alios, si qui illi vel injurias manus attule- rint, vel alioqui abs re negocium exhibuerint, digno supplicie coerceant. Volumus enim ipsum perbelle munitium adversus tum improborum injurias, tum malevorum invidias, ut tranquillo ocio suppetcnte, et vitae securitate proposita, in susceptam provinciam alacriori animo incumbat. (a) A tous et à chacun nous voulons qu'il soit clair et constant que nous ne désirons et n'avons jamais rien désiré plus ardemment, que d'embrasser les bon- nes lettres dans une bienveillance toute spéciale et de favoriser autant que possible les études de la jeunesse. Ces études une fois bien établies, nous pensons qu'il ne manquera pas dans notre royaume de gens qui enseignent purement la religion, et me- surent les lois au tribunal non pas selon leur caprice personnel, mais selon l'équité; enfin, s'appliquent au gouvernement de l'État, de façon à nous faire hon- neur à nous-même et à mettre le salut commun au • dessus de leur avantage particulier. (b) C'est pourquoi nous avons donné commission à quelques savants hommes de nos commensaux ou de nos familiers de nous trouver un homme, studieux des choses typographiques, connu pour son éruditioif et son zèle, qui, soutenu par notre bienveillance, se chargeât d'établir une typographie grecque (c) Si quelqu'un désobéit à cet édit, il sera puni d'une amende, et abandonnera à notre imprimeur tou- tes les dépenses qu'il aura faites pour imprimer ces livres. En outre, nous ordonnons au prévôt de la ville de Paris ou à son lieutenant, et à tous ceux qui sont ou seront employés par nous au gouvernement, qu'ils assurent, comme nous-même, à notre imprimeur la jouissance légitime des immunités et des privilèges qui lui sont concédés; et s'il éprouvait quelque vio- lence ou quelque dommage, nous ordonnons à nos officiers de réprimer ces délits par le châtiment mé rité. Car nous voulons que notre imprimeur, parfai- tement défendu contre l'injustice des méchants et l'envie des malveillants, puisse, dans un repos tran- quille et dans une pleine sécurité, s'appliquer d'un esprit vif et dégagé aux devoirs de sa charge. 70 GRANDES USINEÎ5 survécut pas longtemps à cette faveur si facilement protectrice, il mourut en 1539, et ce fut Robert Estienne, nommé récemment imprimeur royal pour le latin et l'hébreu, qui continua l'œuvre commencée. François I^"" en était si jaloux qu'il n'autorisait per- sonne à se servir de ses caractères grecs sans ajouter au frontis- pice du livre : Ex regiis typis («). La création d'imprimeurs royaux et de types royaux n'est pas, suivant la majorité des historiens, une raison suffisante pour re- connaître le roi-chevalier comme père de l'Imprimerie impériale, et M. de Saint-Georges, directeur actuel, tranche nettement la question dans sa monographie en disant : « Louis XIII est la fon- dateur de cet établissement, installé, en 1640, dans le palais du Louvre. » Nous nous inclinons devant cette affirmation, mais nous ne pouvons nous empêcher de réunir, dans notre pensée, au roi taciturne, le ministre créateur, Richelieu, et son mystérieux con- seiller le R. P. Joseph du Tremblay, qui fit composer à l'impri- merie royale des livres en arabe et en arménien pour ses mis- sions orientales. Quoi qu'il en soit, ce fut Sébastien Cramoisy qui vint installer une composition et des presses au rez-de-chaussée des galeries du Louvre où elles restèrent jusqu'en 1808. Les trois premières années coûtèrent au roi trois cent soixante mille livres, mais produisirent un grand nombre de belles édi- tions latines, grecques et françaises, ornées de vignettes et de frontispices auxquels le Poussin lui-même ne dédaignait pas de travailler ; une très-belle Imitation de Jésus-Christ, deux ouvrages du cardinal de Richelieu, l'Instruction du chrétien, et les Prin- cipaux points de la foy catholique, sortirent des ateliers du Louvre et sont encore aujourd'hui des modèles difficilement surpassés. Le grand cardinal avait préludé à cette constitution (a) « Les caractères grecs de Garamont étaient si renommés, dit M. Crapelet (Études pratiques et litté- « raires sur la typographie, tome 1°' ), que l'Université de Cambridge, en 1700, voulut en avoir des fontes par- « ticulières. Il fut répondu aux curateurs de l'imprimerie de l'Université, qu'on leur fournirait volontiers « des fontes entières des caractères grecs du roi, à condition qu'ils s'obligeraient d'en manifester leur re- «r connaissance, non-seulement dans une préface, mais encore sur le titre de chaque ouvrage, et en ces « termes: « Characteribus graecis ex typograpliiâ rugis Parisiensis; » mais cette formule n'ayant pas été « adoptée par l'Univeisilé de Cambridge, Je projet fut abandonne. » L'IMPRIMERIE IMPÉRIAL 71 . définitive en rassemblant de tous côtés des caractères grecs et orientaux et surtout en faisant acheter aux enchères (1632) la précieuse collection de poinçons orientaux créés par Savary de Brèves et dont les hérétiques anglais et hollandais convoitaient l'acquisition. Ce fut le premier joyau du riche écrin polyglotte que possède aujourd'hui notre Imprimerie impériale. Louis XIV trouva l'Imprimerie royale en bonne voie, mais avec le sens pratique («) qui le guidait en toute chose, il vit que les caractères français avaient été négligés au milieu des préoccu- pations archaïques et exotiques de ses prédécesseurs. Il répara cet oubli en commandant à son graveur Grandjean une typographie complète. Commencée par Grandjean, sous la surveillance d'une commission de l'Académie des sciences, continuée par Jean Alexandre et terminée par Louis Luce, en 1745, elle camprenait un ensemble de types dont les b, d, h, i, j, k et 1 avaient tous une marque distinctive ; cette dernière lettre 1 montrait à la moitié environ de sa hauteur un petit trait latéral qu'elle a toujours con- servé depuis et qui est encore aujourd'hui la marque particuhère de l'Imprimerie impériale. Avec ces beaux caractères, le grand roi fit composer plusieurs ouvrages sur l'histoire de ses prédé- cesseurs : Louis XIV, qui dans les premières années de son règne avait voulu tirer lui-même la première feuille de l'Histoire de Louis XI, par Phihppe de Comines, n'oublia pas sa propre gloire et fit exécuter le beau volume dont nous avons parlé dans notre premier chapitre des Gobehns : Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand. Les médailles et les orne- ments étaient gravés en taille-douce et encadraient le texte. Ce volume est un chef-d'œuvre. Louis XV continua la royale protection aux typographes du Louvre, fit graver des caractères hébraïques, et ce fut sous son règne que la dynastie des Papillon commença la série de ses belles vignettes sur bois. Le Régent entreprit l'exécution d'une (a) Nous sommes vraiment désolé d'employer cette expression un peu triviale, mais la langue française toute riche que ses admirateurs se plaisent à la croire, n'a pas encore de mot pour exprimer cette idée. 72 GRANDES USINES typographie chinoise qui fut achevée de nos jours par M. De- lafond. ' ' Jusqu'en 1795, l'Imprimerie impériale ne fut pas une usine, ce fut un véritable atelier exclusivement consacré à l'art et à la curio- sité ; mais à partir de cette époque, sa destination changea com- plètement, on la chargea des travaux exécutés par l'Imprimerie des administrations nationales, peu à peu ses attributions augmen- tèrent, ses occupations journahères s'étendirent, et lorsqu'elle eut été transportée par l'Empire à l'hôtel Rohan-Soubise qu'elle oc- cupe aujourd'hui, un décret de 1809 l'organisa définitivement en imprimerie d'État en la mettant dans les attributions du ministre de la justice. Cette organisation, modèle en quelque sorte do celle qui existe aujourd'hui, fonctionna si utilement qu'elle pro- duisit en cinq ans un bénéfice d'environ % millions. Les événements de 1814 portèrent un coup fatal à l'Impri- merie impériale. Elle perdit une précieuse collection étran- gère dont le général en chef de l'armée d'Itahe l'avait dotée aux dépens de la célèbre imprimerie romaine de la Propa- gande, et fut livrée à un état mixte déplorable qui confiait à un directeur privilégié les précieux poinçons, les matrices, les caractères, les bâtiments sans loyer, en mettant à sa charge les dépenses courantes, le renouvellement du matériel, le salaire des ouvriers. Ce fut M. Anisson Duperon, ancien inspecteur, qui eut le bénéfice de cet usufruit dont la bonne adminis- tration lui rapporta, de 1815 à 18^0, près de ^50,000 francs par an. Ces bénéfices amenèrent une autre convention tellement rigoureuse, qu'ils furent réduits à 8,433 francs pour l'année ; après ces essais malheureux, une ordonnance royale du 213 juil- let 1825 étabht l'organisation actuelle, c'est-à-dire la régie simple pour le compte de l'État et sous la haute direction du garde des sceaux. L'Imprimerie impériale fournit à tous les besoins des ministères et est payée par eux en argent comme un simple industriel : les bénéfices qu'elle donne sont versés au Trésor. Des crédits spéciaux servent à éditer les magnifiques L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 73 ouvrages qui donnent, lors des expositions universelles, une supériorité incontestable à la typographie française. Aujourd'hui , avec tous les perfectionnements apportés sous l'habile direction de M. de Saint-Georges, l'Imprimerie impériale est devenue une des usines les plus productives de la France, tout en restant une de ses gloires. Ses bâtiments s'étendent sur plus de dix mille mètres de superficie entre la vieille rue du Temple et le IMPRIMERIE IMPÉRIALE. — Atciicr de fondcrio. palais des Archives impériales. Ils occupent l'emplacement du Palais-Cardinal, dont la construction avait été commencée en 171^ par Armand-Gaston de Rohan sur des terrains dépendant de l'hôtel Soubise : l'hôtel est encore debout et en parfait état de conservation. L'entrée en est monumentale ; dans la cour d'hon- neur, entourée de tous côtés de bâtiments sévères, s'élève natu- '^^ GRANDES USINES Tellement une statue en tonte de fer représentant Gutenberg rêvant a son œuvre. Au fond , des marches abritées par une marquise donnent accès au vestibule et au salon d'attente qui reçoit les visi- teurs aux jours d'entrée publique. A droite, une voûte conduit à la cour de la fonderie, égayée d'agréables massifs de verdure et décorée des Chevaux à V abreuvoir , beau bas-relief attribué à Coustou et envié par l'administration des musées. A gauche, une autre porte conduit à la cour longue, sorte de rue latérale qui se prolonge jusqu'à l'extrémité des bâtiments, en donnant aux voi- tures un accès facile près d'un grand nombre des atehers. En entrant par le fond de la cour d'honneur, en traversant le vestibule et le salon d'attente, où l'on peut admirer quatre beaux tableaux de Boucher, on arrive à un beau jardin bien entretenu , avec de beaux arbres et une riche verdure, dont l'aspect repose les yeux au miheu des rues étroites et sombres qui entourent l'imprimerie • de ce jardin , on aperçoit dans tous ses détails la belle façade de l'hôtel avec ses colonnades et ses balcons. Autour du qua- drilatère réservé aux arbres et aux fleurs s'étagent divers bâtiments qui renferment les presses à bras encore très-nom- breuses, les presses à vapeur, dont le chiffre et l'importance aug- mentent tous les jours , — la tromperie , le satinage , le séchoir mécanique , la composition , la réserve des formes composées , puis des annexes très-importantes qui seraient à elles seules autant d'industries ; une lithographie dont on doit les progrès récents à M. Derenémesnil , chef actuel du service des travaux ; des atehers de brochure , de rehure, de réglure, une galvano- plastie , une photographie , enfin tout ce qui se rattache par un côté quelconque à l'imprimerie et à la librairie : rien n'y manque. D'immenses approvisionnements de papier blanc remphssent les vastes bâtiments qui longent la vieille rue du Temple. Nous allons maintenant reprendre en détail chacune des par- ties de cet ensemble compliqué qui peut donner une idée juste de l'importance acquise par la fabrication des livres , fabrication qui, sans compter littérateurs , savants , dessinateurs , correc- L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 75 leurs et graveurs, intéresse un si grand nombre d'industries essentielles ou accessoires. Nous commencerons par la gravure et la fonderie en caractères , sans lesquelles tout cet échafaudage s'écroulerait à l'instant. II Les premières formes fabriquées par Gutenberg étaient de simples planches de bois où les lettres étaient gravées de droite à gauche et en relief, comme les planches dont les Chinois se ser- vaient depuis longtemps et qui leur ont fait attribuer l'honneur de l'invention de l'imprimerie. Ce procédé, long et dispendieux, demandait un temps considérable avant l'édition du livre, et encombrait les magasins après le tirage : ce fut cependant grâce à lui que parurent V Alphabet, le Donat et le Catholicon Johannis Januensis, imprimés en 1 450 à Mayence par Gutenberg, Fust et Schœffer; un Confessionalia , in-4°, VHorologium beatœ Virginis Mariœ, YArs Moriendi et plusieurs autres ouvrages en latin et en allemand ont la même origine, quoique le nom de leur imprimeur et l'époque de leur fabrication soient restés inconnus. Quelques années plus tard, Schœffer, aidé de ses deux associés, grava des poinçons d'acier, en frappa des matrices, y coula un métal en usion, et arriva ainsi à la véritable découverte de l'imprimerie en réant le caractère mobile. Le caractère mobile dont on se sert encore presque sans changement, est un petit prisme de métal quadrilatère d'envi- ron vingt-quatre millimètres de hauteur verticale mesurée de bas en haut. — Ce prisme porte en reUef à son extrémité supé- rieure la figure de la lettre. — Cette figure se nomme œil. — Le prisme se nomme corps. L'épaisseur de ce corps est variable 7« GRANDES USINES suivant la nature de la lettre, ainsi un T est plus large qu'un J. La hauteur horizontale d'arrière en avant est mathématique- ment déterminée et forcément identique pour toutes les lettres du même corps. Nous reviendrons en détail sur ce sujet quand nous traiterons de la composition. Les premiers caractères gravés à cette époque avaient l'aspect anguleux des lettres gothiques («) ; on les arrondit peu à peu pour faire le demi-gothique. L'étude des inscriptions latines modifia encore la forme des lettres et les rapprocha de l'aspect actuel. L'un des plus utiles propagateurs des types romains fut un Fran- çais, Nicolas Janson, dont l'histoire donne un aperçu singuher de la manière dont se passaient les choses vers la fin du moyen âge. Ce Janson était {graveur de Louis XI; vers Louis XI, qui comprenait l'importance de l'imprimerie , l'envoya à Mayence apprendre les éléments de la typographie. Il arriva bien au but de son voyage , c'est-à-dire à la connaissance parfaite des pro- cédés de Schœffer. Mais quand il s'agit de revenir vers celui qui l'avait envoyé, il trouva sans doute que nos routes étaient peu sûres au voyageur , et nos cités peu favorables aux paisibles travaux, car il préféra se rendre tranquillement à Venise, où il étabht , en 1 486 , les fondements de cette fameuse typographie vénitienne, illustrée depuis par les Manuce : ce fut Aide Manuce, chef de la famille, qui fit copier, par le graveur François de (a) Ainsi qu'on peut le voir dans les premières éditions imprimées, l'idée des inventeurs était de repro- duire avec une main-d'œuvre moins chère, les manuscrits donl le prix était très-èlevé. La simple inspection des Uecretales de Boniface (1465) , que M. Ambroise-Firtnin Didot a le bonlieur de posséder' manuscrites et imprimées, prouve bien que l'admirable invention de la typographie est due à un simple espoir de contre- façon. Ce ne fut donc pas sans une sorte de raison que Fust fut poursuivi devant les cours de justice par les premiers acquéreurs des livres apportés par lui de Mayence à Paris. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 77 Bologne, la belle écriture de Pétrarque, et en coula le caractère nommé encore aujourd'hui italique. Caxton en Angleterre, Antoine Verard en France, tendirent à imiter l'écriture des manuscrits du temps, mais la mode, intelligente cette fois, préféra les types romains créés par Janson, perfectionnés par les Aide Manuce, copiés par Garamond, et plus ou moins modifiés par les Estienne, Vascosan, Plantin, Elzevier, et enfin par les Didot qui exécutèrent les plus belles formes de caractères connues, dont la Henriade, imprimée par M. Firmin Didot, en 4 819, est le plus parfait modèle. Le goût, différent suivant les pays, fit créer des types différents : en An- gleterre par Baskerville, en Espagne par Ibarra, à Harlem par Fleischmann. Des imprimeurs, égarés il y a quelques années par le mauvais goût de certaines éditions illustrées, reviennent aujourd'hui aux types de Grandjean et des Didot ; quelques-uns outrent même la réaction et cherchent à imiter la typographie de Garamond. A l'Imprimerie impériale les poinçons et les matrices sont con- servés dans la plus belle pièce de l'ancien hôtel Rohan-Soubise ; c'est une belle salle dont le plafond à voûte surbaissée est doré à plein aux quatre coins, or rouge sur or vert. De grandes armoires blanc et or se détachent clairement sur un papier vert velouté, et montrent fièrement en relief sur leurs panneaux le nom et le spé- cimen des types qu'elles renferment : on n'a pu déployer assez de luxe intelligent pour recevoir ces précieux joyaux. Ils sont tous minutieusement classés et rangés dans de nombreuses boîtes en noyer, renfermant à peu près tous les signes dont les hommes se sont servi et se servent pour communiquer leurs pensées. Les caractères chinois achetés en Chine sont des pages complètes gravées sur bois, ou de petits cubes portant chacun un groupe de signes exprimant une idée complète. Les caractères orientaux présentent hardiment leurs zigzags bizarres à l'extrémité des poinçons d'acier brillants. — Ceux de Savary de Brèves sont très- remarquables par leur apparence sohde et souvent par leur vo- 78 GRANDES USINES lurne ; — plus loin, la fameuse typographie de Grandjean et de Luce, la typographie chinoise terminée par M. Delafond, enfin le^ types actuels gravés avec un talent si remarquable par M. Marcellin Legrand, et par ses auxiihaires MM. Ramé, Œuillet, Laurent et de Berny, etc. Outre cette collection de signes, les panneaux dorés cachent encore une foule d'ornements, têtes de pages, culs-de-lampe de toutes les époques, bois anciens, quelques-uns gravés par les célèbres Papillon. A cette collection viennent s'ajouter toutes les matrices des vignettes actuelles, dont un grand nombre sont obtenues en cuivre par l'électrotypie, sans demander l'efîbrt d'un poinçon. On commence aussi à employer ce procédé pour toutes les fontes à un petit nombre d'exemplaires et surtout pour la reproduction des caractères chinois et orientaux dont on ne risque pas ainsi de casser le poinçon, ce qui arrive encore assez souvent par l'ancien mode de frappage. Le poinçon, petite tige d'acier trempé, se termine d'un côté par la figure de la lettre et de l'autre par une surface ronde et épaisse : eUe reçoit le coup de marteau destiné à l'enfoncer à froid dans un petit prisme quadrilatère en cuivre rouge. Le refoulement causé par cette percussion donne une dépression, reproduisant exactement en creux la figure en relief de la lettre désirée. Si dans cette dépression on coule un métal en fusion susceptible, par le refroidissement, de se solidifier, on obtient autant de fois la même lettre qu'on répète de fois cette opération. L'Imprimerie impériale est justement jalouse de cette magni- fique collection, qui, sans compter 145,000 groupes chinois gravés sur bois, renferme environ 350,000 matrices ou poinçons, c'est- à-dire le moyen de reproduire indéfiniment 350,000 signes, lettres ou mots, qui constituent l'ensemble des langues humaines, vivantes et mortes ; elle présente, de plus, sauf des pertes regret- tables et malheureusement irréparables, l'histoire presque com- plète de la typographie dans le monde entier à toutes les époques. Ces richesses sont sous la garde du chef des travaux. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 79 L'atelier de la fonderie est une grande salle, très-élevée de pla- fond ot bien aérée, condition nécessaire au bien-être des ouvriers fondeurs, exposés à une vive chaleur et aux évaporations métal- liques. En y entrant on croirait voir une école de dessin dont les élèves en récréation seraient réunis autour d'énormes poêles de fonte. De grands tuyaux s'élèvent jusqu'au plafond en faisant des coudes hardis; rien n'est bizarre comme cette pièce avec tant de poêles et tant de tuyaux; mais chaque tuyau, au heu de répondre à un vulgaire calorifère, emporte la fumée d'un fourneau autour duquel sont groupés huit creusets où se liquéfie la matière destinée à former les lettres. Cette matière offre des compositions très-diff*érentes suivant les usages auxquels sont destinées les lettres fabriquées, et suivant la fantaisie ou l'intérêt du fondeur. Autrefois on se servait de matière douce composée d'environ \ 8 kilogrammes de régule d'antimoine pour 50 kilogrammes de plomb. Mais cet alhage, très-suffisant • quand il s'agissait de machines à bras où la pression est verticale, n'a pu résister aux pressions plus dures, moins égales et un peu obHques des machines à cyhndres menées par la vapeur. L'œil de la lettre était bientôt écrasé. Ce fut bien autre chose encore avec les machines à journaux, à réaction violente, à mouvement de plus en plus rapide. On a donc fait plusieurs essais. M. Colson, fondeur français, composa un aUiage dans lequel, disait-il, étaient mêlés le fer un/ à l'étain. Les caractères ne cédèrent plus sous le cyhndre, mais ils devinrent cassants et les essais continuent avec des améhora- tions constantes. La matière employée par MxM. Yirey frères, les fondeurs les plus occupés de Paris, se compose de 67 parties de plomb, 25 d'antimoine, 5 d'étain, 3 de cuivre. Elle est suffisam^ ment solide pour fournir un assez long usage même sous lei presses à réaction. Ces fondeurs usent d'un autre alhage bien plus dur, dans lequel il entre du bismuth, et qui ne peut se tra- vailler qu'au rouge pâle; ils s'en servent surtout pour fabriquer les petits caractères. . 80 GRANDES USINES I • L'habitude de reproduire en clichés le caractère mobile néces- site encore plus de résistance dans le métal. Pour produire des clichés stéréotypés par pression, au moyen d'un mouton, M. Fir- min Didot père composa un alliage de 50 kilogrammes de régule d'antimoine, 20 kilogrammes de cuivre, 30 kilogrammes d'étain, ce qui donna un métal assez dur pour entrer à pression dans des saumons de plomb de manière à produire des matrices de page tout entière. Un x\méricain, Luc Yan der Van Newton, eut le premier l'idée de recouvrir l'œil de la lettre d'une couche de cuivre galvano- plastique ; cet usage s'est répandu en France surtout pour les grosses lettres, comme les titres de journal qui doivent subir des tirages considérables. A l'Imprimerie impériale, on varie l'aUiage d'après des formules appropriées aux besoins; tout ce qui ne doit subir qu'un tirage peu considérable à la presse à bras, est en ma- tière douce; tout ce qui est destiné au Moniteur des Communes et au Bulletin des Lois, tirés aux presses à réaction, est fabriqué en matière où le cuivre entre pour deux centièmes. La présence de ce métal se trahit à l'œil par des reflets rougeâtres. Autour des creusets, les ouvriers fondeurs se tiennent debout, leur moule d'une main, une petite cuiller de fer de l'autre. Ils prennent le métal en fusion avec leur cuiller, le jettent dans le moule, donnent une petite secousse pour le faire pénétrer jus- qu'à la matrice, rouvrent le moule, jettent la lettre formée, refer- ment le moule, le rempUssent, le vident et cela avec une telle ra- pidité, qu'un bon ouvrier peut faire dix-huit mille lettres dans une semaine. Ce qui impUque trois mille fois par jour les mouve- ments que nous venons de décrire. Des ouvriers habiles et très- laborieux arrivent même à cinq mille lettres par dix heures. Quelque rapide que soit ce procédé, il est encore bien lent pour les nécessités d'une fonderie bien achalandée. Les presses à vapeur sont brutales, et la lettre s'use vite ; d'un autre côté, les bons ouvriers fondeurs sont rares, c'est un dur métier qui a des chômages forcés par la fatigue même de ce travail à la chaleur L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 81 d'un ardent foyer. On a donc naturellement cherché à reproduire mécaniquement les mouvements de l'homme pour que l'ouvrier n'eût plus qu'une simple surveillance à exercer sur une machine automatique. Dès 1816, M. Henri Didot avait inventé un moule appelé polya- matype, parce qu'il était destiné à fondre à la fois un grand nombre de caractères ; ce moule avait de grands avantages et quelques imperfections. Il fonctionna malgré ses défectuosités avec des résultats assez bons pour que M. MarceUin Legrand, l'habile graveur auquel l'Imprimerie impériale doit ses types actuels, crût bon de l'acquérir. Ce fut grâce à ce procédé que fut fondu le caractère corps 6 qui a servi et sert encore à composer V Annuaire du Commerce de MM. Didot. Depuis plus de deux ans, le droit de l'exploiter appartient aux frères Virey, qui ont ajouté de sérieux perfectionnements, non pas tant à la disposition gé- nérale du moule qu'à la bonne exécution de ses parties. (a) FIGURE IM. _ A. Pièce en fer de la longueur delà réglette, appelée porte-matrice, et dans laquelle «e trouvent autant de matrices qu'il y a de cases à lettres dans la réglette, lesquelles matrices sont mise» d'approche et de ligne en face de chaque case de la réglette C. Ce travail se nomme justifier. B. Pièce de fer forgé et trempé très-dur, de la longueur 0in,33, appelée re'glettcj dans laquelle se trou- vent entaillées toutes les lettres ou cases de lettres et que l'on ajuste au porte-matrice, de manière qu'elles aient leur œil respectif qui se trouve dans chaque matrice. m ilMil lM riGURE 2. — Pièce aussi longue que la réglette, appelée deasusj qui se pose à ptai sur la réglette afln d'en fermer toutes les cases. C. Côté du dessus où se trouve un petit cachet carré et en relief qui sert à marquer chaque lettre sur l'épaisseur. L'autre côté, qui touche au porte-matrice, est garni de petites entailles peu profondes appelées vehtouses, et qui se trouvent près de l'œil de la lettre, ce qui donne la facilité à l'air qui existe dans chaque case de la réglette de s'échapper pour faire place à la matière qui forme la lettre. (a) aa, bb, ee, M, Quatre parties composant le moule. — T. Table sur laquelle reposent ces quatre parties. — JJ. Jet coulé. — oooo. Caractère d'imprimerie.— mi. Inscription de la lettre. — o*o'o'>- Échan- erure correspondant à chaque caractère. — khk. Arrêt pour fixer la règle ce. — hh. Arrêt nour fixer la oartic dd. 6- LIV. TOURS. — IMP. LADEviîZH ET ROUILLÉ, 82 GRANDES USINES Le polyamatype se compose de plusieurs pièces mobiles : au milieu, une rigole destinée à recevoir la matière en fusion; de chaque côté deux règles de fer de trois décimètres environ, dans lesquelles sont entaillées avec un instrument de précision des rainures mesurant exactement le corps que l'on veut obtenir : perpendiculairement à ces rainures se dresse une autre règle dans laquelle sont enchâssées les matrices. Le moule se ferme supérieurement par deux autres pièces plates en fer plein, il ne laisse ouverte que la rigole médiane. Deux fortes joues à angle droit serrent et assujettissent les règles. FKiUlip; 3. — ricce en fer forge et trempé, appi;lée jet ou diviseur, et danslaquelle se trouvent autant J'entailics qu'il y a de cases dans la réglette qui divise la matière nécessaire à la formation de la lettre. Le moule ainsi construit est appuyé sur un fort châssis, menacé par un lourd mouton à contre-poids. La matière en fusion chauffe dans un large creuset. L'ouvrier la saisit dans une grande cuiller et la verse par un entonnoir allongé de toute l'étendue de la rigole ; une détente lâche le mouton, et le métal, refoulé par les rainures jusqu'aux matrices, forme en un seul coup cent cinquante lettres sur corps 6, ou quatre-vingts seulement sur corps 14. — Armé de forts gants FIGUUE i. — Cette Ugure représente un coup tel FIGURE 5. — Coupe d'un coup dont la moitié est qu'il est en sortant du moule et dégarni de toutes dégarnie de ses pièces et dont l'autre est encore dan» les pièces qui ont servi h sa fabrication; puis on la réglette, rompt toutes les lettres une par une, afin de ne pas mêler les sorle;. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 83 en cuir épais, le fondeur détache le moule du châssis, le porte sur une table, en disjoint les pièces, et retire la masse métallique, qui prend alors l'aspect d'un hngot creux hérissé de chaque côté des lettres en dentelures. Ce hngot est donné à une ouvrière qui casse les caractères au pied et les distribue dans des casses. Le moule est remonté, refermé, et un second coup suit bientôt le premier : et cela si rapidement que chaque moule, servi par deux ouvriers, peut donner par jour 45,000 lettres en H et 60,000 en 5. On voit donc de quelle utihté doit être, pour les imprimeurs désireux d'avoir rapidement l'exécution de leur com- mande, une usine où quatre polyamatypes, — huit bientôt, — peuvent faire de 180,000 à 360,000 lettres par jour. Plusieurs autres avantages semblaient conseiller l'usage de ce moule : le mille de lettres peut se produire avec quatre-vingts pour cent d'économie de main-d'œuvre; de plus, la régularité delà fonle donne encore environ neuf pour cent d'économie sur le poids. Mais (on n'a pas encore triomphé du mais que produit toute 84 GRANDES USINES invention) on reprochait justement au polyamatype de ne pas donner un corps égal aux lettres. — En effet, c'est une grande difficulté de creuser une centaine de rigoles exactement identi- ques ; puis, avec la dilatation très-sensibles des règles et des matrices , on avait fréquemment, sous la violente impulsion du mouton, des lettres inégales, renflées, coudées, défectueuses enfin et inacceptables. A force de soin, et surtout grâce à un instrument parfaitement construit, on est arrivé à creuser également les rai- nures. Puis, en faisant chauffer, refroidir, tremper une certaine espèce de fer venant des démolitions des vieux châteaux, c'est- à-dire forgé non à la houille, mais au bois, on a pu, sinon détruire la dilatation, la diminuer au moins sensiblement^ dans les ré- glettes. On n'atteindra la perfection qu'en employant les corps réfractaires, la porcelaine par exemple, que la chaleur ne modifie pas («) . Quoi qu'il en soit, et tel qu'il est, le polyamatype, bien construit par MM. Virey frères, est en train de faire leur fortune. Ils viennent de monter rue de Rennes un vaste ateher dont l'ac- tivité fait plaisir à voir. L'Imprimerie impériale n'a pas besoin de ces rapidités : elle emploie bien pour certain travaux une ingénieuse petite ma- chine dont nous parlerons plus loin; mais les lettres de ses belles éditions sont faites au petit moule, une à une et par les mains d'habiles ouvriers. C'est grâce à cet ancien procédé qu'ont été fondus les caractères composant le tableau des types employés depuis 1540 jusqu'à 1860. M. de Saint-Georges, comprenant que les étabhssements comme le sien sont faits pour conserver les richesses et non pour les enfouir, a libéralement consenti à nous donner um épreuve de ces tables de la loi typographique, tirée sur une diis presses auxqueUes on doit tant de chefs-d'œuvre (a) En tête A'*/.', -les éditions fabriquées dans l'Imprimerie impériale du palais de won-ing-Ticn est ui rapport -qui indiqua .0 procédé dont on a fait usage. « Ces poinçons sont en bois dur et d'un grain fin. n& sont enfoncés dans Une sorte de pâte de porcelaine, qu'on fait cuir au four et dans laquelle on fond les caractères avec un alliage de jilomb et de zinc et quelquefois en argent. » L'exactitude de la fonte des caractères prouve que les typographes chinois ont des procèdes fort précis pour obtenir des matrices parfaitement régu- lières. (Ambroise-Firmin Didot, Essai tur la Typographie.) L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 93 Une machine ingénieuse forme d'un seul jet les f^rosses lettres, les ornements et jusqu'à de grandes vignettes ' d'un décimètre de long. Cette machine est un heureux assemblage de la machine à fondre et du mouton à clicher. Voici comment elle se comporte : une matrice est fixée devant l'ouverture quadrilatère d'une cavité dans laquelle on coule une matière fusible à une température moins élevée que la fonte pour caractères, — une sorte de piston mu par un fort bras de levier chasse la matière par l'ouverture de la cavité, la comprime sur la matrice pendant qu'une lame s'élevant de la partie inférieure de l'appareil coupe la masse de fonte à la hauteur nécessaire, détachant ainsi un gros cube qui porte l'ornement ou le timbre voulu, comme si l'on avait fait un cliché au plâtre. Cette machine, tout à fait sans objet pour les types qui ne font qu'un seul tirage à la fois, est très-commode dans toutes les occasions, où, comme dans l'impression des tim- bres-poste, on a besoin de répéter simultanément plusieurs re- productions de la môme image. Lorsque les caractères sont fabriqués soit par le petit moule à main, soit par le polyamatype, soit par la machine à manivelle, ils ne sont pas terminés et ne peuvent servir tels qu'ils sont : ils ont besoin de subir un certain nombre d'opérations pour les anaener à la perfection nécessaire, car un caractère doit être parfait, sous peine de ne pouvoir servir du tout. Il se compose d'un corps et de la figure de la lettre appelée œil. Il faut que le corps soit mathématiquement semblable à celui de tous les autres caractères avec lesquels il sera employé, il faut que la hauteur et l'épaisseur soient identiques : pour cela, on les débarrasse du jet, petite masse de plomb qui reste attachée au pied de la lettre et qui se casse facilement, surtout dans les petits moules, — le jet a servi à refouler le corps jusqu'à la matrice où Vœil s'est formé. Quant le jet est rompu, ce qui a lieu dans un autre atelier presque entièrement composé de femmes, on passe chaque caractère sur une meule de granit qui le débarrasse des principales aspérités ; on juxtapose un certain nombre d'entre 94 GRANDES USINES eux sur la ramure d'une grande règle en bois, de façon à voir s'ils sont tous de même hauteur, puis on les fixe sous une règle en acier, on rabote leur pied pour les égaliser et les deux côtés de l'œil pour bien dégager les pleins et les déliés. Quand ces longues lignes de lettres semblables ont été coulées, frottées, rabotées, de façon à les presque brunir et à les débarrasser de tout ce qui pourrait empêcher leur exacte cohésion, on examine leur œil à la loupe, on dégage avec une sorte de canif celles qui peuvent être arrangées, on rejette les autres, on les classe ensuite lettre par lettre, puis on les monte dans les ateliers de composition, où les compositeurs les distribuent dans les casses suivant les besoins («) (a) Vers l'an 1041 un Chinois nommé Pi-Ching avait imaginé une sorte de caractères mobiles en terre cuite avec lesquels il composait des pages. D'après M . Didot, on lit dans les mémoires d'un docteur chinois, en 1056 : Après avoir imprimé sur des planches de bois gravées les livres des lois et les ouvrages historiques, un ouvrier forgeron, nommé Pi-Ching, inventa une autre manière d'imprimer, au moyen de planches composées de types mobiles : « Avec une pâte do te», s fine et glutineuse, il formait des plaques régulières, aussi minces qu'une nièce de monnaie, sur lesquelles il gravait en relief les caractères les plus usités, et chaque caractère f.rmait un cachet (ou type) que l'on faisait cuire au feu pour le durcir. « Il enduisit ensuite une table en fer d'un mastic très-fusible, composé de résine, de cire et de chaux dans lequel il enfonçait un châssis en fer divisé intérieurement par des filets perpendiculaires Con sait uuê « le chinois s'écrit de haut en bas); puis il y rangeait les types en les serrant les uns au-dessous des autres « en sorte que le cadre rempli de ces types ainsi rassemblés formait une planche « Il approchait ensuite du feu cette planche pour faire foudre légèrement le mastic, et alors il nnnuvait « fortement sur la surface une pièce de bois bien plane (opération que le laquoir remplace dans nos imnri- " menés), pour enfoncer les types également dans le mastic. Par ce moyen, les types devenaient p.rfaiie- « mcni égaux, et présentaient une surface assez semblable à celle d'une meule de moulin, sur laquelle on t imprimait autant d'exemplaires qu'on voulait. Ordinairement deux planches en fer contenant chacune deux « cadres sufQsaient pour ce mode d'impression. Pendant que l'une était sous presse, on disposait l'autre ce « qui se faisait avec une grande célérité. U nombre de chaque caractère était proportionné à son emploi « plus ou moins fréquent. Certains caractères représentant des mois (lui se reproduisaient plusieurs fois dans . la même planche ou page étaient gravés jusqu'à vingt fois. Les caractères étaient classés par ordre toniaue « et ceux de chaque ton étaient placés dans des casiers particuliers. S'il se rencontrait par hasard un caractcrê ^ rare qui n eut pas été préparé d'avance, on le gravait aussitôt et on le faisait cuire au feu de paille nour « s'en servir iramédiatemept. ^ ^ «Ce qui empêcha d'employer des types en bois, c'est que le tissu en est tantôt poreux et tantôt serré et . quune fois imprégnés d'eau ils auraient été inégaux et n'auraient pu aussi bien se détacher du mastic « pour servir a une autre composition. Les types en pâte de terre cuite étaient donc préférables ' « Lorsque l'impression d'une planche était achevée, on la chauffait de nouveau pour en faire fondre le . mastic et avec la main on faisait tomber les caractères, qui se détachaient d'eux-mêmes et conservaient . leur netteté. Quand Pi-Ching fut mort, ses compagnons héritèrent de ses types, et ils les conservent encore • precieusemeut, » L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 95 MI Les anciens ateliers de composition de l'Imprimerie impériale n'offrent aucune disposition digne de remarque ou d'éloge. Ce sont de longues salles assez mal éclairées, avec les marbres au milieu et des rangs de chaque côté. Ils sont, du reste, parfai- tement tenus, et, par leur ordre et leur activité, bien dignes d'une meilleure installation. .Un seul de ces ateliers est parti- culier, non par le mérite de son aménagement, mais par sa destination passée : c'est la salle du secret. Là ont été élaborés les proclamations, les décrets, les discours qui, depuis le com- mencement du siècle, ont modifié le gouvernement de la France, et souvent bouleversé l'Europe entière. Mais, comme cet atelier ' st situé au rez-de-chaussée, fort humide et très-mal éclairé, les souvenirs historiques ne l'ont pas protégé, et il a été tout récemmen( transporté dans un étage supérieur. — On termine ce ce moment, dans les nouveaux bâtiments élevés au-dessus des presses mécaniques, une vaste salle parfaitement disposée, éclairée sur deux faces, bien aménagée pour un nouvel ateher de composition. Rassembler les différentes parties mobiles constituant une planche dont l'inverse mosaïque en rehcf, une fois encrée, peut reproduire indéfiniment un manuscrit, s'appelle composer. Les ouvriers qui préparent cette mosaïque se nomment compositeurs. Aucune profession ne demande plus d'instruction et d'intelli- gence, aucune ne demande plus d'adresse et d'habileté de main. — Distinguer, souvent au miheu de ratures et de signes indé- chiffrables, ce qu'a voulu dire l'auteur, exige des yeux exercés, une grande attention, une volonté constante de bien faire, et des études préalables longues et difficiles, que ne réclament pas les autres professions. Aussi les compositeurs sont-ils pour la 96 GRANDES USINES plupart des gens fins et distingués, calmes, presque graves, sou- vent érudits; — ils ont pour unique défaut une certaine ironie philosophique, bien naturelle à des hommes sous les yeux et par les mains desquels passent continuellement tant d'assertions oppo- sées signées souvent du même nom. Les éléments qui servent aux compositeurs pour former leur mosaïque sont d'abord : Le caractère dont nous avons donné plus haut la définition générale, c'est-à-dire — un petit prisme en métal quadrilatère et portant à son extrémité supérieure l'œil de la lettre. Sa largeur de gauche à droite n'est pas déterminée, mais sa hauteur antéro- postérieure, nommée force de corps, est fixe par rapport à une unité qu'on appelle le point («). Il n'y a pas de caractère d'un point; ce serait ilhsible. Le plus petit caractère connu est le trois sur corps 4, gravé par MM. Laurent et de Berny, avec lequel ils ont composé un Vert- Vert et un La Fontaine ; le 4 et le 5 sont plus communs, quoique rarement employés, surtout en France; le 6 commence à devenir usuel, surtout pour les notes; le 7 ne sert pas souvent : le 8 est le caractère ordinaire (a) M. François Firrain Didot, frappé des inconvénients produits par les grotesques noms qui servaient à désigner autrefois la grosseur des caractères, divisa la ligne de pied de roi en six points, système qui fut géncialeuient adopté, et qui mit un terme à la confusion, devenue telle qu'aucun corps de caractère dans aucune imprimerie n'était en rapport l'un avec l'autre, « La ligne de pied de roi, divisée en six mètres ou mesures égales, servit à graduer ou à dénommer les « différents carctères. Le plus petit,, qui a les six mètres complets, ou la ligne de pied de roi, se nomme « six; celui qui le suit immédiatement est le sept, composé d'une ligne et d'un mètre de plus. Le huit, « lo neuf, le Aix, le onze-, le iouze augmentent également de grosseur et par des mesures aussi précises. « Le douze a donc deux lignes de pied de roi, etc. Ainsi l'unité des proportions typographiques est le m point typographique, qui équivaut à deux points du pied de roi, et les caractères procèdent de point en « point. » M. Pierre Didot, après avoir donné cette définition si exacte de ce système, ne s'exprime pas moins heureusement en vers, lorsque dans son Èpître sttr les Progrès de l'Imprimerie, adressée à son père, il dit : Tous ces grotesques mots, gaillarde, trismégiste. Gros texte, gros canon, fastidieuse liste Des vains noms qu'ont porté tant de types divers, Et dont le seul récit attristerait mes vers : Noms qui de leur grosseur et de leur différence N'ont pu donner encore aucune connaissance ; Il sut les transformer en d'autres plus heureux, Qui marquent clairement tant de rapports entre eux. Son nouveau typomètre offre une lègle sûre : Chaque type s'accroît par égale mesure Et la gradation qu'avec ordre il suivit Est aussi juste à l'œil qu'elle est claire à l'esprit. Le point Didot est toujours la base du système de classification aetael. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 97 pour les journaux : le 9 sert un peu moins, mais le 1 0 est le plus universellement répandu, — c'est réellement le plus lisible et le plus commode des caractères. — 11 est assez gros pour être lu, même des yeux affaiblis : il ne chasse pas trop, c'est- à-dire qu'une page en contient encore une quantité suffisante. Le 1 1 («) et le 1 25 ne sont guère employés que dans les éditions de luxe. A partir du 1 4 commencent les caractères d'affiche. Un compositeur à sa casse. Chaque ensemble de lettres d'une même force de corps est ran- gée dans une boîte sans couvercle , nommée casse, divisée en petits compartiments appelés cassetins. — Les lettres ordinaires ou romain sont situées dans le bas de casse sous la main du corn- (a) Ce livre est imprimé en onze^ les notes sont en sept, PARIS. TYP. ». PLOX» !• tit. GRANDES USINES positeur, et reçoivent le nom de bas de casse. Avec du bas de casse seul on pourrait à la rigueur composer, mais la mosaïque obte- nue serait d'un vilain effet ; il faut donc y ajouter : des lettres capitales grandes et petites, rangées dans le haut de la casse, des points et des virgules, des espaces, petits prismes sans œil qui servent à séparer les mots et les lettres, — des cadrais et des cadratins, autres prismes épais qui terminent les alinéa. Toutes ces pièces peuvent être plus ou moins larges de gauche à droite, mais elles doivent être toutes identiques d'arrière en avant. La casse de romain, garnie proportionnellement de tous ces petits prismes, forme le fonds indispensable de l'outillage du com- positeur, mais est loin de le compléter. Il faut encore des inlerlignes, petites lames de métal de la lon- gueur de la ligne, dont l'épaisseur varie suivant l'espace qu'on veut mettre entre chacune d'elles; il y a des interlignes de un point, de deux et de trois points ; — plus épais il deviennent des Ungols; — des filels, petites lames qui portent à leur extré- mité supérieure, à la hauteur de l'œil de la lettre, soit une, soit plusieurs lignes plus ou moins épaisses qui, à l'impression, in- diquent les séparations nécessaires entre les chapitres. — Les filets sont surtout en usage dans les journaux, où ils séparent les colonnes, arrêtent les articles, et dessinent les tableaux. Les caractères ne différent pas seulement par leur corps, ils diffèrent aussi par leur œil; les nécessités ou la fantaisie ont amené la création de types très-commodes pour les titres, les noms, tous les mots enfin sur lesquels on veut appeler l'attention du lecteur ; ce sont d'abord Y italique, caractère penché imitant l'écriture, puis la bretonne, la normande, V égyptienne, Y antique. Un ateUer bien monté doit en avoir au moins une casse sur chaque force de corps. 11 faut enfin une ou plusieurs casses de chiffres : des signes de toute sorte, des moins et des plus, des astérisques, des guille- mets, des parenthèses, des accolades, et comme si ce n'était assez de toute cette complication, on s'est mis, dans les derniers temps, L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 99 à fondre des caractères œil six sur corps sept, œil neuf sur corps huit, et réciproquement; puis on a créé le sept et demi, le six et demi et d'autres, de sorte que la distinction entre les différents types devient de plus en plus difficile («). — Les fondeurs ont adopté les uns le caractère gras, les autres le caractère maigre ; les uns rallongé, les autres l'épaté ; les uns le genre de Didot, c'est-à-dire avec des déliés et des pleins, les autres le genre dit anglais, c'est-à-dire sans déliés ni pleins ; ce qu: aujourd'hui constitue l'anarchie pure et rend toute classifi- cation impossible et inexacte. L'Imprimerie impériale s'est gardée de ces excès, et quoique forcée cependant d'accepter quelques types nouveaux, elle n'en a pas moins conservé sa belle régularité classique, à laquelle on sera toujours forcé de revenir. Voici maintenant comment s'exécute le travail: Le compo- siteur, debout devant la casse portée sur le rang, tient dans la main gauche un petit instrumeut fait de deux règles de fer jointes à angle droit, fermé à une des extrémités par une lame de fer fixe et se fermant à l'autre par une même lame de fer mo- bile arrêtée par une vis. Cette double règle se nomme composteur; suivant la justification adoptée, c'est-à-dire suivant la longueur désignée delà hgne, on avance ou l'on recule la vis, eLl'on allonge ou diminue ainsi l'espace libre entre les deux extrémités du com- posteur. Le manuscrit, nommé copie, était autrefois porté sur une planchette nommée visorium attachée à la casse par une tige , maintenant on se contente de le prendre entre deux interhgnes jointes par une ficelle, et on le met devant soi sur le haut de la casse. Jetant les yeux sur sa copie, le compositeur étend en même temps sa main droite vers la casse sans la regarder, — comme un pianiste qui connaît son clavier, — saisit une (a) On m'assure que cet usage tombe en désuétude. L'Imprimerie impériale vient cependant de faire foudre un œil 10 sur corps 9. 00 GRANDES USINES lettre, distingue au toucher ou à la vue de quel côté est le cran («) et place le caractère sur la règle horizontale du com- posteur, le cran tourné vers cette règle et le pied appuyé sur la règle verticale; une fois placée, il la maintient avec son pouce gauche. Il en met une seconde, une troisième, j usqu'à la fin du mot, ajoute soit une espace, soit un cadratin, soit un point, soit une virgule, recommence un autre mot, et cela ainsi de suite jusqu'à l'extrémité de la ligne qui doit se terminei mathématiquement à l'extrémité du composteur; si le mot finit pas avec la hgne, on le sépare d'après des règles étabhes ; le compositeur place une interligne sur la ligne composée, reporte au bas du composteur, vers son pouce, le commen- cement du mot et remonte la ligne suivante; — remet une autre interligne, refait une nouvelle hgne, jusqu'à ce que le composteur soit remph, ce qui arrive ordinairement à la cin- (a) Pour reconnaître plus facilement au toucher la direction i'une lettre, on a taillé d'un cran assez profond le corps du caractère, sur le côté répondant au somme* de l'œil. (6) Celte planche et les trois suivantes sont empruntées a i'excellent ouvrage de M. Théotiste Lefèvre {Guxàeiu compositeur d'imprimerie). Elles donnent une idée du soin avec lequel ce livre a été édv'i xa rdM. Didot frères. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 101 quième ou sixième ligne. Il prend alors toute cette partie composée et la place dans une galée («) ; refait cinq autres lignes qu'il place de même dans la galée, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ait fait un paquet de trente à quarante lignes environ, suivant le corps du caractère. On lie alors solidement ce paquet avec une forte ficelle et on le porte sur une table en fer parfaitement plane appelée marbre, parce qu'elle était autrefois en marbre : devant ce marbre se tient le metteur en pages, qui reçoit le paquet, le frappe légèrement, pour repousser les lettres un peu saillantes, avec un morceau de bois garni de cuir nommé taquoir , passe légèrement dessus un rouleau empreint d'encre, prend une feuille de papier légèrement mouillée, l'applique sur le paquet, la frappe doucement avec une brosse serrée et lire ainsi une épreuve de la composition p). Cette épreuve, dite épreuve en première, est portée au correc- teur, qui relève d'abord les fautes, puis les erreurs nommées coquilles, les indique en marge avec des signes convenus. Le metteur en pages remet le paquet et l'épreuve corrigée au compositeur qui exécute dans sa galée les corrections indi- (a) Une galée est une planehette parfaitement plane garnie d'un rebord à angle droit parfaitement rcctiligne. (6) Ce procédé abrège de beaucoup le travail et est en usage surtout dans les journaux. Pour les autres ouvrages, livres, etc., appelés labeurs, l'épreuve est faite à la presse à bras. m GRANDES USINES quées. Cette première correction est presque toujours négligée, parce que les corrections faites ensuite par l'auteur rendent souvent inutile une partie du premier travail, mais c'est un grand tort, car elle épargnerait bien des fautes qui échappent aux lectures suivantes, et elle gagnerait beaucoup de temps perdu dans des corrections exécutées plus tard lorsque le paquet est mis en forme. De toutes les opérations typographiques, la correction est une des plus importantes, surtout aujourd'hui, où l'on écrit vite comme on vit. Les livres ne se font plus avec cette sage et utile lenteur qui permettait de donner au compositeur un manuscrit mille fois relu et dix fois recopié. Et le journal? — avec sa fièvre instante et sa rapidité vertigineuse. La copie est presque toujours un barbouillage de mots tronqués, sans points ni virgules, souvent sans orthographe, que l'auteur reht à peine, en vue de l'idée seule, sans se préoccuper de la forme. Les correcteurs doivent donc remettre aux pluriels des s absentes, et des ent aux verbes incomplets, deviner où l'écrivain a voulu couper sa phrase, indi- L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 103 quer les alinéa, le tout sans préjudice des coquilles échappées au compositeur, soit par inattention, soit par une distribution mal faite. Qu'y a-t-il d'étonnant si quelques fautes leur échappent ? De plus, il faut qu'ils connaissent tout : histoire, géographie^ sciences, langues mortes et vivantes, tout, cum libro, il est vrai, mais enfin encore faut-il savoir lire dans un dictionnaire latin, grec, anglais, espagnol et même français. Que de fois nous avons plaint ces pauvres martyrs enfermés dans des cages étroites , harcelés par le metteur en pages, aux prises avec un manuscrit indéchiffrable, la tête fatiguée, les yeux blessés, la conscience inquiète, et se disant : « Quelle bêtise ai-je encore laissé passer? » Auprès de ces tortures, la correction à l'Imprimerie impériale est un Éden : les correcteurs ont la même responsabiUté, mais au moins ils ne sont pas claquemurés dans des soupentes, et ont un peu de temps pour accomplir leur tâche ingrate et essayer d'at- teindre la correction absolue, ce rêve de tous les éditeurs irréa- lisé jusqu'à ce jour. Outre les huit correcteurs attachés au service courant, quatre sont occupés au service polyglottique. Les langues orientales ont un correcteur spécial, qui revoit les épreuves sous la direction de M. Mohl, membre de l'Institut , inspecteur de la typographie orientale. La correction est aussi une des plus grosses dépenses, car elle nécessite des remaniements qui prennent un temps précieux, payé à l'heure et assez cher ; un changement qui paraît simple, deux mots enlevés au miheu d'un paquet, par exemple, détermi- nent la recomposition de toutes les lignes suivantes jusqu'à ce que l'on rencontre un ahnéa. Ces difîicultés, bien connues des per- sonnes qui s'occupent d'imprimerie , ont maintenu le procédé actuel de composition qui dure depuis Gutenberg, sans perfec- tionnements importants, et qui nous paraît jusqu'à présent im- possible à remplacer. On a bien essayé de divers procédés mécaniques pour tâcher jde diminuer le temps de la composition; mais aucun, jusqu'à présent, n'a pu recevoir d'appUcatinu utile. La première idée L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE 105 a été de fondre d'une seule pièce des syllabes entières ; mais c'était compliquer la casse, rendre difficile la justification des lignes, gêner la correction. Cette fabrication a été commencée, abandonnée, reprise plusieurs fois. La seconde idée a été de faire exécuter la composition automatiquement. De belles et in- génieuses machines ont été construites dans ce but : les deux dernières récompensées aux Expositions universelles sont ?elles de M. Delcambre, exécutées à Paris, et celle d'un Danois, M. Chris- tian Sorensen («) . Celles de M. Delcambre ont fonctionné au nombre de six dans l'ateher même où s'imprime notre hvre; mais quelque parfaite que soit une machine à composer, elle n'arrivera pas à être une machine à hre, pas plus qu'une machine à corriger, et l'on perdra dans les remaniements et les corrections le temps gagné dans la formation mécanique des lignes. Et pourquoi une machine à composer ? Ce n'est pas la composition propre- ment dite qui esf. longue, c'est la mise en pages, les remanie- ments, les corrections en forme et toutes ces opérations délicates (a) Applicable ou non, la machine se compose de : 1° Une table en forme de piano, renfermant à sa portion antérieure un clavier alphabétique, et à son centre un cône renversé ; 20 Un double cylindre, s'ajustant sur un cône ou entonnoir. Ce cylindre formant, à proprement parler, le fond même, l'essence de l'invention Sorensen, nécessite une description détaillée. Il est formé de deux parties superposées : l'une fixe (une fois qu'elle est ajustée sur l'entonnoir) porte le nom de cylindre compositeur; l'autre est engrenée sur le premier, et opérant à volonté un mouvement con- centrique de rotation, reçoit le nom de cylindre distributeur. Le cylindre distributeur est un peu moins gros que le cylindre compositeur; mais les parois de tous les deux sont composées du même nombre de baguettes verticales en cuivre blanc fixées solidement, pour l'un comme pour l'autre, sur deux plaques circulaires. La masse des types ou caractères destinés à la composition est rangée en piles le long des baguettes en question, et ils y sont retenus par des entailles particulières pour chaque type. Ces baguettes, on le voit, remplacent les cassetins de l'imprimerie ordinaire, A chaque tour du cylindre distributeur mis en mouvement par le pied de l'ouvrier, agissant sur une pé- dale, les types qui se trouvent aux extrémités des baguettes passent par des ouvertures pratiquées dans la plaque supérieure du cylindre compositeur. La forme de ces ouvertures correspond exactement à celles des types de chaque lettre ou signe d'imprimerie; il y a impossibilité mathématique à ce qu'une lettre passe à la place d'une autre. Le cylindre compositeur est, comme le distributeur, formé de baguettes placées verticalement en cercle, entre deux plaques métalliques et circulaires. Les types sont attachés aux baguettes circulaires de cuivre par des rainures triangulaires correspondanlés aux cloches des types avec une exactitude telle qu'ils glissent faci- lement le long des baguettes sans être exposés à aucune déviation. Le cylindre compositeur chargé des types est, ainsi que nous l'avons dit, posé verticalement sur un enton- noir dont la partie supérieure est munie de petits ressorts en nombre égal à celui des baguettes. Le ressort mû par la touche du clavier alphabétique, ouvre et donne passage au type correspondant, qui tombe dans il'entonnoir, où il est conduit forcément dans la position voulue jusqu'au tuyau spiral qui est au fond du GRANDES USINES et sans cesse variables qu'on appelle fonctions. Trouvera-t-on une machine qui., prenant un manuscrit, rendra une forme toute dressée, bonne à confier à la presse ? Je ne le crois pas. Et cependant M. Sorensen se sert de sa machine à composer pour l'exécution du Fœdreland, journal de Copenhague. Cela nous ferait croire que messieurs les journaUstes danois font peu de corrections. La mise en pages est la partie la plus déhcate du travail. Il s'agit de réunir les différents paquets, de les diviser en parties égales, de surmonter chaque page du titre courant de l'ouvrage et de son numéro d'ordre, de caser méthodiquement ces pages strictement égales entre les quatre branches d'un quadrilatère en fer rigide nommé châssis, divisé en compartiments égale- ment rigides («) ; puis de les y fixer de façon que les miUiers de petits morceaux de métal qui composent la forme soient adhérentes entre eux comme s'ils étaient d'un seul bloc ; on tire alors sous la presse à bras une épreuve, dite tierce, qui donne la disposition, non-seulement de chaque page, mais encore de l'ensemble de la feuille entière. Sur cette tierce les auteurs et cône. De ce tuyau, il est poussé par un ressort dans une ligne continue sur un grand composteur ou règle fixé sous la machine. Lorsque le grand composteur est rempli, on le remplace par un autre, et ainsi de suite jusqu'à entière composition. L'ouvrier n'a plus ensuite qu'à justifier et mettre en pages. Un homme intelligent et un aide suffisent pour faire manœuvrer la machine, distribuer, composer, justifier ni mettre en pages; tout ce travail se fait aussi vite que si l'on écrivail sous la dictée ordinaire de quelqu'un. Les lettres ayant toutes un chemin égal à parcourir dans l'entonnoir, et y étant appelées tour à tour, il n'y a jamais ni encombrement ni enjambement à redouter de leur part. Les types particuliers nécessités par l'emploi de la machine Sorensen exigeant moins de métal pour leur fabrication que les caractères ordinaires d'imprimerie, leur prix de revient, malgré la façon de leurs cloches ou entailles, ne dépasse pas de beaucoup celui de ces derniers. La machine exposée coûte 7,000 francs, et on peut composer et distribuer 5,000 lettres par heure avec la plus grande facilité, ce qui équivaut à environ deux fois et demie le travail qu'on peut faire avec la compo- sition à la main, c'est-à-dire que deux instruments compositeurs sont égaux à cinq ouvriers compositeurs. L'inventeur nous a dit qu'il peut composer jusqu'à 1S,000 lettres par heure, mais qu'il ne pourrait toutefois le faire que pendant une courte durée de temps. Tout ce qu'on peut craindre dans l'emploi de cette machine, c'est que dans le lavage de la forme, les ca- ractères ne deviennent sales de manière à ne pouvoir glisser librement sur leur baguette dans l'instrumenti compositeur; mais M. Sorensen nous affirme que, dans l'instrument fonctionnant à Copenhague, on n'éprouve] aucun inconvénient dans la pratique. 1 L'auteur de cette machine était, dès son début, compositeur; ayant été protégé et encouragé par le roi de Danemark à compléter son instrument, il est, après dix-sept années d'étude, devenu mécanicien et a construit .'ui-raême la machine. {Rapport du jury international. — Exposition universelle de PariSj 1855.) (a) Le châssis de l'in-folio est divisé en deux parties, et comme il y a deux châssis, l'un donnant ce qu'on appelle le côté de première^ l'autre le côté de seconde, l'in-folio a donc quatre pages. Le châssis do l'in-*" est divisé en quatre, ce qui donnée huit pages; rin-8° en huit, ce qui donne seize, etc.. etc. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE les correcteurs indiquent les observations nécessaires, auxquelles des compositeurs spéciaux font droit après avoir desserré la forme : les corrections accomplies, on resserre définitivement les pages au moyen de coins en bois («) et de règles en fer disposées en biseaux, et on porte la forme aux machines après s'être assuré de sa parfaite cohésion. A l'Imprimerie impériale, les formes, une fois faites et ser- rées , sont portées sur une espèce de petit chariot à trois roues et descendues aux presses à main d'homme ; mais bien- tôt elles le seront au moyen d'un treuil que l'on s'occupe en ce moment d'établir. (o) Les Anglais serrent les formes, non pas avec des coins de bois, mais avec de fortes v5s. Ce ilwie' systèmc est forcément employé dan» les presses où la forme est appliquée sur un cylindre. 103 GRANDES USINES Les ateliers des presses occupent au rez-de-chaussée trois côtés du quadrilatère limitant le jardin: à gauche, à droite et au fond sont les presses à bras, au nombre de quatre-vingt- huit. Un peu plus profondément, entre le jardin et les bâtiments des archives impériales, sont les presses automatiques, mues par deux machines à vapeur ; — il y en a dix-neuf, et leur nombre tendra sans cesse à augmenter, — tandis que, loin d'acheter de nouvelles presses à bras, on réforme peu à peu les anciennes. Les presses à bras en usage ont été fournies presque toutes par l'ancienne maison Gaveaux, qui jouissait, il y a quinze ans, d'une réputation justement méritée. Elles ont pour base, avec quelques perfectionnements français, soit la presse anglaise Stanhope, soit la presse américaine Clymer. Nous reviendrons plus loin sur leur description spéciale ; mais il nous faut av^nt tout nous rendre un compte exact des différentes opérations qui constituent le tirage, et des principales difficultés qu'on a eues à vaincre pour l'opérer d'une façon satisfaisante. Le tirage est l'opération qui consiste à reporter en noir ou en couleur sur une feuille de papier l'image de la forme. Pour reporter cette image , il faut couvrir d'encre les carac- tères serrés dans la forme, apphquer sur cette surface encrée une feuille de papier et, par un moyen quelconque, presser assez cette feuille sur la forme pour que la figure des carac- tères y soit imprimée. Il faut, de plus (à moins que l'on veuiUe laisser blanc un des côtés), retourner cette feuille et l'imprimer sur son autre face. Voyons maintenant par quelle série d'études et d'essais on L'IMPRIMERIE IMPERIALE 109 est parvenu à exécuter cette opération difficile de manière à tirer jusqu'à mille feuilles dans une heure. Gutenberg, ses associés et ses imitateurs se servaient d'une presse en bois, à vis verticale, serrée par une barre faisant levier et passée dans le trou d'une lanterne d'embarrage. Cette vis, appuyant fortement sur une platine, comprimait la feuille de papier entre elle et la forme posée sur un marbre fixe. Après un ou deux coups donnés au levier, on desserrait la vis, on apportait la forme du côté de seconde, on retournait la feuille de papier, on resserrait la vis et la feuille se trouvait imprimée des deux côtés. Cette opération était fort lente et donnait des résultats assez incertains ; la pression de la platine ne se répartissait pas éga- lement. L'étendue de la presse, très-limitée, ne permettait pas d'imprimer une feuille de papier d'une surface un peu étendue . il se perdait un temps précieux à serrer, desserrer la vis, poser et lever la feuille, mettre et retirer les formes Peu à peu on augmenta l'étendue de la platine, on remplaça le marbre par une plaque de fonte parfaitement plaue, portée sur un chariot mobile mû par un mécanisme rehé au levier agissant sur la vis , de sorte que les formes venaient se poser d'elles-mêmes sous la platine au moment de la pression. On ajouta un contre-poids qui relevait la platine après la pression et chassait au dehors le chariot et la forme, sur laquelle on appHquait une nouvelle feuille avant de la faire rentrer sous la vis. On adapta à cette machine un tympan, tissu tendu, entre les branches d'un châssis articulé sur le chariot, puis une fris- quette, autre châssis articulé sur le tympan et tendu de bandes de parchemin ou de papier préservant les marges de maculature. La frisquette en se rabattant sur la forme appUquait exactement la feuille de papier sur le caractère, et, lors de la pression, empê- chait toute déviation, rendant ainsi l'impression absolument nette, et maintenant les marges parfaites. 110 GRANDES USINES On ajouta une foule de prétendus perfectionnements à ces pièces principales qui restèrent à peu près immuables. On remplaça le bois par le fer et la fonte; mais toutes les modi- fications apportées aux presses à bras jusqu'à la fin du siècle dernier ne servirent guère qu'à faire dépenser de l'argent aux imprimeurs, sans améliorer sensiblement l'outillage. C'était tou- Les- presses en 1780. toujours un dur travail et un métier malsain , car on continuait à se servir pour encrer les formes de balles en laine recouvertes de peaux de chien ou de mouton, d'autant plus estimées qu'elles étaient plus près de la putréfaction. La presse exécutée par lord Stanhope (1795) et la presse américaine de Clymer (1818) vinrent apporter d'importantes améliorations au .système de pression et de mouvement , mais conservèrent toujours la frisquette et le tympan. Elles ne modi- IMPRIMERIE IMPÉRIALE 111 fièrent pas surtout le lent et difficile procédé d'encrage au moyen des balles. Les presses actuellement en usage à l'Imprimerie impériale, et qui disparaissent tous les jours, sont des imitations améliorées de la presse Stanhope à vis et de la presse Clymer à levier. Les presses à vis dans les mains d'un ouvrier exercé peuvent tirer de trois à quatre mille feuilles par jour. Les presses à levier, qui sont assez larges pour tirer les plus grands formats, se manœuvrent plus difficilement et ne fournissent guère que quatre à cinq cents feuilles à la journée ; mais elles donnent des épreuves irréprochables. Les splendides in-folios de l'Imprimerie impériale sont tirés sur ces presses. Lord Stanhope avait essayé de remplacer les balles par des rouleaux couverts de cuir à couture rabattue, pour étaler égale- ment sur la forme l'encre épaisse et gluante dont on se sert pour la noircir. Ces rouleaux, ne pouvant être parfaitement cyhndri- ques, faisaient mal leur répartition et donnaient un encrage infé- rieur à celui des balles. Cependant, comme l'idée était juste, elle fut suivie par Harrild (1 81 0) et Bryan Donkin, qui inventèrent le rudiment du rouleau actuel, en enduisant d'une couche démêlasse et de colle forte un rouleau de grosse toile tendue sur un mandrin en fer. Ce fut M Gannal, chimiste français, qui, en 1819, eut la gloire de fondre d'une seule pièce ces rouleaux dont on se sert aujourd'hui et sans lesquels la presse typographique à va- peur eût été impossible. Chaque presse à bras est accompagnée de sa table à encre, garnie d'un encrier transversal en fer, qu'un ouvrier vient toucher de son rouleau porté sur deux poignées : il étale en- suite cette encre sur la table pour la distribuer également autour du rouleau, puis de celui-ci va toucher légèrement la forme posée sur le chariot. Pendant ce temps, un second ouvrier a placé rapidement une feuille de papier entre la frisquette et le tympan, et les a rabattus l'un sur l'autre : dès que la forme est encrée, il les apphque sur elle, donne un coup au barreau 11-2 GRANDES USINES du levier, la platine s'abaisse pendant que le chariot vient lui présenter la forme, et quand il lâche le barreau, un contre- poids habilement disposé relève la platine et renvoie au dehors le chariot. Les presses à bras, délaissées presque partout, sont très- utiles encore à l'Imprimerie impériale, pour tous les papiers préparés dans cet étabhssement à l'usage des administrations pubhques et qui, destinés à l'écriture, n'ont besoin d'impression que sur un seul côté. Il en est de même pour les travaux très pressés, à tirage peu considérable, mais composés de plusieurs feuilles, dont la mise en train ferait perdre aux presses auto- matiques tout le temps que gagnerait le tirage. Ainsi, par ce moyen, avec ses quatre-vingt-huit machines, l'atelier des presses à bras pourrait tirer en un seul jour trois mille exemplaires d'un volume de quatre-vingts feuilles. Pour les livres de grand luxe, malgré la perfection à laquelle sont arrivées les presses à vapeur, on préfère encore une bonne presse à bras, manœuvrée par Quelques vieux routiers typographiques, derniers débris bientôt disparus des atehers Anisson, Didot ou Panckoucke. Encore quelques années, et les petites machines, qui, depuis quatre cents ans, ont servi à répandre tant de chefs-d'œuvre, auront disparu tout à fait, et ne se retrouveront plus que dans une imprimerie de canton , où on les montrera, comme on montre aujourd'hui à l'Imprimerie impériale un magnifique spécimen des presses hollandaises en bois, sauvé de la destruction par l'administration de M. de Saint-Georges. Nous arrivons maintenant à la partie la plus difficile de notre tâche, car il n'est guère aisé de décrire clairement un de ces automates dont quelques-uns vomissent jusqu'à 120,000 jour- naux en dix heures, et dont les autres peuvent, dans le même temps, tirer 10,000 exemplaires du Uvre le plus soigné, orné des vignettes les plus déhcates. Vers la fin du siècle dernier, il devenait évident que les presses à bras ne pouvaient fournir assez rapidement les journaux dont L'DIPRIMERIE IMPÉRIALE. 113 l'usage se répandait universellement. Les grands événements qui se multipliaient de jour en jour donnaient à la curiosité publique une intensité à laquelle il fallait absolument satisfaire. Mais un moteur mécanique quelconque, adapté à la presse à platine, n'aurait pas modifié ses mouvements et n'aurait pas remédié aux pertes de temps inhérentes à sa constitution. Il fallait donc chercher autre chose. Les cylindres à imprimer les étoffes fournirent à Williams Nicholson, éditeur du Journal phi- losophique, l'idée première qui dirigea ses essais, infructueux pour lui, il est vrai, mais devant servir plus tard de point de départ à Kœnig , l'inventeur réel de notre système typographique. Dès 1790, Nicholson avait bien trouvé l'application du cylindre pour remplacer la platine , — il faisait aussi encrer automati- quement ses formes par des rouleaux de fonte et de cuir; mais il lui fallait la main de l'ouvrier pour poser la feuille de papier entre la forme et le cylindre et aussi pour la retourner. Son invention était donc nulle. Il en fut de même des essais de MM. Donkin et Bacon, qui, en 1815, appliquaient les quatre formes sur les quatre faces d'un prisme tournant , et les faisaient presser par quatre faces correspondantes d'un autre prisme à arêtes rentrantes. Enfin vint Kœnig, horloger saxon, assisté d'un mécanicien nommé Bauër, qui, après des essais répétés en 1810, 1811 et 1815, finit, grâce aux capitaux fournis par MM. Bensley et Taylor, par constituer une presse automatique à vapeur qui, pour la première fois, le 28 novembre 1814, imprima le journal le Times \ Cette machine tirait en blanc, ' Dans cette machine, la forme ou châssis contenant les types passe hoiizontalement , par un mouvement de va-et-vient, sous le cylindre d'impression sur lequel la feuille de papier est enroulée et retenue par des cordons. Dans l'origine. Teiicre, chassée par un piston de la boîte cylindrique placée au sommet, tombait régulièrement sur deux rouleaux de fer qui la commu- niquaient à une série d'autres rouleaux, dont les deux derniers, en cuir, l'appliquaient sur les caractères. Une importante amélioration fut le remplacement du cuir, dont les rouleaux étaient d'abord recouverts, par une composition de colle forte et de mélasse, formant une substance élastique très-favorable à l'impression des caractères. La prise d'encre et sa distribution furent postérieurement améliorées. Enfin M. Kœnig réunit deux machines semblables, de manière à pouvoir imprimer ui\ journal des deux côtés à la fois. La feuille, conduite par les rubans, était portée d'un cylindre à l'autre, en parcourant le chemin dont la forme de la lettre S couchée horizontalement (c«) donne l'idée. TYP. H, PLON. 8<= LIV. 114 GRANDES USINES. c'est-à-dire sur un seul côté, environ 1,000 exemplaires à l'heure; dans le courant de 1815, Kœnig construisit enfin la machine qui a servi de base aux presses actuelles, en appli- quant un ingénieux système de cylindres et de cordons sans fin pour retourner la feuille , la faire passer sous un second cylindre comprimeur et recueillir ainsi à la sortie de l'auto- mate un journal imprimé sur ses deux faces : 750 feuilles s'ob- tenaient ainsi par heure. Le problème était résolu. Il n'y avait plus que des perfectionnements à apporter pour obtenir — d'abord le re^isire, c'est-à-dire une parfaite régularité dans la marge , et la correspondance exacte des pages imprimées sur le recto et le verso , — l'égalité du tirage devant résulter d'un bon encrage et d'une pression identique à tous les points de la forme, — enfin la rapidité de l'exécution, tout en maintenant cette régularité. MM. Applegath et Cowper, en Angleterre, Thonnelier, Ca- veaux, Rousselet, Normand, Dutartre, Marinoni, Rebourg, Alauzet, en France, ont apporté chacun l'appui de leur travail, soit aux modifications du mécanisme, soit à la parfaite exécu- tion de ses parties \ Outre les quatre-vingt-huit presses à bras , l'Imprimerie impé- riale possède dix-neuf presses à vapeur dont une à réaction , sur Pendant sa course sur les cylindres, la feuille recevait, sous le premier cylindre, l'impression d'un côté, et sous le seçond cylindre elle recevait l'impression sur le deuxième côté. Mais il faut avouer qu'en 1844, lorsque M Bensley me montra cette admirable et immense machine, encore fort compliquée, le second côté de la feuille {la retiration) ne tombait pas exactement en registre. Ce n'est qu'après de longues recherches que MM. Applegath et Covy^per sont parvenus à donner à leur presse mécanique un tel degré de perfection, que la feuille conduite, par les cordons, après avoir reçu la première impression , passe du premier cylindre sur deux tambours en bois qui la retournent, et va s'appliquer sur le contour d'un second cylindre avec une telle précision qu'elle rencontre les types de la seconde /orme juste au même point où se trouvent imprimés du côté opposé les caractères de la première forme, après quoi elle vient se déposer sur une table placée entre les deux cylindres, où un enfant la reçoit et l'empile. (A. F. DiDOT. — Essai sur la Typographie.) * Depuis plusieurs années on tend, au moins pour le tirage très-rapide des journaux quolidiens, à revenir à la presse portant les formes sur un cylindre de grande dimension. La Patrie, quelques journaux anglais et presque tous les journaux américains sont imprimés par des presses cylin- driques. Les plus remarquables presses cylindriques ont été combinées et exécutées par MM. Hoe et C'", de New- York. Leurs presses à cylindre remplaçant le marbre horizontal, donnent environ deux mille exemplaires à l'heure par cylindre comprimeur. Ainsi la presse à dix cylindres produit vingt mille feuilles , à huit , seize , et ainsi de suite. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 115 laquelle se tire le Moniteur des Communes , et qui a été fabriquée par M. Normand ; mais comme elle était trop petite pour tirer d'un seul coup la feuille d'affiche et la partie in-octavo du Moniteur des Communes, elle a été agrandie, limée, accommodée dans l'établis- sement même, et une fois arrangée , elle a présenté une économie notable. Trois machines de M. Dutartre, dites machines en blanc, sont destinées aux impressions sur une seule face de la feuille. Les autres presses sont toutes des presses dites en retiration. Les plus modernes ont été fabriquées par M. Perreau, succes- seur de M. Normand ; dans ces presses, la feuille retournée, auto- matiquement par des cordons sans fm , est maintenue en registre par un système de pinces assez parfait pour tirer une affiche à deux couleurs sans pointures. Une nouvelle presse, construite par un jeune mécanicien de talent, M. Rebourg, offre une particularité ingénieuse : l'un des deux cylindres imprimeurs se soulève pendant que l'autre est en pression \ ce qui maintient la propreté des blanchets ou draps blancs qui entourent les cylindres pour donner plus de douceur à leur pression. Quant aux autres presses, ce sont des vétérans vingt fois raccommodés et qui font encore un bon service, quoique la plupart d'entre elles datent de 1820 et aient eu l'hon- neur d'être brisées en juillet 1830. Dans ces dernières presses , la feuille est retournée par deux gros cylindres élevés en l'air et la recette se fait entre les deux cylindres imprimeurs. — Elles suffisent, on a donc raison de les conserver , et puis elles peuvent servir de pièces curieuses à l'archéologie typographique. Malheureusement, elles ne portent plus le nom d'auteur. Les anciens imprimeurs faisaient eux-mêmes leur encre et leurs balles. Aujourd'hui de grands établissements spéciaux fondent les rouleaux et préparent l'encre. Celle de l'Imprimerie impériale est fournie par l'usine de Saint-Ouen, fondée par ' Cet ouvrage est tiré sur la dernière presse de ce système, construite par M. Rebourg pour notre imprimerie. 116 'GRANDES USINES. M. Lyons, dirigée ensuite par M. Lawson, et maintenant gérée par MM. E. Pignère, Ledornois, E. Bion et C'^ L'encre d'impri- merie n'a aucun rapport avec l'encre à écrire ; c'est plutôt une couleur qu'une encre. Elle se compose d'un liquide visqueux appelé vernis, fabriqué par la cuisson d'huiles et d'essences plus ou moins pures, dans lequel on met en pâte du noir de fumée plus ou moins fin, suivant la destination et le prix. Il y a des encres depuis 1 fr. 50 c. jusqu'à 24 fr. le kilogramme. La bonne encre à vignettes qui sert à imprimer ce livre coûte 8 francs. Les anciens imprimeurs faisaient leur encre chez eux avec un vernis à l'huile de lin et de noix cuite, et du noir de fumée obtenu par le goudron de bois; mais l'huile de lin fut appliquée à des usages plus rémunérateurs; l'huile de noix servit à frauder l'huile d'olive, et ce fut au grand scandale des maîtres que les huiles de navette et de chanvre furent employées vers la fin du dix-huitième siècle. Aujourd'hui on est loin de ces susceptibi- lités, et les différentes huiles , essences et esprits employés le plus souvent proviennent de la distillation du goudron de houille , résidu des usines à gaz pour l'éclairage. Les huiles de résine sont destinées à l'encre à journal , l'huile de lin et les fines huiles de naphte réservées aux encres à vignettes. Les proportions varient à l'infini , suivant le degré de sicca- tivité, de viscosité, de brillant, qu'on veut donner au produit. Voici, du reste , comment à Saint-Ouen l'opération se conduit : dans une vaste salle sont emmagasinées les huiles et essences , auprès de trois chaudières de grandeurs diverses ; dans la plus petite se cuit, additionné de manganèse, de carbonate de soude et d'alun , un mélange d'huiles et d'essences fines , destiné à être versé dans les autres chaudières en quantité proportionnée à la qualité siccative que l'on désire obtenir ; — la seconde cuit les vernis fins et moyens; — la plus grande, les huiles communes à journal. Le vernis", une fois fait, est porté dans de grandes cuves intérieurement revêtues de fer-blanc, où on le laisse refroidir. t L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 117 Il est ensuite versé dans un mortier en fonte, où des palettes mobiles sur un axe tournant le mêlent avec du noir, assez intimement pour produire une pâte presque homogène. Quand il s'agit simplement d'encre à journal , on retire cette pâte du mortier, et on la fait broyer par des meules de gra- nit rayonnées exactement comme des meules de moulin. La pâte tombant de la première meule, passe dans la seconde, puis dans la troi- sième, au sortir de laquelle elle est mise dans de petits barils bien conditionnés dans l'usine même et envoyée chez les consommateurs. Nous avons vu sur quelques-uns d'entre eux « Gênes », et sur d'autres « Bruxelles », car l'usine de Saint- Ouen fournit à l'étranger une quantité notable de ses produits. Î^Iais les opérations sont bien plus compliquées s'il ne s'agit pas seulement d'un journal , mais d'une publication de typogra- phie artistique , comme les belles éditions de l'Imprimerie impé- 118 GRANDES USINES. riale , de Marne, des Didot, — quand il s'agit du Monde illustré, qui, bien que tiré à quarante mille exemplaires, n'en est pas moins exécuté , chez l'imprimeur Bourdilliat , avec de l'encre à 8 fr. le kilog. Dans ce cas , ce ne sont plus seulement trois mou- lins, mais onze, qui broient et raffinent la pâte. Voici comment on procède : dans le mortier mélangeur, on verse de l'huile de lin et de naphtaline, déjà préparées avec le siccatif dont nous avons parlé; on y ajoute le noir de fumée le plus fin venant de Londres, calciné de nouveau à Saint-Ouen dans des pots de terre FABRIQUE D'ENCBE. — Le moulin à encre fine. cuite chauffés au four. Quand le mélange est suffisamment brassé, on fait passer la pâte dans un appareil composé de trois cylindres lamineurs qui arrêtent toute impureté, tout corps métallique surtout, clous ou fragments de fer ; après cette sorte de laminage, la pâte est versée par un entonnoir dans une boîte où se meut une meule conique en fonte , rayée et striée en éventail. La tritu- ration s'y opère lentement, et bientôt la pâte, plus intimement liée, s'écoule à la partie inférieure de ce moulin ; on la porte dans L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 119 un autre, puis dans un troisième , et c'est du onzième seulement qu'elle sort bonne à être livrée. Ici les meules coniques sont d'un • excellent usage, car leur rotation détermine une élévation de température très-favorable à la mixture du noir de fumée dans le vernis : cette circonstance, qui les a fait repousser des moulins à blé , leur assure la préférence dans la fabrication de l'encre d'imprimerie. A Saint-Ouen, les moulins à encres fines sont dis- posés autour d'une grande salle, et mus par les transmissions d'un moteur à vapeur parfaitement aménagé : nous avons rare- ment vu des combinaisons plus simples et une installation meil- leure. L'usine de Saint-Ouen peut fabriquer par jour 200 kilo- grammes d'encre ajournai, et 500 kilogrammes d'encre à labeur et à vignettes. L'Imprimerie impériale commande spécialement son encre, depuis les encres fines de V Imitation de Jésus-Christ ' jusqu'à la bouillie noirâtre des vignettes de la Régie. Toutes les presses, excepté la machine à réaction , sont servies par des femmes : une margeuse engage les feuilles aux cylin- dres, une receveuse les attend à la sortie, les classe et les em- pile; puis des hommes les portent sur de petits chariots vers les séchoirs. — Dans un grand nombre d'imprimeries on ne sèche pas, ou peu; dans les usines à journaux ce serait impossible; dans les autres, on met peut-être un peu de négligence, et, pour des livres à bon marché, le séchage augmenterait sans nécessité les frais de main-d'œuvre. — Mais à l'Imprimerie impériale, cette opération est de toute nécessité; nous allons expliquer pourquoi. Pour recevoir l'encre d'uîie manière convenable, le papier a besoin d'être ce qu'on appelle trempé, c'est-à-dire assez humide pour que la matière visqueuse y adhère sans tache. On le trempe, soit en le plongeant par masse de trente feuilles environ dans des cuves d'eau , soit en l'aspergeant avec une verge de bouleau , soit, comme on fait à Londres , dans les ateliers du Times, en passant les feuilles dans une ingénieuse ' La fabrique de Saint-Ouen ne fournit à rimprimerie impériale que son encre noire. Les encres de couleur sont fabriquées avec le plus grand soin dans l'établissement même. L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 121 machine à tremper fort simple, composée d'une flanelle sans fin , d'mie brosse trempeuse , et de cylindres empêchant le papier de gondoler. Quand le papier a passe sous la presse , il conserve toujours une certaine humidité dont n'a pu le débarrasser la chaleur de l'atelier; de plus, l'encre ne sèche pas instantanément, et si l'on phait les feuilles dans cet état, on s'exposerait à tout gâter. Pour les journaux, cela est indifférent; d'abord, parce qu'on trempe LMPR13IERIE IMPÉRIALE. — La Tremperie. peu, ensuite, parce qu'on est indulgent envers une publication quotidienne et pressée qu'on lit encore plus rapidement qu'elle n'a été fabriquée. Mais s'il s'agit d'un beau livre de bibliothèque, ou à plus forte raison de ces registres ministériels, de ces états de finances sur lesquels se fonf toutes les écritures administra- tives de la France, alors c'est tout autre chose. Pour les livres de luxe, le papier, étant épais, sèche difficile- ment, se plisse, se creuse ; de plus l'impression pourrait maculer. 122 GRANDES USINES. — Pour les registres et pour les feuilles destinées à l'écriture, l'Imprimerie impériale emploie presque toujours un papier fait à la main, solide, nerveux, très-collé, qui ne se trempe qu'à grande eau, se rétracte et se recroqueville. Il faut dont le sécher avant de s'en servir. Autrefois on plaçait simplement les feuilles sur des cordes tendues dans les greniers, comme font les blan- chisseuses dans les prés; mais ce procédé est long d'abord, puis très-incommode pour les petits formats. On a donc cherché un autre système; on a inventé d'abord des appareils dans lesquels IMPRIMERIE IMPÉRIALE. - Séchoir Perrin la feuille, prise entre de grandes toiles sans fin , venait se sécher sur de gros tambours pleins de vapeur d'eau. Ces appareils ont d'assez grands défauts; d'abord ils sautent quelquefois, enfoncent la muraille et tuent quelques personnes. Mais ces accidents sont rares, et on pourrait à la rigueur y remédier, tandis qu'un inconvénient sérieux et permanent les condamne à disparaître : ils dessèchent trop, ou plutôt ils cuisent brusque- ment le papier. M. Perrin , attaché comme mécanicien à l'Impri- merie impériale, a inventé récemment un très-ingénieux appa- reil qui permet de sécher les feuilles sans les calciner : c'est une sorte de grande armoire en fer et en verre, chauffée à une tem- pérature calculée , dans laquelle le papier s'engage entre deux L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 123 longues toiles sans fin enroulées autour de cylindres. La feuille entre au point où les deux toiles sans fin se juxtaposent, et sort au point où elles se séparent , parfaitement débarrassée de l'hu- midité qu'elle contenait. Deux de ces appareils fonctionnent parfaitement , et deux autres remplaceront bientôt les anciens séchoirs , dont les imperfections ont été constatées. Au sortir du séchoir les feuilles vont à l'atelier du satinage, car elles doivent redevenir absolument planes pour être livrées aux administrations qui les emploient; pour cela, il faut les satiner. Le satinage s'obtient par une pression, feuille à feuille, entre des lames d'un carton poli, sorte de carton-pierre fabriqué à Lyon. Une ouvrière adroite peut placer dans une heure mille feuilles de papier entre mille et une lames de carton ; une fois disposées ainsi , il faut les soumettre à une pression telle que tout gondolement soit rectifié, que toute aspérité disparaisse. On empile donc papier et carton sur un petit chariot muni de quatre fortes colonnes de fer, surmontées d'une platine mobile , et on les conduit par un petit chemin de fer, habilement établi , sous une forte presse hydraulique , qui abaisse la platine en comprimant les feuilles. Lorsque la pression a été assez forte pour que la platine abaissée laisse voir, aux quatre colonnes de fer surmontant le chariot, un trou destiné à recevoir une forte clavette en fer, on passe cette clavette , qui empêche la platine de remonter, et on emmagasine ainsi une pression suffisante pour permettre au chariot de donner place à un autre. On le pousse sur les rails et on l'envoie rejoindre ses prédécesseurs au fond de la salle où son successeur viendra bientôt le retrouver. On laisse les feuilles en pression une douzaine d'heures environ. Au sortir du chariot , elles sont aussi unies que le plus beau papier à lettre : grâce au séchage préalable, l'encre n'a pas maculé, et l'im- pression est restée intacte. Cet atelier est remarquablement aménagé : c'est un des plus curieux de l'établissement par la perfection de son outillage. Quoique établi au rez-de-chaussée, 124 GRANDES USINES. il appartient aux ateliers dits « accessoires », dans lesquels s'opèrent la réglure, la brochure et la reliure , réunies en une seule division située au second étage des bâtiments qui limitent la cour longue. Ces ateliers sont d'un aspect charmant , car ils sont desservis presque exclusivement par des femmes parfois 'jolies, souvent jeunes, toujours gracieusement coquettes. Au montant de chaque machine à régler est appendu un petit miroir qui sert à lisser les bandeaux les plus soyeux du monde; les mains, profession- nellement nettes, luttent de blancheur avec le papier qu'elles manient. Chaque machine, servie par trois personnes, est d'une composition bien simple : un cylindre, armé de tire-lignes, darde ses pointes régulièrement encrées vers une toile sans fin qui conduit la feuille sous les tire-lignes et l'appuie assez sur leur pointe pour que la ligne soit tracée sans que le papier soit coupé. Le tout est mù par une manivelle et dirigé par un petit chariot. Les machines, au nombre de dix-huit, fonctionnent depuis plus de vingt ans, et sont très-suffisantes pour toutes les impres- sions à réglure uniforme. Mais il y a d'autres feuilles compli- quées qui exigent une réglure à la main ; dans ce cas, les tire- lignes sont fixés dans une sorte de grande règle mobile , que l'ouvrière fait habilement glisser entre des baguettes rectilignes disposées d'abord par elle, suivant ses besoins. Nous avons vu ainsi une feuille passer vingt-quatre fois sous la main de la régleuse pour recevoir les vingt-quatre variétés de lignes dont elle avait besoin d'être sillonnée. L'atelier de réglure occupe environ soixante personnes. Une fois réglées, les feuilles passent à la rognure. Pour cela elles doivent redescendre par un treuil dans un atelier du rez- de-chaussée voisin du séchage, où sont établies d'excellentes petites machines à rogner, construites par M. Perrin. Une lame tranchante court rapidement, par un mouvement de va-et-vient, devant une forte barre transversale qui comprime la masse des L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 125 feuilles destinées à la rognure; à chaque course, une roue à crémaillère fait descendre la lame de quelques millimètres, et en quelques instants l'opération est terminée. Les feuilles rognées remontent à l'atelier de brochure, où l'on met en paquets celles qui doivent s'employer séparément, comme les feuilles de service, les états d'émargement, etc.; là aussi sont assem- blées et cousues celles qui doivent composer des registres et des volumes. Soixante -douze personnes environ sont occu- pées à la brochure et à la reliure. Le Bulletin des lois a son IMPRIMERIE IMPÉRIALE. — La Rogneuse Perrin. atelier spécial de pliage et de mise sous bande, qui emploie huit personnes. Les volumes, une fois faits, sont emmagasinés et distri- bués. Un exemplaire de chaque ouvrage important est relié, quelquefois richement, et déposé à la bibliothèque de l'hôtel de Soubise. Cette bibliothèque, confiée à la garde de M. d'Escodeca de Boisse, secrétaire de la direction de l'Imprimerie impériale, est installée dans une fort belle pièce autrefois décorée de peintures attribuées à Boucher et représentant des singes. On raconte que cette pièce servait de chambre à coucher au cardinal de Bohan, de l'oratoire duquel on a fait une armoire. Cette bibliothèque 126 GRANDES USINES. précieuse renferme un grand nombre d'ouvrages anciens et mo- dernes, édités presque tous dans la maison même Mais le plus beau joyau est le magnifique volume de VImitation de Jésus- Christ, qui a si bien mérité la grande médaille d'honneur à l'Ex- position universelle de 1855. L'ornementation de ce livre unique fut dirigée par MM. Lassus et Dauzats, et exécutée par M. Stein- heil pour les miniatures, et par M. et M"* Toudouze pour les dessins en or et couleurs, à l'imitation des manuscrits italiens du quinzième siècle. Deux corps de caractères, du 18 et du 16, fu- rent spécialement gravés et fondus pour imprimer le texte. Les ornements ont nécessité la gravure de soixante-quatre planches présentant une surface de six mètres carrés; le clichage galva- nique a produit trois cent cinquante planches, donnant trente- six mètres carrés de superficie, et trois cent dix kilogrammes de poids. Décomposés pour la mise en forme, les cuivres ont ' Recueil d'estampes, d'après les plus beaux ta- bleaux et les plus beaux dessins qui sont en France, dans le cabinet du roy, dans celuy du duc d'Orléans et dans d'autres cabinets. — Paris, I. R. (329 vol., 1 ex.) Histoire de saint Louis, par Jehan, sire de Join- ville ; — les Annales de son règne, par Guil- laume de Nangis ; — sa vie et ses miracles, par le confesseur de la reine Marguerite. — Paris, I. R. 1761. (1 vol., 2 ex.) Description de l'Égypte ou Recueil des obser- vations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition française. — Paris, I. I. 1807. (1 vol,, 3 ex.) Collection orientale. — Histoire des Mongols, écrite en persan par Raschid-Eddin, traduite par M. E. Quatremère. 1836. — Le Livre des Rois, par Firdousi, traduit et publié par Jules Molh. 1838. — Le Bhâgana Purâna, ou His- toire politique des Krichna, publié par Eu- gène Burnouf. 1840. Recueil des historiens des croisades, public par M. le comte Beugnot. — Paris, I.R. 1841. (2 vol. 2 ex.) Monument de Ninive, découvert et décrit par M. Botta. — Paris, I. R. 1847. Métamorphoses d'Ovide en rondeaux. — Paris, I. R. 1676. Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, etc., opère et studio Dionysii Sammartheni , etc. — Parisiis, T. R. 1716. (12 vol., 2 ex.) De Imitatione Christi. — Parisiis. T. R. 1640. (I vol., 1 ex.) Introduction à la Vie dévote du bienheureux François de Sales, évesque de Genève. — Paris. I. R. 1641. (1 vol., 1 ex.) Publii Virgilii Maronis Opéra. — Parisiis, T. R. 1642. (5 vol., 1 ex.) Instruction du chrestien , par le cardinal de Richelieu. — Paris, I. R. 1642. (l vol., 1 ex.) Quinti Horatii Flacci Opéra. — Parisiis, T. R. 1642. (1 vol., 2 ex.) Maphœi S. R. E. cardin. Barberini nunc Vr- bani, papœ VIII , Poemata. — Parisiis, T. R. 1642. (1 vol., 1 ex.) Novum Testamentum [grœce). — Parisiis, T. R. 1642. (1 vol., 1 ex.) Il Goffredo ovvero la Gierusalemme liberata, di Torquato Tasso. — InParigi.nellaStam- periareale, 1642. (1 vol., 1 ex.) Conciliorum omnium generalium etprovincla- lium collectio, etc.,concmnata a P. Làbbe. — Parisiis, T. R. 1644. (87 vol., 1 ex.) Biblia hebraïca, samaritana, chaldaïca, grœ- ca, syriaca, latina et arabica, cura et studio G. M. Lejay. — Lutetiœ Parisiorum, Anton. Vitré, Régis typogr. 1645. (10 vol., 1 ex.) Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand. — Paris, I. R. 1702. (1 vol., 1 ex.) Collection de documents inédits sur l'histoire de France, publiée par ordre du roi et par les soins du ministre de l'instruction publique. ' L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. 127 fourni trois mille deux cent quarante motifs, dont quelques-uns occupent un quart de page. Quelques feuilles ont demandé vingt-quatre tirages, les autres au moins sept. Enlîn , les dessins en noir gravés sur bois sont : un grand titre et cinq faux-titres, quatre grandes planches admi- rables, cent quatorze têtes de chapitre, cent quatorze lettres or- nées, et environ cent culs-de-lampe. On voit par ce résumé ce que peut faire un établissement comme l'Imprimerie impériale dans les mains de M. de Saint-Georges, qui a su appliquer à cette direction l'habileté administrative qu'il avait déployée dans de hautes fonctions plus en rapport avec ses qualités politiques que le gouvernement d'une usine. Il est vrai aussi qu'il est admira- blement secondé par des hommes intelligents et dévoués ' , qui connaissent assez à fond pour savoir les résoudre toutes les diffi- cultés du métier. C'est donc avec raison que M. de Saint-Georges peut dire, dans la monographie citée déjà plus haut ; — « Avec sa fonderie, un matériel de plus de sept cent mille kilogr. de caractères, ses presses manuelles, ses presses mécaniques, sa lithographie, ses ateliers de satinage et de reliure, et un personnel permanent de près de mille ouvriers, l'Imprimerie nationale est non-seulement pour le gouvernement un agent administratif indispensable à son action, mais encore une puissance incontes- table de perfectionnement typographique et un centre intelligent de propagation de la pensée humaine. » Il resterait cependant quelques simples mesures à prendre pour que la dernière partie de cette phrase fût plus entièrement justifiée, et deux d'entre elles suffiraient pour donner à l'Impri- merie impériale sa vraie place à l'avant de l'humanité : la pre- mière serait une distribution moins parcimonieuse des ouvrages fabriqués dans l'établissement. Tous ces livres, jugés dignes • MM. Derenémesnil, chef du service des travaux, honoré d'une médaille de première classe à l'Exposition universelle de 1831 ; D'Escodeca de Boisse, secrétaire de la direction; Duprat, chef du service de l'administration; Regnault, chef du service du Bulletin des Lois; Laurent , correcteur en chef. 128 GRANDES USINES. par leur sujet et leur exécution d'être imprimés aux frais de l'État, s'en vont le plus souvent pourrir dans des greniers d'où il faut, pour les faire sortir, l'autorité d'arrêtés ministériels toujours difficiles et longs à obtenir. Ces richesses littéraires ou scientifiques, presque toujours ignorées de celui même qui peut en accorder la distribution, feraient d'utiles présents, non- seulement aux bibliothèques publiques qui les reçoivent quel- quefois, mais aux collèges, aux institutions savantes, aux cercles et même aux simples particuliers qui les auraient mérités par leur travail et par les services rendus aux arts, aux sciences ou aux lettres. La seconde serait de laisser à l'Imprimerie impériale la dis- position de ses bénéfices annuels, pour les appliquer à des essais de toute sorte, machines, clichage, gravure, essais dont profi- terait plus tard l'industrie. C'est là surtout le but des grands éta- blissements de l'État — aider par l'exemple le commerce privé, et non lui faire une concurrence nécessairement écrasante. Un dernier vœu nous reste à formuler. Sa réalisation n'est pas indispensable, mais elle nous semble cependant désirable : ce serait la construction — le plus près possible des Tuileries et des grandes administrations — d'une Imprimerie impériale véritablement modèle, élevée, disposée, aménagée avec tous les progrès de l'architecture industrielle. Pourquoi n'utiliserait-on pas ainsi le Palais de l'industrie, trop- grand pour certaines expositions, trop restreint pour d'autres, vaste halle disproportionnée, presque toujours inoccupée, et dans laquelle on pourrait installer magnifiquement une Typo- graphie véritablement impériale? FIN DE l'imprimerie IMPÉRIALE. USIJXE * DES BOUGIES DE CLICHY FONDERIE DE SUIF - STÉARINERIE - SAVONNEItlE BOUGIE DÉCORÉE Tout est français dans la Stéarinerie, depuis les premiers tra- vaux de MM. Chevreul et Gay-Lussac en 1824, et la réalisation industrielle de MM. de Milly et Motard en 1835, jusqu'à l'idée toute récente de décorer la bougie et d'en faire un ornement qui complète le luxe des candélabres. Les inconvénients nombreux de la chandelle, son odeur nauséabonde, sa consistance insuffi- sante, sa mèche fumeuse nécessitant les ignobles mouchettes, le prix élevé de la cire, poussèrent les inventeurs dans leurs re- cherches. Comme dans un grand nombre d'industries, l'esprit de fraude guida les ciriers. Ils commencèrent par faire des chandeUes en suif recouvert d'une couche de cire , mais la fraude se découvrait assez vite aux émanations fétides des graisses ani- males. On mêlait aussi à la cire des farines diverses, fèves, mar- rons d'Inde («), ou bien encore on essayait de fabriquer avec du (a) « Pi'cnez six livres de marrons d'Inde épluchés, une livre d'huile de lin ou d'olive, quatre onces de « blanc de baleine. Pilez les marrons jusqu'à ce qu'ils deviennent liquides avec le blanc de baleine; jetez-y « ensuite la livre d'huile, que vous remuerez jusqu'à ce que le tout soit tout à fait très-liquide; mettez-le dans ' une terrine qui ait un petit goulot; prenez des mèches à chandelles, et après les avoir passées à travers du . blanc de baleine fondu, introduisez-les dans des moules de verre ou d'étain si vous voulez les avoir comm» . des bougies; sinon, servez-vou de moules de fer-blanc, dans lesquels on fait couler la matière jusqu'à c • qu'ils soient pleins. Lorsque ces chandelles seront bien raffermies et consolidées, on les retirera, on les « exposera à l'air pendant quelques jours. Oa aura de bonnes chandelles, et on aura la satisfaction de rendre « les marrons d'Inde utiles à quelque chose. • iEncyclopédie méthodique.) 9» tlT 130 GRANDES USINES suif des chandelles qui semblent de cire («). Mais tous ces procé- dés ne donnaient pas de résultats bien satisfaisants. La mèche était toujours fumeuse, les mouchettes nécessaires, et la chan- delle, déguisée sous divers noms, continuait à salir les mains, à tacher îes vêtements et les meubles. Il était réservé à MM. Che- vreul et Gay-Lussac de découvrir, en 1825, les principes à l'aide desquels MM. de Milly et Motard, aidés des recherches de M. Cambacérès, devaient, en 1835, j^fonder définitivement une industrie tout entière, l'une des plus florissantes aujourd'hui, la fabrication des bougies stéariques. Les essais de l'expérience valent été infructueux, ce furent les recherches méthodiques de la chimie, science encore toute nouvelle, qui triomphèrent avec éclat.' On fit l'analyse du suif que l'on trouva composé de trois acides, stéarique, margarique et oléique, et d'uae base, la glycérine. Le premier acide fusible à 60», le second à 47% le troisième liquide à 0. On analysa les trois acides, et on reconnut qu'ils étaient for- més de carbone et d'hydrogène unis à une certaine quantité d'oxygène, ce qui était la coniposition la plus favorable pour produire par la combustion une lumière brillante. En effet, ils contenaient l'hydrogène, le plus inflammable des gaz ; l'oxygène, sans lequel toute combustion est impossible ; et enfin le carbone^ dont le dégagement met en suspension dans la flamme de l'hydro- gène de petits corpuscules qui, passant au rouge blanc, donnent l'éclat à la flamme. Des trois acides, .deux étaient, par leurs pro- priétés physiques, c'est-à-dire par leur consistance et leur blan- (a) « Savoir comment on peut faire la fraude, c est apprendre comment on peut la découvrir. On jette de la chaux vive en poudre subtile, dans du suif fondu; la chaux tombe au fond et le suif reste purgé et aussi beau que la cire; ou, pour mieux déguiser l'altération, on se contente de mettre une partie de ce suif sur « trois de cire, ce qui donne de très-belles bougies dans lesquelles il est difficile de s'apercevoir qu'il y ai' « du suif. D'autres sophistiqueurs prennent du suif de vache ou du bœuf, qu'ils mettent, après l'avoir bien « pilé, dans de fort vinaigre où ils le laissent vingt-quatre heures, puis le font bouillir dans ce vinaigre cn- R viron deux heures, écumant toujours sitôt qu'il paraît de l'écume. Lorsqu'il est refroidi, ils prennent ce suif, faciliterait la création 1) de nouvelles industries encore inconnues, qui donneraient un grand essor au travail qui existe déjà sur » tous les points du pays. » (6) La tradition rapporte que l'iliade et l'Odyssée auraient été écrites en lettres d'or sur les intestins d'un dragon de cent vingt pieds de long. '.A PAPETERIE D'ESSONNE U7 l'on créa d'abord le oarchemin, le vélin, puis le papier de papy- rus, beaucoup plus Urd le papier de coton et enfin de chiffons de toute sorte, débris ce nos vêtements, ex rasuris veterum pan- norum, comme dit Pierre de Cluny. Le parchemin, le^élin, dont l'usage aujourd'hui est presque abandonné, rentrent dans une autre série d'études; nous aurons occasion d'en parler plus loin. Les papyrus, que les anciens employèrent longtemps seuls , étant directement les précur- seurs de notre papier moderne, demandent une mention parti- culière. De toutes les matières dont on se servait autrefois, les papyrus étaient de beaucoup les plus i^echerchés, grâce à leur légèreté et à la faciUté avec laquelle ils se préparaient. Leur fabrication, d'abord assez simple, fut, sous les empereurs, compliquée d'opé- rations plus délicates, qui s'exécutaient non pas en Egypte sur les lieux mêmes de production, mais à Rome, chez des industriels fort habiles et fort achalandés dont le plus célèbre était un nommé Fannius Sagax, fort renommé du temps de Phne : « Le papyrus, dit ce dernier, croît dans les marais d'Egypte, ou même au mi- lieu des eaux dormantes que le Nil laisse après sa crue, pourvu qu'elles n'aient pas deux coudées de profondeur ; il jette une racine tortueuse de la grosseur du poignet, sa tige est triangulaire et ne s'élève pas à plus de deux coudées. » Cette plante, aujour- d'hui presque disparue par la mise en culture des rivages du Nil, et surtout par son manque d'emploi, était si abondante qu'elle couvrait les bords du fleuve, et que d'après Cassiodore elle sem- blait une forêt sans branche, un bocage sans feuille, une mois- son des eaux, aquarim seges. — La matière première était peu coûteuse, la main-d'œuvre ne devait pas être beaucoup plus chère. On coupait en tronçons égaux la tige, dont une lame aiguë séparait ensuite les pellicules, de plus en plus estimées à mesure qu'on se rapprochait du centre. — On les étendait sur une table en les couvrant d'une autre feuille apphquée en sens contraire, après les avoir humectées avec l'eau du Nil pour les m GRANDES USINES coller ensemble : mises sous presse et séchées au soleil, puis ro- gnées également, elles étaient ensuite classées suivant leur degré de perfection. — A cet état primitif le papier était nommé hiéra- tique, parce qu'il ne servait qu'à la confection des livres de reli- gion ; un autre plus commun et nommé amphithéâtrique, du lieu de sa fabrication, formait une qualité inférieure. Envoyé à Rome, lavé, battu au marteau, collé avec la farine, la résine ou la gomme, poli avec des instruments d'ivoire, de nacre ou de pierre ponce, il prenait le nom d'Auguste, de Livie, ou de Claude , suivant les préparations subies ou l'étendue de ses feuilles. A partir du siècle d'Auguste, le commerce du papyrus devint considérable, non-seulement à Rome., mais encore dans tous les pays du monde, comme le constatent une foule de documents. « Ne faudrait-il pas , dit Plutarque , que le Nil manquât de papyrus avant que ces gens-là cessent d'écrire? » « C'est une ville riche et opulente, écrivait Adrien l'empereur au consul Servien, en parlant d'Alexandrie ; per- sonne n'y est dans l'oisiveté, les uns travaillent le verre, les autres préparent des feuilles de papier. » L'usage du papier avait tellement pénétré dans les masses, qu'un jour, sous Tibère, l'arrivée d'Egypte ayant manqué presque entièrement , cet événement causa une émeute, et que le sénat ne dédaigna pas de nommer une commission pour faire une répartition minutieusement équitable de la petite quantité qu'on avait pu se procurer. Les profits de la vente étaient considérables , et formaient un revenu assez fort pour que Firmus, qui s'était emparé de l'Egypte vers la fin du troisième siècle, se vantât d'avoir en sa possession assez de papier et de colle pour entre- tenir son armée. Cette industrie continuait au cinquième siècle, car saint Jérôme s'en réjouissait en écrivant à Chromaque que le papier n'avait pas manqué, « puisque, dit-il, l'Egypte continue son commerce ordinaire. » Elle était frappée d'un impôt assez lourd pour que Cassiodore remercie Tiiéodoric de l'avoir supprimé, félici- L\ PAPETERIE D'ESSONNE 149 tant le monde entier de voir baisser ainsi le prix d'un produit si nécessaire à tout le genre humain («) . Du sixième siècle au onzième, on se servit encore fréquemment des papyrus, les sou- tenant de six feuilles 3n six feuilles avec une lame de parchemin. Dans toute cette péri)de règne une obscurité assez grande, et la plupart des liv^-es sort écrits sur des parchemins grattés, qu'on faisait resservir une seconde fois, couvrant ainsi un Ovide par un missel (^), soit sur des papyrus, devenus de plus en plus rares, soit enfin sur du pap er de coton nommé carta bombycina, fabri- qué dans le Levant, probablement à Damas, comme semble l'in- diquer le nom de ca^ta Damascena dont on le désignait encore sous Henri II. D'apiès Montfaucon, ce serait vers le neuvième siècle que ce papier ;'ut employé dans l'empire d'Orient. Cepen- dant le plus ancien qu'il ait vu porte la date de 1 050, et ce n'est que par induction qu'il remonte jusqu'aux siècles précédents. .Roger de Sicile, dms un diplôme écrit en 1145, rapporté par Roccus Hirrhus, dit tvoir renouvelé sur parchemin deux chartes écrites en 1110 et en 11 12i sur papier de coton, carfa cwtoea, etEustathius, vers lafm du douzième siècle, rapporte que l'usage du papier égyptien avait cessé peu de temps avant ses pre- miers écrits. Ce feutre de coton, très-soUde, très-blanc, et d'une surface lisse et poUe, se labriquait encore dans quelques a) Après avoir longtemps imposé le papier d'un droit d'un penny par livre, les Anglais viennent de l'exonérer entièrement, grâce aux tsTorts de M. Gladstone, qui, tout en conpidérant les avantages immenses que retirerait de cette mesure U publication des ouvrages à bon marché, et par conséquent la propa- gation de l'instruction dans les clases pauvres, ajoutait encore les réflexions suivantes, que nous trouvons utile de reproduire : «t J'ai de plus à vous déclarer que, suivant l'opinion du gouvernement de Sa Majesté, le grand avantage inséparable de ce changement, c'est que vous allez provoquer de nombreuses demandes de travail dans les campagnes, que les masses ne seroit pas exclusiveœeut attirées vers les grands centres industriels et que l'activilé des travailleurs se répartira sur tous les pwnts du royaume. Là oiî il y a des cours d'eau et des villages, là où l'air est pur et l'acfès facile, s'élèvent de préférence les manufactures de papier. Et dans celte assemblée se trouve une pers)nne qui, il y a quelques années, a constaté les effets de la fabrication du papier sur la taxe des pauvres. Le droit sur le papier a fait disparaître tous les petits fubricanls de papier, 3t a concentré cette industrie dans un petit nombre de mains. On peut à peine trouver des fabriques de papiei dans les villages ; je voudrais les y voir' renaître. Le fait que je cite pour montrer les effets de la fabrication du papier est celui ci : il y a quelques années, un membre delà chambre établit une manufacture de papier à Rictmansworth, afin de fournir aux besoins d'un journal bien counu; au bout de trois ou quatre ans, la taxe des pauvres de cette localité avait diminué de moitié. » (6) Ces parchemins, grattés de nouveau pour les débarrasser de la seconde couche de caractères, sont dov( nus, sous le nom de palimpsiste, un sujet d'études et de découvertes pour les archéologues. 150 GRANDES USINES villes du Levant en 1780. Aujourd'hui on n'en trouve plus guère de trace. On ne connaît pas plus la date certaine de l'emploi du chiffon pour la fabrication du papier qu'on ne sait quel homme, quelle ville ou même quel pays peut revendiquer l'honneur de cette invention. Tite-Live parle bien de Ubri lintei, mais ces livres étaient écrits non sur un papier de chiffon, mais sur toile pré- parée à peu près comme celle des peintres à l'huile («) ; — Scali- ger préconise les Allemands, Maffei les ItaUens. — Le père du Halde croit que ce sont les Chinois, ce qui a l'air possible, car le papier de la province de Se-Chwen est fabriqué avec des chif- fons de linge de chanvre ou de coton. L'opinion, suivant nous, la plus raisonnable, est celle de l'abbé Andrez, dans son hvre imprimé à Parme, en 178^, sous le tire Dell' origine, progressi e stato atiuale d'ogni litteralura ; voici ce qu'il suppose : — Les Chinois avaient depuis longtemps inventé la fabrication du papier avec diverses matières, la connaissance de leurs procédés passa vers 650 aux Persans, aux Arabes en 700. Les Arabes l'importè- rent en Espagne et ne trouvant plus là ni coton, ni bambou, ni bourre de soie, possédant au contraire beaucoup de lin, ils réus- sirent à faire avec cette matière une étoffe excellente. Ce fut dans le royaume de Valence que cette apphcation commença, elle se répandit ensuite dans toute l'Espagne redevenue chrétienne. Ce qui vient à. l'appui de l'opinion d'Andrez est la phrase suivante, tirée de la géographie d'Edrisi, auteur arabe qui écrivait en 1 1 50 : « Xativa, aujourd'hui San-Felipe, est une joUe ville, possédant des châteaux dont la beauté et la sohdité ont passé en proverbe; on y fabrique du papier tel qu'on n'en trouve pas de pareil dans tout l'univers. On en expédie à l'Orient et à l'Occident. D'Espagne, l'usage s'en répandit en France ; en effet, une lettre au sire de Joinville à saint Louis, datée de i^l'i O, et une pièce (a) Dans ces derniers temps, on a fabriqué une sorte de papier analogue. Au moment oii la pâte com- mence à prendre et à devenir papier, on fait passer au-dessous une toile ou pliilût un canevas quiTaccom- pagne entre deux cylindres: la pression fait adhérer intimement le papier à la toile, qui réunit ainsi les avantages de ces deux prûduitg. Ou s'çu sert surtout comme enveloppes, LA PAPETERIE D'ESSONNE loi du duc de Bourgogne, datée de 4 302, sont écrites sur papier de chiffon. — Les Italiens et les Grecs, continuellement en rapport avecles Arabes, se servaient presque toujours de papier decoton. Quoi qu'en dise l'abbé Tirabos^chi, le quatorzième siècle seu- lement vit établir des papeteries de chifïon, notamment à Padoue, à Colle en Toscane, à Fabriano dans le Piémont, toutes mues par des roues à eau. Bodoni tirait le papier de ses belles éditions de Fabriano, où M. Miliani continuait encore avec succès en 1851 cette fabrication séculaire. En France, ce fut à Troyes et à Essonne que s'établirent, au commencement du quatorzième siècle, les papeteries les plus anciennes et les plus importantes. ; en Allemagne, à Nuremberg, ce fut en 1390 ; en Angleterre, ce fut beaucoup plus tard. Le papier était tiré des papeteries françaises. Une pièce de vers se trouvant en tête d'un livre intitulé Barto- lomœus de proprietatibus rerum, et imprimé en 1 496 chez Vynkyn de Worde, déclare que le papier de ce Hvre avait été fait par John Tate, le jeune, en sa papeterie de Stevenage, comté d'Hertford. En 1588, la reine Elisabeth autorisa son joaillier, JohnSpilmann, à construire un moulin à papier à Dartfort, mais on ne fabriqua d'abord que des papiers très-communs, destinés à envelopper les étoffes. Les belles sortes venaient toujours de France et de Hollande, où commençait un production justement renommée. Ce fut seulement vers 1770 que Whatman, homme très-intelli- gent, eut le courage de parcourir, comme ouvrier, les prin-- cipales papeteries du continent, et à son retour fonda la célèbre papeterie de Maidstone, qui aujourd'hui encore est une des plus florissantes et des mieux dirigées Les Hollandais ont la gloire d'avoir inventé les cylindres armés de lames pour déchirer les chiffons. Ils furent conduits à cette découverte par l'insuffisance de leur moteur, le vent, qMi ne pouvait régulièrement faire agir les maillets, lourdes machines mues en France par les cours d'eau. C'est à Essonne que furent établis dans notre pays les premiers cylindres, construits par LA PAPETERIE D ESSONNE 133 M. L'Ecrevisse, mécmicien hollandais. Ce fut dans la même pape- terie que Robert eut. en 1779, l'idée première de la merveilleuse machine à papier continu que nous décrirons plus loin : il obtint même quelques feuiles de papier sur une grossière machine en bois fabriquée par lii. On lui accorda un brevet gratis et une somme de huit milb francs pour continuer ses essais. Mais ce n'était pas le momeat de travailler patiemment et chèrement à perfectionner cette admirable découverte ; le grand mouvement industriel créé par Louis XVI venait de s'arrêter au milieu des terribles préoccupaticns de 1789. M. Didot-Saint-Léger, l'un des membres les plus intelligents de cette famille à laquelle la pape- terie, l'imprimerie et la librairie doivent tant de perfectionne- ments, eut l'idée d'dler chercher en Angleterre des capitaux et des mécaniciens dont nous manquions alors; associé avec John Gamble, soutenu pai^ la persévérance de M. Foudriner, proprié- taire de l'usine de Dartfort, il arriva vers 1803 à réaliser l'idée de Robert. Ce fut M. Donkin, mécanicien, qui fit disposer et agencer dans les ateliers de M. Hall les organes délicats et intel- ligents de ces machines dont la première fut dressée à Frogmore, dans le comté de Hertford, et la seconde à Two-Waters. La France n'en fut dotée qu'en 1811, lorsque M. Berthe, sur les plans et avec les conseils de M. Didot-Saint-Léger, installa à Saint-Roch, près d'Anet, une machine exécutée par M. Galla. Cette machine, toute merveilleuse qu'elle était, n'avait pas en- core acquis tous les degrés de perfectionnements qu'elle possède aujourd'hui, et dont un des principaux est du à M. John Dicken- son, propriétaire de la papeterie de Nash-Mill, près de Two- Waters. Voici quel était son procédé: un cylindre recouvert d'une toile métallique tournait dans une cuve rempHe de pâte; cette pâte s'attachait au cylindre, une forte aspiration à l'intérieur de ce dernier la privait instantanément et presque entièrement de l'eau qu'elle contenait, et de la pâte amincie et séchée se formait une feuille de papier. M. Canson d'Annonay appliqua un appa- reil d'aspiration à la machine Robert. M. Crompton, l'un des plus GRANDES USINES grands papetiers du monde, puisque avant l'abolition des droits sur le papier en Angleterre, il payait quatre cent mille francs d'impôts au gouvernement, inventa et perfectionna le séchage par les cylindres chauffés à la vapeur; ce système, ajouté encore à la machine Robert , modifié et augmenté de différentes ma- nières, l'a constituée telle que nous la retrouverons en parcour*L Loyd, d'après ses procédés. Il broya une certaine quantité d'asbesle dans un mortier de pierre ju qu'à ce qu'elle fiit réduite en une matière cotonneuse ; ensuite, il mit le tout dans un tamis fin, et, par ce moyen, il purgea les filets d'asbeste de toutes les parties terreuses étrangères; car la terre etles pierres qu'il n'avait pas pu enlever auparavant, étant réduites en poudre, passèrent à travers le tamis, et il ne lesta que l'as- beste ; il porta cette matière dans un moulin à papier "A la mit dans un vase, où mêlée avec d» l'eau, elle pût former une feuille de papier avec les moulins ordinaires. Comme il remarquait que cette matière, plus pesante que la matière ordinaire du papier, se précipitait au fond de l'eau, il recommanda expressément à l'uuvrier de la remuer complètement, avant que d'y plonger le mouie ou la forme. C'est ainsi qu'il parvint à en faire quelques feuilles de pipier, sur lequel on écrivait comme sur du papier de chifl'on^ et l'écrituro disparaissait eu le jetant daus le feu. 9 LA PAPETERIE D ESSONNE 155 la mécanique aidée de la chimie. Il faut d'abord semer ou au moins récolter la plante, la faire rouir, la battre, la lessiver plu- sieurs fois, la blanchir par plusieurs agents, la désagréger par des marteaux ou des clyindres armés de lames acérées, puis enfin la réduire en pâte plus ou moins fine, suivant le degré de perfection qu'on veut obtenir. Pendant ces opérations elle a perdu non-seulement toutes les gommes qu'elle contenait, mais encore toutes les parties de cellulose qui étaient disposées en cellules arrondies, ou polyédriques, et même une certaine quan- tité de fibrilles, de sorte que d'un amas de plantes filamenteu- ses et même des meilleures, on tire à peine trente pour cent de matière utile. Mais il se trouve en abondance une manne providentielle qui vient au secours des fabricants, c'est le chiffon. Le chiffon a été semé, récolté, roui, battu, lavé, lessivé, blanchi, il a même subi un commencement de décomposition (autant d'o- pérations de moins à faire), ces fibres ont été filées, ce qui leur a donné une première torsion très-utile dans la prise de la pâle, il fournit soixante-dix pour cent de matière utile. Le chifTon restera donc le préféré des papeteries, jusqu'à ce que l'habileté des botanistes ait découvert une plante assez commune pour être sans valeur, assez rapprochée des usines pour que le port n'en double, triple, décuple pas le prix, puis, qu'une fois cette plante trouvée, la perfection de la méca- nique et le bas prix des produits chimiques permettent de la travailler à bon marché, et d'en tirer une belle et bonne ma- tière avec le moins de déchet possible («). On a essayé d'une (a) on s'occupa beaucoup du papier àu dix-huitième siècle. Voici à ce propos ce que dit Valmont Bomare dans son Dictionnaire d' Histoire naturelle: « On a découvert depuis peu en Italie, aux environs de la ville de Cortone en Toscanes, une nouvelle espèce de papier fossile. On pense qu'ilesl forme d'un mélange de plantes écrasées, et pourries, (qui, dans leurétat de corruption, forment une pâte capable de flotter sur l'eau, et dont les parties, maigre leur dissolution, restent unies entre elles au moyen d'une substance vis- queuse. M. Strange prétend avoiir reconnu plusieurs plantes propres à se convertir en un papier fossile, entre autres le conserva, qui est abondant dans plusieurs marais ou lieux marécageux de la Toscane. Du reste, ce papier naturel, d« couleur brune, n'est point une découverte particulière à l'Italie; on en a trouvé en plusieurs endroits de l;a France, de l'Allemagne et de difl'érents autres pays. M. Linnaius, qui en a trouvé dans la province de Daleikent, en Suède, prétend que ce papier est formé du bissus qu'il appelle /?0S açiaœ, et qui blanchit aux rayoms du soleil. M. Matani ,professeur de médecine à Pise, pense que toute? GRANDES USINES centaine de plantes, orties, peuplier, saule, mûrier, bana- nier, aloès, phormium tenax, bois blanc, aiguilles des arbres verts, paille, palmier nain, sparton d'Espagne, alpha, etc. ; jusqu'à présent on a bien réussi en partie, il est wai, mais pas assez complètement pour détrôner le chifïon. D'assez bons effets ont été obtenus avec les vieilles cordes et les vieux câbles, surtout pour les papiers communs. Il faudra bien arriver à trouver, car la papeterie s'étendant outre mesure, le chiffon commence à manquer. En effet, c'est une singu- hère matière première que les producteurs ont intérêt à ne pas produire. Qui de nous, en effet, s'aviserait de jeter à la borne sa chemise ou ses draps pour être utile aux pape- tiers? Cette production n'est pas une culture, c'est un résidu, elle n'a ni laboureurs, ni semeurs, ni moissonneurs, elle n'a que les plantes filamenteuses et raemb'aneuscs, lorsqu'elles sont dépouillées de leur substance visqu use et en tièrement dissoutes dans l'eau, peuvent se transformer en toute espèce de papier. Li s plantes les plus propres à produire le papier naturel sont les mauves, les algues marines, le chien dent, les orties, les joncs, le pana s, la carotte, le lupin, le genêt, le glaï u', le foin, le lin, la paille, les plantes ma'-écageuses, les différents bissus et conserva, tant de marais que de rivière, les fleurs des arbres, etc. Plus le tissu de ces plantes est lâche et délicat, plus tôt elles sont détrempées et dissouti's. C't st ainsi qu'il s'élève du fond des marais une mat ère vi?queuse formée de corps dissous de plus'eurs petits animaux et notamment de végétaux, qui, ayant croupi et s'étant corrompus dans la vase, sont devenus très- propies à fournir le papier fossile dont il est fait mention. — Voyez Letlera sopra l'origine délia caria naturale di Cortona... Il est plus que probable que la filasse d'aloès, d"ananas, de palmier, d'ortie et d'une foule d'autres plantes ou arbres, serait susciptible de la même préparation. Nous ne sommes point au^si riches en plantes et en arbres dont on puisse détacher Irs libres ligneuses, que les Indiens de l'un et de l'autre hémisphère. Nous avons cependant l'aloès sur certaines côtes. En Espagne, on a une espèce de graminée appelée sparte, qu'on fait louir pour en tirer la lilasse et dont on fabrique ces rordaRes que les Romains appelaient sparton; on en pourrait donc tirer du papier. On voit plusieurs titres anciens, écrits sur du papier de jonc, aux archives de la cathé^lrale de Vicquc, en Espagne. Nous avons dans not e cabinet plusieurs écoices inté- rieures du bambou du cmada, lisses, fines, taillées en papier à lettre, et aussi souples. On écrit sur ce papier comme sur du parchemin. M . Cuettard a fa t du papier avec nos orties et nos guimauves des bords de la mer; et il ne désespère pas qu'on n'en puisse faire avec quelques-un' s de nos plantes el de nos arbres même, sans le réduire en filasse. Le raisonnement qui avait conduit cet académicien à fabriquer du pap er immédiatement avec la filasse, lui a fait essayer d'en fdire avec du cuton, à l'exemple des Chinois, et il a réussi II voulait s'assurer si ce duvet étranger donnerait une bonne pâte, pour travailler avec plus de sûreté 'sur le duvet de nos chardons et sur celui de l'apncin de Syrie, qui, quoique étranger, vient b en chez nous. Enfin, M. Guettard, dont le zèle et la sagacité sont très-connus, a voulu nous fà're voir les avan- tages que nous pouvions tirer, à cet égard, d'une infinité de sub tances que nous rejetons comme inutiles : on en trouve le détail dans son Mémoire et dans le Journal économique, mo'^s rie juillet et d'aoïjt 1751, ou dans un ouvrage de sa composition, qui a pour titre: Mémoires sur différentes parties des sciences et des arts, vol. I, page 227, mm. de Réaumur, Gleditsch, Scha^lTer et S ba ont donné aussi de bonnes obse VHtions sur le papier de notre pays. M. de Haller ob erve que M. Schiffer a employé un grand nombre de plantes pour en faire du papier, en y ajoutant une certaine port on de chiffons, et il y en a eu qui ont très-bien réussi. Il paraît, par les essais de M. Schajffer, que la fibre végétale, en général, serait toujours su'cept ble, par les préparations de l'a t, d'acquérir assez de finesse et de liant pour former un tiss • tel que le pap cr et le carton On a fait, en Anglfterre, du papier avec des navets, des panais, d s feuilles de choux, etc. — Consultez Houçjhlon (collections, n. 3G0), tom. Il, p. 4 8. LA PAPETERIE b'ESSONJ^E 157 des glaneurs, intéressante corporation qui va cherchant dans les rebuts des grandes villes tout ce que dédaigne le consommateur. Ils entassent dans leur hotte tous ces détritus de la civiHsation, et le portent aux étabhssernents où se fait un premier triage. Ce qu'on trouve dans la hotte d'un chiffonnier parisien est in- croyable. Pour s'en rendre compte, il faut aller dans une des rues qui avoisinent l'école Polytechnique; là, dans une espèce de grand hangar en planches, est un des entrepôts où viennent se trier tous les débris : leur prix est coté par une sorte de Bourse des chiffonniers, soumise à des fluctuations assez fréquentes, mais qui jusqu'à présent ont toujours progressé vers la hausse. Sur le devant du hangar, accrochées aux planches qui lui servent d'en- ceinte, pendent les épauiettes, les galons, les torsades de rideaux, toute la passementerie de laine et «de soie ; à l'intérieur des palis- sades, s'amassent d'un côté les os, les tessons ae bouteilles et les débris de faïence ou de porcelaine, de l'autre toute la vieille fer- raille autrefois néghgée et qui a acquis de la valeur depuis l'éta- blissement d'usines destÏLees à faire revivre les vieux fers. Il y a dans ce tas, des morceaux de pincettes, aes serrures détraquées, des fragments de lits, des barres, des espagnolettes et jusqu'à des berceaux d'enfants dressant leurs cerceaux rouillés, comme les cotes d'un squelette de fer. Plus loin et sous le hangar s'en^ tassent les morceaux de laine, qui sont regardés, examinés, triéà avec grand soin, car ces chiffons, qui ne servaient autrefois qu'à l'agriculture comme engrais, ont maintenant une excellente appli- cation, qui a élevé leur cote jusqu'au prix énorme de trente francs par cent kilogrammes ; c'est qu'on a trouvé moyen de les déchi- queter, carder à nouveau et d'en constituer une sorte de feutre propre à faire des gants et certaines étoffes grossières, mais chaudes, dont l'usage se répand de plus en plus. Le chiffon de soie, quand les morceaux sont très-petits, n'a presque aucun prix, il vaut à peine six à sept francs les cent kilogrammes («j. Les (à) M. Graliot, directeur de la papeterie d'Ensonne, a essayé les chiffons de soie et en a produit de bons papiers d'emballage ; mais cet essai n'a pas encore passé dans l'industrie. 158 GRANDES USINES morceaux un peu grands sont mis à part et vendus pour diver usages. Quant au chiffon de lin, de chanvre et de coton, c'est le dessus de la hotte, puisque quand il est bien blanc il se vend jusqu'à 50 francs les cent kilogrammes. Mais de celui-là les pauvres chif- fonniers au crochet n'en trouvent guère ; ce sont des industriels, la plupart Auvergnats, qui se ghssent dans les maisons et qui avec l'habileté et la ténacité de leur race, persuadent aux domestiques de leur vendre le vieux linge de leur maître et de leur maîtresse. Eux seuls ont intérêt à produire du chiffon, peut-être trop («). (a) Les chiffons de lin, de chanvre et de coton servent à fabriquer le papier. C'est là un emploi immense, et cette matière si méprisée est tellement précieuse et si difficile à remplacer, que la France, la Belgique, la Hollande, l'Espagne, le Portugal, et quelques autres pays, en ont prohibé l'exportation d'une manière absolue. L'Angleterre et les États-Unis produisent de telles quantités de papier que la matière première leur manque chez eux, et qu'ils sont obligés de l'aller chercher, à grands frais, à Rostock, à Brème, à Hambourg, à Livourne, à Ancône, à Messine, à Palerme et ii Trieste. La Grèce et la Turquie, qui font une grande consom- mation de tissus de coton, et qui ne produisent pas de papier, fournissent également une assez grande quan- tité de chiffons aux États-Unis et à l'Anglelerre; et la lutte entre ces deux peuples est telle, pour l'accapare- ment de celte mutière première indispensable, que les États-Unis vont raaiiUciiant jusque sur le marché de Londres s'emparer des chiffons qui sont pourtant, en Angleterre, d'un prix plus élevé que dans aucun autre pays. De toutes les contrées qui exportent des chiffons, c'est la Toscane qui en livre au commerce européen les plus grandes quantités. Ces quantités s'élèvent annuellement à environ 12 millions de kilogrammes, dont 4 millions provenant du pays même, etSmillions importésde la Lombardie, du Piémont, de l'Égypte, de Tunis et des autres contrées barbaresques. Livourne est le principal entrepôt de ce commerce. De vast"? magasins bien aérés sont disposés pour recevoir le chiffon qui, lorsqu'il a été trié et nettoyé, est mis en balles pour l'exportation. 35,000 environ sont expédiées annuellement, et chacune de ces balles pèse de 300 à 350 kilog. Sur ces 35,000 balles, l'Angleterre en prend 6,000; l'Espagne, 4,000; les États-Unis, 25,000. Aucun pays n'a d'aussi grands besoins de chiffons que les États-Unis. Il leur en faut annuellement, pour alimenter leur industrie papetière, près de 180 millions de kilogrammes. Voici un tableau qui indique les quantités de chiffons importées par les États-Unis, de 1846 à 1855 : Années. Chiffons de tous pays. Chiffons d'Italie. Valeur en dollars. Prix p. liv. livres. dollars. cent. 1846 9,897,706 8,002,8(15 385,397 3 98 . 1847 8,154,880 6,5-29,234 304,216 3 73 1848 17,014,587 13,803,036 326,007 3 68 1849 14,941,236 11,009,608 524,755 2 51 1850 20,096,.875 15,801,266 748,707 3 61 1851 26,094,701 18,512,673 903,747 3 46 1852 18,288,458 12,220,570 620,729 3 42 1853 22,766,003 14,171,292 982,837 4 31 1854 32,615,753 24,240,990 1,010,443 3 09 1855 40,015,516 23,948,612 1,225,151 3 06 210,485,718 148,300,155 7,338,589 Les importations annuelles de l'Angleterre dépassejit 10,000 tonneaux, et le prix s'est élevé, dans ces derniers temps, jusqu'à 25 livr. sterl. par tonneau. Les chiffons importés de l'étranger sont généralement plus gros et plus sales, mais aussi plus solides que ceux que l'Angleterre recueille chez elle. En effet, la proportion du coton, dans les chiffons am;lais, est de près de 50 pour cent, tandis qu'il n'est que de £0 à 25 pour cent dans les chiffons que lui envoie la Toscane. La France consomme par année jînviron 80 raillions de kilogrammes de chiffons de toute sorte, variant ae prix, suivant leur qualité, et valant de 18 à 50 francs les 100 kilogrammes. (DiCHonnaire du Conmcrce,) LA PAPETEïïlIE D'ESSONNE 159 Quoique la hotte du chiffonnier renferme peu de matières très-belles, elle contient cependant une notable quantité de mor- ceaux inférieurs et surtout colorés, puis de vieux papiers qui ne servent qu'à faire du carton et des papiers gris, quoiqu'on ait prétendu déjà, dans le siècle dernier, avoir trouvé le moyen de faire resservir les papiers ayaint déjà été imprimés. Ces chiffons inférieurs acquièrent un prix qui s'élève de 1 5 à 20 francs les cent kilogrammes; ce qui porte le kilogrammes de i 5 ou 210 cen- times. Les statisticiens ont fait suir le chiffon une foule de calculs approximativement exacts, d'après lesquels, en France, cent mille personnes au moins vivraiient du glanage des chiffons : cent mille être humains, presque tout faibles, infirmes, femmes ou enfants débiles qui trouvent dans ce travail une existence qu'ils seraient forcés de demander au vol, à l'aumône ou à l'assistance publique. Ils ont calculé, en outre, d'après la quantité des chif- fons employés dans la papeterie, que chaque Français ne pro- duit par an que deux kilogrammes de chiffons, ce qui nous paraît bien peu («) . (o) Voici ce que nous avons trouvé de plus complet et de ptus certain. Quoique ces documents datent de 1851, ils ont l'autorité du Compte rendu dé V Ex-.position universelle de Londres (compte rendu rédigé par la commission internationale). Il est important de ternir compte des progrès faits par la papeterie depuis cette époque et de l'augmentation proportionnelle des pri x. Le prix des chiffons est la principale base du pr ix des papiers, et, conformément à une loi générale, la valeur des chiffons est presque toujours en rapport av ec le degré de richesse et de prospérité des divers peuples. Mous prendrons pour tcinio de comparaison les chiffons blancs. C'est en général d'après leur prix que se règle celui des qualités inférieures. PRIX DES 100 Kir.OGRAMMES EN 1831 En Amérique, le prix des chiffons blancs est de. . En Angleterre En France (en 1810 cl années suivantes, le prix était de Ir. 70 » 03 » 40 francs) il est aujourd'hui de Dans le Znllverein En Autriche (les plus grands dépôts- sont àPesth et à Agram). En Suisse. En Belgique En Hollande (par un décret d'avril ISii't, l'exportation du 60 à 02 francs; en 1848 et Ï849, il varia de 38 à «0 » 48 » 30 » 43 » 48 » chiffon vient d'être prohibée). En Italie, royaume lombardo-vénitien 30 » 3G » 31 50 Royaume des Deux-Siciles (jusqu'en 1830 il nie coûtait que -2i francs les 100 kilogrammes.)) GRANDES USINES Ils ont calculé aussi quelle pouvait être vis-à-vis de la France ou de l'Angleterre la situation des différents pays du globe eu — États romains 29 • — Royaume de Sardaigne 44 » En Espagne 43 • En Russie 40 « En Pologne (la qualité est inféricu.c} 18 » En Danemark 48 » En Suède 44 » Malgré sa population de 21 millions d'habitants, malgré la quantité de toiles d'emballage résultant de son immense commerce, et la masse de voiles et de cordages de sa nomlueuse marine, etc , c'est des pays étrangers et de l'Irlande que l'Angletei-re tire le sui plément dont elle a besoin. L'importance des chiffons venant de l'étranger y est annuellement de 8,124 tonnes, ou 8,124,000 kilogrammes, dont la moitié provient des villes anséatiques. Cette abondance de cordages, de voiles et d'emballages, dont la fibre n'est point énervée par les teintures diverses, par l'usure, par les lessivages et les blanchiments trop énergiques, compense la débilité qui résulte de l'innombrable quantité de chiffons de coton trés-usés que fourviissent les populations de l'Angleterre. Il en est de même pour les États-Unis. Les papeteries d'Angleterre trouvent dans les filatures de coton de Manchester un puissant secours. Le poids des déchets de coton s'y élève annuellement à d'énormes quantités. Malgré la perte résultant des diverses opérations pour les dégraisser et les nettoyer, qui n'est pas moindre de 60 pour 100, la solidité de cotte matière première, lorsqu'elle n'a encore rien perdu de sa force primitive, compense avantageusement les frais de manutention qu'exige celte matière encore toute neuve. Les pays du Nord sont.géncralemenl dans de bonnes conditions pour la nature des chiffons, où le chanvre et le lin dominent. La France, maUré les 60 millions de kilogrammes de coton qu'elle reçoit chaque année de l'Amérique, et dont une grande partie est transformée en chiffons, se trouve dans des conditions plus favorables sous le rapport des matières premières, telles que le chanvre et le lin; mais malheureusement, surtout dans les villes, ils sont brûlés par des blanchiments trop caustiques, ce qui rend plus difficile de donner aux papiers cette solidité qui étonne dans les anciennes éditions. La fabrication du papier dans les Trois-Royaumos (Angleterre, Écosse et Irlande) ayant été, en 18S1, de 7i,910,737 kilogrammes, a nécessité une consommation en chiffons d'un poids de 112,360,105 kilogrammes, puisque le déchet, pour transf-'rmer le chiffon en papier, est, en général, de 33 pour cent; mais, sur ce poids de chiffon brut, il faut en déduire 8,120,000 kilogrammes importés dans la Grande-Bretagne des divers pays étrangers. Or, en admettant que la perte des linges, dont une notable partie cehappe au crochet des chiffon- niers, soit compensée par l'emploi de diverses matières propres à la fabricalion du papier, tels '4ue les cordes et les déchets de lin ou de coton, il en résultera que la population des Trois-Uoyaumes étant de 27 millions et demi, là quantité de chiffons produite par chaque individu s'élève à plus de 3 kilogrammes. La France, ayant fabriqué, en 1840, 42 millions de kilogrammes de papier, le poids des chiffons néces- saires pour cette fabrication a dû s'élever à 63 millions de kilogrammes, attendu le déchet de 33 pour cent qui résulte des diverses opérations nécessaires pour convertir le chiffon en papier. Conme le nombre des habitants de la France était, en 1851, de 36 millions, il en résulte que chaque ind vidu n'emploie pas 2 kilogrammes de linge. Le prix du chiffon étant, terme moyen, de 25 cent, le kilogramme, on peut estimer que, dans la hotte d'un chiffonnier, le chiffon figure au plus pour un tiers. Or, en calculant le prix de la journée d'un chiffon- nier à Paris et dans les campagnes à 1 fr. 50 cent., ce serait 2 kilogrammes de chiffons qu'il recueillerait par jour, soit 6 à 700 kilogrammes par an. ^ Les 63 millions de kilogrammes occuperaient donc cent mille personnes vivant de cette industrie; toutefois, il faut défalquer de ce calcul les cordages et les déchets de lin qui ne sont pas le résultat du travail des chif- fonniers, et qu'on peut évaluer à 10 ou 12 pour cent sur l'ensemble. L'exportation des chiffons est prohibée en France, et l'importation ne s'élève pas à plus de 1,605,093 kilo- grammes (année 1851) : dans cette faible quantité, la Suisse figure pour 178,998 kilogrammes et l'Algérie pour 618,070 kilogrammes. Par rapport à l'Angleterre, l'importation des chiffons n'est donc que dans la pro- portion de l à 5. D'après la quantité de chiffon consacrée, dans le Zoliverein, à la fabrication du papier, la proportion serait, comme en France, de 2 kilogrammes par tête; on peut estimer qu'elle est de 1 kilogramme et demi en Autriche. Dans les États-Unis, de juin 1849 à juin 1850, l'importation des chiffons a été de 10,348,438 kilogrammes dont la moitié provient de l'Italie. Les villes anséaf'qiie?, Tneste et la Sicile^ sont les principaux lieux d'au- provisionnement. (fx/'osi/tun de- Isr^i. — Cow, y rendu ) A PAPETERIE D'ESSONNE IGl égard au chiffon («). Us ont cherché les quantités importées. Ils se sont Hvrés à une effrayante profusion de calculs de toute sorte, et nous ne croyons pas qu'aucune industrie les ait autant intéressés, bien justement, suivant nous, car sans chiffon pas de papier, sans papier pas de livres, pas de lettres, pas de rapports ni de circulaires, par conséquent pas d'instruction, pas de trans- actions, pas d'administration. Ce n'est pas une exagération de dire que de nos jours toute lavie de relation est basée sur l'emploi du papier. La papeterie d'Essonne a si bien compris l'absolue néces- sité de fabriquer un papier sinon très-beau, au moins au niveau des exigences du bon marché auquel on est habitué, qu'aux pre- mières nouvelles du traité qui la menaçait de perdre sa matière première, elle a cherché à prévenir la catastrophe, si par mal- heur elle se produisait (b). Elle s'est immédiatement mise à installer toute une série d'ap- pareils destinés à lessiver et à blanchir les chiffons communs que l'étranger ne pourra pas nous enlever, car le port coûterait plus que leur valeur intrinsèque, et dans le but d'essayer une nou- velle source de papier fort préconisé dans ces derniers temps, elle vient d'acheter en Algérie 50,000 kilogrammes d'une matière filamenteuse, nommée sparte, qui jusqu'à présent ne servait qu'à tisser des nattes grossières. (a) L'importation en Angleterre, dit VÉconomist, a donné les chiffres suivants pour 18S8: P07S expéditeurs. Tonnes. Valeur en livres Prix de revient par tonne sterling. Liv. Sh. D. 1,668 33,349 21 6 3 4,048 86,278 21 6 3 294 6,2^6 21 6 3 3,073 65,488 21 6 3 133 2,888 21 6 3 508 12,934 23 10 397 9,341 23 10 États d'Italie appartenant à l'Autriche. 213 5,003 23 10 Indes orientales anglaises .... 176 3,731 21 6 3 379 8,077 21 6 3 Autres contrées .... . . 488 10,326 21 11 3 11,379 246,133 (b) Dès aujourd'hui l'annonce seule de la libre sortie des chiffons hors de France a fait monter le prix de 5 francs par 100 kilogrammes, et comme la papeterie d'Essonne emploie 10,000 kilogrammes par jour, c'est, dès à présent, pour elle une perte quotidienne de SDO francs, 11» LlV. Paris. Typ. H, Pion. GRANDES USINES Ces explications données sur la matière première, entrons donc dans l'usine avec les ballots qui viennent non-seulement de Paris, mais de tous les départements de la France, grâce aux chemins de fer et aux voies fluviales. En suivant la voiture qui les amène de la station de Corbeil, nous traversons d'abord l'ancienne route d'Italie, de chaque côté de laquelle s'élève le village d'Essonne, puis nous longeons la rive droite d'une petite rivière, une des plus utiles de notre France malgré le peu d'étendue de son cours et sa largeur mé- diocre : mais elle est profonde et assez rapide pour avoir attiré sur ses bords un grand nombre d'industries qui tirent d'elle la force et la vie. A deux kilomètres environ de Gorbeil nous en- trons dans la papeterie par une porte encaissée entre deux corps de bâtiments qui renferment les logements des contre-maîtres, nous traversons sur un pont d'une seule arche l'un des bras de l'Essonne, celui qui donne une partie de la force motrice à l'usine, nous laissons à notre droite l'élégant chalet habité par M. Gratiot, directeur-gérant de la Société et le vrai créateur des merveilles que nous allons décrire. Nous tournons ensuite à gauche devant l'ateher de construction et de mécanique, où l'on dresse, pré- pare et affine les différentes pièces de fer ou de bois employées dans l'usine, nous longeons un vaste bâtiment d'où sort un bruit confus et retentissant qui nous annonce le mouvement et la vie, nous passons au pied de trois cheminées colossales, nous traver- sons plusieurs petits chemins de fer dont les rails s'entre-croisent et convergent vers un plan incliné se terminant par un pont cou- vert qui s'élance hardiment au-dessus de la rivière pour joindre les bâtiments entre eux, et, après avoir traversé de nouveau un second bras de l'Essonne, nous arrivons enfin devant une énorme construction en pierre meuhère nouvellement élevée. — Une porte s'ouvre à deux battants et nous entrons avec la charrette dans une grande halle où les voitures à quatre chevaux peuvent aisément se mouvoir et tourner. Gette halle mesure cinquante-six mètres de longueur sur quarante-six de large; elle est éclairée par LA PAPETERIE D'ESSONNE 1G3 une ouverture circulaire pratiquée au centre, et dans ses vastes flancs s'empilent quelques millions de kilogrammes de chiffons. Autrefois les ballots étaient enveloppés de morceaux de draps de lit, de toiles à voile, ou d'autres étoffes qui, loin, de constituer un déchet, donnaient au contraire une sorte de plus value; aujour- d'hui ce sont des nattes de sparterie, des paillassons de jonc de Provence et autres matières brutes qui ne peuvent qu'à grand'- peine servir à fabriquer du papier même inférieur. — Laissons maintenant la charrette, débarrassée de ses ballots, se rendre au magasin, se charger de rames de papier pour les conduire à Paris, et montons au premier étage du bâtiment neuf. C'est là que se fait le triage. La disposition des ateUers est heureuse. Les escaliers venant du rez-de-chaussée débouchent sur un large paher central où des treuils à contre-poids élèvent les balles. Un contre-maître les ouvre, les examine, et distribue la besogne à la nuée d'ou- vrières qui remplit les salles environnantes. — Voici maintenant comment les choses se passent : chaque personne a devant elle un grand coffre ouvert et divisé en douze cases profondes, dont les deux premières sont recouvertes d'un grillage en fer qui retient les boutons, les pièces de métal, les œillets de corsets, et qui laisse tomber des déchets de toute sorte, repris ensuite et utili- sés autant que possible ; entre ces deux cases grillées est fixé un morceau de lame de faux («) tournant son tranchant vef s le coffre. A côté et à portée de la main se place le paquet de chiffon qu'il s'agit de trier et de délisser (*) , car maintenant ces deux opérations, autrefois séparées, s'exécutent simultanément. On fait d'abord un premier choix des hnges brodés; il y a souvent de ravissantes (a) Ces lames de faux sont fournies par les usines de M, Talabot, et arrivent à Essonne par tonneaux de 100 kilogrammes; on n'a rien trouvé de mieux pour délisser, et on utilise ainsi toutes les lames qu'un défaut rend invendables aux faucheurs. (b) « Le triage des chifron^s est une opération importante et qui exige beaucoup de soin. Les chiffons mal triés détéiviorent davantage les cylindres, ils se triturent plus difficilement, occasionnent plus de déchets, donnent des papiers plus chargés d'ordures et de moins bonne qualité, etc. 1) Il est impossible d'indiqmer un mode de triage qui convienne dans toutes les papeteries de l'Europe, et de déterminer en combien de qualités on doit diviser chaque espèce de chiffons. «Les chiffons livrés aux fabricants diffèrent en effet, presque dans chaque contrée, par leur nature et par le mode de classement des gens qui font métier de les ramasser. Une masse de matières premières brutes, LA TAPETERIE D'ESSONNE 1G5 broderies dans les débris, des mouchoirs tout passementés de chif- fres et d'armoiries, de gracieux petits bonnets ornés d'entre-deux composées de chiffons de toute nature, filets, ficelles, cordes, déchets de filatures, qui se rencontrent ea Europe, donnerait au triage une grande variété d'espèces; en voici le tableau : Fil. Id, Toiles neuves en fil l Id. . . Id. . . Franges en fil Id Bas de fil Id Id Ourlets fins blancs; Id. sales ; Ourlets moyens blancs; Id. sales; Ourlets bulle propres ; Id. sales; 1" choix. id. l" id. 2* id. 3« id. ^er id. id. 1" id. 2* id. 3« id. Fins en coton blancs; id. sales; Fins en coton très-usés, blancs ; id. sales; Moyens en coton, blancs ; Id. sales; Moyens en coton très-usés, blancs; id. sales; ouate de coton piquée entre de la toile de coton et de fil, Id. ... Franges de coton Id Mousseline unie blanche ; Mousseline brodée et dentelle blanche ; Id. sale; 1" 2* 1" ne choix, id. id. id. Ourlets gros bulle ; 1" choix. Fins blancs; 2« id. Id, très-usés; Cotonnades de couleur pâle. 1" id. Fins sales ; Id. 2® id. Id. très-usés; Cotonnades de couleur foncée. 1" id. Moyens blancs; Id. 2» id. - Id. très-usés; Cotonnades roses ; Moyens sales; Id. rouges; Id. très-usés ; Id. bleu clair; Bulle propres; Id. bleu foncé; Id, usés; l" choix. Id. sales; 2" id. Gros balle ; Laine blanche tricotée. . . . ler id. Id. usés ; Id. .... 2» id. Coutils avec plumes, Id Toiles d'emballage. . Id Id Id Fils de couleur; Toiles bleu clair. . Id. Toiles bleu foncé Jd Toiles de diverses couleurs Id. Coton non filé Id. ...... Fil de coton Id. Toiles neuves en coton. . . Id id Bas de coton tricots. . '. . . id id. 1" choix. 2* id. ler id. 2« id. 3« id. 4« id. 1" choix. id. 1" id. 2® id. 1" id. 2* id. jsr id. 26 id. icr id. id. jer id. 2° id. 3« id. 1" id. id. 3« id. Laine blanche lissée; Bas tricotés en laine de diverses couleurs; Chiffons de laine bleus; Chiffons de laine de diverses couleurs; Velours ; Soie; ■ Ficelles Id Cordes sans goudron. , . , . Id. ..... Id. Cordes goudronnées Id. Filets sans goudron Id Id Filets goudronnés Id. Déchets de filature de lin; Déchets de filature de coton; Rebuts. choix, id, id, id. id. id, id. id. id. id. id. id. » Il est évidant qu'un fabricant ne trouve jamais dans les chiffons bruts qui sont à sa proximité les diverses qualités que je viens d'enumérer, et il ne lui est pas nécessaire de se les procurer toutes. * » Parmi celles qu'il juge à propos d'employer, il s'en trouvera qui fournissent trop peu pour former une m , GRANDES USINES de valenciennes bordés de point d'Angleterre; des manchettes de point d'Alençon, des cols de point de Venise qui devaient faire si bien sur du velours émeraude, des garnitures d'oreiller brodées au plumetis, des volants de jupon festonnés et déchiquetés à roues, à palmes, à feuilles de chêne, ou bien quadrillés comme une grecque, des chemisettes déhcates encore garnies de leurs rubans de soie. Il est impossible de regarder sans émotion ce tas, qui, même à l'état de chiffon, constitue encore une sorte d'aristocratie de la loque se vendant jusqu'à soixante francs les cent kilogram- mes aux administrations de chemin de fer, parce que toutes ces aspérités de la broderie et de la dentelle sont excellentes pour essuyer les pièces graissées des locomotives. Quelques morceaux assez bien conservés tenteraient un peu trop, si l'on n'y veillait, la probité des délisseuses, qui ne croiraient pas mal faire en gar- nissant avec ces débris d'élégance les pantalons de leurs enfants. Ces richesses sont la très-rare exception, et les autres chiffons sont classés en fins, très-fins, moyens et bulles; les colorés forment une classe à part. Dans notre dernière visite à Essonne, le las des chiffons brodés se trouvait à côté de celui des filets de pêcheurs. Le contraste était brusque et frappant: l'extrême misère et le plus dur travail touchant au plus grand luxe et à la plus molle paresse. Un peu plus loin était un autre tas de filets qu'une teinture au sulfate de fer avait rendus d'un beau rouge brun : ils arrivaient des bords de la Manche, échappés aux frimas et aux tempêtes, et c'est avec leurs fibres qu'on prépare le papier marron qui sert le soir aux femmes à faire des papillotes devant un bon feu ; et pendant que nous les regardions, notre pied heurtait quelque chose de résistant et de flexible; c'était une épaulette blanche. — Devant nous la misère et l'amour, sous îlassc distincte; celles-ci devront être réunies aux espèces qui se rapprochent le plus de leur qualité, afin d'obtenir un triage qui^ sans être trop minutieux, soit cependant en rapport avec le genre de fabrication adopté. y II est irès-i'mpurtant, je le répète, d'apporter un très-grand soin à la classification dos cbiffons. On com- prendra facilement qu'au lessivage, au blanchiment et dans les cylindres, des chiffons très-usos ne doivent pas être traités comme les chiffons encore nerveux, des chiffons de coton comme des chiffons de fil, des cbif- fons propres comme des chiffons sales, » Gal.ricl .-'lanche, — De i'Indusirie de la. Papeterie.] 'LA PAPETERIE D'ESSONNE 167 nos talons la gloire... Cependant la délisseuse regarde chaque loque, et sur le tranchant de la lame de faux la coupe en aussi petits morceaux que possible, ayant soin de détacher les coutures, les boutonnières, les ourlets, toutes parties dures qui demandent un broyage plus énergique. Une ouvrière, nommée réviseuse, passe sans cesse dans les ateUers, examinant si le travail est bien fait et si chaque case renferme bien les éléments nécessaires («). Dans tous les pays où la main-d'œuvre est chère, on a voulu découper les chiflbns par différents moyens mécaniques, mais ce ne fut pas sans difficultés ; en effet, ils sont si mous et si résistaut^ en même temps qu'ils sont presque insaisissables aux lames pes-^, cyUndres découpeurs. Ils se mettent le plus souvent en tampans, déterminent des frottements difficiles à vaincre et peuvent causer- de graves accidents. ' A Essonne, on a essayé plusieurs systèmes de découpeuses; ' («) « On doit employer le chanvre et le lin à la fabrication des papiers a calquer, dans lesquels la transparence est une qualité indispensable, et à la fabrication des papiers-monnaie ? mais qui doivent être de la plus grande solidité ; ils pcuvenl aussi entrer, mais pour une faible proportion, dans la composition de certains papiers très-minces, alla de leur donner plus de solidité et d'en rendre la fabrication facile. » On réserve ordinairement les toiles neuves qui se trouvent en petite quantité dans les chiffons bruts, pour les mêler à la pâte des papiers minces les plus beaux, » Les chiffons peu usés, les ourlets, les chiffons grossiers qui ont le plus de nerf, sont particulièrement employés pour les papiers d'écriture, de dessin, de registres, et les papiers minces. » Les chiffons les plus usés et les chiffons de coton servent à fabriquer des papiers d'impression et de gravure. » Toutefois, il faut observer que ces différentes espèces de chiffons ne doivent pas s'employer isolement pour les diverses sortes de papiers. » si par exemple, en employant dans le mélange une trop grande quantité de chiffons peu usés et grossiers pour la fabrication d'un papier à écrire, on remarque que la pâte s'égoutte difficilement sur la toile de la machine, que le papier s'écrase à la première presse, qu'il s'y fait des coulées d'eau, que le papier gode en séchant et qu'il est transparent, on remplace une partie de ces chiffons par des chiffons de coton ou des chiffons pins usé?, en quantité nécessaire pour faire disparaître ces défauts, sans cependant rendre le papier trop mou ou trop cassant, » Si, au contraire, en employant pour papier d'impression une trop grande quantité de chiffons Irés-usés et de chiffons de coton, on s'aperçoit que le papier a trop peu de consistance, on remplace une partie de ces chiffons par des chiffons moins usés ou plus grossiers, de chanvre ou de lin, en quantité suflisante pour lui donner plus de force, sans cependant faire disparaître les qualités principales qu'il doit avoir, c'est-à-dire la douceur et la non-transparence. » Les cordes, les filets, quelques toiles d'emballage des plus grossières, les laines, le velours, la soie, les rebuts, les déchets de filatures de lin, quelquefois les déchets de filatures de coton et la paille, entrent à divers degrés dans la composition des pâtes pour les papiers d'emballage, » Les cordes, filets, toiles d'emballage et déchets de filatures peuvent aussi, selon les localités, être em- ployés à la fabrication des papiers blancs, pourvu qu'ils soient d'abord bien nettoyés, puis lessivés et blan- chis fortement. Quant aux déchets de filatures de cotcn, ils doivent être nettoyés dans un loup construit exprès, et lessivés à haute température et à forte dose d'alcali, pour détruire la grande quantité d'ordure» et de matières grasses qu'ils contiennent. » (Gabriel Planche. — De l'Industrie de la Papeterie.) LA PAPETERIE D'ESSONNE m elles reposent, toutes à peu près sur le môme principe. Une femme se tenant debout place sur une toile sans fm les chiffons déjà délissés ou simplement triés à l'étage supérieur du bâtiment neuf; la toile sans fin les attire entre deux cylindres crénelés qui les présentent à de fortes lames attachées à deux volants lancés à toute vitesse. Pressés entre les lames tournantes et une lame fixée soUdement à un bâtis en fer, les chiff"ons sont lacérés en petits fragments; une autre toile sans fin les reçoit et les porte dans un bluttoir à larges mailles de fer où, secoués et battus violem- ment, ils laissent envoler d'épais nuages de poussière, que de puissants ventilateurs ont de la peine à faire entièrement dispa- raître. Ces coupeuses («), au nombre de six, vont être établies dans de grands ateliers préparés sous les combles et serviront à hacher les chifi'ons triés, sans être déUssés ; chaque coupeuse, ne demandant qu'un demi-cheval de force et pouvant donner par jour 4,000 kilogrammes de matière utile, remplace une soixantaine d'ouvrières ; ce qui devient indispensable à Essonne, car on ne peut plus s'en procurer un nombre suffisant. Les ate- liers, disposés pour trois cents femmes en contiennent à peine deux cents . Une fois coupés, brossés, battus et ventilés, les chiffons sont entassés par cases de 500 kilogrammes environ, et de là dirigés vers l'ateher de lessivage qui les débarrasse des matières grasses qu'ils contiennent et commence une sorte de blanchiment. Cette opération se faisait autrefois dans de bien autres conditions : on n'employait guère que des chiffons blancs qu'une lessive fai- ble suffisait à dégraisser, et qu'une exposition de quelques jours dans une prairie rendait blancs comme neige: mais aujour- d'hui, où on use même des étoffes les plus colorées, il a fallu des moyens d'action de plus en plus énergiques : l'ancienne lessive à cuvier ouvert ne suffisant plus, on a essayé du cuvier (a) Une de ces coupeuses, beaucoup moins large que les autres, sert à hacher les cordes et les câbles dont on commence à faire un grand usa^e dans la papeterie. (b) On se dispose aussi à étaiblir une sorte de loup-déchireur et batteur, lourd cylindre hérissé de grandes dents très-tranchantes et destiné à lacérer les grosses toiles très-dures et roidics par les impuretés. 1 i70 GRANDES USINES fermé; puis d'énormes cuviers cylindriques tournants, inventés par M. Planche; enfin voici où on est arrivé après quelques tâtonnements : d'après une idée de M. Donkin, on a construit d'énormes sphères de tôle assez fortement rivées pour supporter une pression intérieure de trois ou quatre atmosphères. — Ces sphères sont placées sur deux supports et peuvent tourner faci- lement. A l'intérieur se trouve une palette en tôle dont le mou- vement sert à élever, développer et brasser les chiffons entassés par un grand trou situé perpendiculairement à l'axe de rotation. Dans ces énormes chaudières sphériques on peut agir à chaque cuvée sur mille kilogrammes de matière. Une large ouverture, suffisante pour laisser passer un homme, est pratiquée au flanc de la machine, purpendiculairement à l'axe de rotation, et quand on veut la remplir, on tourne ce trou vers le plafond, on ouvre une trappe et l'on fait descendre doucement les chiffons dans la chaudière où on les répartit également. Cela fait, on y verse un lait de chaux préparé avec les plus précautions : en effet, l'extinction de la chaux est d'abord faite à l'eau chaude, puis la solution s'opère dans une série de caisses servant de filtres, habilement disposées pour retenir tous les grumeaux de chaux non hydratée : le lait de chaux parfaitement épuré est versé sur les chiffons et s'élève dans la sphère assez haut pour ne lais- ser libre qu'un quart environ de sa capacité. On a fait alors arriver un courant de vapeur d'eau dont la tension atmosphé- rique et par conséquent le degré de chaleur doivent varier selon les matières qu'il faut traiter. Pour les matières filamen- teuses qui n'ont subi encore aucune préparation, il faut aller jusqu'à trois atmosphères et 1 33 degrés de chaleur. C'est ainsi qu'on avait pu désagréer les filasses, les écorces et même jusqu'à la paille dont on essaye de faire des pâtes à papier commun. Une fois la sphère remplie de chiffons, de lait de chaux et de vapeur, on referme avec soin toutes les ouvertures et on la met en mouvement, mais lentement et sans secousse, à raison de vingt tours par heure au plus. Pendant cette rotation, les LA PAPETERIE D'ESSONNE 171 matières à lessiver sont mises en contact avec le liquide bouil- lant et maintenues à une température élevée par une émission répétée de vapeur. Non-seulement les matières grasses sont assi- milées par la chaux, mais encore, grâce à la tension et à la chaleur de la vapeur, les gommes qui retenaient les fibrilles entre elles sont dégagées et dissoutes. Chaque cuvée est de huit heures en- viron, en deux périodes de quatre heures chacune, séparées par un rinçage à l'eau pure; après la seconde période, on fait un second rinçage, et les chiffons bien nettoyés sont empilés dans de grands coffres à double fond, qu'un système de wagons roulant sur un chemin de fer intérieur portent vers des saUes où se fait une première trituration nommée effilochage. La papeterie d'Essonne possède cinq de ces sphcres tournantes et cinq cy- hndres du système Donkin. L'atelier qui contient ces énormes masses est certainement l'un des plus curieux de l'usine : on dirait un vivier de baleines ou une écurie d'éléphants ; rien n'est plus étrange que la rotation lentement régulière dont se meuvent ces globes, assez grands pour qu'un cheval de bonne taille soit à son aise dans leur intérieur. — Autrefois, avant de livrer le chif- fon aux maillets ou pilons qui le réduisaient en pâte, on l'entassait pour le préparer à une sorte de fermentation qui s'appelait alors le poiirrissage. Nous ne savons si quelques usines ont conservé ce mode de procéder, mais il y a vingt ans, à la papeterie de Dinozé, près d'Épinal, nous nous rappelons parfaitement avoir vu de grandes auges où pourrissaient des masses de chiffons ; cette première fermentation dégageait les fibrilles et rendait plus facile l'effilochage, mais souvent aussi perdait des quantités considérables de matière première; une néghgence du conduc- teur de l'usine, une circonstance particuhère de température ou d'électricité activait la fermentation, brûlait les chiffons ou les réduisait en terreau. Malgré ces inconvénients, le pourrissage a été récemment encore employé à Essonne, dans l'annexe du Moulin-Galant, où l'on fabrique le papier goudron avec les matières les plus grossières. Les cordes, les spartes les nates, LA PAPETERIE D'ESSONNE 173 après un lessivage énergique, ont été entassés et abandonnés à la fermentation. On en a obtenu les meilleurs résultats, et l'opinion de M. Gratiot est que le pourrissage, devenu inutile aujourd'hui [pour les chiffons fins et peu résistants, sera d'une excellente application sur toutes les matières grossières et prin- cipalement" sur les tiges brutes, car il détruit la matière adhé- sive dont il est si difficile de débarrasser mécaniquement les fibrilles feu trahies. La paille extraite du pourrissoir était soumise à un travail nommé dérompage, exécuté presque toujours par le gouverneur môme de l'usine. C'était une sorte de découpage en petites masses sur une lame de faux analogue à celle qui sert encore aujourd'hui pour le déUssage. En sortant du dérompoir les chiffons étaient mis dans les piles, sortes d'auges creusées dans le tronc d'un chêne ou d'un orme. — Là des maillets, quatre par pile environ, mus par une roue à aubes, frappaient la matière accumulée pen- dant que des sabots également mus par la roue la baignaient d'une eau abondante et sans cesse renouvelée. Ces maillets, dont quel- ques-uns étaient garnis d'une armature à clous de fer, pilaient et battaient les chiffons jusqu'à ce qu'ils fussent réduits en char- pie très-fine; ce travail durait douze heures environ et était suivi d'un autre à peu près semblable, sauf la disposition des maillets et la moindre quantité d'eau injectée dans les piles nom- mées raffmeuses, où la pâte se formait après un martellement de vingt-quatre heures. Les maillets, comphqués et très-nombreux, exigeaient une très- grande force motrice, et donnaient des résultats lents et inégaux. Les Hollandais, comme nous l'avons dit en résumant l'histoire de la papeterie, inventèrent la pile à cyhndre dont nous nous ser- vons partout aujourd'hui avec quelques légères modifications. Cette pile a l'avantage de pouvoir défiler le chiffon non pourri, de faire un travail rapide et égal avec une force qui ne dépasse pas sept chevaux par pile. Elle se compose d'une grande cuve ressem- blant comme forme à une baignoire dont les deux extrémités GRANDES USINES seraient également cylindriques ; elle est construite en fonte épaisse et solidement boulonnée ou fondue d'une seule pièce, comme les dernières piles fournies à Essonne par l'établissement de M. Feray, de Chantemerle; une sorte de diaphragme très-solide la sépare en deux canaux communiquant largement entre eux aux deux extrémités. Dans l'un des deux canaux est horizontale- ment placé un lourd cylindre armé de lames aiguës assujetties entre elles par des coins de fonte. Ce cyhndre tourne avec une rapidité de deux cents révolutions par minute, et ses lames rencontrent, sous un angle très-aigu, d'autres lames fixées sur une platine au fond de la cuve. Un robinet, ouvert dans un sac de feutre, qui retient toute impureté, maintient la cuve pleine d'eau ; cette eau est animée d'un mouvement circulaire, rapide, déterminé par la rotation du cylindre, et elle entraîne le chiffon qu'on y a jeté et qui va se faire diviser parla rencontre des lames du cyUndre avec les lames de la platine, division de plus en plus ténue à mesure qu'on rapproche les lames des deux appa- reils. Ce défilage se fait à grande eau, pour débarrasser le hnge des matières étrangères quï) pourrait encore contenir. Un cyhndre de l'invention de M. Caiison et composé de deux toiles métalhques concentriques, l'une extérieure très- serrée, l'autre intérieure beaucoup plus large, est posé à la surface de l'eau, sur le canal opposé à celui dans lequel se meuvent les lames; ce cylindre, sans cependant entraîner la pâte qu'arrêtent les toiles métalliques, absorbe l'eau à mesure qu'elle se saht et la rejette, par des écoppes disposées en spirale, dans une ouverture pra- tiquée au diaphragme et communiquant au dehors par une conduite. Au fond de la pile, un sabher obhque retient les graviers et les impuretés précipités à la partie inférieure par leur densité. A Essonne, le défilage se fait au premier étage du bâtiment qui surmonte les sphères et les cylindres lessiveurs. Les chiffons, apportés encore tout chauds dans de petits wagons qui viennent LA PAPETERIE D'ESSONNE se faire enlever par un treuil habilement disposé, sont jetés par masses de cinquante kilogrammes environ dans les piles, au nombre de huit, — seize bientôt, dont les huit nouvelles contien- dront soixante-quinze kilogrammes. Ils y restent deux heures environ, et là sont remués, lavés, secoués, et enfin réduits en une charpie grisâtre qui ne pourrait pas encore faire du papier, mais qui, au besoin, se transformerait en carton. Cette charpie doit subir ensuite un blanchiment, c'est-à-dire une décoloration absolue. Avant l'époque où la disette de chif- fons blancs a forcé les papeteries à se servir d'étoffes bises ou de couleur, on se contentait, comme nous l'avons dit, d'étendre les chiffons sur des prairies consacrées à cet usage, comme on le fait encore aujourd'hui pour le cahcot, et on les retournait au râteau comme on fane le foin. Maintenant, au contraire, le blan- chiment est une des opérations dont l'importance croîtra de plus en plus avec l'application à la papeterie de matières de moins en moins blanches qui n'ont pas eu, comme le hnge, des lessi- vages et des blanchissages antérieurs. La méthode de décoloration par le chlore vint, au commence- ment de notre siècle, apporter une révolution dans la fabrication du papier, parce qu'on l'employa sans discernement. On mettait dans la pile du chlorure de chaux pulvérisé, ou bien on se ser- vait du chlore gazeux en grande proportion sans penser à en neutraliser l'effeL La fibre végétale, profondément attaquée par cet agent destructeur, se désagrégea lentement après se conver- sion en papier, et les plus belles éditions des premières années da règne de Louis-Philippe jaunissent peu à peu et tombent en poussière. Il y eut naturellement une réaction, et on se récria beaucoup contre le chlore ; mais que faire ? La consommation du papier s'était démesurément étendue, le prix des chifïons blancs avait triplé : il fallait bien décolorer les étoffes teintes, et blanchir le plus possible les chiffons bis. Ce blanchiment s'opère de diffé- rentes manières, suivant la nature des matériaux employés, et 176 (GRANDES USINES suivant l'usage auquel on les destine. Quand on a affaire à dos ' chiffons de première qualité, destinés à produire de belles sortes bien résistantes, on prend le défilé au sortir des piles cl on le descond aux laveuses-blanchisseuses qui, au nombre do douze — vingt bientôt, — lui donnent la façon désirée. De pre- mier abord une laveuse-blanchisseuse ressemble à une pile défi- leuse : même cuve de fonte en forme de baignoire, même cylin- dre laveur ; mais au lieu du cylindre armé de lames acérées, c'est une simple roue à palettes qui, brasse et lave le défilé ; quand on juge ce brassage suffisant, on relève le cylindre et on verse dans la cuve une quantité calculée de chlorure de chaux liquide, la roue à palette agite le mélange et pendant ce temps on fait arriver au fond de la pile un dégagement d'acide car- bonique amené par un appareil qui demande une description spéciale. L'acide est produit dans un four en briques où l'on empile par le haut des morceaux de carbonate de chaux très-commune dans la vallée d'Essonne, pêle-mêle avec du coke, On met le feu au coke et on pousse l'ignition jusqu'à l'arrivée du mélange au rouge vif; à ce moment le carbonate de chaux se décom- pose, l'oxyde de calcium reste dans le four, l'acide carboni- que se dégage à l'état gazeux, se rend dans un coffre en bri- ques, d'où il s'engage dans un long tuyau en fonte qui sert de réservoir; de là il pénètre dans deux tonneaux où il se débarrasse des impuretés qu'il a pu entraîner, en se filtrant au travers des mailles de chiffons de laines disposés à cet effet. Deux pompes aspirantes et foulantes l'envoient ensuite dans un grand tuyau de fonte dressé autour des piles relaveuses. Au niveau de chaque pile se trouve un robinet à soupape qui met en communication le tuyau général avec un tube spé- cial en plomb ou en caoutchouc percé de petits trous, qui va ramper au fond de la cuve sous un abri de planchettes, met- tant les trous à l'abri des fibrilles qui pourraient les boucher, A un moment donné de l'opération, le conducteur de l'atelier l.A PAPETERIE D'ESSONNE 177 ouvre la soupape, et le gaz, chassé par les pompes, pénètre d ans le mélange et joint son action à celle du chlorure de chaux mêlé au Hquide. Cette application de l'acide carbonique, qui produit les meilleurs effets, est due aux travaux de la chimie do laiboraloiro, et n'est devenue industrielle que depuis deux ans. r'ile avec machine adliércnte. — Cylindre et platine. (Brevet de M. A. Gratiot, construction d<5 MM. Feray et C* d'Essonne.) Il est bien entendu que l'acide carbonique n'agit pas directe- nnent ; il prend la chaux du chlorure de chaux, et met ainsi le c;hlore en liberté à l'état naissant, ce qui est la meilleure condition p)ossible pour en développer les propriétés décolorantes. Avant rinvention de ce procédé, c'était l'acide carbonique contenu dans Tatmosphère qui décomposait trop lentement le chlorure ; d'au- tres réactifs remplaceraient au besoin l'acide carbonique, mais aiucun n'aurait cette action progressive et pénétrante qui assure le s;uccès de l'opération, sans compromettre, par une brusque production de chlore la solidité des défilés. Le blanchiment au chlorure hquide dans les piles relaveuses-blanchisseuses est fort 12« uv. Paris. Typ. H. Ploa. 178 GRANDES USINES convenable pour les sortes blanches ; mais pour les cotonnades colorées, pour les cordes bises, pour toutes les matières fortement teintées, il faut Is chlore gazeux, et non pas une fois, mais deux. Yoici comment on opère : le chiffon coloré, après avoir été fortement lessivé à la chaux dans les bouilleurs sphériques, est déchiré et mis en longue charpie dans les piles défileuses, égoutté ensuite, puis aplati en galettes de deux centimètres d'épaisseur entre les cyhndres d'une machine à presser, et de là conduit (tou- jours par wagons et sur rails) aux chambres à chlore. Chaque chambre contient mille kilogrammes de défilé pressé ; elle est con- struite soit en briques, soit en pierres meulières, revêtues de ciment romain sans fissures, car on doit chercher à empêcher toute fuite de gaz. Quand le chiffon y est entassé sans être foulé pour que le chlore puisse pénétrer l'intérieur de la masse, on ferme la porte de la chambre et on fixe avec du papier collé les moindres interstices ; on charge alors dans une bombone une quanlité cal- culée de grenaille de manganèse et d'acide chlorhydrique ; en mettant par un tuyau de plomb le récipient en communication avec l'intérieur de la chambre, l'acide se décompose lentement, le chlorure se dégorge, pénètre dans la chambre, et, comme il est plus pesant que l'air qu'elle contenait, tombe à la partie infé- rieure. Une ouverture pratiquée dans le plafond laisse sortir l'air chassé par le chlore ; on la ferme hermétiquement dès qu'il est parti, et le dégagement de gaz continue pendant une durée de huit à douze heures, suivant les quantités mises dans la bom- bone, quantités calculées d'après la résistance présumée de la matière à la décoloration. La chambre reste trois jours fermée et abandonnée à elle-même. Au bout de ce temps, on ouvre la porte et on examine le produit ; s'il est absolument satisfaisant, ce qui est assez rare, ou s'il est destiné à une fabrication tout à fait grossière, on l'entasse dans un wagon, et des rails le i-econduisent au dépôt du défilé. Si au con- traire, comme nous l'avons vu dernièrement, la matière soumise au blanchiment était de rugueuse toile à sac profondément colo- LA PAPETERIE D'ESSOiNN" 179 rée, les trois jours de séjour dans le chlore n'ont pu pénétrer assez intimement le défilé qui conserve encore une teinte rousse ; il a donc besoin d'une nouvelle préparation. Un wagon et des rails le portent sous un treuil qui l'enlève au premier étage, où on le livre à des piles à peu près semblables au défileuses, qu'une disposition particulière de leur platine et de leur cylindrO;, ainsi que la nature de leur travail, ont fait nommer raccourcis- seuses. Ces piles marchant à très -grande vitesse ont leurs lames très-rapprochées et coupent le défilé en fibrilles très-ténues. Elles sont mues non plus par des transmissions de courroies, mais directement par une petite machine à vapeur, apphquée au flanc même de la pile, et conduisant la bielle qui fait tourner le cylindre. Un lourd volant en fonte massive donne de la régularité au travail. Le défilé ainsi raccourci retourne au presse-pâte, du presse- pâte aux chambres à chlore, dont il sort plus tard en neige imma- culée cette fois. Cette main-d'œuvre est très-compHquée et par conséquent très-coûteuse. Mais la disette de chifîbn menace, et déjà il est devenu indispensable de chercher par tous les moyens imaginables à remédier à cette insuffisance. Aussi la papeterie d'Essonne fait-elle les plus grands sacrifices pour étabhr les plus puissants appareils de lessivage et de blanchiment ; un immense ateher, encore en construction aujourd'hui, contien- dra un système de vingt-quatre chambres à chlore servies par huit bombones colossales de cinq cents htres, et, grâce auxles- siveurs sphériques et aux caisses à chlorure liquide qu'elle éta- blit aujourd'hui au nombre de quarante, aucune matière contenant des fibres végétales ne pourra se refuser à se convertir en papier. Toutes les opérations que nous venons de décrire se passent dans un ensemble de constructions élevées sur la rive gauche de l'Essonne, à deux cents mètres au moins des anciens ateliers. Une force de deux cent cinquante chevaux (vapeur), anime les diffé- rentes machines de ces ateliers, qui, comme nous l'avons raconté en détail, renferment l'emmagasinage, le triage, le déhssage, le 180 GRANDES USINES découpage, le blutage, le lessivage, le défilage et le blanchiment. 11 reste maintenant à la matière première, pour être converti 3 en rames de papier, à se faire raffiner, coller, teindre quelquefois, à passer sur la machine de Robert, sous le découpeur de Donkin, et de là aux mains des pHeuses. Ces opérations diverses s'exécutent dans un autre ensemble de bâtiments, placés à cheval sur le grand bras de l'Essonne, et sépa- rés des constructions nouvelles par un autre bras canahsé avec revêtement en pierre meuhère et ciment romain, et dont on va faire une espèce de filtre réservoir pouvant donner six mille hec- tohtres par minute. Rien n'est gracieux et élégant comme l'ensemble des construc- tions qui encadrent la rivière : sur la rive droite, le magasin de produits chimiques, le magasin de charbon, le laboratoire où se prépare la colle, le magasin de papier ; à gauche, les atehers qui contiennent les machines à papier ; en travers de la rivière, l'ateher des anciennes raffineuses, puis des cheminées, des che- mins de fer montant en plans inchnés, des galeries couvertes de toits de verre, plusieurs étages de ponts jetés hardiment les uns sur les autres, tout un enchevêtrement compliqué à l'œil, très- simple à l'usage, et admirablement combiné pour épargner le temps, la fatigue et la force. Avant de monter avec le petit wagon qui va porter aux piles raffineuse le défilé blanchi, nous traverserons la rivière et nous irons voir préparer la colle qu'on introduira dans la pile avec le défilé pour composer la pâte. El d'abord qu'est-ce que la colle et pourquoi s'en sert-on ? La colle est une matière adhésive, végétale ou animale, que l'on ajoute aux fibrilles végétales feutrables pour en assurer la cohé- sion, pour en augmenter la résistance et pour donner au papier une sorte d'imperméabihté. On reconstitue ainsi en quelque sorte ce que la nature avait fait en liant entre elles ces fibrilles par des gommes pour en constituer les organes des plantes. Pour tous les usages du papier qui ne demandent pas une grande ténacité et qui LA PAPETERIE D'ESSONNE 181 n'exigent pas l'imperméabilité, la colle n'est pas nécessaire. Ainsi, une grande quantité du papier destiné à l'impression n est pas collée ; le papier brouillard ne l'est pas non plus. Toutes les sortes destinées à l'écriture le sont forcément. 11 y a deux procédés de collage, absolument différents l'un de l'autre. Le premier, le plus ancien, colle chaque feuille de papier après la fabrication complète. Les Romains se servaient de colle de farine, de résine; et même de colle-forte. Dans tout le moyen âge et jusqu'aux premiers temps de notre siècle, on colla le papier feuille à feuille, avec de la gélatine obtenue par la disso- lution à chaud des rognures de peaux ; c'était une sorte de vernis qu'on donnait au feutre. Cette méthode est encore em- ployée dans quelques papeteries de France et est restée d'un usage général en Angleterre, où elle a été amenée à un merveilleux degré de perfectionnement par M. Huth. C'est surtout à Sainte-Marie- Cray, chez M. Joynson, que se fabrique ce merveilleux papier à lettres collé à la gélatine absolument incolore, et dont nos pape- tiers français n'ont pu jusqu'cà ce jour égaler la beauté irrépro- chable. Le second procédé est presque universellement employé dans toute la France et domine à Essonne sans partage. Il consiste à mêler dans la pileraffmeuse ehe-même une matière adhésive dont nous allons donner la composition et décrire la préparation. Une chaudière de moyenne grandeur reçoit de la résine venant de Bayonne ou des États-Unis, quand on peut s'en procui'er à des prix raisonnables ; cette dernière, provenant des cèdres, ré- pand une odeur pénétrante qui, lorsqu'on la fond, embaume l'usine tout entière. Quand la résine est en fusion, on y ajoulc une solution de soude et de chaux, et l'on produit ainsi un savon do résine. Ce savon de résine est dissous à l'eau bouillante dans une autre chaudière, et conduit dans de grands réservoirs où il laisse déposer les impuretés qui ont pu se ghsser dans sa fabrication. On prépare d'un autre côté une sorte d'empois de fécule, puis une solution d'alun. 182 GRANDES USINES Dans le même atelier, au moyen de divers bois et de cer- taines matières, on compose les teintures très-fréquemment employées à Essonne, où l'on fabrique une grande quantité de papiers colorés («) . Cette solution de savon de résine, cet empois, cet alun et ces teintures, sont montés ensuite par wagons et rails sur plan incliné, dans l'atelier des rafFineuses, où nous allons les suivre, pendant que d'un autre côté arrivent du magasin des dé- filés les wagons chargés des différentes sortes qui doivent com- poser à différentes doses la pilée destinée à telle ou telle qualité de papier. Supposons qu'on ait besoin d'une bonne pâte commune ; le directeur de la fabrication remet au gouverneur des raffmeuses une note, sur laquelle se trouvent exactement indiquées les quan- tités qu'il est convenable de mélanger : défilé grossier, défilé moyen, défilé mou^ défilé résistant ; puis, quelle proportion de colle il devra ajouter, quelle proportion de teinture, et si le papier doit être coloré. On peut, avec certitude, déterminer par une sorte de formule le rapport exact de toutes ces matières. Il nous a semblé curieux de demander quelle était la note don- fa) La note suivante, que nous communique la papeterie d'Essonne, peut donner une idée de la quantité de produits chimiques employés par cette fabrication compliquée : La papeterie d'Essonne a constamment trois ou quatre machines occupées à fabriquer des papiers de cou- leurs d'une variété infinie de nuances. Les matières chimiques employées sont : Acétate de plomb, 1 Fécule, Acide muriatique. Acide nitrique,' Acide acétique, Acide sulfurique, Alcali, Sulfate d'alumine, Alun, Bleu en pâte, Bleu outremer, Campêche, Carbonate de fer, Carmin, Chaux grasse, Chlore, Chromate de potasse. Cristaux de soude. Colophane, Vieux cuir, Étain en baguettes, Bois de Fernambous, Goudron, Hyposulfite de soude. Kaolin, Manganèse, Mine orange. Mine de plomb Ocre jaune, Ocre rouge, Prussiate de potasse, Pyrolignite, Bois de Sainte-Marthj, Sel de soude. Sulfate de fer, Quercitron, Curcuma. Gacig, Cendres de chêne, Safranum LA PAPETERIE D'ESSO^Nt. 183 née pour la confection du beau papier sur lequel sont imprimées ces études. Voici à peu près comment on peut traduire les hiéro- glyphes qui la composent : Une partie de défilé, coté 11 commun, blanchi deux fois au chlore. Une partie de défilé, coté 11 très-blanc, blanchi une seule fois. Une demi-partie de défilé, coté 12 commun, blanchi une seule fois. Une partie et demie de défilé, coté à 9 très-blanc, blanchi une seule fois. Bien jolie pâle fine, bien lavée, bien fondue, non collée. Une bachoUe (2 kilog.) de fécule. 2k grammes d'azur. Un seizième de litre de rose. Une pilée de cassé. Cinq pilées comme le tableau ci-dessus. Cette dernière mention veut dire qu'on ajoute à la pâte un sixième de papier cassé semblable, provenant d'une fabrication antérieure et ayant formé déchet. Le tout fabriqué sur la machine nommée Amédée. Nous avons voulu connaître aussi la composition de notre pa- pier de couverture. La voici : Une partie et demie de bulle blanchi une fois. Id. de Ik id. Id. de 13 id. Une demie de 9 id. Jolie pâte bien collée. Une bacholle et demie (3 kil.) de colle. Id. id. de fécule. Deux et demie d'ocre jaune. Dix litres de cuir. Un seizième de htre de bleu. Deux pilées de cassé. Cinq pilées comme le tableau. Fabriqué par la machine Alice. Nous demandâmes au directeur de l'usine ce que voulait dire la mention de dix htres de cuir. Il nous répondit que c'était une tein- ture brun-roux obtenue par la décoction de vieux souliers et de vieilles bottes , teinture fort en usage en papeterie et assez bon marché, car les cuirs employés coûtent à peine 1 fr. les i 00 kilog LA PAPETERIE D'ESSONNE 185 ~ Cette réponse nous humilia un peu. — Comment se figurer, en effet, que ce joli ton étrusque, choisi avec tant de soin au miUeu de nombreux échantillons, devait sa teinture si fine et si particu- lièrement distinguée aux plus abjects rébus de la cordonnerie? Le gouverneur Ut ses formules comme un pharmacien qui com- pose la potion la plus déUcate, remplit d'eau sa pile raffineuse, qui est exactement semblable à une pile défileuse, si ce n'est que les lames de la platine sont au nombre de douze au Ueu de huit, et que les cyhndres comptent quarante-huit lames au Ueu de trente-neuf. Il a soin de ne pas rapprocher trop près les lames du cylindre de ceUes de la platine («) : pendant tout le temps qu'il jette dans l'eau ces différentes sortes de défilé , la pile n'agit guère que comme laveuse, et laisse l'eau de lavage s'écouler au dehors ; mais quand U a achevé sa charge, il arrête l'écoulement de l'eau et serre les lames de manière à hacher et déchirer les fibres au degré nécessaire ; il surveille le travail, et, trois heures environ après la mise en pile, il ajoute d'abord le savon de résine, deux kilogrammes environ par cinquante de défilé; la fécule, deux ki- logrammes encore {^). Enfin, vingt minutes avant de vider la pile, on verse la teinture, et quatre heures après le comfuencement du raffinage, la pâte est faite. Elle coule alors par une ouverture pratiquée au fond de la pile , et un long tuyau la mène aux grandes cuves qui précèdent les machines à papier. U y a cinquante-quatre raffineuses à Essonne : quarante-deux dans les anciens ateUers de l'usine, douze dans un nouvel atelier beaucoup mieux éclairé et très-bien aménagé. Les piles y sont beaucoup plus grandes, et contiennent soixante-quinze kilo- grammes de défilé au lieu de cinquante. („) Quelques fabricants prétendent qu'il est inutile de donner à la platine un si grand nombre de lames. Une seule, deux au plus, doivent suffire. Cette idée semble assez juste. En effet, le cyl.ndre, par sa forme ne devant rencontrer la platiné qu'en un seul point, les lames trop éloignées de ce point ne doivent produire aucun effet; d'un autre côté, on peut dire que les lames éloignées préparent le travail des lames médianes en retenant les chiffons pendant leur lacération. Cette dernière remarque ne serait juste que pour les délilcuses. La papeterie d'Essonne a commencé, à ce sujet, une série d'expériences. {b) Dans un grand nombre d'usines, on ajoute une quantité variable de haolin ou terre à porcelaine. En nelizinuft cette quantité va jusqu'i» quarante pour cent. GRANDES USINES Dans ce nouvel atelier se trouve aussi une machine américaine d'invention récente, nommée Pulp-Engine. Elle mérite une des- cription spéciale, car elle est appelée à rendre de grands ser- vices, quand elle sera mieux connue et quand on aura appris par l'expérience sa marche, ses défauts et les moyens d'y remédier. Le pulp-engine est basé sur une autre théorie que la pile, il se rapproche beaucoup du moulin, et il exige un défilage et un raccourcissage beaucoup plus avancé. Il se compose d'une épaisse boîte circulaire en fonte très-solidement établie : sur les deux parois intérieures de cette boîte sont appliquées et boulonnées deux meules ou platines de fonte, rayonnées de lames acérées. Ces platines ne sont pas tournantes, mais elles peuvent se rap- procher l'une de l'autre par la pression de fortes vis. Dans la cavité formée par l'écartement des deux platines se meut un disque, sorte de meule à double face également garnie de lames rayonnées du centre à la circonférence et porté par un essieu qui traverse la boîte. Cette meule doit-elle être faite en acier ou en fonte? doit-elle être armée de lames acérées ou moussues? C'est ce qu'on est en train d'expérimenter. — Le défilé, préala- blement mis en bouillie dans l'eau, arrive à la machine, en- voyé par une pompe dans un tuyau qui pénètre la boîte par une large ouverture ovale pratiquée au sommet d'une des pla- tines fixes ; quand le chiffon a été réduit en pâte fine par la rota- tion du disque mobile — sorte de meule courante - sur les deux meules fixes, cette pâte s'échappe de la boîte par une ouverture cylindrique découpée à la partie inférieure de l'autre meule fixe. De là elle se rend directement aux grandes cuves. Les avantages déjà reconnus du pulp-engine, c'est de faire avec quatorze chevaux de force un travail égal à celui de trois piles raffineuses dépensant vingt et un chevaux, de n'exiger qu'une place comparativement restreinte, afin de fournir à la machine à papier continue une proportion également continue de pâte. Ses défauts sont d'exiger un raccourcissage préparatoire de s'user assez rapidement et par conséquen-t de ne pas faire un LA PAPETERIE D'ESSONNE 187 travail assez égal, défaut rendu plus grand encore par la forme même de la machine qui ne permet pas une surveillance aussi instante que dans les piles ordinaires continuellement ouvertes à l'œil du gouverneur. Cependant l'économie de temps, de force et de place que donne cette machine est un avantage assez grand pour attirer sur elle l'attention des fabricants de papier. La pâte préparée dans les piles ordinaires ou dans le pulp- engine, se rend, comme nous l'avons dit, dans l'ateUer des ma- chines continues et rempht alternativement deux gigantesques cuviers pouvant contenir chacun la bouilUe nécessaire à la con- fection de 500 kilogrammes de papier sec; ce qui représente 25 mètres cubes de pâte. Mais avant de suivre la pâte sur la machine Robert et pour bien apprécier l'admirable invention de notre compatriote, faisons un retour en arrière et voyons comment nos pères procédaient : ils prenaient la pâte au sortir des maillets ou des cyhndres et la por- taient dans des cuves assez larges mais peu élevées, à la hauteur de la ceinture environ. Après avoir bien brassé la pâte avec une sorte de palette trouée, un ouvrier, nommé ouvreur, prenait une forme («) composée d'un cadre sur lequel était étendu un filtre la) «Les formes sont composées d'un châssis, d'une toile de laiton qu'on nomme verjure. enfin d'un cadre ou couverte mobile. C'est avec ce moule qu'on puiso dans la cuve la pate qu. sert a composer les fKiiiilM (1p nanier. comme nous le verrons par la suite. '"I lc cMssïeîun assemblage de quatre tringles de bois, dont deux sont les f ^^^^^^ les petits côtés. Ces tringles sont de bois de chêne, qu'on a laissé tremper longtemps dans 1 eau après avoir été débité et séché à diverses reprises, pour qu'il ne soit pas sujet a se dejeter. Vce châssis, mesuré sur toutes ses faces prises en dedans, est d'environ quatre l.gnes Pl«^ ^l-^^MuM feuille de papier, à la fabrication de laquelle la forme est destinée. Les tringles ont environ ^u.t l.gnes de largeur sur quatre lignes d'épaisseur; les longs côlés sont un peu convexes dans le milieu, et les petits rntps au contraire, un peu concaves. . ... fus longs côtés sont percés d'un certain nombre de trous pour recevoir les extrémités d'autant de barr s de sapin qui sont arrondies et proportionnées à la capacité de ces trous : ces ^î^"^^^,^""* ^^'l'f ' '^"^ nartie supérieure, en vive-arête, comme le tranchant d'un couteau, et leur partie inférieure est arrondie, on ]es nomme pontuseaux : ces différentes pièces sont assemblées par des mortaises et clouées les unes avec les autres, soit avec de petites chevilles de bois, soit avec des clous d'épingle en laiton. Le fer, a cil e de la rouille, doit en être banni. On appelle f^t de la forme le châssis armé de ses pontuseaux. I| est qultion minte'nantde tracer et d'établir sur cette espèce de charpente la toile de laiton ou verjure qui constitue nronrement la forme ou moule du papier. . y,* • "a "une d'es extrémités de chaque pontuseau, sur la face supérieure d'un des deux grands cotes du chassi on perce autant de trous qu'il y a de pontuseaux, et l'on y Plante des chevilles de bo.s auxqueU s on aua^^^^^^ des fils de laiton très-déliés, roulés sur de petites bobines et qu'on nomme mamcordxon Chaque chev l u a deux flls et deux bobines, disposées de manière que l'une est au-dessous et 1 autre au-desFUS de la plape que doivent occuper les brins de laiton qui forment la toile. .Je dois observer qu'on apercé outre cela, aux deux extrémités du grand côte, de semblables tr.as qu. LA PAPETERIE D'ESSONNE 189 en laiton, plongeai! la forine dans la cuve, ramenait une quan- tité de pâte réglée suivant l'épaisseur du papier qu'il voulait produire. L'eau s'écoulait au travers du filtre, et la feuille de papier se formait par l'entre-croisement des fibrilles au moment où elles se desséchaient, opération favorisée encore par un mou- vement de tamisage exécuté par Voiwreur. Un second ouvrier, correspondent aux deux chaîiictcs du traneliclil, lesquoit, cc(Ui)ont l'miervalle entre les poiituseaux. Cei trous reçoivent de même de pettos chevilles pour tendre le Iranchelil et y attacher les petites bobines du manicordion dont nous avons pailé. » Le forniaire a eu soin de piéparer les lils de laiton qui doivent composer la toile, de les dresser par le moyen d'un dressoir dont le desius est un peu convexe, de leur donner un peu de recuit pour les rendre plus doux et plus flexibles, enfin de les couper par brins aussi longs que le châssis. » Tous ces préparatifs et toutts ces dispositions étaiit faits, le formaire place le châssis de la forme devant lui dans une situation inclinée, ;t ayant écarté les bobines, il prend un des brins de la verjure et le pré- sente, sur toute sa longueur, dins l'ouverture que lui o.Trent les deux lils du manicordion, roulés sur les bobines; ensuite, passant une bibine du dedans en dehors, et l'autre du dehors en dedans, il assujettit le brin de toile et aux tranchcfils (t vis-à-vis chaque pontuseau : après avoir serré les lils des bobines, il les entr'ouvre de nouveau pour recev)ir un second brin de la toile qu'il assujettit de même, et il continue cette manœuvre en plaçant toujours pirallèleraent les brins de laiton les uns aux autres, jusqu'à ce que le châssis en soit entièrement rempli et qœ toute la toile soit formée. «Les pontuseaux sont percés iur leur longueur de plusieurs trous vers la partie supérieure, dans lesquels on passe un fil de laiton fort fin » Pour achever la forme, il m reste plus qu'à tendre fortement les chaînettes le long des vives-arêtes des pontuseaux, qu'à fixer leurs extiémités par de petites chevilles de bois qu'on introduit dans les trous du grand côté opposé au premier, m lequel on s'est établi d'abord ; enfin, qu'à coudre la toile par un fil de laiton très-délié qui, passant sur des chaînettes et repassant dans les trous dont chaque pontuseau est percé, sert à tenir la toile assujettie p;r tous ces points, éloignés \is uns des autres d'environ six lignes. » Ensuite, tant pour recouvrit les extrémités des brins de U toile le long des petits côtés du châssis, que pour contenir les chevilles qui H;ent les chaînettes aux extiémivés des pontuseaux, on attache avec des clous d'épingle de petites lames de laiton dans tout le pourtour du cUssis : ces lames servent aussi à fortifier l'assemblage des quatre côtés du châssis. A chaque- paire ( e fornvs, on adapte un cadre dont les feuillures reçoivent les quatre côtés du chissis. Le bois, dont ce calre est composé, a environ huit lignes de largeur sur quatre à cinq lignes d'épaisseur. Cette feuillure recorvre même, sur une largeur de deux lignes, la toile de la forme. C'est pour cela qui celte toile excède de ces deux lignes en tous sens, comme nous l'avons dit, les dimensions de la feuille de papier. >- Au moyen de cette avance eu cadre sur la toile de la forme, la feuille de papier est entièrement placée sur cette toile et détachée de tois côtés du châssis; ce qui est très-essentiel pour que la pâte puisse s'égoulter et la feuille se coucher sur le fiutre sans être retenue par aucun des bords. » La verjure doit être arrangéj sur la forme, d'après le système de tant plein que vide qui convient dans tous les cas où l'on fabrique les petites et les moyennes sortes peu étoffées ; mais quand on fabrique dès papiers un peu forts, il convient de tenir les intervalles un peu plus larges que le diamètre des brins de la toile, pour que la feuille de pafier prenne une certaine épaisseur au moyen du plus grand vide, qui absor- bera une plus grande quantité df pâte lorsque l'omreur envergera ; car la pâte qui entre dans la compo- sition des feuilles de papier est Dujours en raison tes intervalles qu'on a laissés entre les brins de la toile et la forme. » Ainsi, lorsqu'on veut fabriquer les mêmes sorte ; à des poids difi'érents, on a soin de varier surtout l'in- tervalle des fils de la verjure, ei même le calibre r c ces fils ; par exemple, pour fabriquer de l'écu à treize livres environ, on choisit une viijnre fine et l'on en fait un tissu où il y a autant de vide que de plein; pour fabriquer la môme sorte à dix-huit livres, oi adopte une verjure plus grosse et des intervalles plus grands; il est visible que c'est la pâte qui occup', Iss intervalles des verjures, qui contribue à rendre le papier plus épais et à grossir sin grain. L'art a 'rois moyens de donner plus de force et plus d'épaisseur au papier, les intervalles qu'on laisse entre les br ns de la verjure, l'épaisseur du cadre de la forme qiE' retient plus ou moins de matière, enfin le travail d- la cuve à grande ou à petite eau. »Un autre principe aussi important est qu'on doi i proportionner la verjure aux pâtes qu'on emploie. Ainsi une pât» un peu longue demand5 une verjure un i «u forte et des intervalles un peu plus larges que le ca- libre de cette verjure; de même une pâte courte d( mande une verjure fine avec des intervalles proportionnés; ce qui, dans ces deux cas, produit un grain assor i aux pâtes et à la sorte de papier. » (Encyckpédie.) 190 GRANDES USINES nommé coucheur, prenait la forme et appliquait la feuille sur un feutre de laine, pendant que l'ouvreur recommençait avec une autre forme ; ils formaient ainsi une colonne de feuilles de pa- pier séparées par des feutres, puis plaçaient cette colonne sous une presse en bois et en exprimaient l'humidité. Un troisième ouvrier, nommé leveur, séparait ensuite chaque feuille des feu- tres qui l'enveloppaient et l'étendait pour la faire sécher; une seconde mise sous presse égahsait les feuilles que l'on collait ensuite à la main. Comme on le voit, cette fabrication était forcément très-lente, très-inégale, puisque la pâte, n'étant brassée que de temps en temps, ne pouvait conserver une densité uniforme ; tout ce sys- tème de formes, de feutres, de presses à vis était bien imparfait. Et cependant, quelques fabriques persistent à vouloir travailler à la cuve ; elles sont établies comme cela, et la main-d'œuvre est bon marché dans leur canton. Une circonstance devrait cepen- dant les déterminer à renoncer à leur entêtement : le ministère des finances a faiUi cette année accepter pour le papier timbré du papier fait à la mécaniciue. Le procédé à la cuve, barbare et très-dispendieux, ne pourra résister aux perfectionnements des machines, et sa dernière ressource lui échappera bientôt. Dès aujourd'hui, non-seulement en France, mais dans presque tous les pays du globe, la fabrication à la main tend à disparaître, comme pouvait déjà le faire prévoir la statistique («) dressée en 1 851 par la Commission internationale. Robert eut l'idée, Didot et Donkin eurent la persévérance et (a) On pourra s'étonner, dans tout le cours de cet ouvrage, de nous voir citer continuellement le rapport de la commission de Londres, déjà vieux de dix années. Mais nous aimons les documents certains, el depuis cette époque, surtout pour ce qui regarde l'industrie étrangère, rien n'a été publié avec une telle autorité. Il faut en effet se rappeler que les commissions de Londres étaient composées des hommes les plus compé- tents des différents pays du monde. Pour profiter utilement des renseignements ci-dessous, il est nécessaire aussi de savoir que depuis cette époque tous les chiffres ont presque doublé. ANGLETERRE. — La production totale, en 1850, a été de 62,900,000 kilogrammes, dont la valeur doit Hre estimée, non compris le droit perçu par le gouvernement, à 70 millions de francs. Les machines à papier sont au nombre de 322. Plus 2G6 cuves dont le produit annuel (à 50 kilogrammes par jour pour chaque cuve) peut être évalué à 1,000,000 de kilogrammes. Les 59 millions de papier fabriqué par les 322 machines en Angleterre, donnent pour terme moyen un LA PAPETERIE D'ESSONNE 191 l'habileté de composer une machine qui remplaçât d'une façon continue et régulière les différents mouvements de l'ouvreur, du prodiuit de 610 kilogrammes par jour pour chaque machine ; soit 183,000 kilogrammes par an pour une ma- cliinie en calculant 300 jours de travail. L.e nombre de cylindres est de 1,616. L'exportation (non compris les papiers peints cl de tenture) s'est élevée à 3,284,000 kilogrammes. L.a première machine à papier a fonctionne en I80i. ECOSSE. — Il y a 58 machines, 19 cuves et 286 cylindres. La production du papier a été de 14,300,009 kilogrammes, le droit payé au fisc de 4,692,173 francs^ l'exiportation de 520,000 kilogrammes. IRLANDE. — 33 machines, 15 cuves et 86 cylindres. La production a été de 4,309,751 kilogrammes, l'exportation de 5,000 kilogrammes. FRAiNCE. — Il y a 210 machines, dont le produit peut être évalué, comme en Angleterre, à 610 kilogrammes par jour, soit par an (300 jours de travail) . . . 39,430,000 kilog. et 250 cuves, dont le produit annuel est de 2,250,000 soit en totalité un poids annuel de . 41,680,000 L'exportation a été, en 1849: Papier blancs et de musique. 2,923,885 — colorié 67,866 Enveloppes coloriées 814,619 Papiers imprimés, en rouleaux et de tenture de soie. .... 674,431 Papiers de tenture de Chine 920 La première machine à papiers sans fin a été construite en France, en 1811, à la papeterie de Sorel ZOLLVEREIN. — On y compte 800 papeteries, ayant 140 machines à papier, fabriquant environ eookilo- gramimes par jour, soit annuellement 25,200,000 kilogrammes, et 1024 cuves, produisant annuellement 12 imillions de kilogrammes. L'exportation en papiers divers, blancs, de tenture, etc., est de 3,500,900 livres. L'importation est seulement de 250,000 kilogrammes, et consiste en papier de qualité inféiicurej une par tie des papiers de belles qualités est exportée, La première machine à papier à été établie dans le Wurtemberg. En Prusse, 72 machines et 503 euves. La première machine y fut établie en 1818 En Bavière, 11 machines et 267 cuves. En Saxe, 6 machines et 68 cuves. Crand-duché de Hesse, l machine et 27 cuves Éleetorat de Hesse, 6 machines et 39 cuves. Bade, 14 machines et 33 cuves. iNassau, 6 machines et 30 cuves. Divers États associés au Zollverein, 14 cuves États de Thuringe, 53 cuves. Les renseignements manquent pour le Wurtemberg et le Brunswick. AUTRICHE. — Il existe 49 machines à papier, produisant 8,820,000 kilogrammes, et 900 cuves, produi- saiiit 13,500,000 kilogrammes. Les principales fabriques sont dans la Lombardie, la basse Autriche et la Bohème. U y en a aussi dans le Tyrol et la terre ferme de Venise. On exporte d'Autriche pour environ 3,600,000 francs par an. DANEMARK. — 6 machines, et l dans le Holstein ; en tout 7 machines, fabriquant environ 600 kilo- grammes par jour, soit annuellement 1,260,000 kilogrammes, et 20 cuves, fabriquant des papiers communs. Les exportations sont nulles, et on importe des papiers de la Belgique et de la France. En 1847, l'importa- tion a été de 300,000 kilogrammes. La première papeterie fut établie à Frédéricsburg, par ordre de Christian III, et la première machine à fabriquer le papier, construite par M. Bryan Donkin, fut mise en activité par M. J. G. Dreswren, en 1826. SUÈDE. — On y compte 7 machines en activité et 8 cuves, BELGIQUE. — La fabrication du papier n'y a pris de l'extension que depuis 1814. L'exportation s'est élevée, en 1849, à près de 1 million de francs. L'importation est peu considérable et ne dépasse pas 70,000 francs. Il existe 80 papeteries, mais la plupart à la cuve, dont quelques unes sont mues par des moulins à vent. La papeterie de M. Godin, à Huy, est très-célèbre et mérite la réputation qu'elle a justement acquise ; cette fabrique, qui, par son immense étendue, semble être une petite ville, est la seule qui ait exposé. Ses 192 GRAiNDES USINES coucheur et du leveur, et voici à quel degré de perfection on est arrivé aujourd'hui : produits sont aussi remarquables par leur mérite que par leur quantité. La plus grande partie est destinée à l'exportation, qui, en 1849, s'est élevée à 900,000, kilogrammes dont un tiers pour la Hollande. On compte en Belgique 28 machines à papier. PAYS-BAS. — La fabrication, quoique très-rcstreinte, y soutient son antique réputation, à en juger d'après les produits exposés par MM. Honig, de Zaandyk, et par MM. van Gelder et (ils, de Vormerwer. Les papiers fabriqués à la cuve ont toutes les qualités désirables, qu'on ne rencontrait autrefois que dans les papiers de Hollande. D'après un état officiel dressé en avril 1834, il y aurait en Hollande aujourd'hui 168 papeteries, dont 125 dans la province do Gueldre ; 18 dans le Nord-Holland ; 13 dans le Zuid-Holland et 10 dans les quatre autres provinces. Ces établissements occupent 2,24§ ouvriers; en 1833, ils ont employé 8,083,100 kilogrammes de chiffons, quantité peu considérable, il est vrai. Cependant l'accroissement de la consommation a paru assez important au gouvernement pour que, dans l'iniérèt des papetiers, il ait défendu l'exportation du chiiTon en avril 1834. ESPAGi\E. — Il y a 17 machines, dont 2 dans la Vieille-Castille, 2 à Valence, 3 dans la Nouvelle-Cas tille, 1 en Estraniadure, 2 en Catalogne, 2 en Aragon, 1 en Andalousie, 3 en Guipuscoa et 1 en Navarre. Les principales sont celles de Burgos ; de Rascafria; près Madrid; de Candelario, près Bt-jar; et de Capel- ladcs près de Barcelone; elles ont été importées d'Angleterre, de France et de Belgique. La première ma- chine fut établie près de Manzanarès, dans la Manche, par D. Tomas Jordan. Les 17 machines, évaluées à COO kilogrammes par jour, donnent annuellement 3,000,000 de kilogrammes Il existe encore 230 cuves ; la Catalogne en a conservé le plus grand nombre. Les 230 cuves donnent annuellement 2,230,000 kilogrammes. Sur les 3,400,000 rames qui se fabriquent annuellement en Espagne, la Catalogne en produit 700,000. Le poids du chiffon employé en Espagne s'élève à environ 18 millions de kilogrammes. L'exportation est nulle, excepté pour Cuba, où l'Espagne exporte annuellement 91,000 rames; au Chili, 16,000 rames : à Porto-Rico, 10,000, et en divers lieux, 20,000 rames. ROYAIME LOMBARDO-VÉMTIEN — 6 machines sont réparties entre quatre fabriques. R0YAL.1IE DES DEUX-SICILES. — 12 machines à papier. MM. Firmin Didot frères et Lefèbre établirent en 1847 la première de ces machines, avec brevet d'introduction, à la papeterie du Fibrène (\'hola di Sora). Les 12 machines occupent environ 1,200 ouvriers. Les anciennes fabriques à cuves étaient établies à Amalli, Viétri, etc. On en comptait 00 : maintenant il n'en reste qu'une douzaine en activité ; elles occupent 300 ouvriers environ. En évaluant à 600 kilogrammes par jour le produit des machines et à 50 kilogrammes celui des cuves, la production de la Sicile serait annuellement de 2,340,000 kilogrammes. Les exportations assez considérables se -font surtout pour la Sicile, Rome, Livourne, Malte,, les îles Ioniennes et la Grèce. LA SICILE avait deux fabriques à cuves; la concurrence des machines établies dans le royaume de Naples les a fait disparaître. ÉTATS-IIOMAIIVS. — 3 machines à papier ont été élevées à Anatrelle, à Fiume et aux environs de Rome. M. Miliani a exposé des papiers de bonne qualité. TOSCAiVE. — Il existe une fabrique près de Florence, avec 2 machines à papier construites par M. Don- kin, et plusieurs fabriques à la cuve. ROYAUME DE SARD.11GIVE. - 12 machines à papier et 60 cuves. La première machine a été établie à Borgo-sesia par M. Molino. On évalue la production, en 1848 à 6 mil- lions de florins. L'ne faible quantité de papier est exportée par Gènes. Le papier dit d« Gènes, c'est-à-dire fabriqué dans les contrées environnantes, jouissait encore au com- menccmenl du siècle dernier, d'une grande réputation en Angleterre, puisque nous voyons par une pétition adressée à la chambre des communes, sous la reine Anne, parles fabricants de cartes à jouer, que leur con- sommation pour fette fabrication s'élevait à 40,000 rames de papier blanc de Gènes. L'Angleterre, en elTct, n'a perfectionné que fort tard la fabrication du papier. Celui de Gènes, par sa douceur et sa solidité convenait mieux que tout autre à la confection des caries à jouer. SUISSE — Il y a environ 20 machines et un grand nombre de cuves. La fabrication est de 13 millions de kilogrammes, dont 3 millions pour le canton de Zurich seul. On y compte environ 40 papeteries à cuves. Le prix de la journée des hommes est de 1 fr. 23 cent., et des femmes 75 centimes. Point d'exportation. LA PAPETERIE D'ESSONNE 193 La pâte arrive en bouillie à l'un des bouts de la machine et ressort à l'autre extrémité, non-seulement en feuille faite et sé- chée, mais rognée et taillée à la grandeur voulue ; il est vrai que la machine a vingt mètres de long. Elle commence par les deux grands réservoirs dont nous avons déjà parlé et qui mettent quatre heures à se remplir, quatre heures à se vider. Un agitateur composé de huit palettes obUques percées de trous et fixées sur un pivot de trois mètres de haut, tourne sans cesse et brasse la pâte, que l'on fait plus ou moins deiïse, suivant l'épaisseur que l'on veut donner au papier. Dans les premiers temps où cette machine était employée, la pâte se rendait directement de la cuve sur la grande pièce appelée sablier ; mais on ne pouvait remédier à la pression exercée par le hquide lui-même, ni égahser un écoulement commençant avec trois mètres de pression et se terminant avec trois centimètres ; — on remédie actuellement à ce défaut en faisant arriver la pâte dans un petit cuvier régulateur, également muni d'un agitateur à rotation constante; du cuvier régulateur la pâte s'engage dans un canal ouvert débouchant sur un réservoir large de deux mè- tres environ. Ce canal reçoit en même temps les eaux de fabrica- tion provenant de l'égouttage de la pâte, résidu autrefois perdu et contenant encore une très-grande proportion de fibrilles utilisa- bles : cette eau se mêle à la pâte et la rend moins épaisse. Au fond du canal, qui a tout au plus trois centimètres de profondeur, sont disposées, de distance en distance, des lamelles de cuivre légère- TURQUIE. — Il existe une fabrique à Smyrne, avec une machine à papier ; unô fabrique à cuves à Con- stantinople; une fabrique à la cuve à Boulac, près du Caire en Egypte, ÉTATS-UiVlS. — En 1730, la première fabrique à cuves fut établie dans le Massachussets; la y-emière machine à papier continu y fut importée en 1820. Les progrès de la fabrication du papier sont tels, surtout depuis dix ans, que, malgré l'immense consommation de papier de journaux, d'emballage, etc., et de papier de toute espèce qui a lieu dans ce pays, l'importation n'est plus que de 2 à 3 pour cent. RUSSIE. — La Russie n'a envoyé aucun des produits de la papeterie impériale étab ie à Pélerhoff, près de Saint-Pétersbourg. Aujourd'hui, aux environs de cette capitale, on compte plusieurs papeteries occupant une dizaine de machines, A Moscou, douze machines sont en activité; à Kief, le prince Cotchubey a élevé une papeterie considérable; à Wilna, M. Poulowsky en a fait autant. C'est surtout par Uiga, où il existe des dépôts considérables de chiffons, que les fabriques de la Russie s'approvisionnent. POLOGNE. — « La papeterie établie par M, Planche à Jéziorna, près de Varsovie, pour le compte de la Janque de Pologne, est remarquable par les perfectionnements les plus complets que cet habile fabricant y a inli'uiluits. "> (Exposition universelle de 1851. — Compte-rendu.) 13t LIV. Paris. Typ. H. Pion. m GRANDES USINES ment couchées à contre- courant, qui arrêtent au passage tous les sables, graviers et autres corps lourds que Teau et le chiffon n'ont pas laissés dans les sabUers des piles défileuses et raf- fineuses. La partie large du sablier est également couverte de ces lames qui se chargent des impuretés lourdes ; les impuretés légères sont retenues par deux tamis à lames de cuivre, nommés épura- teurs, entre lesquels la pâte est contrainte successivement de passer; là s'arrêtent les petits morceaux de bois et autres corps légers et colorés qui ont été apportés par les eaux ou qui ont pu se détacher des wagons ou des instruments avec lesquels les chif- fons et les défilés ont été maniés. Ces sabhers et ces tamis sont des pièces très-importantes; car des cailloux ou des parcelles de fer qui leur échapperaient pourraient causer aux machines des accidents graves, tant sont réglés juste les cyUndres dont le papier doit subir le laminage. — Au sortir des épurateurs, la pâte descend, par une cascade habilement ménagée, sur un tabher de cuir qui la conduit à une longue toile métaUique sans fin, remplaçant l'ancienne forme. Cette partie de la machine se nomme table de fabrication; en effet, c'est la pièce essentielle. — Elle se compose d'une toile sans fin de trois mètres de course environ, marchant d'un mouvement lent et strictement réglé, sur de petits cyhndres en cuivre juxtaposés les uns aux autres, et qui la maintiennent parfaitement" rigide et horizontale : un appareil formé de tiges verticales oscillantes soutient la table et l'agite doucement comme autrefois le leveur agitait la forme.— La pâte, passant sous, deux règles en cuivre qui déterminent son épaisseur, arrive sur la toile où elle est maintenue de chaque côté par des courroies en coton caoutchouqué, appelées courroies-guides, car elles maintiennent rectiUgnes ce que les conducteurs des machines à papier nomment poétiquement les rives de la feuille. L'eau s'égoutt'j peu à peu au travers du tamis, l'oscillation joint et marie les fibrilles de la pâte, et, à l'extrémité de la toile sans fin, le tissu, qui n'est déjà plus pâte et qui n'est pas LA PAPETERIE D'ESSONNE i95 encore papier, est assez consistant pour que les courroies-guides puissent l'abandonner à lui-même. — Rien n'est plus étrange que cet instant de la fabrication; en étendant la main gauche, on pourrait prendre la pâte avec une cuillère ; en étendant la droite, on pourrait crayonner, presque écrire, sur la feuille naissante, et sous les yeux du spectateur se fait brusquement une métamor- phose instantanée et continue. Un très-ingénieux appareil vient encore activer la prise de la pâte. Sous la toile métallique, une longue caisse de cuivre, dans laquelle on fait le vide au moyen de trois fortes pompes, aspire énergiquement l'eau qui a résisté au tamisage simple, et la feuille est constituée; il n'y a plus qu'à la sécher. Pour cela, elle va s'en- gager, toujours soutenue par la toile métallique, entre deux cyhndres garnis de feutre, maintenus humides, pour ne pas dé- chirer la déhcate pelUcule. — Au sortir de ces deux cyhndres, elle est assez forte pour quitter la toile, et, s'appuyant sur un drap sans fin nommé feutre coucheur, passe entre deux cylindres en cuivre. Ces deux cyhndres sont froids, car la feuille, encore faible, ne pourrait supporter la température des autres cyhndres maintenus à quatre-vingts degrés par une injection de vapeur. Mais, fortifiée par la pression à froid, elle peut quitter le feutre coucheur et s'élancer librement au miheu des cyhndres autour desquels eUe se sèche et se lamine. — M y en a cinq, de différents diamètres, qui la portent jusqu'au dévidoir final autour duquel elle s'enroule. Cette machine comphquée a trente mètres de long, et demande une exactitude parfaite ; en efiet, si les cyhndres tournaient plus vite que la pâte ne coule au sortir des épurateurs, la feuiUe serait à chaque instant déchirée; si le contraire avait heu, la pâte serait engorgée sur la table de fabrication. C'est réeUement un beau spectacle que la vue de ce long automate marchant jour et nuit, et accomphssant sous vos yeux une des plus étranges méta- morphoses que la hardiesse du génie humain ait pu concevoir Nous ne décrirons pas toutes les minutieuses opératioi>.s suc- LA papeterie: D'ESSONNE ccssives exécutées en outre par lia machine. Ainsi, une roue à écope relève les eaux égouttées de la toile sans fin, et les reporte sur les sabliers, car elles renfeirment encore de nombreuses fibrilles; des filets d'eau enlèvent sans cesse aux courroies-guides les particules végétales qui ont adhéré à leur bord tangent à la pâte: des cyUndres particuhers sèchent les feutres de laine à mesure qu'ils s'imbibent d'humidité au contact du papier. Mille autres dispositions encore tendent à réaliser une économie et une perfection. Aussi, par reconnaissance piour ces laborieux et patients esclaves de fonte et de bois, on leur a donné des noms aimés : les deux plus belles machines s'appellent Amédée, comme le directeur de la papeterie, et Auguste, comme le directeur de la fabrication. Elles sont placées sous les numcéros VII et VIII. Les sept autres portent des noms divers : le numéro I a été baptisé Sandford, du nom du constructeur anglais qui l'étabht dans l'usine en 1840: le II Chapelle, ainsi s'appelait le mécanicien français qui la construi- ^ sit; le III Palmyre, nom de Mm^Gratiot; le W Le Conseil, parce que la papeterie en fut dotée par le conseil d'ad"iinistration ; leV Georges eXleW Alice, noms des deux enfants du directeur; enfin, le numéro IX s'appellQ Moulin galant. En effet, outre son étabUssement principal, la papeterie d'Es- sonne possède une annexe très-importante et très-curieuse, c'est l'usine du Mouhn-Galant, située à un kilomètre environ en amont de l'Essonne, dans une charmante situation au milieu d'un ancien parc de l'effet le plus pittoresque . C'est là qu'on prépare le papier connu dans le commerce sous le nom de papier goudron. — C'est une espèce de feutre gris-brun, épais, résistant comme du cuir, et qui est destiné uniquement à servir d'enveloppe. On ne lui demande ni blancheur ni légèreté; au contraire, on réclame de lui imperméabilité, résistance, et une certaine odeur qui lu! donne dans le commerce son nom et son prix. Ce papier était fait originairement avec des câbles et des toiles goudronnés, du temps où ils se vendaient à vil prix et où la î98 GRANDES USINES vieille corde n'était pas devenue une matière de luxe pour les papetiers : aujourd'hui encore, on y met bien quelques débris de bâches et de cordages, mais ce sont ceux du blanchiment desquels on désespère. On a été forcé de recourir aux plus étranges détritus pour composer ce papier économiquement. — « C'est ici, nous dit M. Gratiot, que je pousse aux dernières hmites la lutte contre l'impossible. » Aussi nous voyons, entassés dans la cour, des balles renfermant de vieux papiers à chandelle, des déchets de coton, de Hn, de vieux cartons de métiers à la Jacquart déchiquetés comme une broderie, des sacs à charbon, des toiles d'emballage en sparte ou en aloès, desmiUiers de petits cartons qui ont servi de billets de chemins de fer, des étoupes qui ont plus l'air de terre que de débris végétaux; tout cela sale, gras, ignoble! Et cepen- dant le papier fabriqué avec ces rebuts de rebuts est une ma- gnifique étoffe, souple, hsse, presque soyeuse. Sa fabrication est bien simple : à peine un triage, pas de délissage, un découpage avec de grossières machines à deux lames, pas de blutage. — Si on voulait ôter la poussière, on risquerait fort de ne rien con- server du tout. — Il a cependant un lessivage qui mérite une mention particulière. Dans un cuvier en tôle, garni d'un double fond percé de trous nombreux, et fermé par un couvercle, on empile les débris hachés par la coupeuse, et on les soumet à une lessive de chaux et de soude qui commence à les désagréger; on ajoute aussi dans le cuvier une quantité déterminée, — huit kilogrammes environ, — de goudron de Dax ou de Norwége, goudron de bois, bien entendu ; celui de liouille est infect et ne peut servir : au sortir des cuves à lessive, on en- tasse le mélange tout humide dans des pourrissoirs, comme on le faisait autrefois pour les chiffons blancs. Une certaine fer- mentation s'étabHt, et quand on la juge suffisante , on mo.ite les loques aux piles qui doivent les réduire en pâte. Là encore, l'opération est bien simple : pas de lavage, tout serait em- porté; pas de blanchiment, on désire garder la couleur bise. Le LA PAPETERIE D'ESSONNE 199 défilage , le raccourcissage et le raffinage se font dans la même pile : on rapproche seulement delà platine le cylindre beaucoup plus lourd que dans les piles ordinaires. — A Moulin-Galant, six grandes piles, fondues d'un seul morceau, déchirent, tritu- rent et mêlent un défilé qui ressemble plus à du macadam qu'à toute autre chose. On ajoute en pile une colle particuUère fabriquée avec la plus commune résine , la soude la plus impure , l'alun le moins blanc , mélange auquel on ajoute encore du goudron avant de le verser dans la pile. La seconde partie de la colle , la fé- cule , est ici remplacée par un autre singulier résidu. On sait que les pains à cacheter sont faits avec la meilleure qualité de farine, mise en pâte , étalée en feuilles, et découpée à l'em- porte-pièce. Entre les trous ronds pratiqués par cet instrument, il reste des sortes de losanges pleins, dont on ne savait autrefois que faire ; ce sont eux qui servent à composer la meilleure colle du monde , donnant au papier une élasticité, une douceur, un poU absolument remarquables. — S'ils n'étaient pas colorés pour la plupart, et si on pouvait s'en procurer de blancs en quantité suf- fisante, on ne collerait pas autrement les beaux papiers de luxe. Quand le mélange, composé de rebuts de chiffons, de carton, de résine, de soude, de goudron et de pains à cacheter, est suffi- samment brassé et mélangé, on le descend aux cuves qui pré- cèdent la machine à vapeur. Ces cuves ne sont pas rondes comme celles des machines à papiers fins : elles ont un agitateur horizontal, au Ueu d'un agitateur vertical; et, au heu d'un petit cuvier régu- lateur à robinet calculé , c'est une simple roue à écope qui vient verser des quantités égales de bouillie dans un entonnoir carré qui la conduit aux sabliers. Ici la machine est exactement semblable aux autres : sablier long, sablier large avec les mêmes lames à contre-courant, tamis oscillants , table de fabrication oscillante, toile sans fin, courroies-guides, cyhndres garnis de feutres humides, cyhndres métalUques et froids, cyhndres sécheurs chauffés à la vapeur, en 202 GRANDES USINES nombre plus considérable toutefois, neuf au lieu de cinq, ce qui s'explique par l'épaisseur même de l'étoffe ; tout est identique ou au moins analogue.— Une seule chose nous a surpris et vivement intéressé : c'est un petit appareil destiné à remplacer, sous la toile sans fin, la caisse où les pompes aspirantes font le vide. Je vais tâcher de l'expliquer, ce qui me paraît assez difficile. — Il est basé sur l'emploi de la pesanteur atmosphérique. Une caisse en cuivre, pleine d'eau, est placée sous la toile sans fin : cette toile, passant à la partie supérieure, est pour ainsi dire une paroi de la caisse; on ouvre à la paroi inférieure un petit tuyau par lequel le hquide tend à s'écouler. — Si la toile mé- JaUique, au heu d'être perméable à l'air, était une lame pleine, '!eau ne s'écoulerait pas plus à la partie inférieure que, dans • an tonneau absolument plein, le vin ne s'écoule par le robinet mférieur, si on n'étabUt pas une autre ouverture. La pression atmosphérique appuie donc sur la toile ; mais sur la toile, il y a encore la pâte toute humide qui vient boucher les interstices, et cette pâte supporte la pression sous laquelle l'eau contenue est chassée à travers les mailles et s'écoule par le tuyau inférieur, mêlée avec celle de la caisse. — La condition indispensable pour que la pression atmosphérique puisse fonctionner est le maintien continuel du plein absolu dans la caisse, ce qu'un petit siphon exécute facilement. Ce singuher appareil de pression , dû à MM. Rieder et Zuler, une fois étabh, ne coûte plus aucune force et donne une puissance que l'on peut calculer en multipUant la surface pressée par le poids d'une colonne d'eau de trente-deux pieds, équivalant, on le sait, à celui de l'atmosphère ; aussi, s'il fonctionnait strictement et sans aucune introduction d'air , il arrêterait absolument la machine. Au sortir des cyhndres sécheurs, le papier goudron s'enroule autour d'un grand dévidoir, puis va se faire couper à la main sur une grande table, où l'on a pratiqué des rainures gar- nies de règles de fer. — Entre ces rainures, plus ou moins éloi- LA PAPETERIE D'ESSONNE 203 gnées, suivant les différents formats demandés par le consomma- teur, un homme enfonce une large lame qui glisse au long de la règle de fer donnant une section très-droite. Le papier goudron sert spécialement à envelopper les aciers que l'on veut préserver de la rouille, les laines et les soies qu'il défend contre l'humidité et les insectes ; il forme un excellent re- vêtement aux caisses qui doivent traverser la mer; il sert à confec- tionner des sacs d'épicerie soUdes comme de la forte toile. Enfin, dans ces derniers temps, il a été la base de l'industrie des papiers bitumés, destinés aux toitures et aux tuyaux de conduite pour l'eau et le gaz. — Aujourd'hui, cette fabrication, qui était floris- sante, est complètement menacée, non pas par la diminution, mais par la disparition entière de la matière première. Une fois le papier terminé, il doit encore, avant d'être livré au commerce, subir quelques préparations successives. Quand il est destiné à la fabrication du papier peint, il est simplement disposé en rouleau. Pour l'impression, il est découpé au moyen d'un instrument mû par la vapeur et qui 1^ taille, latéralement par des couteaux circulaires, transversalement par une grande lame se mouvant en guillotine. Les grandeurs données à la feuille, dont un amas de cinq cents forme ce qu'on appelle la rame, varient indéfiniment suivant le caprice des éditeurs. La tendance actuelle est d'user de feuiUes de plus en plus grandes, et cela s'expHque facilement. En effet, une presse qui peut tirer double, c'est-à-dire trente-deux pages au lieu de seize, soixante-quatre au lieu de trente-deux, donne une grande économie de temps d'abord, puis de main- d'œuvre et de combustible. L'exécution est un peu moins parfaite, il est vrai, mais la librairie à bon m-arché ne demande pas des Elzevirs et des Didots. C'est surtout au point de vue du journal qu'il est important de tirer double feuille. Avoir six mille exem- plaires à l'heure au heu de trois mille quand le départ de la poste est menaçant, est une question vitale. Aussi tous les journaux ont-ils adopté la double feuille. m GRANDES USINES Pour récriture, le format varie depuis la petite feuille de papier à lettre jusqu'aux dimensions des plus grands registres. Chaque usine a sa manière de désigner les différents formats: y^sws, raisin, carré, poulet, coquille, florette, etc., sont les plus communément employés. A Essonne, plus de quatre-vingts femmes, réunies dans un im- mense atelier très-éclairé, assemblent les feuilles pour constituer les rames. — Elles élaguent tout ce qui est cassé, déchiré, troué, grenu; mettent ensemble les épaisseurs semblables, et surtout classent attentivement non-seulement les couleurs, mais encore les nuances, même dans le papier blanc. Mille causes, en effet, peuvent rendre inégale la coloration d'une cuve, et surtout la dis- tribution forcément incomplète des matières tinctoriales dans des masses aussi considérables de pâte. Ce classement par nuance est très-difficile et demande des yeux jeunes et inaltérés : une jeune fille ne peut le bien faire que pendant trois ans environ; après co temps, elle ne distingue plus assez finement. Quand chaque feuille a été ainsi examinée et jugée, on la place entre deux lames de zinc et on la fait passer sous un laminoir. — C'est ce qu'on appelle satiner. — C'est une déplorable invention, car le zinc étant formé d'une multitude de cristaux à angles aigus, le papier sort à l'état de crible: mais le satinage a été rendu né- cessaire par l'usage des plumes en fer, qui grattent et déchirent le papier non satiné, et qui ghssent facilement sur les surfaces aplanies par le laminoir. Puis viennent le rognage, l'assemblage, le paquetage, et le départ pour Paris, les pays étrangers et môme les deux Amériques, car les deux cinquièmes de la fabrication d'Essonne sont destinés à l'exportation. En suivant le chiffon depuis son entrée dans l'usine jusqu'à la sortie du papier, on voit quelle multipUcité d'opérations on est forcé de lui faire subir, quelle quantité d'instruments divers et d'agents chimiques sont employés, et on n'est pas étonné de voir que la main-d'œuvre entre pour une notable proportion danc le prix du papier. LA PAPETERIE D ESSONNE 205 A Essonne, les efforts les plus grands sont faits pour arriver à donner les meilleurs produits, au meilleur marché. Mais la résolution d'un tel problème est la chose du monde la plus difficile, surtout quand on agit sur une aussi grande échelle. Empêcher ce qu'on appelle en industrie le coulage sur des miUions de kilogrammes d'une matière aussi peu déterminée que le chiffon, sur des milUons de kilogrammes de charbon; sa- voir rétribuer justement et sans excès ruineux, les cinq cents ouvriers de l'usine, exige une grande et perpétuelle attention. Nous avons raconté dans le cours de notre récit toutes les pré- cautions employées pour recueillir les moindres fibrilles de cel- lulose échappées aux instruments, pour employer à des fabri- cations inférieures les résidus des belles sortes; il serait trop long de décrire les dispositions prises pour répartir utilement la force obtenue par les cent vingt chevaux de moteurs hydrau- hques et les cinq cents chevaux de moteurs à vapeur, mais nous pouvons indiquer rapidement quelques moyens employés à Essonne, et qui économisent chaque jour pour deux cents francs de charbon de terre. Ces économies sont dues à une di- minution directe du combustible et à la bonne distribution delà vapeur employée. L'économie directe du charbon s'obtient en donnant une prime au chauffeur qui peut produire la même quantité de vapeur avec une quantité moindre de combustible.— Les chauffeurs se re- layent de douze heures en douze heures, et reçoivent, à chaque garde, une certaine quantité strictement pesée.— Us doivent main- tenir une pression égale, indiquée par un niveau d'eau que sup- {)orte un petit appareil à flotteur, habilement inventé par M. Roynette de Sotteville : le chauffeur auquel il est resté le plus de houille inemployée reçoit la prime. M. Gratiot a étabU aussi un trummel, sorte de blutoir incliné, en treillage de fer, pour tami- ser le mâchefer retiré des fourneaux, et en séparer toute la partie échappée à la combustion; cet instrument, intelhgemment con- duit, donne encore une notable proportion de matière utile. 20G GRANDES USINES Quant à la vapeur, elle est parcimonieusement conservée et distribuée ; — tous les tuyaux qui la conduisent sont enveloppés d'un mastic absolument athermane, composé par M. Pimont; — puis, à la sortie des cylindres sécheurs, qui en emploient dénormes quantités, est disposé un appareil Blondel, qui ne laisse passer que l'eau de condensation et maintient la vapeur qui sortait autrefois entraînée par elle. L'application de l'appareil Blondel donne, par jour et par machine à papier, deux cent cinquante kilogrammes de houille économisés sur dix-sept cents. Ce même appareil se retrouve aux cyUndres et aux sphères à ^essiver. Une assez grande économie est obtenue aussi par les petites mdchines à vapeur attachées sur la pile et agissant directement sur le cylindre. Elles reçoivent la vapeur tendue à sept atmo- sphères, et comme elle ressort à une et demie, ce qui est parfai- tement suffisant pour les séchoirs et les lessiveurs, on l'emploie très-utilement sans augmentation aucune de frais. Cette mesure intelhgente qui a présidé à la construction et à la distribution matérielle de l'usine, nous la retrouvons dans la direction du per- sonnel, soutenue et grandie par un «ens moral et rehgieux que nous ne saurions trop admirer. Essonne peut, en effet, être considéré comme le type de l'or- ganisation ouvrière en France, où le patron est un père de fa- mille et n'est pas un usurier comme cela arrive le plus souvent en Angleterre. M. Gratiot sait bien qu'outre l'accomphssement d'un devoir, il y a une excellente spéculation à rendre bien por- tants, heureux, et par conséquent fixes les nombreux ouvriers qui concourent à la prospérité d'une usine. Voici ce qu'il a fait dans ce but : Une cité ouvrière a été créée, non pas une grande et triste ca- serne, mais de joKes maisons bien blanches, bien aérées, entou- rées de fleurs et d'arbres. Chaque logement se compose de trois pièces et d'une cave. Il coûte à l'ouvrier cinq francs par mois les deux premières LA PAPETERIE D'ESSONNE ^07 années, quatre, trois, deux et un franc les quatre autres, et au bout des six années, lui est acquis gratuitement, tant qu'il fait partie de l'usine. Un jardin sur les bords de la rivière est adjoint au logement. De grands réfectoires chauffés sont en outre dis- posés pour les ouvriers non mariés, un pour les hommes, l'autre pour les femmes. De vastes caves sont réservées pour abriter un jour les denrées coloniales et l'épicerie, qui seront achetées en gros et revendues au prix coûtant Deux fois par jour un marché se tient sur la place de la cité ouvrière, et permet aux ouvriers de s'approvisionner sans déplacement coûteux. Des bains gra- tuits, au nombre de vingt par jour, et quatre fontaines d'une eau légèrement ferrugineuse et d'un goût agréable desservent la cité ouvrière, l'usine est un asile-école récemment fondé. L'école et la salle d'asile attenante sont complètement gratuites; elles renferment : la première, une cinquantaine d'enfants; la seconde, soixante-dix environ; de plus, des adultes, en assez grand nombre, viennent le soir, après leur travail, apprendre à hre, à écrire et à compter, et reçoivent l'instruction rehgieuse. Une jolie cour, longée par des préaux couverts, mène à une gracieuse petite chapelle élevée de quelques marches. — Jeudi et dimanche, la messe est dite par le vicaire d'Essonne. Tous les soirs, prière à huit heures. Pendant le mois de mai, M™^ Gratiot, excellente musicienne, a bien voulu faire transporter son orgue à la chapelle et le toucher elle-même pour accompagner les can- tiques à la Vierge chantés par les jeunes filles de la papeterie. Un grand nombre d'ouvriers des deux sexes viennent assister à ces prières et à ces chants. Quatre sœurs de la Sainte- Enfance dirigent l'asile, l'école, et bientôt une infirmerie qu'on installe en ce moment. Un médecin, attaché à l'étabUssement, fait déjà tous les jours une visite aux frais de l'administration, qui fournit aussi les médicaments. Entln, la sollicitude de M. Gratiot n'abandonne pas ses ouvriers, même en cas de mort; elle les suit jusqu'à leur dernière demeure et paye leur enterrement» GRANDES USINAS Tant de bonnes et saintes pensées n'ont pas été stériles ; elles ont appelé sur Essonne la bénédiction du ciel. La population ouvrière de la Papeterie, heureuse, moralisée, vivant dans un paysage charmant, est pleine de santé et d'activité ; l'usine pro- spère et grandit, elle saura résister, nous l'espérons, à la dise'ao de matières premières, • et bientôt un petit embranchement du chemin de fer du Bourbonnais, pénétrant au centre même des atehers, après leur avoir apporté les houilles et les produits chi- miques de France, de Belgique et d'Angleterre, emportera et ira disperser dans le monde entier les papiers les meilleurs et sur- tout les moins chers. tIN DE LA TAPETEUIE u'ESS)FN'E SÈVRES La manufacture impériale de porcelaines de Sèvres est une des gloires incontestées de la France ; ses produits ont une supériorité si justement établie, que leur valeur atteint celle des plus belles fabrications de la Chine et du Japon, et dépasse de beaucoup toutes les poteries européennes, quelle que soit leur origine. Elle est la preuve la plus évidente de l'utilité des manufactures nationales,qui, loin de nuire à l'industrie privée, lui fournissent des leçons et des modèles, et maintiennent bien haut à l'étranger la réputation de la fabrique française. Alternativement soutenue et néghgée, elle a su toujours maintenir la perfection dans ses œuvres et est au- jourd'hui plus prospère que jamais, sous l'habile impulsion qui a su diriger ses travaux , en étendant leur action de la porcelaine dure à la porcelaine tendre, et même à la faïence. Ses chimistes, ' ses dessinateurs, ses peintres, ses doreurs, ses modeleurs, ses cui- seurs même, sont des savants et des artistes du plus grand mérite, véritablement amoureux de leur profession, et qui, fiers d'appar- tenir à la premièj'B usine du monde, préfèrent leurs modestes ap- pointements aux riches propositions du commerce, et croiraient déroger en faisant autre chose que des chefs-d'œuvre. i4e Ut. Paria. Typ. H. Pion. 210 GRANDES USINES Avant d'entreprendre la description détaillée de la manufacture telle qu'elle est installée aujourd'hui à Sèvres (autrefois Sèves) sur la route de Paris à Versailles, il nous faut donner un aperçu aussi résumé que possible de l'histoire de la céramique et surtout de la porcelaine, espèce de poterie particulière qui , comme nous le verrons plus tard, diffère entièrement des autres, et par sa nature et par ses usages. L'homme reçut de la nature les premiers vases : ce furent les cornes des animaux (xép^ç, d'où céramique) ; elles servaient à boire (TTdToç, d'où poterie.) A ceux qui n'avaient pas de cornes d'ani- maux, le limon des fleuves, la terre glaise entourant les sources, offrirent sans doute les premiers éléments de coupes ou de vases destinés à recueillir et conserver l'eau qu'ils venaient chercher. La fabrication de vases en terre a dû suivre immédiatement, dans l'ordre de la civiHsation, l'invention des armes et des vête- ments grossiers , et précéder de longtemps la métallurgie ; en effet, les matériaux sont à la surface du sol, faciles à manier et dociles à retenir la forme qu'ils ont une fois prise. On se contenta longtemps de terres simplement séchées au soleil ou cuites à un feu très-doux, fabrication élémentaire que; l'on retrouve chez les peuples encore sauvages : les Cafres font ainsi les énormes jarres où ils serrent leur grain ; les Brésihens, les Péruviens, les Mexicains modelaient de cette façon les urnes; énormes dans lesquelles ils conservaient leurs morts. Le célèbre tonneau de Diogène n'était pas autre chose qu'une jarre à l'huile; assez grande pour servir de demeure au philosophe. • Mais cette poterie poreuse et non vernie ne pouvait avoir que des usages domestiques très-restreints, elle était donc consacrée principalement aux usages religieux et funéraires ainsi qu'à l'or- nementation. Les potiers étaient honorés et considérés comme artistes ; chez les Grecs, on avait pour cet art une telle passion qu'on érigeait des statues à ceux qui l'exerçaient , que l'on frappait des médailles rappelant non-seulement leur nom, mais encore celui des artistes qui leur avaient donné des formes. C'est ainsi que SÈVRES nous sont parvenus les noms de Dibutade, de Corebus, Thériclès, Chérestrate, etc., et que nous savons que les sculpteurs Phidias et Mison ne dédaignaient pas de leur préparer des modèles. Les poètes eux-mêmes chantaient leurs travaux, ainsi que le prouve ce fragment d'Hérodote : ^ « Le lendemain, des potiers en argile qui travaillaient à cuire des vases de terre et mettaient le feu aux fourneaux aperçurent Homère, dont le mérite leur était déjà connu; ils l'appelèrent et l'engagèrent à leur chanter des vers, promettant, pour prix de sa complaisance, de lui donner quelques vases, ou toute autre chose de ce qu'ils possédaient. Homère accepta leurs offres, et se mit à chanter la pièce de vers qui depuis a été nommée le Four-- neau ; la voici : <' 0 vous qui travaillez l'argile, et qui m'offrez une récompense, « écoutez mes chants! Minerve, je t'invoque; parais ici, et prête ta « mam habile au travail du fourneau; que les vases qui vont en « sortir, et surtout ceux qui sont destinés aux cérémonies religieu- « ses, noircissent à point ; que tous cuisent au degré du feu conve- «nable, et que, vendus chèrement, ils se débitent en grand « nombre dans les marchés et les rues de nos cités ; enfin, qu'ils « soient pour vous une source abondante de profits et pour moi « une occasion nouvelle de vous chanter, etc.. » Les Égyptiens, les Grecs, les Romains et tous les peuples an- ciens qui ont laissé sur la terre des traces certaines de leur civi-- Hsation se servirent d'abord de ces vases peu ou pas cuits, con- curremment avec les vases de bois, de corne, d'ivoire, d'or, d'argent ou de cuivre; à certaines époques difficiles à préciser' ils trouvèrent des moyens ingénieux de faire cuire leurs poteries à de hautes températures et même de les glacer avec une couche de terre vitrifiable; ils purent ainsi les rendre parfaitement imper- méables. Ces glaçures étaient silico-alcahnes, et on en retrouve rapplication sur des poteries italo-grecques, romaines, et même arabes, persanes et américaines. Mais toutes ces poteries sont opaques, très -fragiles, et affectent GRANDES USINES des formes le plus souvent gracieuses, il est vrai, mais qui nous paraissent parfaitement incommodes pour la plupart. A l'excep- tion des lampes, des jarres, des cruches et de quelques autres poteries grossières, il est souvent diificile de se rendre compte de l'usage auquel pouvaient servir ces fioles à col étranglé, à anses démesurées pour leur corps, ces coupes presque plates où quel- ques gouttes de liquide pouvaient à peine tenir, tous ces vases à formes de monstres, de reptiles, d'oiseaux, d'hommes, affectant quelquefois une révoltante obscénité. La plupart d'entre eux ayant été retrouvés dans des tombeaux ou des cryptes, on peut croire qu'ils servaient à contenir des huiles ou des parfums consacrés aux dieux. Pendant toute la durée du mouvement barbare qui mit fm à la constitution de l'ancien monde et prépara l'organisation dù nou- \eau, les historiens et les poètes ne parlent guère que de vases en métal. En effet, on se figure peu une vaisselle fragile promenée sur les chariots des Germains et des Huns^ ou bien dans les bar- ques des Danois et des Normands. Ce ne fut guère qu'après les croisades que la céramique reprit faveur, surtout lorsque, vers 1^83, un potier de Schelestadt eut trouvé le procédé, peu hygiénique, mais facilement applicable, de vernir les faïences avec une composition dans laquelle le plomb entre pour une notable proportion. Pendant ces temps d'ignorante barbarie, un peuple dont on commence à apprécier les hautes quahtés industrielles se hvrait avec ardeur aux recherches chimiques et inventait l'admirable poterie nommée aujourd'hui porcelaine («). Quelques archéo- logues veulent que cette invention ait eu lieu dans les temps fabuleux de l'histoire déjà si fabuleuse de la Chine, mais les sa- vantes recherches de M. Stanislas JuUen (^) établissent que c'est seulement dans le siècle qui procède l'ère chrétienne que la por- {à) Ainsi nommée, dit-on, parce qu'elle ressemble au coquillage nommé par le Mm porcellina c\i por. cellana. ^b) Dans son Hi$loire et fubricution de la Porcelaine chinoiscj annotée par M. Salvélat. SÈVRES 2Vd celaine est mentionnée pour la première fois d'une manière ir- récusable dans le pays de Sin-p'ing, sous la dynastie des Han. La poterie commune existait déjà depuis longtemps en Chine, puisque sous le règne de Hoang-ti, vivant en 2l698 avant notre ère, il y avait un intendant de la poterie nommé Ning-fong-tse, et que Chunéimt poiier près de Chang-tong, en 2255 avant Jésus- Christ, lorsqu'il fut nommé empereur. Une fois la porcelaine trouvée, elle fut insensiblement portée au plus haut degré de perfection par la protection des souverains : un décret de 583 ordonne aux porcelainiers de King-te-tchin, pays qui a conservé encore aujourd'hui la plus grande réputation dans cette industrie, de fabriquer de la porcelaine pour l'usage de l'em- pereur, et de la lui apporter dans sa capitale de Kien-hang. Les premières porcelaines étaient bleues ; un nommé Ho-tchong-thsou (621) en fabriqua de blanches d'une grande beauté qui eurent une vogue assez prolongée. En 954, l'empereur Chi-Tsong a donné son petit nom Tchaï à une sorte de porcelaine fort estimée que l'on fabriqua sous son règne, et qui prit le nom de Tch'aï-yao. Un porcelainier de lapr()vince de Pien, aujourd'hui, Khaï-fong- fou, avait solHcité de l'empereur une commande pour le palais impérial; Chi-Tsong lui fit répondre que « les porcelaines pour l'usage du palais devaient être bleues comme le ciel qu'on aperçoit après la pluie dans Vintervalle des nuages. » Le fabricant se mit à l'œuvre et réussit à remphr le programme et à faire les porce- laines appelées depuis Yu-kouo-thien-tsing [hleu du ciel après la pluie). « Elles étaient, dit l'auteur chinois, traduit par M. Stanislas Juhen, bleues comme le ciel, brillantes comme un miroir, minces comme du papier, sonores comme un khing (instrument de mu- sique), polies et luisantes, et se distinguaient autant par la finesse des veines ou de la craquelure que par la beauté de la couleur. » Ces porcelaines étaient si estimées dans les siècles suivants, que les morceaux, quand on pouvait s'en procurer à grand prix, ser- vaient à faire des bijoux et des colhers. GRANDES USINES Plus tard, on orna les vases de peintures de toutes couleurs, accompagnées de dorures; on modela et on bossela la pâte de manière à figurer les objets ou les préoccupations à la mode. Vers 1430, un nommé Lo et deux sœurs, Ta-Sieou, et Siao-Sieou, devinrent célèbres en modelant et peignant des coupes représen- tant des combats de grillons, jeu favori des Chinois, dans la pé- ~ TÏode Sioiœn-ie, vers 1567. Souvent aussi les Chinois représentaient des sujets peu con- venables; ainsi, vers la fm du seizème siècle, on exécuta une série de peintures licencieuses, appelées Pi-hi, ou jeux secrets; on les nommait aussi Tch'un-hoa, peintures de printemps. « Dans les périodes Long-Khing (1567-1572) et Wan-h (1573- 1619), un homme de Ou-men, dit M. Stanislas Julien, dont le nom était Tcheoii-lan-ts'iouen, vint se fixer à Tchang-nan, aujourd'hui King-te-tchin, et se mit à y fabriquer de la porcelaine. C'était un des artistes les plus renommés de son temps. Il excellait surtout dans l'imitation des vases antiques. Dès qu'un vase était sorti de ses mains, tous les amateurs d'objets d'art se le disputaient à l'envi et voulaient l'acheter à prix d'or. Tcheou avait un caractère ori- ginal. Il se plaisait à porter lui-même ses porcelaines d'un endroit à l'autre, chez les antiquaires dont il connaissait le goût pas- sionné. Les plus habiles connaisseurs y étaient pris. 11 avait le talent d'imiter (en porcelaine) les trépieds, les cassolettes, les vases sacrés à figures d'animaux, à anses lanciformes, du temps de Wen-wang. Ils approchaient tellement de la vérité, que nul n'en savait faire la différence, de sorte qu'on ne regardait pas à mille onces d'argent (7,500) («) pour en payer un seul. Aujour- d'hui on en parle encore avec admiration. Il nous suffira de citer un exemple de son habileté merveilleuse. Un jour il monta sur un tateau marchand de Kin-tchong et se rendit sur la rive droite du fleuve Kiang. Comme il passait à (a) Suivant M. Natalis r.ondot, à cette époque mille onces d'argent équivalaient à 2r;,000 francs de notre monnaie. SÈVRES 215 Pi-ling («), il alla rendre visite à Thang, qui avait la charge de Thaït-ch'ang (président des sacrifices), et lui demanda la permis- sion d'examiner à loisir un ancien trépied en porcelaine de Ting, qui était l'un des ornements de son cabinet : avec la main il en obtint la mesure exacte; puis il prit l'empreinte des veines du tré- pied à l'aide d'un papier qu'il serra dans sa manche, et se rendit sur-le-champ à King-te-tching. Six mois après il revint, et fit une seconde visite au seigneur Thang. Il tira alors de sa manche un trépied et lui dit : « Votre Excellence possède un trépied casso- lette en porcelaine blanche de Ting ; en voici un semblable que je possède aussi. » Thang fut remph d'étonnement. Il le compara avec le trépied ancien, qu'il conservait précieusement, il n'y trouva pas un cheveu de différence : il y appliqua le pied et le couvercle du sien et reconnut qu'ils s'y adaptaient avec une admi- rable précision. Thang lui demanda alors d'où venait cette pièce remarquable. — « Anciennement, lui dit Tcheou, vous ayant demandé la permission d'examiner votre trépied à loisir, j'en ai pris avec la main toutes les dimensions. Je vous proteste que c'est une imitation du vôtre; je ne voudrais pas vous en imposer. » Le Thaï-tch'ang, convaincu de la vérité de ses paroles, acheta au prix de quarante onces d'argent (300 fr.) ce trépied qui faisait son admiration, et le plaça dans son musée, à côté du premier, comme si c'eût été un double Dans la période Wan-li (1573-1619), Thou-Rhieou, du pays de Hoaï-ngan, vint à Feou-Liang; épris d'un engouement passionné pour la cassolette antique de Thang, il ne faisait qu'y songer et se la figurait même au milieu de ses rêves. Un jour il accompagna K.ien-yu, neveu du Thaï-tch'ang, et après bien des instances, il obtint de celui-ci, pour mille onces d'argent (7,500), la cassolette imitée par Tcheou et s'en revint plein d'allégresse. » Les plus célèbres porcelainiers chinois sont Nien-hi-yao et Thang-ing, qui dirigèrent la fabrique impériale de King-te-tchiu (a) Aujourd'hui Kiaiig-in, dépendant de Thang-tcheou-fou, dans le Kiang-an 216 GRANDES USINES pendant la fin du dix-huitième siècle et qui poussèrent leur industrie aux dernières limites, tout en sachant imiter avec une rare perfection les plus belles pièces des anciens fabricants. Le dernier fit même, par ordre de l'empereur régnant, un traité et un atlas figurant en vingt-deux planches, toute la fabrication et rornementation de la porcelaine. On pourra se faire une idée de ce qu'était Factivité de l'industrie porcelainière en Chine par ta citation suivante d'un mémoire fourni par la seule manufacture impériale : « Plats à fleur, 31 ,000; assiettes blanches, avec des dragons bleus, 16,000 ; coupes à fleur pour le vin, avec deux dragons.au miUeu des nuages, 18,400;. plats fond blanc, avec des fleurs bleues et des dragons tenant dans leurs griffes les mots fô (bonheur) eicheou (longévité), 11,250, » et rénumération comprend ainsi cinq pages in-quarto. On comprend facilement, du reste, combien l'usage de la por- celaine dut se répandre rapidement dans un pays où les boissons chaudes, comme le thé, sont d'un si fréquent usage. En eflet, la porcelaine, la terre cuite ou le verre, ne se laissent pas, comme les métaux, traverser par la chaleur. Les Occidentaux , usant de boissons froides, comme le vin et l'hydromel, la bière ou le cidre, pouvaient se servir de vases conducteurs de la chaleur. Il est impossible d'admettre l'usage du thé ou du café sans porcelaine. Dès l'an ^7 avant Jésus-Christ le Japon, voisin de la Chine, recevait les premiers éléments de l'industrie porcelainière d'un prince de Sin-ra en Corée, qui vint s'étabhr dans les îles japo- naises. Longtemps après, en 1211, Katosiro-Ouye-Mon, fabricant japonais, se rendit en Chine pour y faire une éducation complète de porcelainier, et, à partir de cette époque, la fabrication japo- naise atteignit et surpassa souvent la fabrication chinoise. Pendant que les Chinois et les Japonais atteignaient ainsi le plus haut degré de l'art céramique, l'Europe fabriquait avec peine des émaux et des poteries fort agréables au point de vue d'un certain art naïf qui fait encore aujourd'hui l'admiration des antiquaires SEVRES 217 lïiomanes, mais ne pouvant servir qu'à des usages très-restreints puisqu'ils ne pouvaient supporter l'actioa du feu. Lucca délia Robbia, à Florence, vers 1430, Orazio Fontana, à Pesaro, vers 1540, découvrirent et portèrent au plus haut degré de perfection la belle faïence connue sous le nom majo- lica di terra invetriata. Les ducs de Toscane, ei surtout Guido- baldo délia Rovera, admirant ces belles productions, en favori- sèrent la fabrication par tous les moyens possibles, et arrivèrent ainsi à faire exécuter de magnifiques ouvrages, dignes d'être offerts en présents aux souverains de leur temps, et même à l'em- pereur Charles-Quint. En France, vers 1530, époque à laquelle les premières porce- laines de Chine arrivaient en Europe sur les vaisseaux portugais, Bernard Pahssy, dont l'histoire est si connue, jusqu'au jour de sa prospérité, en était encore à se lamenter. « Toutes ces fautes, disait-il («), m'ont causé un tel labeur et tristesse d'esprit, qu'auparavant que j'aye eu mes émaux fusibles à un même degré de feu, j'aie cuidé entrer jusques à la porte dusépulchre. Aussi, en me travaillant à telles affaires, je me suis trouvé l'espace de plus de dix ans si fort escoulé en ma personne, qu'il n'y avait aucune forme ny apparence de bosse aux brasny aux jambes : ains estoient mes dites jambes toutes d'une venue; de sorte que les hens de quoy j'attachais mes bas de chausses estoient, soudain que je cheminois, sur mes talons... J'étois mé- prisé et moqué de tous... L'espérance que j'avois me faisoit pro- céder en mon affaire si virilement, que plusieurs fois, pour en- tretenir les personnes qui venoyent me voir,jefaisoismes efforts de rire, combien que intérieurement je fusse bien triste... J'ai été plusieurs années que, n'ayant rien de quoy faire couvrir mes fourneaux, j'étois toutes les nuits à la mercy des pluyes et vents sans avoir aucun secours, aide, ny consolation, sinon des chats- (a) Dcniard Palissy, cité par M. Figuier dans son livre si utile : Grandes Invenliont icientifiqyei et industriella. 218 GRANDES USINES huants qui chantoyent d'un costé et les chiens qui hurloyent do l'autre. . . Me suis trouvé plusieurs fois qu'ayant tout quitté, n'ayant rien de sec sur moy à cause des pluyes qui estoient tombées, je m'en allois coucher à la minuit ou au point du jour, accoustré de telle sorte comme un homme que l'on auroit traîné par tous les bourbiers de la ville ; et, m'en allant ainsi retirer, j'allois bricollant sans chandelle, et tombant d'un costé et d'autre, comme un homme qui seroit ivre de vin, rempli de grandes tris- tesses!... » Enfin il parvint à émailler la terre, et prit le titre d'ouvrier de terre et de rustiques figulines du roi. Il n'appliqua guère son intel- hgenee et ses études qu'à la création de jardins en faïence, ornés de grottes et de ruisseaux, sur le bord desquels il plaçait des gre- nouilles, des serpents et des lézards; il faisait parfois, mais très- rarement, des plats et des jattes ornés de figures, qui, au besoin, pouvaient être utihsés. Palissy ne répandit en aucune façon l'art qu'il avait inventé, car il ne laissa pas d'élèves et cacha ses procédés. Ce fut vers la fin du seizième siècle que la faïence com- mença à devenir usuelle en France; de Thou en attribue la gloire à Henri IV : « 11 éleva, dit-il, des manufactures de faïence, tant blanche que peinte, en plusieurs endroits du royaume : à Paris, à Nevers, en Saintonge, et celle qu'on fit dans ces atehers fut aussi belle que la faïence qu'on tirait d'Itahe. Quant au nom de faïence, il est dû non point à Fae^iza, mais au petit bourg de Faïence, près Fréjus, situé en Provence, dont les atehers avaient déjà, selon Mézeray, une grande répu- tation en 159^. Ce qui prouve combien la faïence était encore un objet pré- cieux, même vers le commencement du dix-huitième siècle, c'est que l'histoire a conservé le nom de celui qui trouva h moyen d'utihser une faïence- cassée en recousant les fragments avec des agrafes de fil d'archal. Ce fut un nommé Delille, du village de Montjoie, en basse Normandie, qui eut cette idée. SÈVRES 219 Appelé et employé pour son talent, dans la plupart des cuisines, son exemple entraîna quelques autres personnes vers cette petite industrie. Les faïenciers, à la vente desquels ils nuisaient, vou- lurent la leur interdire, et ils leur intentèrent un procès. Leur inique avidité succomba, et la profession des raccommodeurs de faïence fut déclarée libre. L'introduction de la porcelaine, c'est-cà-dire d'une poterie dure, compacte, imperméable, dont la cassure, quoiqu'un peu grenue, présente aussi, mais faiblement, le luisant du verre, et qui est essentiellement translucide, quelle que soit cette transluci- dité, cette introduction n'eut lieu que par degré, et par des voya- geurs arrivant de l'Orient. Ceîixqui se servaient de cette nouvelle poterie n'en connaissaient aucunement la nature; ainsi au seizième siècle, Pancirole, dans son livre Des choses perdues et inventées, avançait que c'était une composition faite avec du plâtre, des blancs d'œufs et des écailles de coquilles marines qu'on tenait enfouies en terre pendant quatre-vingts ans, de sorte qu'un ouvrier qui entre- prenait cette profession ne travaillait que pour sa postérité. Cette vaisselle devint tellement à la mode dans le courant du dix-sep- tième siècle, que l'on ne donnait plus ni un festin ni une colla- tion un peu recherchée sans l'admettre concurremment avec la vaisselle d'or et d'argent. — Loret, dans la description d'un festin vraiment royal que donna en 1653 le cardinal Mazarin, insiste sur la prodigalité avec laquelle ce ministre Traita deux rois, traita deux reines. En plats d'argent, en porcelaines. Mais, après avoir admiré les porcelaines de Chine et du Japon, le dix-septième siècle commença à vouloir imiter ces vases auxquels la mode donnait alors un si grand prix. — Fabricants de faïence, chimistes, princes même firent d'incroyables efforts ' • »pour arriver à ce résultat. On fit venir des matières première de la Chine, mais elles avaient déjà subi une préparation, et la chi- mie d'alors n'était pas assez avancée pour en faire l'analyse; en- 220 GRANDES USINES fin le hasard le plus singulier venant à rencontrer des travaux d'un homme de génie, créa la porcelaine de Saxe en I7i 1 . ~ Un nommé Bœttger, alchimiste fort considéré à la cour de Prusse lous le règne de Frédéric-Guillaume vint s'étabHr à Dresde, chez Frédéric-Auguste de Saxe, protecteur déclaré de ce genre de travaux. Ce prince le fit recevoir dans le laboratoire de Tschirn- haus, qui travaillait déjà à Dresde. Ces deux chimistes, cher- chant une terre qui pût leur donner des creusets résistant aux plus hautes chaleurs, se servirent d'une argile rouge d'Okylla, près Meissen. Cette argile leur donna une poterie rouge, dense, sohde et très-dure, mais sans aucune translucidité. On l'appelle pom- peusement porcelaine rouge. Auguste fit assigner à Bœttger un laboratoire dans le palais d'Albert, à Meissen, le combla de tout ce qui pouvait lui être agréable, alla jusqu'à lui donner une voiture pour aller à Dresde aussi souvent qu'il le voudrait, mais lui adjoignit un officier qui avait défense absolue de le quitter. Lorsqu'on 1706 Charles XII rentra en saxe, l'électeur fit enlever Boettger, Tschirnhaus et trois de leurs ouvriers sous une forte escorte de cavalerie, qui les conduisit dans la forteresse de Kœnigstein, où ils continuèrent leurs travaux. Us revinrent ensuite à Dresde; et, malgré leurs recherches et leur persévérance, ils ne purent arriver à faire qu'un grès rouge fort beau, extrêmement solide du reste. Enfin, Tschirnhaus mourut en 1708, et Bœttger continua ses travaux à peu près infructueux. Le savant était prêt; manquait le hasard pour lui mettre dans les mains la terre blanche, trans- lucide à la cuisson, qui devait lui donner enfin une porcelaine exactement semblable à celle de la Chine et du Japon; le hasard se manifesta en faisant trouver le kaolin à Jean Schnorr («) . On (a) L'histoire de Bœtthcher ou Bœttger, comme l'écrit Engelhardt, n'est pas moins intéressante, moii:s piquante que celle de Bernard Palissy, quoique d'un caractère bien différent. 11 est né, dit M. Klemm, le 4 février 1G82, à Schlaiz en Voigtland, ou en 1G83, suivant son histcrici, Engelhardt. Il a été élevé en grande partie à Magdebourg où son père avait des fonctions à la Monnaie. Celui-ci prétendait avoir trouvé la pierre philosophale et en avoir transmis le secret à son fiis. Bœttger était superstitieux et mettait une certaine impoi tance à être enfant du dimanche, prétendant que cette circon- stance lui donnait la faculté de lire dans l'avenir. Ses travaux secrets d'alchimie le rendant peu zélé aux travaux de la pharmacie, il opéra sa première fuite SÈVRES 221 pin, oiifm étoblir une fabrique à Alberchtsburg, près Meissen, où l'on s'étudia à imiter si partaitement les porcelaines de Chine et du Japon, qu'aujourd'hui encore on peut à peine les distingue.* de la porcelaine de Saxe, si l'on ne fait attention que cette der- nière porte toujours pour marque deux épées en croix. Il n'y eut alors sorte de trahisons que les souverains et les grands seigneurs de l'Europe n'inventassent pour surprendre les secrets de la fabrication de Meissen. D'un autre côté, les précau- tions prises pour s'assurer le secret jusqu'au tombeau étaient portées au delà de toute expression ; les menaces les plus ter- ribles étaient affichées chaque mois à la porte des ateliers : il n'y allait pas moins que de la prison à perpétuité. Du reste, en abandonnant la pharmacie de Zorn. Mais il y revint bientôt et continua de se livrer à ses rccherclies d'al- chimie. Il apprit bientôt que le roi de Prusse, informé de ses espérances et de ses succès, voulait lui arra- cher ses secrets ; il prit une seconde fois la fuite. Le roi le lit poursuivre ; on l'arrêta en Saxe ; mais l'électeur ne voulut pas le livrer, le fit enlever de wittcnberg, et gardant pour lui ce fabricant d'or, comme ou l'appelait, il lui fit continuer ses recherches alchimiques secrètement et sous une active surveillance, égale a une vraie captivité ; il était presqu'au secret. Le roi soupçonna bientôt que ces recherches étaient sans succès, peut-être sans réalité, et Bœttger, qui probablement les avait entreprises de bonne foi, com- mença a voir aussi qu'elles étaient illusoires. Il était inquiet de ccf.j position, lorsque Tschirnhaus le remit sur la voie de la recherche de la porcelaine dont les succès devaient avoir des résultats moins brillants et des avantages moins rapides que ceux de la fabrication de l'or, mais plus probables et très-avantageux. Il s'y livra donc avec l'aide de son compagnon, mais toujours sous une surveillance très-sévère, jusqu'au moment où, ayant fait d'abord des grès durs et rouges, poterie cependant déjà connue, il arriva à connaître le kaolin d'Aue, base de la porcelaine de Saxe, par un hasard aussi singulier que ceux qui firent connaître les kaolins de Saint-lrieix et de Passaw, le silex de la faïence fine, etc. En 1711, Jean Schnorr, un des plus riches maîtres de forges de l'Erzgebirge, passant à cheval près d'Aue, remarqua que les pieds de son cheval enfonçaient dans une terre blanche et molle dont il avait j.cine à se tirer. L'usage général de la poudre en faisait alors un objet de commerce considérable. Schnorr, négociant calculateur, vit dans cette terre un moyen de remplacer la farine de froment pour cette fabrication; il en m- porta donc un échantillon à Carlsfeld, et en fit préparer en effet de la poudre qu'il vendit en grande quantité à Dresde, à Leipzig, Zittau, etc. Bœttger en ayant, comme les autres, fait poudrer sa perruque, remarquî que cette poussière blanche avait un poids inaccoutumé; il interrogea son valet de chambre (Hlunker) sur l'origine de sa poudre. Ayant appris qu'elle était terreuse, il l'essaya, et à sa grande joie il s'aperçut qu'il avait enlin trouvé la matière longtemps cherchée qui sert de base à la porcelaine blanche; car, jusque-la, il n'avait pu faire que des grès rouges, qui, quoique bien inférieurs à la porcelaine chinoise, avaient eu une grande vogue en Saxe, lors; de leur apparition. Le kaolin continua d'être connu dans le commerce sous le nom de Schnorrischen weissen Erde (terre de Schnorr). Son exploitation était défendue sous les peines les plus sévères, et on le faisait transporter à la fabrique par des gens assermentés et dans des tonnes scellées. Les précautions prises pour assurer le secret sur tout ce qui intéressait la fabrication de la porcelaine étaient por-iées au delà de ce qu'on pourrait croire. Le point fondamental des instructions données à tcus ceux qui y travaillaient depuis le premier jusqu'au plus simple ouvrier était « secret jusqu'au tombeau 1 » Cette instruction était répétée aux principaux chefs tous les mois et affichée pour les inférieurs à la porte des ateliers. Quiconque trahissait un des secrets était menacé par le roi d'être enfermé pour la vie comme prisonnier d'État à la forteresse de Kœnigstein. ^ , l,a fabrique d'Albtechtsburg, près Meissen, était traitée en véritable place forte, dont le pont-levis n'était abaissé que la nuit, et l'entrée interdite à quiconque n'en faisait pas partie, et lors même que le roi y amcBiit des étrangers de maïque, il était enjoint de cacher avec soin les secrets (arcanes). BnoNGNiART. — Traité des aria céramiquei. GRANDES USINES la fabrique était convertie en place Ibi-le avec fossés ei poni- levis. Malgré toutes ces précautions, le secret s'envola et s'éparpilla' dans toute l'Europe. Alors à la recherche du procédé succéda la recherche du kaolin. Chaque nation en trouva petit à petit et par différents hasards. Ainsi, à Rudolstadt, en ïhuringe, vers 1758, c'est une vieille femme qui apporta au chimiste Macheleid une poudre à sécher l'écriture, poudre dans laquelle le fils du chimiste reconnut du kaolin. - La Russie et le Danemark n'eurent de por- celaine que vers la fin du dix-huitième siècle. Que se passait-il donc en France pendant ce temps? On fiiisait de la porcelaine tendre, c'est-à-dire une matière Wanche, translu- cide, d'un aspect extérieur analogue à celui de la porcelaine de Chine et de Saxe, mais ne pouvant supporter sans se fendre une température trop élevée. La composition de cette matière et sa cuisson étaient bien plus difficiles et bien moins sûres que celles de la porcelaine à kaohn. Cependant, grâce à de nombreux tra- vaux, on fit de ravissantes réortations, très-recherchées mainte- nant sous le nom de Vieux-Sèvres, quoique la Manufacture ne soit pas 1 origine première de la porcelaine tendre. C'est à Saint-Cloud, vers 1696, qu'un sieur Morin produisit une espèce de porcelaine dont l'exploitation assez fructueuse se continua sous la direction des sieurs Chicoineau : vers 1717 un jésuite français, nommé d'EntrecoUes, fit un mémoire sur les procèdes des Chinois: mais, dit Legrand d'Aussy, « comme il annonçait que les deux matériaux principaux des Chinois étaient le kaolin et le pétunsé, on fut effrayé sans doute de ces noms étrangers ; l'on ne crut pas possible que la France pût four- nir des terres qui s'appelassent ainsi à Nankin, et le mémoire du missionnaire resta sans effet. Seulement, quelques-unes de nos faïenceries firent en porcelaine grossière des manches de couteaux pour la table. On fit de même, à Paris, des pommes de cannes qu'on nomma pour leur forme becs de cor- bm, et qui eurent beaucoup de vogue, parce qu'elles étaient SÈVRES 223 ornées d'or et enjolivées de différentes couleurs; mais toutes ces nouveautés futiles ne produisaient pas de porcelaine. » Le duc d'Orléans, régent de France, fit établir à Chantilly une manufacture de porcelaine dirigée par les frères Dubois^ transfuges de la fabrique Chicoineau, et qui abandonnèr.i bientôt Chantilly pour se réfugier « au château de Vincennes dans la tour du Diable, où ils ont resté pendant quelque temps à faire des essais de pièces qu'ils allaient vendre en cachette à Paris , » dit le curieux manuscrit d'un sieur Millot, chef des fours à Sèvres , dont le mémoire est une véritable odyssée. M. Orry de Fulvy, intendant des finances et frère du ministre du même nom, ayant acheté le secret des Dubois à un nommé Gra- vant, leur associé, forma une compagnie de huit commanditaires qui exploita la porcelaine tendre h Vincennes jusqu'en 1753, épo- que à laquelle le roi Louis XV s'intéressa pour un tiers dans l'entreprise. On construisit alors sur la route de Sèvres, et pour se rapprocher de la cour, un bâtiment spacieux sur l'emplace- ment de la maison de Lulli. En 1760, le roi remboursa la com- pagnie, acheta la manufacture, lui assura un fonds de 96,000 fr. par an, et la mit sous la direction de M. Boileau. Voici, d'après V Encyclopédie , l'arrêt qui consacra la fondation de la Manufacture de Sèvres : Un arrêt du conseil, du 17 février 1760, a résilié le privilège ci-devant accordé à la manufacture de Sèvres, près de Saint-Cloud, et porte qu'à commencer du 1er octobre 1759, cette manufacture et tout ce qui en dépend appartiennent et appartiendront à Sa Majesté. ^ . Suivant l'article 8 de ce même arrêt, « celte manufacture continuera d'être ex- ploitée sous le titre de manufacture de porcelaine de France. Elle jouira, con- formément aux arrêts des 24 juillet 1745 et 19 août 1753, du privilège exclusif de faire et fabriquer toutes sortes d'ouvrages et pièces de porcelaines peintes ou non peintes, dorées ou non dorées, unies ou de relief, en sculpture, fleurs ou figures. Fait de nouveau Sa Majesté défenses à toutes personnes, de quelque qua- lité et condition qu'elles puissent être, de fabriquer et faire fabriquer, sculpter, peindre ou dorer aucuns desdits ouvrages sous quelques formes que ce puisse être, et de les vendre ou débiter , à peine de confiscation, tant des dites porce- laines que des matières et ustensiles servant à leur fabrication, de la destruction des fours, et de trois mille livres d'amende pour chaque contravention , appli- GRANDES USINES cables, un tiers au dénonciateur, un tiers à l'hôpital général, et l'autre ticr»^ à ladite manufacture royale. « Sa Majesté, voulant néanmoins favoriser les privilèges particuliers qui auraient été ci-devant obtenus, et qui pourraient être dans la suite renouvelés par la fa- brication de certaines porcelaines communes, poterie à pâte blanche ou faïence, permet aux fabricants desdites porcelaines communes d'en continuer la fabrication en blanc, et de les peindre en bleue façon de Chine seulement : leur fait Sa Majesté très -expresses inhibitions et défenses , sous les peines ci-dessus, d'employer au- cune autre couleur, et notamment l'or, et de fabriquer aucunes figures, fleurs de relief, ou autres pièces de sculpture, si ce n'est pour garnir et coller auxdits ouvrages de leur fabrication. « A l'égard des fabricants de poteries à pâte ou faïence. Sa Majesté leur permet d'en continuer l'exploitation, sans néanmoins qu'ils puissent les peindre en fond de couleur, en cartouches ou autrement ; ni employer l'or, sous les mêmes peines ; à l'effet de quoi Sa Majesté a dérogé et déroge, en tant que de besoin, et pour ce regard, auxdils privilèges. » Par autre arrêt du conseil du 17 janvier 1787. Art. I. Tous les entrepreneurs de manufactures de porcelaines, établies tant dans la ville et faubourg de Paris que dans la distance de trente lieues de ladite ville, autres que ceux dont les établisse- ments ont été formés antérieurement au 16 mai 1784, seront tenus de remettre entre les mains du contrôleur des fir.ancps les titres en vertu desquels ils se sont établis, et ce dans le délai de trois mois, à compter de la date du présent arrêt ; passé lequel délai ils ne pourront, sous quelque prétexte que ce puisse être, conti- nuer l'exploitation de leur étabhssement, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné. Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes d'en former de pareils à l'avenir, sans y avoir été spécialement autorisées par l'arrêt rendu en son conseil, sur le rapport qui lui sera fait par son contrôleur général des fmanoes, après avoir pris l'avis du commissaire de Sa Majesté pour la manufacture royale de porcelaines de France, à qui la demande sera communiquée. II. Toute personne qui ayant obenu, même antérieurement au 16 mai 1784, la permission d'étabhr une manufacture de porcelaines, n'en aura pas fait usage, ou qui après l'avoir étabhe, en aura cessé l'exploitation, ne pourra la reprendre sans y être autorisée de la manière et dans la forme ci-dessus prescrite. III. Fait Sa Majesté inhibitions et défenses aux entrepreneurs des manufactures établies antérieurement à ladite époque du 16 mai 1784, et qui sont actuellement en activité, de céder et transporter le droit qu'elle leur accorde d'en continuer l'exploitation à d'autres qu'à leurs enfants et descendants en ligne directe, à moins que les personnes auxquelles ils se proposent de faire lesdites cessions et transports, n'aient préalablement obtenu un arrêt qui les autorise à exploiter lesdits établis- sements. IV. Fait pareillement défenses Sa Majesté à tous entrepreneurs de manufactures de porcelaines, de fabriquer aucuns des objets réservés à la manufacture royale par l'arrêt du 16 mai 1784, à moins qu'ils n'en aient valablement obtenu la permis- sion, laquelle ne pourra leur être accordée qu'après que la perfection de leur fabri- cation aura été constatée dans un concours qui aura lieu tous les ans à cet effet, en présence des commissaires choisis par Sa Majesté ; et néanmoins les manufactures SÈVRES 225 de la Reine, de Monsieur, de M. le comte d'Artois et de M. le duc d'Angoulême, seroQt reconnues dès à présent comme ayant satisfait à ladite épreuve, et jouiront en conséquence de ladite permission, sauf et excepté que lesdites manufactures, ni aucune autre établie ou qui pourrait s'établir par la suite, ne pourront fabriquer aucun ouvrage à fond d'or ni aucun ouvrage de grand luxe, tels que les tableaux de porcelaine et les ouvrages de sculpture, soit vases, figures, groupes excédant dix-huit pouces de hauteur, non compris les socles, lesquels demeureront réservés à la manufacture royale de porcelaine de France exclusivement à toute autre. V. Défend Sa Majesté à tous entrepreneurs de manufactures de porcelaines éta- blies dans son royaume, de contrefaire aucunes figures, groupes et animaux de porcelaine qui auront été fabriqués dans sa manufacture de France, à peine de saisie, confiscation et de trois mille livres d'amende; leur enjoint expressément de mettre sur chacune des pièces qu'ils fabriqueront une marque très-distinctement énonciative de la dénomination de leur fabrique et de leur demeure. VI. Lesdits entrepreneurs seront tenus de faire travailler dans les ateliers de leurs manufactures tous les ouvriers qu'ils emploieront, et ne pourront, sous quelque prétexte que ce puisse être, donner aucun ouvrage à travailler en ville. VII. Fait pareillement défense aux faïenciers, colporteurs ou autres particuliers, de faire monter des moufles pour cuire des couleurs sur des porcelaines ; comme aussi de tenir en magasin, vendre ou colporter aucunes marchandises non mar- quées ; de contrefaire ou d'altérer les marques dont elles auront été revêtues, et co à peine de trois mille livres d'amende, d'interdiction de leur commerce et même de prison. VIII. Fait également défense Sa Majesté, sous peine de trois mille livres d'amende, auxdits faïenciers, colporteurs et autres, de faire peindre ou décorer aucunes mar- chandises blanches provenant, soit de la manufacture de France, soit de tout autre établissement pareil; comme aussi de cuire ou faire cuire dans leurs fours aucunes figures imitant le biscuit. IX. Maintient au surplus Sa Majesté sa manufacture royale de porcelaines de France dans les droits et privilèges qui lui ont été accordés par les arrêts et rè- glements précédemment rendus, lesquels seront exécutés dans toutes leurs disposi- tions qui ne seront point contraires à celles du présent arrêt. La porcelaine fine ou moyenne, grande ou petite , paye pour droit d'entrée dix livres du cent pesant. L'arrêt du conseil d'État du Roi, du 29 décembre 1757, exempte de tous droits la porcelaine de la manufacture royale de Sèvres. On voit par cet arrêté combien à cette époque les rois tenaient à leur privilège de protecteurs directs des arts et de l'industrie ; et cependant ce n'était encore que de la porcelaine tendre qu'on faisait à Sèvres, et les recherches pour arriver à composer la porcelaine dure restaient vaines , malgré les travaux de Réaumur qui avait analysé les porcelaines de Chine et de Saxe, l»e LIV. Paris. Typ. H. Pion. 226 GRANDES USINES et avait découvert qu'elles étaient composées de silice, d'alummc^ et d'alcali; ces premières notions l'avaient conduit à compose/ une sorte de porcelaine en dévitrifiant le verre («). Les chimistes, les artistes peintres, modeleurs et doreurs, firent des chefs-d'œuvre de cette porcelaine tendre, si méprisée pen- dant quelque temps et si recherchée depuis plusieurs années : on créa les plus jolies formes, on les orna des plus gracieuses can- nelures, on les colora avec des couleurs bleues , roses , vertes et jaunes, qui sont encore caractéristiques de ce genre de pro- ductions, mais cela ne satisfit ni le souverain , ni le ministre inteUigent, M. Bertin, dans les attributions duquel se trouvait la manufacture de Sèvres. On voulait la vraie porcelaine chinoise résistant au feu, imitée par les Allemands. En 1753, Paul Hannong, faïencier et porcelainier, natif de Strasbourg et domicilié à Hague- nau, qui avait pu se procurer la recette de la fabrication de Saxe, avait proposé au directeur de la Manufacture, encore à Vincennes, de lui vendre pour cent mille livres comptant et douze mille livres ae rentes viagères le procédé de la porcelaine dure. M. Boileau, après avoir examiné les échantillons apportés par Hannong, reconnut que les matériaux de cette porcelaine n'étaient pas fran- çais , et sut que le kaolin avait été importé de Passau en Alle- [a) « M. de Réaumur, après avoir beaucoup travaillé sur la porcelaine, pour découvrir la nature des ma- tières qui entrent dans la composition de celle de la Chine, et avoir établi, par des expériences, que toute porcelaine est une substance moyenne entre l'état de terre et l'état de verre, a imaginé fort ingénieusement de ramener du verre tout fait à la qualité de porcelaine^ en faisant, pour ainsi dire, rétrograder sa vitrifi- cation, ou en le dévitrifiant en partie; de là vient qu'il nommait cette espèce de poterie porcelaine par dévitri/ication. » Ce savant physicien est parvenu à donner cette qualité au verre, c'est-à-dire à le rendre d'un blanc lai- teux, demi-transparent, dur jusqu'à faire feu avec l'acier, infusible, et d'un grain ûbreux, par le moyen de la cémentation. Le procédé qu'il a rendu public pour faire celte espèce de porcelaine, n'est point difficile. Le verre brun commun, celui des bouteilles à vin, est celui qui réussit le mieux. Il ne s'agit que de placer dans un étui de terre cuite, le vase de verre qu'on veut transformer en porcelaine, d'emplir le vase et son étui d'un cément composé de parties égales de sablon et de gypse ou plâtre en poudre, et de le mettre dans le four d'un potier pendant le temps que dure la cuite de ses poteries. Le vase se trouve après cela trans- foi'mé en une matière telle que nous venons de le dire. » Cette espèce de porcelaine n'est point d'un beau blanc, surtout à sa surface; mais d'ailleurs elle pourrait être utile, surtout pour faire des vaisseaux chimiques. M. de Réaumur n'a point expliqué comment se faisait cette espèce de transmutation. Il paraît assez vraisemblable que l'acide vitriolique quitte la terre calcaire à laquelle il est uni dans le gypse, pour se porter sur le sel alcali et la terre saline contenus dans le verre, avec lesquels il forme une sorte de sel ou de sélénite dill'érente de la sélénite calcaire, et que c'est à la présence et à l'interposition de cette matière que «sont dues les qualités par lesquelles ce verre transformé se rapproche de la nature de la porcelaine. » (Macquer, Dictionnaire de chimie^ 1779.) Les chimistes modernes relèveraient ici plusieurs erreurs. SÈVRES 227 magne; il refusa donc les offres du Strasbourgeois. Le roi, informé de ces négociations, entra dans une grande colère et défendit, par arrêt, au sieur Hannong de continuer son industrie sur le territoire français. Le porcelainier se réfugia à Frankenthal, où il établit une manufacture qui prospéra tellement qu'il put îa céder à son fils aîné pour cent vingt mille livres. M. Berlin, poussé par Louis XV, voulut essayer d'obtenir le secret, mais ce fut en vain, et quand six années après, le 29 juillet 1761, on put enfin l'acquérir du fils cadet d'Hannong, on vit qu'il ne pouvait servir à rien. Le kaolin et le feldspath étaient encore inconnus en France. On se mit alors à rechercher dans tout le royaume les pré- cieuses terres à porcelaine; tout le monde s'en occupa avec activité , non-seulement les chimistes, mais encore les grands seigneurs et les archevêques. — Macquer analysait toutes les terres qu'on lui apportait, tous les naturahstes voyageurs exami- naient les boues et les vases. Enfin, en 1765, Guettard, de l'Aca- démie des sciences, attaché à Mgr le duc d'Orléans, trouva près d'Alençon des matériaux qui lui permirent de faire une véritable porcelaine, translucide et fusible, mais d'un aspect assez laid. En 1766, le comte de Lauraguais, qui travaillait avec d'Arcet, montra à l'Académie plusieurs pièces de porcelaine qui ressem- blaient, dit Macquer, « à celle des Indes et du Japon, en ce qui concerne le grain, la sohdité et l'infusibilité. Il serait à souhaiter qu'elle possédât également les quahtés qui contribuent le plus au mérite de la porcelaine, c'est-à-dire la blancheur et l'éclat. » Pen- dant ce temps on cherchait et on trouvait le kaohn blanc à Saint- Yrieix, près de Limoges : voici comment se fit cette découverte, autant que nous avons pu démêler la vérité au miheu des récits du sieur Millot, chef des fours à la Manufacture, du chimiste Macquet et des prétentions d'un nommé Yillaris, pharmacien à Bordeaux. L'archevêque de cette dernière ville, étant venu visiter en 1^765 la manufacture royale, Millot aurait prié SonÉminence derempon^r dans le Midi un échantillon de kaohn de Saxe qu'on avait pu se pio- 228 GRANDES USINES curer à grand'peine pour en faire chercher de semblable aux en- virons de Bordeaux. L'archevêque à son retour chargea Villaris de parcourir les provinces voisines pour y chercher des terres analogues à l'échantillon. A la même époque, M'"^ Darnet; femme d'un chirurgien de Saint-Yrieix, remarqua la blancheur et l'appa- rence savonneuse d'une sorte de terre glaise qu'elle crut propre à remplacer le savon. Elle en apporta quelques fragments à son mari, qui, soit par hasard, soit qu'il connût la mission confiée par l'archevêque à Yillaris, se rendit à Bordeaux et lui porta la bienheureuse argile («). Le pharmacien, sans parler de Darnet, envoya environ trois hvres de kaohn à Sèvres, où on fit quelques essais qui réussirent parfaitement, entres autres un petit Bacchus, encore au musée de la manufacture. Mais on eut beau attendre cette terre si impatiemment désirée, elle ne vint pas. — Villaris de- mandait cent mille francs de son secret, et n'avait pas dit un mot de Darnet. On ne savait donc que faire, lorsque Millot déclara qu'il allait partir pour explorer toute la France et ne revenir qu'avec du kaohn. On lui adjoignit le chimiste Macquer, et l'expédition se mit en marche, laissant sur sa route des échan- tillons : Yillaris maintenant ses prétentions, les voyageurs allèrent jusqu'à Bayonne, puis revinrent à Dax, où ils trouvèrent une espèce de terre blanche qu'ils essayèrent avec asssez de succès. Yillaris, voyant qu'on finirait par trouver sans lui, offrit de conduire l'expédition sur le heu même où existait le kaohn, en s'en remettant au ministre pour le récompenser de ses peines. Enfin, et « sans dire un mot de Darnet, Yillaris , dit tou- jours l'odyssée du sieur MiUot, nous fait traverser tous les jardins de Saint-Yrieix, pour aller rejoindre le kaolin, qui (a) M»e Darnet vivait encore en 182b, dit M. Brongniart; elle était dans la misère et vint me voir pour implorer un secours du moment, afin de retourner à pied à Saint-Yrieix, comme elle en était venue. On lui donna immédiatement tout ce qui lui était nécessaire, et le roi Louis XVIII lui accorda, sur ma proposition, une petite pension sur la liste civile. C'était une dette de la France pour une découverte, fortuite, il est vrai, mais qui a procuré à ce pays un genre d'industrie auquel on doit un grand mouvement de fonds et de tra- vaux, «t une immense exploitation. (brongniart.) SÈVRES ^29 était vis-à-vis le cimetière de la paroisse, faubourg de la Noailles, dans un petit chemin qui était si profond qu'à peine pouvait-on nous voir. » On tira environ 400 livres de ce kaolin tant cherché, et, après examen et réussite complète des pièces faites avec cette terre, on donna ^5,000 livres à Villaris, on acheta le terrain 3,000, et la fabrication de \^ porcelaine dure fut poussée bientôt à Sèvres avec une telle supériorité, que la France, important avant 1765 plus de 300,000 livres de porcelaines étrangères, en exporta bientôt, quelques années plus tard, pour une somme au moins égale. Dès 1769, le problème était résolu; en 1774, la fabrication pre- nait une activité remarquable, et l'industrie porcelainière créée à Sèvres se répandait dans toute la France («) . Les directeurs de la manufacture, sous la royauté, furent MM. Boileau, Parant et Régnier.— Sous la république, en 1793, elle fut dirigée par un sieur Batelier représentant du peuple, et plus tard par MM. Salomon, Meyer et Hethnger ; puis, en 1 800, sous le ministère de Lucien Bonaparte, elle fut confiée à M. Alexandre Brongniart, qui en conserva l'administration jusqu'à sa mort. C'est à cet homme (a) En 1788, l'Encyclopédie parlait encore de cette fabrication comme d'une découverte toute nouvelle : « Ce n'est que depuis quelques années qu'au moyen d'une terre que M. Villaris, apothicaire de Bordeaux et de l'Académie des sciences de cette ville, a découvert en France, et dont le terrain qui la contient a été acheté au nom de Sa Majesté, on est parvenu, dans la manufacture de Sèvres, à faire de la porcelaine uni- quement composée des terres de France, dans la pâte et la couverte de laquelle il n'entre ni fritte, ni sel, ni aucune matière métallique, qui se travaille facilement sur le tour et qui prend toutes sortes de formes dans les moules ; qui ne peut être cuite qu'à un feu de la dernière violence et dont la couverte exige le même degré de feu pour se fondre ; qui est infusible au plus grand feu des fourneaux et qui peut servir de creuset pour vitrifler toutes les porcelaines de fritte et de marne; qui acquiert par la cuite une densité et une dureté égales à celles des cailloux, et dont la couverte prend une dureté qui y est proportionnée ; qui rend un son semblable à celui d'un vase de métal lorsqu'elle est frappée; qui résiste à l'impression subite et alternative du chaud et du froid; qui, dans sa cassure, a un grain qui tient de celui de la porcelaine de Saxe et de l'an- cien Japon; qui a enfin une blancheur et une demi-transparence égales à celles des plus belles porcelaines de l'ancien Japon et de Saxe. » Après avoir fait diverses épreuves sur les nouvelles porcelaines faites à Sèvres avec la terre de France trouvée par M. Villaris, l'Académie des sciences de Paris à certifié que les vases faits de cette matière sont en état de résister à la plus grande chaleur du café, du chocolat et du potage ; qu'avec tout le mérite de l'ancien Japon, ils sont encore très-sonores, font feu avec le briquet, peuvent servir de creuset pour vitrifie: l'ancienne porcelaine de Sèvres, ne sont point déformés par un feu de forge longtemps continué, vont au feu sans se rompre, peuvent servir à faire fondre du beurre et cuire des œufs, et passent du plus grand chaud au plus grand froid sans soulîrir aucune altération. » Mais ce que cette môme Académie assure être plus intéressant pour le public, c'est qu'avec le secours de cette terre nouvellement trouvée, ou d'autres semblables qu'il ne sera pas difficile de découvrir dans ce royaume, on pourra peut-être donner à un prix modique de la porcelaine qui aura toute la solidité qu'on pourra désirer, mais qui, à la vérité, sera moins ornée que cplle de Sèvres. » Il -Il m-t'm- «m taittiSt*^^'*^ GRANDES USINES <5minent et bien regrettable, directeur pendant quarante-sept an- nées, queSè\'res a dûsonmaintienetsa gloire actuelle. Ilcommença et accrut le Musée céramique que nous décrirons plus loin ; il fit copier sur des plaques de grande dimension les chefs-d'œuvre du Louvre; il poussa aux dernières limites les procédés de couleurs et d'ornements. On peut reprocher aux vases faits sous sa direction une certaine roideur académique qu'il est de mode de déprécier aujourd'hui en exaltant outre mesure les contours gracieux de l'époque de Louis XVL Ce fut sous M. Brongniart que se produisirent les chimistes Laurent, Ma'aguti et Salvétat, les dessinateurs et peintres Chenavard, Béranger, Robert, Constantin, Langlacé, Jacobber, et M""^^ Jaquotot, Ducluseau, ïurgan et Laurent, qui exécutèrent les merveilles dont la plupart servirent à doter de cadeaux impériaux et royaux toutes les capitales de l'ancien et du nouveau monde. M. Brongniart avait aussi re- trouvé et perfectionné la peinture sur verre, art perdu depuis le moyen âge, et il venait de terminer le meilleur ouvrage que nous possédions sur la Céramique, lorsqu'il moarut en 1847. Ce fut M. Ebelmen qui lui succéda. Une mort prématurée vint enlever ce savant chimiste à des études qui devaient concourir È. l'extension des travaux de Sèvres et dont la reproduction des pierres précieuses n'était que le prélude : il put jouir à peine du triomphe de la Manufacture, à Londres en ISol, préparé par ses soins. Aujourd'hui Sèvres est dirigé par M. Regnault, membre de l'Institut, l'un de nos plus habiles chimistes : la Manufacture lui doit une direction ferme, une progression constante. Sous son administration et grâce à la haute impulsion de M. Fould, ministre de la maison de l'Em- pereur, la porcelaine tendre a été remise en honneur; la faïence perfectionnée est redevenue une poterie d'art : les formes roides et guindées ont été abandonnées, une intelhgente appli- ration a été faite des plus beaux modèles appartenant à la Grèce ancienne, à l'Orient, à la Renaissance, et surtout à l'époque florissante de la Dorcelaine, c'est-à-dire la fm de Louis XV SÈVRES 231 et le commencement de Louis XVI. Et aujourd'hui, grâce à la minutieuse susceptibilité de la direction, la marque de fabrique de Sèvres est comme autrefois le plus beau titre de noblesse qui puisse assurer le prix d'une pièce de porcelaine. Depuis quel- ques années, surtout depuis que le public a pu se procurer, à haut prix il est vrai, les produits de la Manufacture, le goût des porcelaines neuves et anciennes s'est répandu et est devenu non- seulement une mode, mais une fureur ; il n'est pas rare de voir, à la salle des ventes, une tasse même cassée se vendre quinze ou vingt mille francs, si elle est d'une bonne marque, connue seu- lement de quelques amateurs. Aussi avons-nous trouvé utile de donner ici la figure non-seulement des marques de Sèvres aux différentes époques , mais encore celle des autres fabriques de France et de l'étranger dont les produits ont quelque célébrité et quelque valeur. MARQUES DE SÈYRES AUX DIYERSES ÉPOQUES («) 1 953-t8«0 LOUIS XV ET LOUIS XVI. On marqua les années de 1753 à 1777 parles 24 lettres de l'nlplin- l)Pt, placées ainsi entre les JA.. De 4777 à 1793, on doubla les lettres incluses. RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. m TV — // ^ CONSULAT. NAPOLEON I" LOUIS xvni. (tt) Outre les marques générales de la manufacture, chaque peintre, chaque doreur célèbre avaît rme signature particulière; les uns signaient de leurs initiales; les autres, plus hardis, inventaient des signes divers. Un de ces artistes, nommé Vincent, dont les productions sont très-estimées, signait 2000, m CHARLES X. GRANDES USINES G5.483 RÉPUBLIQUE, SKMl^ PRÉSIDENCai!. CHARLES X. LOUIS-PHILIPPE. LOUIS-PHILIPPE. LOUIS-PHILIPPE. 60 60 (a) NAPOLÉON in. NAPOLEON IIL NAPOLÉON III. NAPOLEON III. (a) Cette dernière marque est appliquée sur les pièces blanches. — Après la décoration ou la dorure, gjoute uni! des deux marques précédentes. MARQUES DES AUTRES MANUFACTURES DE FRANCE ARRAS. CHANTILLY. BOURG-LA-REINE. SCEAUX. T SAINT-CLOUD. MENECY. c CLIGNANCOURT, près Paris. CLIGNANCOURT. SÈVRES 233 M AP PARIS, faubourg Saint-Lazare. PARIS, faubourg Saint-Antoine. PARIS, faubourg Saint- Antoine. A PARTS, rue de ÏUiroui* PARIS, rue de Boniy. PARIS, rue FontMine - au - Roi , dite de la Courtille. JP BrîTJ.TCvn.LT', près Fans, MARQUES DES MANUPACTUEES ÉTRANGÈRES (^A. ■^<^. ANGLETERRE. DERBY. ANGLETERRE. CHELSEA, près Londres. AUTRICHE. VIENNE. Manufacture impériale. BAVIERE. NYMPHENBOURG. Manufacture royale. BOHEME. ELBOGEN. BOHÊME. LE HAMMER, près Carlsbad. BRUNSWICK. FUaSTEMBERG. DANEMARK. COPENHAGUE. Manufacture royale. ESPAGNE. MADRID. Manufacture royale. HES.SE- ÎDLDA. 234 GRANDES USINES LOMBARDIE. LENOVE, près de Bassano. RUSSIE. SAINT- PÊTERSBOORO , Manufacture iiupér ale. NAPLES. Manufacture royale. PAYS-BAS. TOURNAT. SAXE. MEISSEN. Manufacture royale. SCIIWARTZBOURG' RUDOLSTADT. V DCT PIEMONT. VINEUF, près Turin. VENISE. PRUSSE. BERLIN. Manufacture royale. X WURTEMBERG LOUISDOURG. Aujourd'hui la Manufacture se compose d'un vaste bâtiment construit sous Louis XV, au pied de la colline qui domine Sèvres. L'aspect en est d'un bel effet au milieu des allées d'arbres qui l'en- tourent et des vergers admirablement cultivés qui la séparent de la route : de nombreuses annexes se sont ajoutées peu à peu et très-irrégulièrement au bâtiment principal ; l'une d'entre elles se trouve même éloignée de près de cinq cents mètres : c'est l'atelier où se préparent les pâtes. Cet aménagement incomplet et défec- tueux, qui ne répond plus aux besoins créés par l'activité de l'ad- ministration présente , a donné l'idée d'abandonner entièrement la Manufacture actuelle et d'aller la reconstruire sur un autre emplacement. — Nous regrettons cette mesure. Il faut laisser aux gloires historiques de la France le berceau où elles sont nées, sur- tout lorsque ce berceau est, comme à Sèvres, admirablement situé et parfaitement conservé. — Rien ne serait plus facile que de faire SÈVRES 235 avancer vers la route et perpendiculairement à la direction de l'ancien bâtiment deux constructions nouvelles qui offriraient tous les développements désirables et qui encadreraient heureu- sement la façade de Louis XV. Les terrains dépendant de la Manufacture sont immenses, dix fois plus étendus qu'il ne serait nécessaire aux nouveaux aménagements, et il y aurait une ingra- titude inutile et blâmable à abandonner sans meilleure raison l'endroit où est née en France l'industrie porcelainière qui nous rapporte aujourd'hui tant de millions. Nous suivrons pour la description de la Manufacture actuelle notre marche ordinaire, c'est-à-dire nous irons recevoir à la porte de l'usine la matière première, et, la conduisant au travers de ses diverses transformations, nous la suivrons jusqu'à la sortie des objets terminés, ou jusqu'à leur accumulation dans le riche musée que possède la Manufacture. La matière première qui constitue la porcelaine est fort sim- ple, c'est une terre et me pierre, débris d'une roche qui se trouve à Saint-Yrieix, près de Limoges. La pierre est du feldspath, c'est- à-dire un sihcate d'alumine et de potasse : la terre est du kaolin, c'est-à-dire du feldspath qui a perdu sa potasse et se compose, par conséquent, de sihcate d'alumine presque pur et qui s'est hydraté. ■— Si l'on ajoute de la craie qui vient de Bougival, on a tout ce qu'il faut pour fabriquer la porcelaine blanche. Et cependant avec ces matières si simples on peut faire de dé- testable porcelaine si on ne sait pas les épurer, les triturer, el surtout les mélanger dans des proportions inteUigentes. Le kaolin arrive à Sèvres en tonneaux que l'on amène dans un corps de bâtiment entièrement séparé de la Manufacture el construit sur un petit cours d'eau donnant une force d'environ quatre chevaux apphquée à une grande roue à aubes bien dispo- sée. A peine arrivés, les tonneaux sont immédiatement défoncés, et leur contenu est jeté dans de grandes cuves pleines d'eau. Là se fait simplement, par différence de densité, la séparation entre les diverses matières contenues dans la terre blanche ; les impu- 236 GRANDES USINES retés végétales légères surnagent et sont enlevées par un tamis; le kaolin proprement dit (silicate d'alumine parfaitement blanc) reste en suspension dans l'eau : en décantant et en raffermissant, on l'obtient sous la forme d'une poudre blanche assez fine pour ne plus exiger aucune trituration. Au fond de la cuve s'accumule un sable feldspathique (silicate d'alumine contenant encore de la potasse) qui se dépose en petits grains assez durs. Ce sable est réduit en poudre fine entre des meules tournant horizontalement comme les meules d'un moulin, la meule courante recevant le mouvement d'un arbre supérieur, ainsi que nous l'avons décrit dans les nouveaux moulins à blé étabhs par MM. Darblay à Saint-Maur. On triture de même en poudre très-fine la craie (carbonate de chaux) amenée de Bougival, et on mêle alors dans une cuve pour- vue d'un fort agitateur, le kaolin, le sable feldspathique broyé et la poudre de craie. Cet agitateur, composé de solives et de bras garnis de blocs de piei're, tourne autour d'un axe recevant le mouvement d'un arbre inférieur; il mêle et agglomère ensemble les trois poudres difiérentes et en compose un magma assez épais, mais trop fluide encore pour pouvoir être travaillé. Ce magma est reçu dans de grandes auges en plâtre nommées coques. Ces coques épaisses et poreuses absorbent l'excès d'eau et la pâte se prend en une masse que l'ouvrier rephe en deux, de manière à en former une sorte de pain. L'opération est alors terminée et les pains de pâte sont dirigés vers les magasins de la Manufacture pour y attendre le moment où ils doivent recevoir des formes diverses sous la main des tourneurs. Il nous faut expliquer maintenant en quelques mots pourquoi on n'emploie pas immédiatement la terre blanche telle qu'on l'apporte de Saint- Yrieix, et pourquoi on en sépare le sable feldspathique qu'on lui rend plus tard. — C'est que le kaohn pro- prement dit (siUcate d'alumine) est infusible au feu le plus in- tense et forme la partie réfractaire, c'est-à-dire résistante de la SEVRES 237 pâte, tandis que le sable feldspathique (silicate d'alumine addi- tionnée de potasse) est fusible, et doit donner à la porcelaine la translucidité qui la fait si justement rechercher. Mais ce sable est en excès dans la terre brute et on n'en rend au kaolin qu'une certaine quantité ; sans cela on aurait un verre opaUn au lieu d'une porcelaine. La craie (carbonate de chaux) ajoutée, en petite quantité du reste, aide à la fusion du sable.— La pâte de porcelaine est donc un composé de terre réfrac taire et de sable fusible : aug- mentez la proportion de kaolin , vous aurez une poterie capable de supporter les températures les plus élevées que l'homme puisse produire, mais absolument opaque ; augmentez la proportion de sable feldspathique, et vous aurez une poterie translucide, mais sans résistance au choc et au feu. 11 faut aussi, en épurant la matière première, apporter une scrupuleuse attention à la débarrasser de toute matière pouvant par la cuisson développer une coloration soit générale , soit partielle. Sèvres a la prétention, justement motivée, de fabriquer une porcelaine absolument blanche. Aussi la Manufacture ré- forme-t-elle impitoyablement toute assiette pointillée de noir, tout vase auquel la cuisson a donné une teinte jaunâtre ou rousse, si légère qu'elle soit ; et comme ces défauts ne deviennent visibles qu'au feu, c'est-à-dire lorsque toutes les opérations d'ébauchage et de tournage sont terminées, on peut se faire une idée delà perte sérieuse que peut causer une inattention de la personne qui est chargée de préparer les pâtes. Aussi cette préparation est -elle l'objet d'une surveillance constante, et d'une préoccupation per- pétuelle pour les personnes qui en sont chargées, et qui voient le hasard venir encore trop souvent déjouer leurs minutieuses précautions. On a cru longtemps qu'il fallait faire pourrir ou fermenter les pâtes pendant un temps considérable. On accepte encore aujourd'hui cette opinion. L'utihté de ce pourrissage est une certaine facilité dans le travail et la transformation des oxydes de fer que contiennent les pâtes en sulfate de fer soluble éliminé 238 grande:s usines par Feaii. C'est, en effet , une des matières que Ton doit éviter avec le plus de soin , car elle est extrêmement colorante. Il ne faudrait pas croire qu'un bon (choix dans l'approvisionnement de la terre à porcelaine permît de l'employer presque immédiate- ment après son arrivée. Une fois reconnues satisfaisantes , les pâtes sont livrées aux ateliers d'ébauchage : là, on Les prépare de plusieurs manières. Pour tous les objets dont le volume ne dépasse pas certaines limites et dont l'épaisseur est assez grande , Fébauchage se fait à la main , au moyen d'un to>ur à potier ordinaire , mû par le pied même de l'ouvrier ; l'application d'une force motrice exté- rieure, la vapeur ou l'eau , n'est guère possible à Sèvres : il faut se rappeler que les ouvriers s.ont des artistes , et qu'ils doivent régler eux-mêmes , avec le p lus grand soin , toutes les phases de l'opération qui leur est confiée. L'ébaucheur prend un ballon de pâte d'un volume correspondant à celui de la pièce qu'il désire former , le pétrit avec force pour augmenter la densité de la matière ; il place le ballon sur la girelle de son tour, qu'il met en mouvement, en tenant dans ses mains la pâte qu'il al- longe et applatit plusieurs fois avant de lui donner la forme qu'il désire. Cette opération a pour Ibut de donner une même direction à toutes les molécules de la pièce qu'on veut produire ; car, à la cuisson, le retrait de ces molécules se fera en sens inverse de cette direction : et si plusieiurs d'entre elles avaient été fortui- tement arrêtées par une pression quelconque, même légère, ces molécules suffiraient pour détourner le mouvement de retrait et déformer entièrement la pièce. Mais il y a un grand inconvénient à ce mode d'ébauchage : les doig ts de fouvrier, quelque habile qu'il puisse être, ne peuvent donner une pression absolument égale, et il en résulte une sorte de pas de vis qui reparaîtrait à la cuisson et constituerait le défaut nommé vissage^ si Fébaucheur ne faisait sa pièce triple environ d'épaisseur de celle que l'on veut obtenir. C'est donc au centre de l'ébauche qu'il faut aller chercher le vase pour que les difïérentes pressions ne marquent SEVRES 239 pas à sa surface. La porcelaine jouit, en effet, d'une singulière propriété : choisissez une plaque épaisse, imprimez un cachet sur Tune des faces, enlevez horizontalement lame par lame, jus- qu'à ce que l'empreinte ait disparu à l'état cru, faites cuire ce qui restera de la plaque, et votre empreinte reparaîtra nette et pro- fonde. Il faut donc une attention soutenue et une extrême habileté pour ébaucher une pièce de porcelaine. Les pressions à faux ne se réparent pas, et au sortir du four, le vase déformé vient accuser la maladresse de l'ébaucheur. Un procédé, apphqué depuis quelques années à la con- fection de pièces particulières, a permis de fabriquer à la Ma- nufacture une sorte de porcelaine que la mode a justement adoptée et qui ne peut être bien faite qu'à Sèvres. Ce sont ces vases et surtout ces tasses si minces et si légères qu'elles flot- tent sur l'eau comme une coquille d'œuf. Les Chinois, ces habiles porcelainiers, en font d'analogues, presque aussi minces, qu'ils ébauchent au tour : ce qui nous paraît un véritable tour de force. Le coulage^ d'une exécution extrêmement déhcate comme tour de main, est cependant une opération de la plus parmite sim- plicité comme théorie : On prend un moule en plâtre, très-poreux, devant par con- séquent absorber énergiquement l'eau d'une pâte qu'il contien- drait; on verse dans le moule la pâte à l'état de barbotine; on laisse déposer quelques instants sur les parois une couche plus ou moins épaisse ; on vide la partie restée Hquide et un dépôt reste adhérent au moule. En plaçant ce moule sur un tour et en détachant adroitement les bords de la pièce des parois qui l'en- veloppent, le retrait causé par l'absorption de l'eau dans les pores du plâtre sépare l'ébauche formée qu'on renverse douce- ment, et qu'on porte sur le creux de la main avec des précautions infinies. On s'étonne du prix élevé de ces tasses, mais on devrai! s'étonner de leur bon marché : on ne peut se figurer combien on en casse avant même d'y souder leur pied ou leur anse. 240 GRANDES USINES Et l'anse aussi est creuse et légère ; elle se fait dans un moule, par injection, au moyen d'une petite pompe aspirante et foulante; puis on la soude au corps de la tasse avec un pinceau et de la barbotine. 11 faut avoir vu essayer ce travail pour en comprendre la presque impossibilité; et cependant on réussit : il y a de ces tasses, de ces pots au lait et de ces sucriers qui ont pu être glacés, cuits, dorés et décorés de peintures charmantes; enfin ils sonl parfaits de forme, car Sèvres ne laisse sortir de ses magasins que des pièces dignes de porter sa marque. Les soucoupes se font aussi par coulage, mais elles sont un peu plus épaisses, leur forme évasée ayant moins de soutien que la forme cylindrique des tasses. — Le coulage s'applique encore aux pièces trop grandes pour être ébauchées au tour ; c'est ainsi que sonl faits ces grandes jattes et ces hauts vases que l'in- dustrie essaye d'imiter avec plus ou moins de bonheur («) . Les assiettes et les pièces aplaties s'ébauchent par une sorte de mélange du moulage et du touraassage (a) On a pu voir aux expositions de Londres et de Paris de grandes jattes de forme chinoise de 0",83 de diamètre. S'il n'est pas déjà sans difficulté de couler une pièce de cette dimension, les difficultés s'accroissent encore par la nécessité de boucher le trou qui transpeice le fond de la pièce. On s'y prend de la manière suivante : Après avoir nettoyé le moule, c'est-à-dire après avoir enlevé avec une lame compacte la partie de pâte qui s'est épanchée sur la surface horizontale qui le termine, et coupé les bavures de l'ouverture pratiquée dans le fond et qu'il s'agit de boucher, on laisse tomber dans le fond du moule, par cette ouver- ture, un bouchon de plâtre parfaitement sec et bien ajusté, pour qu'il complète la calotte sphérique que présente la partie inférieure du moule. On verse alors de la barbotine très-épaisse qu'on mélange légèrement avec les parties un peu raffermies qui limitent l'ouverture à boucher et qui vient s'y souder d'une manière intime. On donne au fond formé de la sorte une assez grande consistance el on le linit par un tournassage qui le ramène à une épaisseur convenable. Le pied de la jatte est coulé d'autre part et sert de support aux pièces pendant la cuisson au grand feu : il reste indépendant; on le réunit par des liens métalliques, après toute cuisson. On a remarqué que toutes les fois qu'on voulait coller le pied soit en pâte, soit au moyen de la glaçure, les différences de retraite, occasionnées par la distance des deux centres de contraction de la jatte et du pied nécessairement coulés séparément, entraînaient ou le décollage, si le collage était mal fait, ou la casse lorsque le collage était bien fait. On a modifié le procédé de coulage d'une manière heureuse pour en obtenir sûrement les plateaux qui complètent les cabarets minces. Au lieu de remplir le moule de pâte liquide, on fait glisser légèrement ce moule dans un bain de barbotine. Le moule se recouvre extérieurement et intérieurement de pâte raffermie d'une épaisseur en rapport avec le temps de l'immersion, l'épaisseur du moule et la viscosité du bain. On nettoie le moule au dehors, on enlève avec un couteau la pâte adhérente sur la face horizontale, en même temps qu'avec une pointe on détache légèrement, pour faciliter la dépouille, le faux bord du plateau. Ot examine attentivement s'il ne se fait pas quelques fissures pendant la dessiccation et la retraite qui l'accom pagne, et on arrête, par un trait de pointe et en travers, toutes celles qui se déclarent tant qu'elles resten sur le champ du faux bord. Ce plateau n'a pas de pied. (Salvetat, Supplément au Dictionnaire des Artt et Manufactures. ) (b) On combine souvent les deux méthodes du moulage el du tournassage pour obtenir dans une même opéra- tion des ébauches plus fines et d'une meilleure réussite. Dans le moulage à la houste^ on fait une ébauche sur le tour, sans secours d'appui on de moules; on I» SÈVRES 241 Une fois la pièce quelconque ébauchée, elle doit être finie et réparée; pour cela elle est confiée à un habile tourneur, qui, le dessin sous les yeux, le compas d'une main et le ciseau de l'au- tre, sculpte dans l'ébauche le vase dont on lui a donné l'épure à copier, absolument comme il le chercherait dans un bloc de bois ou de marbre. Les copeaux et les raclures sont recueiUis pré- cieusement et sont de nouveau mêlés à la pâte à laquelle ils donnent, dit-on, des quahtés particuHères. On peut également, une fois le vase formé, apphquer à sa sur- face des ornements en rehef, procédé dont les Chinois usent avec une merveilleuse habileté, même sur les porcelaines les plus minces. A Sèvres, les pièces faites ainsi acquièrent une grande valeur, car elles sont uniques, ayant été surmodelées et sculptées à la main; leurs ornements sont de véritables bas-reliefs et non de vulgaires moulages indéfiniment reproduits. Souvent aussi la pâte est colorée intimement par une trituration dans un petit mouUn où on la mélange avec différents oxydes, et les ornements en relief sont en pâte blanche, ce qui produit le plus charmant effet : les fameux vases Céladon, de couleur vert d'eau, ont été les premiers fabriqués de cette manière ; aujourd'hui, on obtient de semblables vases presque de toute couleur. D'autres artistes, non moins habiles, savent évider certains vases, ou certaines parties de vase, de façon à faire en quelque sorte de la dentelle de porcelaine; ce sont en général des femmes termine par le moulage. Tantôt, suivant le cas, on place la housse sur le moule, qui a la forme d'un noyau et qui peut donner directement des dessins à l'intérieur. Le moule est placé sur un tour. Le tourneur comprime avec une éponge la housse contre le moule; tantôt on la met à l'intérieur du moule, dont la forme est creuse, et qui peut donner alors directement les reliefs dont la surface extérieure est ornée La housse peut être simplement une balle lorsque le moule est creux; c'est ainsi que, pour mouler méca. niqueraent un grand nombre de pièces dites de petit creux, on se borne à placer dans le moule, animé d'un mouvement circulaire qu'il tient du tour, une balle de pâte qu'on fait monter en la poussant avec les doigts le long des parois du moule. On modifie cette méthode en faisant descendre dans le creux une sorte de noyau qui remplace les doigts. Cette méthode est appelée sans contredit à modifier notablement le prix de revient des pièces de porcelaine. On donne le nom de calibrage au procédé mixte résultant de la combinaison du moulage et du tournage, dans lequel le moule donnant la forme intérieure et extérieure de la pièce, la surface intérieure ou exté^ rieuie est donnée par le tournage avec l'aide d'un profil fixé d'une manière invariable. On obtient, au moyen du calibrage, des pièces d'une régularité, d'une minceur, et partant, d'une légèreté remarquable; on ne fait pas autrement, à Sèvres, les assiettes de toute dimension, unies ou à reliefs. [Uem.) 16* LlV. Paris. Typ. H. Pion. 242 GRANDES USINES qui sont chargées de ce soin; — un faux mouvement et tout est perdu ; non-seulement tout le travail de l'artiste lui-même, mais encore le travail de ceux par les mains desquels la pièce est passée avant lui. Quand enfin la pièce a résisté à toutes les chances mauvaises, qu'elle est exempte de fêlures, de boursouflures, de trous, qu'elle a été bien retournée, bien vérifiée, et enfin ap- prouvée, on la porte dans des séchoirs disposés de manière à éviter toute poussière et tout choc. Les grandes plaques de porcelaine se font par coulage, sur une sorte de dalle de plâtre («) entourée d'une bordure de plan- chettes mobiles disposées de manière à former un moule. Ce moule est placé sur une table à bascule munie d'un réservoir à l'une des extrémités. On prépare alors une barbotine assez épaisse avec de la pâte déjà ancienne à laquelle on ajoute moitié de son poids de tournassure, c'est-à-dire des copeaux de pâte que l'on obtient en tournant et sculptant les pièces ébauchées. Cette tournassure donne au mélange des qualités adhésives que ne pourrait avoir une pâte neuve, .courte et encore un peu sa- bleuse. Il faut aussi que cette barbotine soit purgée complète- ment de granulations au moyen d'un tamis en fil de laiton, et débarrassée de toute bulle d'air par une agitation lente avec une palette ; quand elle est suffisamment épurée, on la place dans le réservoir de la table à bascule redressée, puis on abaisse (a) ces plaques de plâtre doivent être faites «3e plâtre fin coulé d'une seule gâchée sur une dalle de pierre bien dressée; \\ faut avoir soin de faire dégager toutes les bulles d'air qui peuvent être dans le plâtre, en promenant dans cette coHlée dans tous les sens, jusque sur la plaque de pierre et comme en sautillant, une règle de champ, de manière à rendre très-bomogène cette partie qui porte sur la pierre et qui doit être celle sur laquelle on coulera la plaque de porcelaine ; car les moindres inégalités de densité, dans cette plaque de plâtre, reparaîtraient sur la plaque die porcelaine. Lorsque la table de plâtre est sèche, il faut la retourner et la gratter à vif sur la surface qui, appliquée sur la dalle de pierre, était l'inférieure et qui est devenue la supérieure. Ce grattage ouvre um assez grand nombre de petites cavités huileuses qu'il faut boucher avant d'employer cette table en plâtre au coulage de la porcelaine. On passe sur la plaque qui vient d'être grattée une éponge imbibée de barbotine de porcelaine tres-claire, en y revenant à plusieurs reprises; il se forme une petite croûte de pâte très-mince qu'on enlève avec le racloir de bois , et tous les pores sont bouchés par ce qui reste de cet enduit. Ensuite, pour sécher cette surface et l'unir parfaitement, on la saupoudre de poussière très-fine de dégourdi de porcelaine qu'on enlevé en la frottant et ea la balayant avec une de ces brosses de soies de porc qu'on appelle du demi-quartier. Il faut avoir soin que cette table de plâtre, humectée par la première opération du lavage, reste plus hu- mide dans son milieu que sur les bords. Sans «ette précaution, on risquerait de voir la plaque de porce- laine se fendre sur les bords en prenant sa retraite de toutes parts. . {BROWî» « Mais si vous voulez me tromper sans pudeur, J'invoque contre votre fourneau les fléaux les plus redou- tables, et Synirips et Smaragos et AsheHos et Ahmclo et surtout Omoiamos qui , plus que tout autre, e«t destructeur de l'art que vous professez. Que le feu dévore votre bâtiment, que tout ce que contient le fourneau s y racle et s y confonde sans retour, et que le pottier tremble d'effroi à ce spectacle; que le fourneau fasse entendre un bruit semblable à celui que rendent Les mâchoires d'un cheval irrité, et que tous les vases fra- casses ne soient plus qu'un amas de débris. » SÈVRES 255 rondeaux qui se sont affaissés, des éclats d'étuis qui ont pénétré la porcelaine au moment de sa fusion, sans compter les mille défauts résultant de la cuisson elle-même et qui atteignent la couverte (a). (a) Voici, d'après M. Salvétat, une énuraération détaillée des accidents qui se renouvellent le plus fré- quemment : BOUILLONS. — Les bouillons sont des accidents qui se présentent dans plusieurs circonstances et tiennent à diverses causes. La pâte peut dégager du gaz sous l'influence des éléments des glaçures, et si le feu n'est pas assez vif pour faire tomber ces bouillons, si la glaçure n'est pas assez Huide, les bouillons ne crèvent pas et restent visibles après leur refroidissement. « Les bouillons peuvent être le résultat d'un feu trop vif sur une pâte ou des glaçures bien convenablement choisies; ils peuvent enfin être la conséquence des glaçures mal composées, surtout dans des conditions particulières d'enfermage. On sait que toutes les matières vitreuses ne passent pas de la même manière de l'état solide à l'état de fusion; les unes ne subissent qu'un ramollissement sans bulles permanentes, les autres se ramollissant en se chargeant de bulles, d'autres prennent un état pâteaux, d'autres enfln acquièrent rapidement l'état vitreux fluide. Ces divers états, liés avec la composition des enduits vitriliables, donnent naissance à des accidents variables avec les températures auxquelles les poteries sont soumises. COQUE D'œUF. — La coque d'œuf est un défaut qui retire le brillant de la glaçure; les porcelaines dures le présentent souvent. Lorsque le vernis n'est pas assez fusible, lorsque la cuisson n'a pas été complète, ou lorsque par l'influence du gaz réducteur ou de certains agents, il s'est dégagé des alcalis qui ont fait perdre à la glaçure une partie de sa fusibilité primitive, la potérie peut faire coque d'œuf. On dit alors que la gla- çure est grésillée. COULAGE. — On appelle coulures les amas de glaçure qui se forment, au détriment des parties voisines, dans les cavités ou parties déchirées des poteries ; ces coulures tiennent à trop de fusibilité, à trop de feu, à trop d'épaisseur des glaçures; elles sont souvent le résultat d'une retouche faite après la mise en couverte avec trop peu de Soins : ce défaut peut être évité très-facilement. ÉCAILLAGE. — L'écaillage est un des défauts les plus graves auxquels puissent être soumis les produits céramiques. Les porcelaines dures et tendres en sont rarement affectées lorsqu'elles sont bien fabriquées, mais il est fréquent dans la fabrication des faïences communes. La glaçure ne prend aucune adhérence avec la pâte; on évite ce défaut en rendant cette dernière assez calcaire pour qu'il y ait suflisamment d'affinité chimique entre les deux éléments, pâte et glaçure. L'écaillage se déclare souvent quelque temps après le refroidissement; c'est une défectuosité d'autant plus à redouter qu'elle apparaît généralement dans les pro- duits reconnus de bonne qualité, quelquefois môme longtemps après qu'ils ont été livrés. GRAINS. — Nous avons dit ce qu'il faut entendre par grains; actuellement qu'on sait appliquer le tour du lapidaire au- polissage des grains; ce défaut a perdu beaucoup de sa gravité; mais comme il entraîne toujours un surcroît de main-d'œuvre, il est urgent d'en connaître la cause pour la faire disparaître. Les grains sont tantôt incolores et tantôt colorés. Dans le premier cas, la roue'du tour à polir peut les enlever et les faire disparaître entièrement; ils proviennent du sable du ferrage qui s'échappe des pièces supérieures pour tomber dans les pièces infé- rieures; on peut les éviter en apportant du sein à l'encastage. Quelquefois le sable sautille sous la première impression de la chaleur et quitte le porte-pièce pour retomber dans la pièce elle-même; on retient ce sable en l'engommant avec un peu d'argile plastique. Dans le second cas, c'est-à-dire lorsque les grains sont colorés, on peut difficilement les faire disparaître, car la place qu'ils occupaient se trouvent profondément colorée ; les grains sont dans ce cas presque toujours le résultat d'accidents de cuisson arrivés à la cazette, la fente des étuis, le frottement des fragments qui en résultent l'un contre l'autre, forment une poussière ou des éclats plus ou moins grossiers et ferru- gineux dont l'inconvénient est de ternir le brillant des porcelaines. On évite ces accidents en attachant une grande importance au choix des terres à cazette, en enduisant l'intérieur des cerces, rondeaux, etc.... qui sont en regard des pièces d'un enduit vitreux, en plaçant ce même enduit sur les cassures et fentes ofl'ertes par toute la cazetterie. On devrait ne refroidir le four que très-lentement pour ne pas étonner par un re- frciidissement rapide les étuis qui doivent casser dans la cuisson subséquente. ONDULATION. — Il arrive souvent que les pièces, surtout lorsqu'elles sont plates, ne présentent pas une glaçure bien étendue. Les ondulations tiennent soit au peu de fusibilité de la glaçure, soit au manque de feu; nous savons maintenant comment on augmente cette fusibilité. Les ondulations se présentent plus fré- quemment sur la platerie que sur le creux; on doit de préférence mettre la platerie' dans les places du four où la température est le plus élevée. PONCTUAGE. — Nous nommons ponctuage le défaut que présentent certaines poteries qui sortent du feu m GRANIDES USINES Quand on a démoli avec précaution les piles, on conserve pré- cieusement les cazettes qui onit résisté au feu; on met également SÈVRES, — Disposition des luilos dans le laboratoire du grand feu. ie côté celles qui ne se sont cassées qu'en grands morceaux e» qui sont destinées à reservir après avoir été nettoyées du lut qui les unissait aux autres. comme criblées de taches noires; ce défaut peut awoir la même origine que celui que nous avons fait con- saitre sous le nom de taches, soit qu'elles proviennent de la fumée, soit qu'elles soient dues à la présence du mica dans la pate : il arrive quelquefois aussi ,que le ponctuage est le résultat de la décomposition dans ^intérieur de la pate, ou sous la glaç.ure, des matiières d'origine animale ou végétale introduites depuis la fabrication; c'est alors par le fait de la cuisson, p.endant la décoration, qu'on le voit apparaître Le ponc-- luage se présente encore sur la glaçure des poteric;s à vernis plombifères, lorsque la glaçure cuit dans une atmosphère enfumée. La coloration peut même être noire; elle est causée par du plomb réduit en poussière impalpable disséminée dans la masse, RESSUIE. — La ressuie donne à la poterie, qiuelie que soit la nature de sa pâte et de sa glaçure, un aspect plus ou raoins mat : on peut l'attribuer so l à la minceur, soit à la dureté du vernis, soit à l'in- SÈVRES 257 Le lour vidé et débarrassé montre alors une surface parfaite- ment glacée en blanc grisâtre, si le feu a été fait au bois, en brun verdâtre s'il a été conduit à la houille. En effet, dans le premier cas, la soude et la potasse s'unissent aux silicates des briques de revêtement pour faire un verre à peu près blanc, tandis que dans le second il y a toujours des oxydes de fer et d'autres métaux qui colorent le verre au moment de sa formation. Le bois employé à Sèvres est le bouleau (soixante stères envi- ron par cuisson). On se servait autrefois du tremble; on peut aussi se servir de sapin et de tout bois donnant une longue flamme à la combustion. Le bois doit être sec, sans cependant fluence des matières terreuses qui regardent la pièce pendant /a cuisson, soit encore à la présence dans le four d'une atmosphère réductrice. RETIKEMENT. — Il arrive souvent que la glaçure mise uniformément sur la pièce ne se trouve pas étendue partout, après la cuisson, sous une épaisseur uniforme; des parties sont comme dénudées; les parties voisines sont d'une épaisseur double et quelquefois triple de ce qu'il conviendrait, ce qui provient du .déplacement de la glaçure comme retournée sur elle-même; on donne le nom de retireraent à ce défaut, surtout fréquent dans la fabrication des faïences communes ; il est alors connu sous le nom particulier d'escoussage. On ne peut dire exactement à quelle pratique on doit l'attribuer, il paraît être le résultat d'un écaillage; car l'escoussage sa présente, lorsqu'on les fait passer au feu de moufle après les avoir décorés de couleurs vitriflables, sur des faïences terminées paraissant bien fabriquées. Le retirement, dans la généralité des cas où ce défaut apparaît, peut être attribué, soit à la trop grande dureté du biscuit qui ne se laisse pas mouiller par le vernis, soit à des poussières adhérentes au biscuit lorsqu'on a posé la glaçure, soit à des corps gras provenant des mains des ouvriers et qui en enduisaient la surfaee. SUCE. — Lorsqu'une poterie possède une porosité trop grande pour la fusibil té de la glaçure qu'on snper- po£.e, ou lorsque la glaçure est de beaucoup trop fusible, quel que soit l'aspect du corps de la pâte, cette glaçure est absorbée par la pâte, on dit que la glaçure est sucée; ce défaut peut provenir d'un excès de feu; il est assez fréquent dans les pâtes de porcelaine tendre et lorsque la couche de vernis qui reste n'est plus assez épaisse pour donner le brillant à la poterie, la surface devient rugueuse, huileuse même, à cause de la réaction chimique qui s'opère entre les silicates alcalins terreux qui font la .')ase de la poterie, et les silicates alcalins métalliques qui composent le vernis. Ces accidents se produisent fréquemment sous l'inûuence de la multiplicité des feux au mo- ment de la décoration. TUESSAILLURES. — Lorsque les pâtes et les glaçures ne présentent pas un rapport convenable dans leur coefficient de dilatation, on observe une série de fentes qui se coupent en tous sens sur les glaçures et qu'on nomme tressaillurcs. Que la pâte soit perméable, les tressaillures permettront l'infiltration des graisses qui doivent empuantir la poterie; que la poterie soit imperméable, l'éclat et le brillant de la glaçure disparaissent sous les gerçures qui se convertissent en lignes noires, absorbant par capillarité les liquides colorés au contact desquels l'usage les place journellement. On fait naître des tressaillures pour des poteries et des glaçures de composition convenable, soit par une trop grande épaisseur de la glaçure, soit t)ar un défaut de feu. Sous l'influence d'un feu convenable, la glaçure tressaillira, si sa fusibilité n'est pas assez grande ; elle présentera le même défaut si cette fusibilité se trouve trop considérable, ou bien encore si le biscuit sur lequel on l'applique n'a pas été cuit d'une manière assez énergique. Un biscuit trop cuit conduit encore aux mêmes accidents. Lorsque les tressaillures sont nombreuses, régulièrement disposées, elles donnent de la valeur à la pièce qui présente ce défaut, et qu'on appelle Iruitée. Les porcelaines chinoises truitées sont assez estimées; les Chinois les savént produire à volonté, car ils ont réservé sur des vases truités des zones à glaçure sans défauts. Pour rendre apparents les réseaux de craquelures, on les colore en immergeant la pièce dans une décoction bouillante d encre noire ou d'encre rouge. TROUS. — Nous avons indiqué la cause des trous dans la poterie simple ; les poteries composées peuvent présenter le même défaut, car les mêmes causes peuvent agir ici: en général, on les évite avec des soins et de l'attention. Salvetat, Leçons de céramique. 17e LIV. 25à GRANDES USINES l'être assez pour distiller trop vite , ce qui a rinconvénient de perdre une partie des gaz combustibles ne trouvant pas assez d'air pour s'oxyder complètement. La cuisson à la houille a été longtemps un sujet d'études et de controverses : après avoir été essayée à Lille de 1784 à 1786, dans la manufacture de Lepène- Duroo, elle fut abandonnée, parce que la pâte était souvent colorée par le feu, et la glaçure piquetée de cendre fine et terreuse. Sèvres possède une soucoupe fabriquée à Lille et qui porte la mention suivante établissant son origine : FAIT A LILLE, EN FLANDRE, CUIT AU CHARBON DE TERRE EN 1785, M, de Galonné, intendant des Flandres, avait fait accorder à cette manufacture un secours du gouvernement. Mais les terribles événements qui bouleversèrent la France à cette époque empê- chèrent la bienveillance royale d'avoir tout son effet utile. Jus- qu'aux dernières années de la direction de M. Brongniart, Sèvres ne cuisit qu'au bois. Mais, à la fin de 1846, on disposa un four pour cuire à la houille {a). M. Ebelmen dirigea les premiers travaux. Depuis cette époque, l'industrie privée adopta cette méthode économique, et M. Regnault fait appliquer en ce moment les procédés perfectionnés de M. Mourot, en usage à Limoges chez M. Marquet. La disposition est à peu près la même que dans (a) Quelque temps avant 1844, M. Kûhn, directeur de la manufacture de Saxe, avait introduit, pour cuire la porcelaine dure, l'emploi d'un charbon fossile, composé d'un mélange de charbon de terre et de Iismte, dans la proportion d'une partie de houille sur trois de lignite. C'est vers 1846 que la cuisson de la porcelaine dure, à l'aide de la houille pure, fut définitivement établie en France dans la fabrique de Noirlac, par MM. Vital-Roux et Mcrkens. Les avantages de ce procédé de cuisson économique ont été constatés par l'usage continu qu'on en a fait dans la manufacture de Sèvres. Le simple exposé de la question sufQt pour en faire apprécier l'importance. Si on compare seulement les pouvoirs calorifiques du bois et de la houille (456), on trouve que 120 stères de bois, pesant ensemble 42,000 kilogrammes, ont été remplacés par 16,500 kilogrammes de houille ; 1 kilogramme de bois, dont le pouvoir est de 3,000 unités, a été remplacé par 0 k. 39 de houille, dont le pouvoir calorifique, à raison de 7,000 unités par kilogramme, ne dépasse pas 2,730 unités. L'économie sur le nombre de calories dépensées sera donc, dans cette circonstance, d'environ 10 pour 100, abstraction faite des prix relatifs des deux combustibles. La diminution sur le prix de revient de la porcelaine résultant de l'emploi de la houille doit varier, on le con- çoit, avec la position des manufactures: on admet en moyenne que la valeur du bois consommé pour cuire les pièces de porcela'ines le plus ordinairement employées, les assiettes, par exemple, représente les 30 pour 100 du prix de revient; la réduction due à l'emploi de la houille sera d'environ 16 pour 100. L'adoption générale de ces procédé doit amener, comme conséquence forcéL», le déplacement de la fabrication de cette poterie, il faut, en effet, au moins sept ou huit parties de houille pour cuire une partie de porcelaine. On conçoit, d'après cela, qu'il SÈVRES 259 les fours au bois; la seule différence consiste dans le mode de renouvellement du combustible. On charge, dans le système appliqué maintenant, d'abord les alandiers par une ouverture maçonnée dès que le petit bois et la paille mêlés à la houille ont déterminé son incandescence , puis on renouvelle la charge de quart d'heure en quart d'heure au moyen d'un chariot glissant sous la grille. Cette disposition a l'avantage d'apporter le charbon sans introduction d'air froid. Pendant les deux premières heures, les charges ne se renouvellent ainsi que de quart d'heure en quart d'heure; mais au bout de douze heures on commence le grand feu en chargeant toutes les trois minutes , et en ajoutant un peu de bois à la houille apportée. La chaleur du four devient telle que tous les gaz produits par la distillation de la houille sont consumés entièrement, ainsi que le carbone déposé sur les parois et les cazettes, et à partir de ce moment la cheminée ne donne plus aucune trace de fumée. La cuisson marche avec la plus parfaite régularité. L'économie obtenue par ce mode de chauffage donne plus d'un tiers de bénéfice. Aussi le commerce l'emploie- t-il presque exclusivement aujourd'hui. Les pièces cuites sont attentivement examinées , et peu d'entre elles trouvent grâce devant la sévérité des administrateurs sera beaucoup plus économique de transporter les pâtes toutes préparées vers les mines de houille, que de faire arriver la houille près des carrières de kaolin. La cuisson à la houille, donnant de la fumée pendant la combustion, exerce sur les fonds de couleur dits de grand feu, une influence tantôt nuisible et tantôt favorable. Les fonds bleus ne prennent aucun glacé, ils sortent noirs et altérés; on a remarqué que les fonds céladon, au contraire, cuisaient avec une nuance et une teinte beaucoup plus agréables; le vert de chrome, dit vert au grand feu, se comporte de même. La possibilité de cuire la porcelaine dure au moyen des flammes combinées du bois et de la houille, procédé proposé par M. E. Chevandier, 1851 (444), doit permettre de donner économiquement à l'atmosphère des fours à porcelaine une composition telle, qu'on y puisse cuire avec succès et à volonté les couleurs qui exigent, pour être complètes, soit une atmosphère réductive, soit une atmosphère oxydante. Les gaz qui, par leur combustion, peuvent produire une température élevée, sont susceptibles d'être employés à la cuisson des poteries; plusieurs tentatives ont été faites dans ce sens. Un fait positif que nous pouvons faire connaître est relatif à la cuisson de la porcelaine dure au moyen du gaz extrait de la tourbe ; des résultats gatisfaisants étaient obtenus dans celte voie par M. Renard, à Saint Gond, près Etoges (Marne), 1847 (438), et, vers la même époque, MM. Desbrulais et Ollivier, à Pont-Rousseau, 1847 (437), puis, quelques mois plus tard M. Huard de Nothomb, se laissaient séduire par l'idée d'un combustible brûlant sans laisser de cendres, devant donner vraisemblablement économie de combustible, cuisson plus égale, altération moins grande des cazettes et de la chemise du four, enfin réduction notable dans les prix de l'encastage. C'est pour atteindre ce but bien complexe que M. Huard de Nothomb (brevet du 25 septembre 1847) utilise les gaz des hauts fourneaux, et que MM. Desbrulais et Ollivier disposent un four à porcelaine chauffé par des gaz qui s'échappent dus fours à coke^ et enfin que M. Michelet, de Gligny (445), cherche à cuire au moyen du gaz et de l'air chaud. [Exposition de Londres. — Compte rendu). 260 GRANDES USINES de la Manufacture , jaloux de conserver la réputation de sa marque de fabrique. Les unes trop défectueuses sont brisées sans pitié; les autres sont livrées au commerce privé, après avoir eu leur blason écartelé par une raie transversale. Ces pièces dont la marque est rayée sont encore assez estimées pour être vendues un grand prix comparativement à leur valeur. Les tasses et les soucoupes minces surtout sont instamment demandées, quel que soit leur défaut de blancheur ou de forme. Les belles pièces colorées , défectueuses seulement en un point , sont taillées et rognées par l'industrie privée qui les sertit ensuite d'ornements en bronze pour cacher le défaut. Les pièces jugées pures sont livrées aux. décorateurs. Jusqu'ici le commerce aurait pu à la rigueur imiter, à grands frais, les produits de Sèvres; il aurait pu, ce qu'il fait souvent du reste, copier les modèles et, en s'imposant des sacrifices, arriver à la pureté de sa pâte et à la beauté de ses formes; mais il lui est absolument impossible d'égaler son ornementation . Les procédés de dorure , argenture et peinture sur porcelaine sont d'une ex- cessive difficulté d'application ; il faut, pour s'en servir, les avoir reçus d'une tradition particulière à Sèvres et avoir subi un long et méticuleux apprentissage. En effet, il ne s'agit pas de prendre purement et simplement une couleur et de la plaquer sur une toile au ton où on la désire ; il faut étudier sur la plus ingrate et la plus capricieuse des palettes, et une à une, des couleurs difficiles à employer et devant changer à la cuisson. 11 faut savoir qu'en mettant un ton grisâtre, il deviendra carmin après le feu; un ton verdâtre passera à l'orange, un ton rose pâle disparaîtra et laissera une place blanche, puis des tons éteints sur lesquels on ne comp- tait pas deviendront du plus bel effet. C'est donc un art tout à fait à part et qui demande presque la science du chimiste jointe à l'habileté de main du dessinateur et du peintre. La première chose qui frappe en regardant la palette type accrochée au mur de l'atelier des peintres de Sèvres, est l'absence complète de couleurs franches. 11 n'y a ni ponceau, ni orangé, SÈVRES 261 ni azur ; le rouge est riolet, le jaune et l'orangé sont brunâtres, les bleus sont presque gris ; on ne peut donc obtenir des effets éclatants que par la jjxtaposition de couleurs complémentaires. Ainsi, une rose rouge entourée de feuilles vertes, parait plus rouge et les feuilles plus vertes par opposition. Mais ce qui est assez facile pour les fleurs e^t presque impossible pour les figures et les peintures classiques. Cette absence de couleur franche en porce- laine s'explique très-bi9n. On ne peut user des teintures végétales ou animales qui donnent de si beaux résultats pour la laine et sur- tout pour la soie; le moindre feu les ferait disparaître. Il a donc fallu avoir recours am oxydes métalliques, qui donnent des cou- leurs inaltérables, il es. vrai, mais toujours à tons rabattus. Il y a même entre ces couleurs des différences assez notables. Certaines d'entre elle? supportent les plus grands feux connus et sont cuites en plein feu avec la porcelaine blanche. Ce sont les bleus agates foncés et nuancés de l'indigo le plus éclatant et les verts de chrome , mais elles ne forment qu'une très-rare excep- tion. Les autres demmdent une cuisson bien plus méticuleuse dans de petits fours particuliers appelés moufles, boîtes carrées en terre cuite, pouvait se fermer hermétiquement. Les couleurs dites de moufles se d:visent encore en deux espèces : les unes cuisant à un demi graidfeu et donnant un beau glacé; elles sont en général très-limitees et destinées presque uniquement aux fonds et aux ornements. Les autres ne peuvent supporter qu'une température moins éle\ée, et fournissent une quantité presque in- finie de tons plus ou moins rabattus. L'application de ces couleurs sur les vases se fait ce trois manières : sous la glaçure, dans la glaçure, et sur la glaçure. Sous la glaçure, comme dans la plupart des peintures chinoises d'un seul ton, surtout bleu, on peint à la main ou on imprime sur le dégourdi avant qu'il ne soit enduit de sa couverte, et il faut alors que la couleur puisse, sans être altérée, supporter la température à laquelle fond la partie vitrifiable de la porcelaine. Dans la glaçure, on prépare une couverte colorée en ajoutant un 262 GRANDE USINES oxyde métallique à la barbotine feldspathique , et on y plonge la pièce avec un certain nombre de précautions et de tours de main nécessaires à la réussite de l'opération. On obtient ainsi des fonds unis bien glacés, et on évite un second grand feu toujours dangereux. Sur la glaçure, lorsqu'on veut conserver en blanc certaines places, on fait ce qu'on appelle des réserves, c'est-à-dire qu'on les couvre avec un corps gras au moment de l'immersion pour em- pêcher la glaçure de s'y fixer. Le troisième mode d'application des couleurs consiste à les placer sur la couverte déjà cuite en blanc et à faire ensuite re- passer la pièce peinte à un autre feu, sous l'influence duquel elles se vitrifient et s'identifient avec la glaçure. Ce procédé est le plus employé pour la décoration, l'ornementation, surtout en or et autres métaux, et il est le seul pour les peintures de grand art, comme portraits ou reproduction de tableaux. Les couleurs doivent être préalablement mêlées avec une com- position, nommée fondant, qui les entoure et les entraîne dans sa iasion avec la couverte. Il est variable suivant les différents oxydes employés, mais il renferme toujours du sable, du minium, du borax ou de l'acide borique en quantités calculées. Ce fondant est broyé mécaniquement avec les oxydes et mélangé intimement avec eux, puis le mélange est repris par l'ailiste qui doit l'employer, et broyé une seconde fois sur une plaque de verre dépoli avec une molette aussi en verre. Les oxydes de fer donnent du jaune, du rouge, du brun; les oxydes de manganèse, du violet ou du brun; les oxydes de chrome du vert, jaune ou bleu; les oxydes de cobah du bleu ; les oxydes d'urane du jaune ou du brun ; les oxydes d'or du rose ou du gris violacée ; les oxydes de platine du gris ; les oxydes d'iridium du gris ou du noir. Les couleurs une fois préparées et broyées en poudre fine, on les applique de différentes manières ; En enduisant d'une substance poissante, nommée mordant, les parties que l'on veut colorier et en y fixant de la couleur SÈVRES 263 en poudre; ce mordant est, en général, de l'huile de lin ou de noix, où l'on ajoute un peu de litharge, et qu'on fait cuire dou- cement sur le feu. Les anciens peintres de Sèvres se croyaient obligés de préparer des mordants bien plus compliqués; celui d'un nommé Hippolyte, célèbre en 1750, se faisait ainsi, dit M. Brongniart : On prenait cinq gousses d'ail et autant d'oignons blancs, que l'on coupait en petits morceaux ; on les faisait bouillir pendant huit heures dans un litre de vinaigre blanc. Un autre, non moins estimé, se composait d'un mélange de térébenthine et d'huile grasse, dans lequel on ajoutait un mor- ceau d'asphahe nommé momie, et qu'on faisait bouillir en y ajoutant un morceau de htharge suspendu dans un petit sac de linge. L'industrie d'autrefois est pleine de ces formules qui res- semblent à des recettes de bonnes femmes; mais, ridicules ou non, elles réussissaient souvent mieux que les compositions actuelles, composées suivant les principes les plus purs de la chi- mie moderne. Ainsi, le mordant du frère Hippolyte, dans lequel en éliminait les matières sucrées , avait le grand avantage d'é- loigner les mouches, qui, lorsqu'on employait les mordants fa- briqués au miel, ne manquaient pas de se promener sur le travail de l'artiste en le détruisant. Le second procédé consiste à mêler d'abord avec de la téré- benthine, en la broyant sous une molette sur une plaque de verre, la couleur déjà jointe au fondant, puis à l'appliquer sur la porcelaine avec un pinceau ordinaire, et à l'étaler en l'égahsant avec un gros pinceau, d'une espèce particuhère, nommé putois. Ce pinceau est disposé de façon que tous les poils se terminent par un plan perpendiculaire à la monture ; on obtient ainsi une sorte de pointillé d'un bel effet pour les fonds unis, ou nuancés comme les ciels. Il est cependant presque toujours nécessaire d'en doubler l'épaisseur par une seconde couche. Le troisième procédé s'exécute au pinceau par teintes plates juxtaposées comme dans l'aquarelle, en ayant soin, comme dans 264 GRANDES USINES ce dernier genre de peinture, d'aller du clair au funcé quand on est obligé de superposer pour obtenir le ton désiré. Ces trois modes sont appliqués toutes les fois que l'on veut fabriquer une pièce unique ou répétée une fois seulement, comme, par exemple, une paire de vases ou de coupes; mais lorsqu'on 'veut fabriquer un grand nombre de pièces semblables, comme un ^ service d'assiettes dorées et ornées , soit de peintures exactement pareilles, soit de chiffres et d'armoiries, on a recours à l'impres- sion. Ce fut d'abord à Liverpool, dans la manufacture du doc- teur Wales, qu'en 1751 on appliqua l'impression sur porcelaine En 1775, M. Bertevin, employé à l'hôtel des Invalides, en in- struisit M. Parent, directeur de Sèvres, qui le chargea d'imprimer ainsi le trait des camées antiques copiés pour Catherine de Russie ; on perfectionna ce procédé, surtout en Angleterre, pour la fa- brication de ces belles faïences en porcelaines opaques nommés cailloutages, et qui sont souvent des chefs-d'œuvre d'exécution et de bon marché. MM. Neppel, Paillard, Saint- Amans, Honoré, Decaen, firent faire, en France, de grands progrès à l'impres- sion sur porcelaine en appliquant les procédés de gravure en taille-douce , de lithographie , de gravure en relief sur bois, et de typographie. On comprend facilement la difficulté d'impri- mer sur une surface glissante comme la porcelaine, rigide, si- nueuse et inégale presque toujours. Il fallut trouver moyen de tourner ces difficultés, et on y est arrivé de la manière sui- vante : on grave d'abord à différentes profondeurs pour pouvoir charger des épaisseurs variables de couleur, et comme les pou- dres colorantes dont on se sert usent toujours les planches, on se sert d'acier plus résistant que le cuivre. — On prépare ensuite une huile visqueuse dans laquelle on ajoute la couleur qu'on désire en la mêlant avec une certaine quantité de noir de fumée qui dis- paraîtra au feu ; après avoir chargé la planche, on la tire en taille- douce sur un papier très-fin, sans colle, et légèrement humecté; une fois la peinture reportée sur le papier, on pose la feuille sur de l'eau ; puis, quand elle est suffisamment humectée, on l'ap- 266 GRANDES USINES pliquo sur le vase, â la paroi duquel les couleurs adhèrent : on enlève ensuite le papier, et le dessin reste fixé , surtout si l'on a eu soin de tamponner avant, pour l'appliquer plus fortement. A Sèvres, on décore rarement en couleur par ce moyen; les vases sont le plus souvent uniques ou peu répétés ; mais on dé- core beaucoup en or (filets, chiffres, armoiries, ornements de toute sorte). On emploie l'or dissous délayé dans un mordant en y ajoutant un tiers de noir de fumée et un quinzième de son poids de fondant. La quantité d'or fixée de cette façon serait tout à fait insuffisante. L'or ainsi employé ne produirait qu une empreinte trop faible donnant au brunissage un résultat insuffisant. M. Legros d'Anisy a inventé un procédé qui remédie parfaitement à cet inconvé- nient. Au moment où la pièce vient de recevoir l'impression dont la sécheresse n'a pas encore détruit la viscosité , on y ajoute au pinceau, de la poudre d'or très-fine, à laquelle on a mêlé cinq pour mille de fondant. On couvre les empreintes d'une couche aussi épaisse que l'on veut ; l'or ainsi apphqué tient très-bien, et donne au brunissage un très-bel effet. Quand on imprime en couleur, on ajoute de même à l'intensit-^ du ton par saupoudra tion. On peut aussi imprimer sur biscuit avant la glaçure , ou se servir de gélatine au lieu de papier; mais toutes ces opérations sont à Sèvres très-subsidiaires et le posage de la couleur au pin- ceau sur la glaçure est presque seul en usage, il y est poussé au dernier degré de supériorité. C'est un art particulier méritant seul le nom de peinture sur porcelaine, et qui a été exercé par de grands artistes. On ne peut exécuter cette peinture à un seul feu. On se trouve très-heureux quand on peut arriver à la faire à deux feux, souvent il en faut trois; quelquefois quatre, et même cinq de- viennent nécessaires. On s'étudie a prévenir ces feux successifs ; pour cela, il faut employer d'abord les couleurs les plus dures qui peuvent supporter l'action très-énergique du premier feu , SÈVRES 267 toujours beaucoup plus intense que les suivants. 11 faut avoir l'habileté de choisir exactement, et du premier coup, le ton que l'on désire, au lieu d'y arriver en tâtonnant et par superpositions de tons différents qui altèrent ou détruisent quelquefois les cou- leurs ; il est surtout nécessaire d'employer pour chaque feu des couleurs de même fusibilité, sans cela les unes ne viennent pas, et les autres sont détruites. Certains tons brillants ne peuvent être obtenus que par des superpositions ; là surtout il faut une grande science pour calculer l'effet que produisent aux différents feux les couleurs placées l'une sur l'autre. Ainsi, pour obtenir de beaux bruns carmélites , on pose d'abord des rouges de fer, puis on les glace à un second feu avec des pourpres ou des violets d'or, en évitant le carmin qui détruit les couleurs à base de fer. 11 est impossible de mentionner les précautions de toute sorte que devront prendre dans le mélange, la juxtaposition et la superpo- sition des couleurs , les artistes assez patients pour exécuter les chefs-d'œuvre de Sèvres; ce n'est qu'au prix de mille essais personnels, pour ainsi dire, et presque intransmissibles, qu'ils peuvent arriver à copier les magnifiques pages de nos grands maîtres et à décorer de brillantes fleurs et d'ornements habile- ment disposés les beaux vases et les grandes coupes qui font la gloire de la Manufacture ; que de difficulté aussi dans l'exécu- tion purement mécanique : — il faut peindre et peindre finement sur des surfaces souvent convexes, poser dans des boîtes mobiles, sa plaque ou son vase quelquefois très-lourd, s'agencer avec tout un attirail de crémaillères, de hausses, de tables à comparti- ments, c'est déjà un art presque entier que celui de savoir dresser convenablement la surface qui doit être peinte ; et, si le vase ou la plaque venait à être heurté ou rayé, si quelque pous- sière impalpable et presque invisible venait à tomber au milieu des chairs d'un portrait , et s'y fixer par la cuisson , en un gros point noir indélébile! — Aussi, que de précautions contre les accidents avec quel soin le peintre sur porcelaine emmaillotte son œuvre, demandant quelquefois des années entières d'exécution. 268 , . GRANDES USINES Puis viennent les transes du feu, et pour le peintre elles sont encore plus vives que pour le modeleur ou le tourneur, car il ne s'agit plus là d'une pièce en blanc pouvant être recommencée à peu de frais, il s'agit d'un objet sur lequel se sont accumulés le travail et l'intelli- gence d'un grand nombre de personnes. Il faut rendre justice aux artistes de Sèvres, les accidents, graves sont assez rares au feu de couleur; on n'arrive pas toujours, il est vrai, à l'effet demandé, mais aussi on n'a pas de ces difformités déshonorantes qui condamnent une pièce à être brisée ; la cuisson y est conduite dans un atelier spécial, confié à la direction du chef des travaux chimiques qui a préparé les couleurs employées, et qui peut ainsi lui-même surveiller le résultat de la fabrication spéciale dont il est responsable. Les pièces colorées se cuisent dans des fours en terre cuite nommés moufles, faits d'une pâte presque semblable à celle des cazettes et dans lesquelles il est possible de regarder au moyen d'une douille dans laquelle on fait passer une montre qui porte, outre une petite couche d'or, une teinte de carmin d'or dégradé. Suivant la coloration et le glacé de la montre , on juge tle la conduite du feu. fait toujours au bois à longues flammes. Ici, l'emploi de la houille est presque impossible, et les accidents qu'elle pourrait causer seraient trop graves pour compenser la très -mince économie apportée sur les dépenses du feu d'une œuvre d'art. Les principaux accidents qui peuvent résulter de la cuisson sont un excès ou un manque de feu : dans le premier cas, les bleus, les verts et les noirs deviennent dominants, les roses et les gris s'altèrent ou disparaissent, les rouges passent au brun noir: et alors, la pièce est sinon perdue, au moins si malade qu'il vaut souvent mieux l'abandonner que d'essayer de la sauver. Lorsqu'il n'y a pas eu assez de feu, les couleurs ne glacent pas, l'or n'est pas fixé ; on peut en partie remédier à ces inconvénients par un nouveau feu. Quelquefois la surface s'écaille soit par excès de feu, soit par SÈVRES 261» le mauvais emploi des couleurs appliquées trop épaisses ou mal disposées. Cet accident se répare assez bien maintenant, grâce à un procédé dû à M. Villermé, ancien chef de l'atelier de peinture à Sèvres. C'est au moyen de l'acide fluorhydrique liquide qu'on peut enlever la couleur à la place défectueuse, en passant rapide- ment un pinceau imbibé sur la surface. On lave ensuite à grande eau et plusieurs fois, de manière à enlever les dernières traces d'acide. On peut repeindre sur la place ainsi blanchie, et la re- touche a souvent d'excellents résultats. D'autres fois certains endroits viennent ternes à côté des au- tres parfaitement glacés , ou bien les couleurs se retirent en lais- sant de petites places blanches, ou bien encore une grêle de petits points noirs vient s'abattre sur la plaque, et le plus sou- vent dans les bleus du ciel ou bien dans les tons clairs d'une figure. Ces points sont enlevés quelquefois par un second feu, mais pas toujours, et alors il n'y a aucun espoir de les voir dis- paraître. Au sortir de la moufle, la pièce, plus ou moins réussie, est acceptée telle qu'elle est, ou bien on la retouche jusqu'à ce qu'elle satisfasse et l'artiste et les administrateurs. La peinture sur porcelaine dure a pour avantage principal l'inaltérabilité absolue, au temps, à l'air et aux principaux agents de destruction qui menacent toute autre peinture. Il ne faudrait cependant pas placer à l'intérieur des coupes ou assiettes pouvant recevoir soit du citron, soit du vinaigre, soit quelque autre acide, certaines couleurs reconnues comme altérables ; il en est même qui sont attaquables à la vapeur d'eau, mais on ne s'en sert que pour les vases d'ornement pur. Quand la pièce a été reçue définitivement, elle est tantôt en- voyée en cadeau par le souverain, tantôt réservée à l'usage des châteaux impériaux ; si sa destination n'est pas immédiatement décidée, elle est portée dans un magasin spécial qui est une des grandes curiosités de la Manufacture: ce magasin, ouvert au pu- blic, renferme, outre les objets d'art remarquables et d'un prix 270 GRANDES USINES très-élevé, des pièces de moindre valeur qui peuvent être ache- tées et livrées immédiatement. Pour toutes les porcelaines qui excèdent une certaine somme , il faut une autorisation spéciale pour en permettre la vente et la sortie. Pendant une certaine période, quelques grands artistes, encou- ragés par M. Brongniart, avaient mis justement en honneur la reproduction des tableaux de maîtres sur plaques de porcelaine. La plupart de ces pièces, qui sont de véritables tableaux, ayant une valeur énorme, sont exposés aux magasins de la Manufacture. Les plus importantes sont : De M™ Jacotot: une Sainte Cécile, Jeanne d'Aragon, Jules IL le portrait de Raphaël, d'après ce maître; — Psyché et l'Amour, d'après Gérard ; — une grande et magnifique page représentant l'enterrement d'Atala, d'après Girodet. De Constantin : la Messe de Bolsena , la Délivrance de saint Pierre, une Vierge, la Fornarina, d'après Raphaël ; — l'entrée de Henri IV à Paris, d'après Gérard. " De M™® Laurent : le Charles P"" de Van Dyck. De M™ Ducluzeau: la Vierge au Voile, de Raphaël; le portrait de Van Dyck par lui-même ; une Sainte Thérèse d'après Gérard; une très-belle page d'après le portrait sans auteur connu, dési- gnée sous le nom d'Homme à la barbe rousse. De M""^ de Treveret : la Lecture, de Gérard Dow. De Béranger : le président Richardson, d'après Rubens ; — la Maîtresse du Titien, d'après le Titien. De F. Robert : le Gué, d'après Karel Dujardin, charmant tableaul parfaitement réussi. Outre ces tableaux, le magasin renferme un grand nombre de très-remarquables pièces. Ainsi un meuble , de ceux que l'on appelait cabinets sous Louis XIV, est orné de ravissants pan- neaux représentant diverses scènes chinoises ; l'ensemble en a été composé sur les dessins de L. Feuchère ; les plaques ont été peintes par MM. Langlacé et J. André, d'après Borget et Devilly: les ornements ont été exécutés par M. Huard. SÈVRES 271 Une table guéridon, d'après les dessins de Chenavard, décorée d'une belle couronne de fleurs par Jacobber. Un service de déjeuner, exécuté par F. Robert avec une remar- quable perfection, représente divers sujets de chasse; sur le pla- teau est peinte une chasse dans la forêt de Fontainebleau, donnant, au dernier plan une vue du château. Un autre service de déjeuner décoré d'une manière très-origi- nale par Charles Develly. Le peintre a figuré sur les tasses et les soucoupes les différentes opérations de la céramique en difî'érents pays, et sur le plateau, l'avenue qui conduit à la Manufacture, servant de place d'exposition aux différents produits céramiques du monde. Les vases de toute taille et de toute disposition abondent aussi dans les magasins de Sèvres : les plus importants ont été exécutés et décorés sous la direction ou par les mains de MM. Pierre Schilt, Labbé, Choiselat, Dieterle, Béranger, Nicolle , Barriât, Régnier. Quelques pièces en faïence et en porcelaine tendre commencent à paraître aussi soit dans le magasin lui-même, soit dans les salons qui l'avoisinent. Ces deux fabrications remises tout récem- ment en honneur , ont donné , sous l'habile direction de M. Re- gnault, les meilleurs résultats, et bientôt le magasin de Sèvres n'aura rien à envier à son riche Musée céramique, fondé par M. Brongniart, et si bien dirigé par M. Riocreux (a). (à) Le personnel, fixe et flottant, de la Manufacture, se compose environ de deux cent quarante personnes : Administration • MM. REGNAULT, membre de l'Institut, administrateur; NICOLLE, adminisirateur adjoint; GUILLET, agent comptable ; RIOCREUX, conservateur des collections et de la bibliothèque; MILET, chef des aleliers des pâtes et fours; ROBERT, chef des ateliers de peintures et de bronzes; SALVETAT, chef des travaux chimiques; J. MEYER, chef de l'atelier d'émaillage; J. PEYRE, dessinateur en chef pour les formes. Soixante artistes, peintres et doreurs, parmi lesquels nous signalerons MM. BARRÉ, CABOT, BULOT, l'AL- LANDRE, peintres de fleurs; ROUSSEL, FRAGONARD, Madame FARAGUET, peintres de ligures; JULES ANDRÉ, P. LANGLOIS, paysagistes; BARRIAT, RICHARD, ornemanistes; neuf sculpteurs; dix-sept mouleurs- réparateurs; dix-huit tourneurs. Le reste du personnel se compose des employés de bureaux et de? gagistes employés aux travaux divers • fOurs, préparation des pâtes, mise en converte, etc. £72 GRANDES USINES Soutenue par la protection éclairée du souverain, dirigée par un de nos savants les plus (distingués, administrée par des hommes actifs et habiles, réunissamt des chimistes, des artistes et des ouvriers exceptionnels donit le seul défaut est de ne pas être assez rétribués, Sèvres peut et (doit tout faire en céramique. Pour cela il faut que sous une ferme impulsion , la Manufacture s'affran- chisse des formes roides est guindées que lui a transmises l'école de David, dont l'influence reste encore si puissante sur tous nos arts, même d'ornement; qu'elle se crée un style propre à elle- même, sinon qu'elle s'inspire des admirables formes de l'antiquité, de la renaissance, etsurtouft de cette période si prospère de la por- celaine de l'époque de Louiis XVI. Depuis la l'" édition de ce livre, l'ancienne manufacture est remplacée par des constriactions nouvelles élevées dans le parc de Saint-Cloud. — Dans la. prochaine édition, nous en ferons une description spéciale. PIN 1)Ë SÈVRES Paris. Typ. H. Pion ORFÈVRERIE CHRISTOFLE Les métaux précieux sont rares, les monnaies et les bijoux les absorbent. 11 en reste à peine de petites quantités pour les usages réellement utiles qu'ils pourraient, qu'ils devraient avoii presque exclusivement. Si les pièces de monnaie sont nécessaires pour les transactions, si les bijoux sont un ornement agréable, l'orfèvrerie, nous disons l'orfèvrerie usuelle, est d'une utilité per- pétuelle liée aux plus intimes besoins de la vie. En efiet, la grande valeur des métaux précieux est leur inaltéra- bilité bien plus que leur éclat ou leur couleur ; le cuivre rouge, parfaitement décapé, est bien plus beau que l'or ; l'acier poli est plus brillant que l'argent. Mais le cuivre et l'acier s'oxydent et se sulfurent, leur éclat et leur couleur se ternissent et disparaissent en quelques instants, — une lèpre noirâtre remplace bientôt le métal. Un inconvénient grave résulte de cette altérabilité. Le métal se désorganise, se détruit, et d'un vase élégant fait une masse fort laide bonne à jeter à la ferraille; ou, si l'on persiste à s'en servir, des poisons subtils se forment et bientôt des mala- dies, dont on ne connaît pas la source, se développent et conduisent quelquefois à la mort. Qu'on nous permette de citer un exemple : T. I. » 18" uv. tu GRANDES USINES A Toulouse, on montre, sous le nom de Châleau-'d'Ean, un très- bel appareil qui sert à élever l'eau de la Garonne assez haut pour qu'elle puisse partir de là pour les quartiers les plus ^eculés de la ville; le préposé à la garde et à l'entretien de ce Château-d'Eau mène avec ostentation les voyageurs de passage dans cette ancienne capitale du Languedoc jusqu'au bassin supér'our où l'eau s'amasse avant d'être distribuée dans la ville. Ce bassin est parfaitement disposé, c'est un chef-d'œuvre de mécanisme et d'aménagement, mais... le bassin est en cuivre, et, comme la meilleure condition pour produire d*e l'oxyde et des carbonates de cuivre, éminemment toxiques, est d'exposer ce métal à l'humidité de l'eau, puis immédiatement à Faction de l'air, et surtout à l'air chaud du Midi; comme à chaque coup de pompe l'eau s'élève, le flot produit vient dissoudre et emporter un peu de vert-de-gris, pour le répandre ensuite dans les di- vers réservoirs de Toulouse et causer aux habitants des troubles de santé qu'ils attribuent à différentes circonstances climatéri- ques; et jamais on n'a eu l'idée de dorer, d'argenter ou de pla- tiner la face interne de ce bassin, ce qui ne coûterait pas bien cher et donnerait la santé à une ville entière. Ce que nous venons de dire pour le réservoir de Toulouse, nous pouvons le répéter pour une grande partie desvasés qui servent à préparer nos aliments. Si quelqu'un descendait dans les cuisines de ces restaurateurs renommés, où d'assez nauséabonde nourri- ture se vend si cher, et se sert si pompeusement dans de la vais- selle plaquée pré fentieuse, on verrait que les casseroles sont bien peu étamées, et que des préparations culinaires, souvent acides, refroidissent et restent plusieurs heures er. r.ontact avec des sur- faces de cuivre oxydé ou tartré; que les fourchettes et les cuillers désargentées montrent leur laiton vert-de-grisé. Nous aimerions mieux un peu moins de dorure au plafond, un peu moins de pmn- lure sur les panneaux et quelques casseroles d'argent à la cuisine, ou sinon d'fVgent, au moins de maillechort fortement argenté. Cette vérité a été reconnue de tout temps, et de tout temps on ORFEVRERIE CHRISTOFLE 275 a essayé de revêtir d'une couche de métal inaltérable les vases utiles dont on voulait garantir rinnocuité, ou les vases sacrés dont on voulait conserver l'éclat. Mais cette industrie, quoique très- ancienne, est loin d'être arrivée non-seulement à son degré maxi- mum, mais même aux premières notions d'utilité. C'est, à notre avis, un art qui commence à naître et dont la portée est encore in- connue. Chez les Romains, la dorure seule était en usage, l'argenture ne l'était pas, et encore cette dorure ne s'appliquait guère qu'au plafond des temples, aux statues des dieux. D'après Pline, ce serait sous la censure de Lucius Mummius, après la destruction de Car- thage, que l'on commença à dorer le plafond du Capitole. C'était au moyen de feuilles d'or battu, étendues entre deux lames de bau- druche, que l'on revêtait les poutres des palais et des temples. D'une once d'or, les anciens tiriïient environ sept cent cinquante feuilles de quatre travers de doigt en carré ; les plus épaisses étaient appelées bracteœ Prœnestinœ, parce que la statue de la fortune à Préneste était dorée avec ces feuilles ; les plus minces se nommaient bracteœ quœstortœ. Les doreurs modernes font des feuilles beaucoup plus minces, et en trouvent plusieurs miUiers là où les autres n'en faisaient que sept cents. — Les anciens doraient sur bois au moyen d'une composition nommée leucophoron, espèce de terre gluante qui retenait l'or et permettait de le brunir. Ils se servaient aussi de l'albumine et de la colle pour tous les objets qui ne craignaient pas l'humidité. — Mais leur manière la plus fréquente de dorer était une sorte d'incrustation de lames de métal, mêlée avec d'autres incrustations d'ivoire ou d'ébène, comme l'indiquent les vers suivants de Properce : Quod non Tœnaris domus est mihi fulta metalliSf Nec caméra auratas inter eburna trabes. Ces incrustations se payaient un grand prix ; ainsi, les dorures du temple du Jupiter Capitolin avaient coûté à Domilion ORFEVRERIE CinilSTOFLE. — la cour des ] iles. ORFEVRERIE CIIRISTOFLE plus de douze mille talents, c'est-à-dire plus de trente-six millions de francs; Plutarque ajoute que cette profusion n'était rien auprès des galeries, des basiliques, des bains des Concubines de Domitien, et, à cette époque, la mode s'établit, même chez les particuliers, de faire dorer les murs, les planchers et les chapi- teaux des colonnes de leurs maisons. Ils les recouvraient aussi en lames solides, véritables pièces d'or- févrerie; ces lames s'appelaient aurum crassumvel solidum, pour les distinguer des feuilles d'or battues, qui se nommaient 5mc^ecp D'après Lucain, les poulres du palais de Cléopâtre avaient été incrustées ainsi, et, cette prodigalité était telle, que le satirique la classe au degré des luxes les plus grands, que les siècles les plus corrompus toléraient à.peine dans les temples. Mais la plus célèbre' folie de dorure faite autrefois, fut le revêtement entier du temple de Pompée, que Néron fit orner lorsque Tiridate, roi d'Arménie, vint le voir à Rome; cette décoration si somptueuse, avait été disposée pour un seul jour, et il y eut une telle exhibition de vases et d'ornements d'or dans ce temple tout doré, que ce jour ut appelé le jour d'or. Pour la dorure et l'argenture sur métaux, le procédé était tout différent : le plus employé et le plus ancien était une sorte de placage très-solide que l'on retrouve dans quelques statues assy- riennes, dans un grand nombre de médailles et de monnaies faites en cuivre, dites founées, et recouvertes d'une couche d'argent assez épaisse, pour que la pesanteur spécifique seule ait pu révéler la fraude. Plusieurs objets de vaisselle, trouvés à Pom- péï, sont en cuivre plaqué d'argent et non argenté. Au moyen âge, ce procédé fut aussi employé, car on en retrouve'les traces assez souvent dans certaines pièces d'orfèvrerie. Ainsi, récemment, on a découvert près de Dieppe, dans un cimetière mérovingien, une boule de cuivre, couverte d'une assez épaisse feuille d'argent alliée de cuivre; quelques assiettes plates, des quinzième et sei- zième siècles, sont de même espèce. — Sur quelques anneaux des époques mérovingiennes, une fouille d'or entoure le cercle de GRANDES USINES bronze, et cache le plus souvent le monogramme du possesseur de la bague. — Pendant tout le moyen âge, les Arabes se servaient aussi du placage, qu'ils exécutaient avec une rare habileté; on dorait aussi beaucoup au moyen d'un amalgame d'or et de mer- cure. On mettait au vif, soit par un acide, soit par frottement, le cuivre, le bronze, ou même l'argent qu'on voulait dorer, on les frottait de mercure, puis on appliquait sur ce dernier métal une lame d'or. En passant ensuite la pièce dans un feu assez vif, le mercure s'évaporait, et l'or restait fixé sur le métal, où on pou- vait le brunir, comme si c'eût été de l'or pur. On se servit ensuite de deux systèmes, qui dérivent du pro- cédé ancien, la dorure en feuille sans mercure — et la dorure par amalgame. La dorure en feuille sans mercure s'opère en rayant, de manière à former des sortes de hachures, la surface du métal que l'on veut recouvrir d'or et d'argent, on le chauffe ensuite jusqu'-^u bleu, et, au moyen d'un brunissoir, on le recouvre de lames d'or qui adhèrent alors complétememt au métal, grâce à l'action de la chaleur. Ce procédé était celui (des ouvriers itaUens, connus sous, le nom d'azzimistes, qui avaient emprunté leur art aux damas- quineurs persans («). Dans le second système, on tfait diss( idre de l'or à chaud dans du mercure; on filtre alors; l'amalgame à travers une peau de chamois pour l'épaissir et on l'appUque sur l'argent ou le cuivre fortement chauffé. Ce dernier procédé est celui qui donnait les meilleurs résultats jusqu'à l'invention de la dorure électro-chimique, mais il avait de grands inconvénients pour la santé des ouvriers qui l'employaient. En effet, le passage au feu de la pièce recouverte de l'amalgame détermine un dégagement consi(dérable de mercure' qui cause les ('/) Les procédés de damasquinnre italienne étaient: de trois : des travaux dus à cet art prenaient le nom Ùe lavorx alla tauna, alla datnaichina, aW algemina. (Chacune vie ces dénominations provenait d'une éty- mologie arabe : la première, du verbe tauna, qui sigmilie enchevêtrer des ornements ; la seconde, de Uama», où les ouvriers étaient connus par leur habileté; la troisième. d'El Agem, la Perse, dont les ariistes iouis^ ■aient d'une très-grande célébrité. ORFEVRERIE GHRISTOFLE Î79 accidents les plus séi'ieux. Vers 1 81 8 ^ M. ï^u^der inventa un sys- tème de foyer d'appel qui entraîr -i^ energiquement les vapeur mercurielles, et depuis ce temps on pratique encore , mais de moins en moins, la dorure au mercure ; c'est surtout pour fabri- quer le vermeil que ce procédé a été conservé. On dorait aussi en frottant la pièce à dorer avec des cendres de chiffons imbibées de chlorure d'or et de cuivre , ou bien en trempant le métal dans une solution de chlorure d'or mêlé d'éther sulfurique : ce der- nier mode a été employé en Angleterre, surtout pour le fer et l'acier poh, particuHèrement pour les aiguilles. Mais les dorures faites par ces deux procédés ne sont ni belles ni durables. L'argenture ne se fait pas par amalgame, elle ne s'opère le plus souvent que par l'application de feuilles d'argent sur cuivre ou laiton au moyen du brunissoir; mais comme l'argenture s'exécute à chaud, après avoir eu soin de décaper l-'^iutre métal, elle tient assez bien, quoique pouvant se faire à bon compte. En Allemagne, on emploie le nitrate d'argent cristallisé, mis en pâte avec du borax. La pièce vernie de ce mélange est soumise à un feu couvert de charbon de bois chauffé jusqu'à fusion du nitrate d'argent et du borax. L'argenture faite ainsi est assez sohde, mais chère. On emploie pour quelques argentures légères d'autres procédés plus ou moins bons, mais dont aucun ne vaut, pour la solidité et l'économie, les moyens galvanoplastiques. Il y aurait beaucoup à dire sur les procédés employés depuis la fm du siècle dernier pour appliquer les métaux précieux sur les autres. La belle dé- couverte de Thomas Bolsover, appliquée et perfectionnée par Joseph Hancock ("), donna une nouvelle et très-importante impul- (a) En 1742, un compagnon de la corporation des couteliers de Sheflield, nommé Thomas Belsover, rac- commodait un manche de couteau, recouvert d'argent par le procédé des anciens plaqueurs. Ce travaille fil réiléchir au moyen de fabriquer des objets semblables avec solidité, facilité et économie. Mettant en exécu- tion les idées qu'il avait conçues, il lit d'abord quelques tabatières et des objets de faible valeur. Joseph Hancock contribua beaucoup à faire connaître et apprécier les mérites de l'invention de Bolsover. Voici en quoi elle consiste : un lingot de cuivre bien limé est placé entre deux lingots d'argent d'une épaisseur bien moindre, par exemple, le dixième, le vingtième, ou le trentième ; les trois lingots, enduits de borax humide et superposés, comme on vient de le voir, sont serres avec du (il de fer et placés dans un fourneau à courant d'air. Dès que le bouillonnement sur le bord des lingots annonce que la brasure s'opère, l'opération pricai- ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 281 sion àrindustrie du plaqué, et jusqu'à l'invenlion d'Elkingtott elle acquit une importance de plusieurs millions par année. ORFEVRERIE CHRISTOFLE. — Atelier de galvauoi.Iastie. La dorure sur bois, cuir, carton, papier s'est maintenue, car on n'a pas encore usé de l'électricité pour ces diverses sortes pale est achevco. Le lingot retiré du feu se lamine ensuite à l'épaitscur que l'on désire, et la résistance réciproque des deux métaux est telle que le lingot plaqué d'argent peut s'étirer à cinq cent fois sa longueur, sans altérer l'épaisseur relative du cuivre et des deux feuilles d'argent dont il est accompagné. On fait encore plus facilement du plaqué simple en n'appliquant l'argent que sur un côté du lingot de cuivre. Le titre do l'argent employé est celui de la monnaie, de sorte qu'il jouit d'une durée aussi coiisidénible, au moins, que celui de l'orfèvrerie. Dés que les feuilles de plaqué sont ainsi obtenues, on comprend que tous les moyens d'exécution usités dans l'orfèvrerie leur sont :>pplicables. Mais, pour épargner les frottements' du lour des insliumcnts qui, usant la coucbe d'argent, feraient reparaître le cuivre, on évite autant que possible même l'oml;tiutissag«^ 282 GRANDES USINES d'application de l'or. Cependant il n'est pas doutenx que des efTorls sérieux soient faits dans ce sens, car un procédé pour la dorure et l'argenture sur soie a déjà été essayé avec quelque succès. La dorure électro-chimique est basée sur un système tout diffé- rent: le dépôt de molécules métalliques en suspension dans un liquide sur un autre métal solide. Ce procédé, déjà ancien, avait été perfectionné par Baumé mais il était encore très-incomplet lorsque les travaux d'abord purement scientifiques de la physique et de la chimie modernes vinrent, au commencement de ce siècle, donner le jour à une nouvelle industrie aujourd'hui florissante, et qui est loin d'avoir atteint ses dernières hmites : l'électro- métalhirgie. Vers 1805,Brugnatelli racontait dans une lettre à Van Mons, qu'en profitant d'une des propriétés de la pile de Volta, il avait pu faire déposer sur une pièce d'argent l'or contenu dans un sel nommé ammoniure d'or; mais cette remarquable découverte n'eut aucune suite. et l'on a recours à l'estampage, appliqué d'abord en petit à la fabrication des boutons de plaqué et mainte- nant à la fabrication des grandes pièces : l'estampage se fait au mouton. La matrice d'acier, qui d it imprimer tous ses détails sur la plaque, est gravée avec beaucoup de soin et bie.i trempée. Celle p.irtie de travail est tres-disp.'iid euse, mais devient une économie pour le5 objets d'un usage très-répandu e,i évitant une grande main-d'œuvre. Quand la matrice est en place, on y eu le du plomb gui s'y moule exactauent ; ensuite, sur celte masse de plomb refroidie et restée dans le creux, on baisse le mouton, dont la face in- férieure, déchiquetée comme une râpe, s'accroche dans la masse de plomb et l'enlevé de la matrice oii elle egt moulée. Après ces préparatifs terminés, les feuilles de plaqué, convenablement ébauchées, sont soumises à l'action du mouton, que l'ouvrier soulève avec une corde munie d'un éirier. l.e.moutun frappe avec sa tète de plomb et pousse la feuille de plaqué dans !a matrice ; après quelques coups, la pièce que Ton veut obtenir peut être retirée du creux dans un état complet d'achèvement. Ces procèdes soni les mêmes qu'on applique au doublé d'or pour la bijouterie, seulement les creux sont gravés avec encore plus 'de soin et de précision. Un ini'onvenient du plaqué que l'on prévit sans doute dès l'origine, c'est que, partout où l'on aperçoit son bord, le cuivre doit paraître. On y remédia de bonne heure, .et vers 179-2 on adaptait déjà aux ouvrages de plaqué des bords en argent soudé à l'ètain. (EXPOSITION DE LONDRES. — Compte, rendu.) (a) Lor.'que 1rs horlogers veulent dorer quelques petites pièces de cuivre ou d'acier, leur méthode ordi- naire est de plonger la pièce dan< une dissolution d'or par l'eau réga e. Suivant les lois de la plus grande afiinité le fer ou le cuivre est dissous, et l'or abandonné de son acide se dépose, s'étend sur les pièces et les dore. Dan- re procédé, comme la dissolution d'or est toujours avec excès d'acide, cet acide qui n'est point sa- turé agit sur les pièces, en détiuit les vives arê'es et leur ôte la précision que l'ouvrier leur avait donnée. M. Beaumé a imaginé de n'i parer une dissolution d'or avec le moins d'excès d'acide p ssible. Pour cet effet, il fait évaporer la dissolution d'or par l'eau régale jusqu'à cristallisation, il pose ses cristaux sur du papier qui en absordo toute 1 humidité, il les dissout ensui e dans l'on distillée. La dissolution ainsi préparie attaque très- légèrement les pièces dél cates d'horlogerie, et seulement pour appliquer l'or à leur surface; on h s lave ensuite avec de l'eau. On obtient de cette manière une dorure plus belle, plus brillante, plus solide, et qui ne laisse pas de petits points noirs non dorés, comme il arrive par le procédé oïdinaire. {Encyclopédie.) ORFILVRERIE CHRISTOFLE 283 _ Vers 1840, les heureuses recherches de M. Becquerel sur les phénomènes électro- chimiques vinrent rappeler rattention des savants sur la possibilité de créer des dépôts métalliques solides au moyen de la pile. M. Jordan, en Angleterre, M. Jacobi, à Saint-Pétersbourg, purent ainsi obtenir un cuivrage aussi intense que possible sur des objets placés dans une dissolution de sulfate de cuivre, en ayant soin de les attacher au bout du fil conduc- teur répondant au pôle négatif de la pile, et en laissant libre dans le hquide le pôle positif. Le succès obtenu par le cuivre dé- termina des recherches pour les autres métaux, mais on eut beau employer les piles successivement inventées par MM. Bunsen, Grove, Daniell, Smée, Archereau, essayer les différentes disso- lutions acides d'or et d'argent, rien ne réussit absolument, et les travaux de MM. de la Rive, Bœttger et Elsner, très-curieux au point de vue scientifique, ne servirent à rien au point de vue industriel. Pendant ce temps, TAllemagne ne restait pas en arrière de la France et de l'Angleterre, et dès 1839, Berzélius faisait connaître un procédé trouvé par Elkington en 1836 dans lequel, après avoir prépa . j une solution bouillante de chlorure d*or dans le bi-carbo- nate de potasse, on y plongeait les métaux à dorer, mais le dépôt était toujours- très-léger et ne se faisait pas sur le fer direct; ce métal devait être préalablement recouvert d'une couche de ôuivre. En 1840, les essais furent de plus en plus heureux, et M. El- Iiington prit en France un brevet pour dorer et argenter, en se servant de sel d'or ou d'argent uni avec le cyanure de potassium. Quelques mois plus tard, M. de Ruolz prit un autre brevet dans le même but, mais en indiquant le prussiate de potasse au lieu du cyanure de potassium. Il y eut à ce moment une véritable fureur d'électro-métallique, et le 19 décembre 1842. l'Académie des sciences, sans s'inquiéter des questions de priorité d'inven- tion, décerna un prix solennel à MM. de la Rive, Elkington et de Ruolz, pour avoir enlevé tout danger à une industrie jusque-là toujours insalubre et souvent mortelle. 286 GRANDES USINES Comme l'Académie des sciences et comme les dilTérents jurys des expositions universelles de Londres et de Paris, nous ne nous occupons pas de cette priorité d'invention, qui causa tant de procès, et nous décrivons de notre mieux l'usine de M. Chris- tofle, le véritable fondateur, en France, de l'industrie qui nous occupe. M. Christofle n'a pas la prétention d'avoir rien inventé, il était orfèvre et bijoutier («) ; comprenant l'importance pour sa profes- sion des nouvelles applications, il a acheté fort cher, d'abord les brevets de M. de Ruolz, puis ceux de M. Elkington, quand il a cru douteuse la vahdité des premiers ; il s'est conduit en com- merçant loyal, et, sachant appUquer ses connaissances acquises dans le traitement des métaux précieux, il a, de ce qui n'était que des données scientifiques, construit et créé une industrie considérable qui occupe déjà chez lui seul plus de quinze cents personnes. On ne peut se figurer le courage nécessaire pour fonder une industrie; l'histoire de M. Christofle e;st un des exemple^ les plus frappants de persévérance etde volonté. Premier payement à M. de Ruolz, cinq cent mille francs à M. Elkington, cent soixante autres mille francs à M. de Ruolz e( à son associé, dépenses inhérentes à toute création, dévorent la fortune de M. Christofle; il fait appel à ses amis qui lui confient seize cent mille francs, et donne alors une impulsion à l'industrie naissante pour laquelle, en 1844, il avait déjà reçu la médaille d'or et la croix de la Légion d'honneur. (a) M. Christofle a débuté dans la carrière industrielle .comme apprenti pendant trois ans, puis ouvrier pendant un an et ensuite intéressé dans la maison Calmette. A -vingt-quatre ans il se trouvait à la tête de la plus grande manufacture de bijouterie de son temps; c'est à ce ititre qu'il ottint la médaille d'or à l'exposition de 1839. Chef de cet établissement depuis 1831, il reçut une se^condc niedaille d'or en I8i4 pour son expo- sition de bijouterie et pour ses ouvrages de dorure et d'argentuiie par voie humide ; il exploitait les brevets pris par MM. Elkington et de Ruolz. Le rapporteur du jury des sciences chimiques, M. Dumas, après avoir donné de grands éloges à la fabrication de M. Christofle et fait ressortir ses avantages pour la dorure des bronzes et l'argenture de l'orfèvrerie, disait en terminant: » L'argenture voltaïque constitue donc une branchQ > de l'industrie nouvelle qui, exploitée déjà sur une grande èctoelle, prendra, on peut le prédire, un rang » trés-élevé dans la consommation, à mesure qu'elle sera miemx connue. Le jury central a été frappé des » excellentes dispositions prises par M Christofle, pour assurer iii sa nouvelle et délicate industrie la produc- » tion régulière et loyale, qui garantit la conUance et la faveur (des consommateurs éclairés. La comptabilité > est tenue de telle manière que le poids de l'or ou de l'argent (est garanti par M. Christofle, e'. que le mode de vente qu'il a adopté repose siir cette base. » (Exposition die Londres. — Comvte rendu.) ORFÈVRERIE GHRISTOFLE 887 Mais alors une contrefaçon forminable s'élève et s'crganise; M. Christofle, qui veut jouir du bénétlce de ses dépensc^s hardi- ment faites, de ses travaux courageusement exécutés qui com- mencent à porter leurs fruits, ne craint pas de s'adresser à la justice de son pays et engage une suite de procès dont il sort tou- jours honorablement vainqueur, malgré la lutte achaimée que soutiennent ses adversaires. En 1847, le chiffre des affaires de la maison s'élève déjà à dei.i miUions; en 1850, elles montent à deux millions cinq cent mille francs. En 1851 commence un nouveau procès qui dure jusqu'au 15 mars 1853, où la Cour de cassation confirme l'ariêt de la Cour impériale du 3 février 1852, tendant à maintenir les droits des brevets Elkington, quoique ceux de M. de Ruolz fussent ex- pirés dans leur dixième année. A partir de ce moment, la vie de M. Christofle fut unu longue suite de succès, et le courageux manufacturier put voir se déve- lopper son usine, encouragé par les premières médailles^ à toutes les expositions universelles nationales et provinciales. Il porta le capital de la société à trois millions, s'adjoignit son gendre, M. de Kibes, dont l'activité et la bonne administration donnent une nouvelle impulsion aux affaires de la maison qui, en 1859, dépas- sèrent le chiffre de six millions. Cette même année, des questions de douane déterminèrent la création d'une succursale à Car Isruhe. Quelques chiffres pris au hasard donneront une idée de l'im- portance acquise par F électro-métallurgie dans la maison Christo- fle, qui n'est plus seule, depuis l'expiration des brevets Elkington. Il a été argenté cinq miUions six cent mille couverts, qui ont retiré de la circulation trente-trois mille six cents kilogrammes d'argent, valant six miUions sept cent mille francs. Une pareille quantité de couverts, exécutés en argent massif, aurait fait dis- paraître à la circulation un milUon de kilogrammes d'argent, c'est-à-dire plus de deux cents miUions de numéraire. Les trente-trois miUe six cents kilogrammes d'argent, à l'épais- S88 GRANDES USINES seur adoptée pour les couverts, c'estt-à-dire à trois grammes par décimètre carré, couvriraient unie superficie de zeize mille hectares. ' On voit par le chiffre que nous venons d'indiquer l'accrois- soment rapide que prend l'argenture élcclro-cliimique, et ce- ORFÉVRERIE CHRISTOFLE. — Moulage de galvanoplastie. pendant pour nous, c'est encore bien peu de chose. — Tous nos usi ensiles de cuisine, tous les vases destinés à contenir des ma- tières ahmentaires, ne devraient-ils pas être argentés par le même procédé? Les métaux préciem du numéraire remplacés par un papier-monnaie, rentreraienit dans l'industrie ou ils re- prendraient leur véritable place; grâce aux procédés électro-chi- miques l'or et l'argent, pourraient fournir un nombre consi- ORFÈVRERIE CHRISTOFLE. 289 dérable de vases et d'ustensiles puisque, avec un couvert d'argent massif , on peut en argenter trente avec une parfaite solidité. Avant de commencer l'application des métaux précieux sur ORFÈVRERIE CHRISTOFLE. — Atelier des brunisseuses. le cuivre ou le laiton , il faut faire subir aux objets destinés à cette fabrication une opération qui s'appelle le décapage. Le dé- capage consiste dans l'enlèvement de toutes les parties oxydées ou Typ. E. PloQ et C'«. 49" liv. 290 GRANDES USINES. graisseuses qui recouvrent le miétal lui-même ; car l'or et l'argent n'adhèrent pas sur des surfacces métalliques altérées; — d'un autre côté, comme les particules se déposent uniformément, et comme la surface nouvelle repjroduit exactement l'ancienne, si cette première est rugueuse, la seconde l'est aussi; et si, par le décapage, on détermine une siurface polie, la surface déposée le sera de même. Ce décapag^e peut avoir lieu de différentes manières , mais le but est toujoiurs identique. ïl y a deux sortes très-distimctes de décapage : le décapage chimique et le décapage mécaniique. Le décapage chimique s'ap- plique au bronze et au laiton ; il se compose d'une série d'opé- rations assez compliquées. La première consiste à faire recuire les pièces d'orfèvrerie en bronzte sous un feu de mottes, conduit assez vivement pour détruire touites les parties organiques déposées sur les parois du vase pendant sja fabrication , et pour opérer une sorte de recrouissage qui redresse les molécules métalliques aplaties et condensées par la p^ercussion au marteau. Ce feu ne doit pas cependant être assez développé pour déformer les par- ties délicates des pièces d'orfèvrerie fine. Cette élévation de températmre détermine la formation d'un oxyde de cuivre noir qu'il faut (détruire pour amener le métal au vif. Pour cela on plonge les piècces dans un bain d'acide sulfurique étendu d'eau. Ce bain est mainttenu chaud pour le trempage des petits objets qui y séjournent quelques instants et laissé froid pour les grandes pièces qui y reîstent plongées une demi-journée. Pendant cette immersion , l'oxyde noir de cuivre passe à l'état d'oxyde rouge uniformément iréparti ; la pièce est alors passée dans un bain usé d'acide nitrique et d'acide sulfurique, lavée ensuite à l'eau, puis replongée dans un bain composé d'un mé- lange assez concentré d'acides nitrique, chlorhydrique et sul- furique. Quand on retire les pièces de ce bain où elles ont à peine séjourné quelques secondes, ellles sortent avec un éclat qu'il est impossible de se figurer si l'on m'en a pas été témoin. Le cuivre. ORFÈVRERIE GHRISTOFLE. 291 surtout à l'état pur tel qu'il est déposé par les procédés galvano- plastiques, prend des teintes rosées d'une douceur et d'un éclat qui justifient le nom de cuivre (Ciiprum) , métal de Vénus (Cyprie), que lui avaient donné les anciens. Mais cette teinte, si fine et si charmante, dure à peine quelques minutes , et l'action de l'air la ternit très-rapidement, en la glaçant de tons noirs ou bleuâtres qui se changent bientôt en couches repoussantes d'oxydes et de sulfures. Les objets en laitons ne sont pas recuits au feu ; ils sont seule- , ment passés aux bains d'acides, puis lavés dans une solution de potasse et séchés dans la sciure de bois. Le passage des pièces au milieu de ces différents bains s'appelle dérochage. Quant aux objets en maillechort contenant du nickel et qui ne pourraient supporter l'action des acides, ils sont décapés méca- niquement, c'est-à-dire frottés énergiquement au moyen d'une brosse ronde , mue par une transmission à courroie et faisant sept cents tours à la minute. Cette brosse est en soie de sanglier, et imprégnée d'une légère couche de pierre ponce pulvérisée. Le frottement de cette brosse remplace l'action des acides et enlève les matières grasses et des oxydes. Elle remplace aussi l'action du recrouissage en agissant sur les molécules. Le décapage mécanique donne d'aussi bons effets que le déca- page chimique et s'opère encore assez rapidement, puisqu'un seul ouvrier peut l'appliquer sur trente-six douzaines de couverts dans une seule journée. Une fois décapées, les pièces sont séchées dans un bain de sciure de bois maintenu à quarante degrés de chaleur environ , sur des caisses en tôle chauffées par une injection de vapeur. Lorsqu'elles sont sèches, on vérifie leur fabrication une à une, et on les porte dans un bureau où elles sont minutieusement pesées pièce par pièce, après avoir été dans l'atelier même pesées en masse ; on établit ainsi un contrôle parfaitement sûr, car l'ad- dition des objets séparés doit représenter la somme. Ce pesage est rigoureux, car une des grandes préoccupations 292 GRANDES 1USINES. de l'usine Christofle est d'indiquen^ strictement sur son orfèvrerie la quantité d'argent déposé; l'aclieîteur sait ainsi ce qu'il acquiert. — Supposons une cloche destinœe à couvrir un réchaud : elle pesait avant d'être argentée cinq[ cent quarante grammes, elle pèse après l'argenture cinq cent soixante-seize , elle a donc acquis trente-six grammes d'argent. Smr ces trente grammes, cinq . appartiennent au bouton qui siur monte la cloche et qui a été argenté plus fortement que le) reste, comme toutes les par- ties de vase plus susceptibles (de frottement. Ce poids est minutieusement vérifié, et on peiut alors appliquer sur la cloche un poinçon portant le chiffre 56 :à côté de la marque de la mai- son et du numéro d'ordre sous llequel la pièce est inscrite. La cloche sur laquelle nous avons viu faire ces pesées portait le nu- méro 555,675 , et était destinée aiux paquebots des Messageries impériales. Entre le premier et le second ptésage, les pièces ont été plon- gées dans un bain argentifère 0)ù s'est opéré, sous la main de l'homme et presque invisiblement:, une des plus singulières trans- formations de l'industrie modernte. Comme nous l'avons dit en faisiant l'historique de l'électro-mé- tallurgie, en attachant un objet miétallique à l'extrémité du fd né- gatif d'une pile , en plongeant cet'^ objet dans un bain argenté où trempe une lame d'argent massif nommée a/zot/e, communiquant au pôle positif de la même pile , les molécules d'argent se déta- cheront de l'anode pour se porter sur l'objet attaché au pôle né- gatif, et ceJa instantanément. Avamt d'être plongées dans le bain , les pièces reçoivent un nouveau diécapage destiné à remettre à vif le métal sali pendant les différenits pesages. Ce décapage s'exé- cute en passant les pièces succe3ssivement dans l'alcool, l'eau seconde , le nitrate de mercure et. l'eau courante. On lie les objets à argenter a vec des fils de cuivre rouge se terminant par un crochet ; au mo^yen de ce crochet on les suspend à des tringles de laiton posées en travers des cuves contenant le bain, et dès que le crochet a touché la tringle, l'opération corn- ORFEVRERIE GIIRISTOFLE. 293 mence; rien au monde n'est plus surprenant. En effet, les bains sont transparents, presque incolores; aucun mouvement ne s'opère, et si instantanément, vous retirez l'objet, il est déjà re- couvert d'une couche d'argent suffisante pour envelopper entiè- rement le bronze ou le laiton dont il est fait. Quelle est la composition de ces bains merveilleux? Quelle est la théorie scientifique de cette opération si curieuse ? La solution de ces questions demande une étude particulière, et nous l'em- ORFÉVRERIE CHRiSTOFLE. — Cuve et pile. prunterons à un remarquable travail inédit, qui nous a été com- muniqué par M. Bouilhet, ingénieur de l'usine Christofle. « C'est, dit M. Bouilhet, au moyen du cyanure double de potas- sium et d'argent dissous dans un excès de cyanure de potassium que s'effectue l'argenture électro-chimique. Bien des moyens peu- vent être employés pour arriver à ce résultat. Nous nous conten- terons de donner ici place au plus simple de tous. 1. On dissout 2 kilogrammes d'argent dans G kilogrammes 294 GRANDES USINES. d'acide nitrique, eton évapore jusqu'à ce que le nitrate soit fondu. De cette manière, on chasse non-seulement l'excès d'acide, mais aussi on réduit la petite quantité de cuivre qui se trouve toujours dans l'argent le plus pur du commerce. Puis on fait dissoudre le nitrate d'argent dans 25 litres d'e;au. i)D'un autre côté, on a fait disso)udre 2 kilogrammes de cyanure de potassium dans 10 litres d'eaui. Cette solution, ajoutée petit à petit dans la solution d'argent, détermine une précipitation de cyanure d'argent et la formation d'azotate de potasse. » Cette opération , conduite avfôc circonspection jusqu'au mo- ment où l'action d'une petite quaiutité de la solution de cyanure ne détermine plus de précipité, p)ermet d'éliminer par décanta- tion le nitrate de potasse qui reste) en dissolution. On lave à l'eau pure le précipité formé, et on Le dissout immédiatement dans 2 kilogrammes de cyanure de pot^assium ; puis on ajoute de l'eau de manière à former 100 litres de bain. Lorsque l'on veut opérer sur de petites quantités, ce baim est immédiatement propre à l'argenture. » Si, au contraire, on veut faire) fonctionner de grandes masses de liqueurs argentifères, il faut,, afin d'obtenir un bon dépôt, faire macérer pendant quelques jours avec des anodes en argent et des plaques de cuivre mal déc;apées, sur lesquelles s'opère le dépôt. On peut arriver au même résultat en faisant bouillir le liquide pendant quelques heures. » La solution d'argent ainsi obtenue est mise dans de grandes cuves rectangulaires en bois, dont! les parois intérieures sont dou- blées en gutta-percha , afin de prév^enir l'absorption de la liqueur. La cuve est divisée dans sa longuesur par des tringles auxquelles sont suspendues des anodes en ar'gent pur destinées à maintenir un état de saturation constante. Toutes les anodes sont reliées entre elles par un châssis en cuivTe communiquant au pôle po- sitif. » Entre les anodes sont placées des tringles de cuivre commu- niquant, par un ensemble de châissis isolés, du bain minéralisé ORFÈVRERIE GHRISTOFLE. 295 au pôle négatif de la pile. C'est là que l'on place les crochets chargés des pièces à argenter. )>Tout étant ainsi disposé, on décape les pièces, c'est-à-dire qu'on lessive à la potasse, on déroche à l'eau-seconde, puis on passe aux acides, ou l'on ponce, suivant la nature du métal, et on sèche à la sciure de bois chaude ; puis, comme les pièces ont pu être oxydées et graissées par le contact des mains, avant de plonger dans le bain on fait un second décapage, qui consiste à les tremper dans l'alcool, dans l'eau-seconde, dans le nitrate de mercure et à les rincer dans l'eau fraîche. » Mises dans le bain, les pièces se couvrent immédiatement. . Pour un bain contenant 600 litres de liquide, l'élément de Bunsen de O^^d sur O^iO , soit 10 décimètres carrés de surface, suffit pour déposer en six heures 450 grammes d'argent. » Le courant électrique agissant en raison inverse des dis- tances, il s'ensuit que plus une pièce ou une partie de la pièce est rapprochée de l'anode , plus il s'y dépose d'argent ; il est donc utile de mettre à profit cette particularité du courant galvanique en plaçant en regard de l'anode les parties qui, dans les pièces à argenter, sont les plus exposées au frottement. » Quel est l'agent de l'argenture et de la dorure ? C'est une question à laquelle il était important de répondre. » Dans un mémoire que nous avons adressé à l'Académie des sciences et fait à l'occasion du dernier procès dans lequel s'agi- tait la question d'invention entre MM. Elkington et de Ruolz, nous avons montré que, quel que soit le prussiate employé, le cyanure blanc, le cyanoferrure jaune, le cyanoferride rouge, le résultat de la réaction était le même, et que toujours on retrou- vait et on pouvait isoler de la liqueur le cyanure double de potas- sium et d'argent, et que , par suite , c'était à lui seul que l'on de- vait attribuer la propriété d'argenter. Voici ce qni se passe dans ces trois circonstances : » 1° Quand on mélange du cyanure d'argent et du cyanure de potassium, le sel double KCy, AgCy se forme immédiatement. ORFÈVRERIE GHRISTOFLE. 297 ORFÉVRERIÉ CHRISTOFLE. — Polisseur. » 2" Quand on fait bouillir du cyanure d'argent dans le cyano- ferrure jaune de potassium, la liqueur devient alcaline, et il se forme du cyanoferrure d'argent et du cyanure de potassium. Par l'ébullition, le cyanoferrure d'argent se dédouble en cyanure 298 GRANDES USINES. d'argent et en cyanure de fer ; le cyanure d'argent se combine avec le cyanure de potassium et forme le double sel GyK, CyKy. On peut représenter la réaction par la formule finale : 2CyAg 4- Gy'FeK^ = 2(GyKGyAg) + CyFe. » 5" Si on emploie le cyanoferride rouge , il se forme du cyano- ferride d'argent et du cyanure de potassium. Le cyanoferride d'argent se décompose ensuite en cyanure de fer et en cyanure d'argent, et le sel double GyK, GyAg se forme immédiatement, réaction qui peut se représenter par la formule : 3AgCy + Pe^K^Gy» =Fe^Gy' + 3(KCy,AgGy). » Il est donc évident que, dans tous les cas, c'est le sel double qui se forme, et que c'est lui seul qui a la propriété d'argenter. Étendant cette théorie à toutes les solutions qui ont été propo- sées, la substitution d'un équivalent à un autre ne change pas les réactions : on argenté toujours d'après les mêmes principes. On forme un sel double d'argent et d'une base alcaline plus stable que tous les sels simples d'argent, et qui, sous l'influence de la pile , se décompose en ses éléments. » Dans la décomposition des solutions d'argent par la pile , le cyanure d'argent seul est affecté ; l'argent se décompose au pôle négatif, et le cyanogène se porte au pôle positif. Le cyanure de potassium devenu libre, moins dense que le reste de la solution, s'élève à la surface du bain et détermine un courant ascendant. Le cyanure d'argent formé sur la plaque positive se dissolvant dans le cyanure de potassium libre, devient plus lourd que la masse du liquide qui l'environne , tombe au fond du bain et forme un courant descendant. De là résulte dans le bain une série de courants ascendants et descendants qui produisent à la surface des pièces une multitude de petites stries perpendiculaires. Pour les éviter, il suffit de rendre la densité du bain plus uniforme en agitant les pièces à argenter. ORFÈVRERIE GHRISTOFLE. 299 » La densité étant toujours plus considérable dans le fond qu'à la surface du bain, le dépôt d'argent est aussi plus rapide. L'ex- périence a prouvé que, sur une pièce plongée dans un bain ordi- naire, il se déposait un tiers de plus de métal dans la partie in- férieure. Le seul moyen de remédier a cet inconvénient est de retourner les pièces pendant le cours du travail. y> Le dépôt d'argent fait dans les cyanures est ordinairement mat. » En ajoutant un peu de sulfure de carbone à des bains, M. El- kington a trouvé le moyen de rendre le dépôt brillant. » La réaction qui se passe n'est pas encore bien déterminée. La meilleure manière de l'employer est de mettre dans un flacon bien bouché à l'émeri 10 grammes de sulfure sur 10 litres de bain, et de le laisser vingt-quatre heures en contact. Au bout de ce temps, il se forme un précipité noirâtre, et la solution est bonne à employer. Avant chaque opération d'argenture, on verse 1 centimètre cube de cette liqueur par litre de bain, et immé- diatement le dépôt devient brillant comme s'il avait été gratte- boëssé. ïLes bains se détruisent à la longue, c'est-à-dire que, par suite de l'exposition à l'air et du passage du courant électrique, il se forme une certaine quantité de carbonate de potasse et d'am- moniaque aux dépens du cyanure, qui altèrent les propriétés du bain. ï) L'anode soluble n'est donc pas suffisant pour en assurer la perpétuité? M. Christofle, préoccupé de ces inconvénients et des dépenses qu'occasionnait leur fréquent renouvellement , fit plusieurs tentatives pour remédier à ces accidents. M. Duche- min, ouvrier qu'il employait à ce travail, eut l'heureuse idée d'ajouter de temps en temps du cyanure de calcium. Par ce procédé, l'acide carbonique est passé à l'état de carbonate de chaux, et régénère une quantité équivalente de cyanure de po- tassium. » On est arrivé ainsi à conserver si bien les bains qu'une par- tie de ceux de l'usine datent de 1845. — La solution alcaline est 300 GRANDES USINES. tellement inaltérable, que les cuves en tôle ne présentent aucune trace d'oxyde, et que, sur l'un* d'elles entamée il y a cinq ans de manière à laisser une entaille à vif, cette entaille montrant le fer absolument à nu est restée brillante depuis cette époque. Il est vrai que l'argent qu'ils contiennent en dissolution se renou- velle sans cesse par les anodes, lourdes plaques de six kilogram- mes dont la duréa moyenne est d'environ quinze jours, et qui, réduites à la minceur d'une feuille de papier, sont retirées avant qu'elles s'émiettent dans le bain. » On juge de la rapidité de l'opération . et de son degré d'inten- sité, en examinant et pesant des tringles de cuivre plongées dans le bain et retirées de temps en temps comme les montres des fours à porcelaine. Au bout de quatre heures au plus, suivant le degré d'argen- ture que l'on désire donner aux pièces, l'opération est déterminée et on peut les retirer. Elles sont alors d'un blanc mat ressem- blant beaucoup à du biscuit de porcelaine, ou brillantes et polies suivant la combinaison du bain. Les crocTiets qui les suspendent et qui, eux aussi, se sont recouverts d'une couche d'argent, sont recueillis avec soin, fondus et traités comme tous les métaux qu'on veut affiner. Les pièces de petite dimension sont plongées entières dans les cuves; pour les grands objets, comme les statues, les grands sur- touts de table, les plaques de cheminées , on les divise en plusieurs parties réunies ensuite, ou bien on agrandit proportionnelle- ment les cuves en élevant leurs bords. Avant d'être livrée au commerce, la pièce sortant de la cuve a encore bien des opérations à subir. Elle doit être gratte-boëssée , c'est-à-dire frottée de toutes parts au moyen des brosses métalli- ques circulaires tournant avec une vitesse de cinq cents tours à la minute, humectées d'une eau légèrement mucilagineuse. Ces brosses sont dressées en fil de laiton tréfilé à Yilledieu dans des trous en rubis et si fins que, dans le commerce, ils ont reçu le nom de chefs-d'œuvre. Ce frottement n'enlève pas la moindre ORFÈVRERIE GHRISTOFLE. 301 parcelle d'argent, mais il met dans un même plan les différentes surfaces moléculaires irrégulièrement déposées, qui, par suite, ne réfléchissaient pas la lumière, et produisaient un effet de ma- tité presque absolu. On prépare ainsi la surface à recevoir le brunissage qui doit la rendre tout à fait polie et brillante comme un miroir. Ce sont des femmes auxquelles ce travail est confié. Elles se servent de petits instruments de toute ibrme en acier ou en éma- tite, suivant la nature de la surface à brunir. L'atelier du brunissage est un des plus gracieux de l'usine; comme à l'Imprimerie impériale, comme à la Manufacture des tabacs, les femmes, réunies en masse, sont d'une pro- preté qui va souvent jusqu'à la coquetterie. Leurs cheveux sont toujours minutieusement peignés et lissés; de même que les plieuses, les brocheuses et les relieuses, les brunisseuses, qui travaillent beaucoup des bras, les ont généralement déve- loppés, et ne craignent pas de les montrer avec une certaine complaisance. Elles sont du reste très-adroites, très-laborieuses, et quelques-unes d'entre elles gagnent même quatre à cinq francs par jour. Dans un autre atelier, composé d'hommes, se font deux opérations qui ont pour but d'augmenter la densité de la surface d'argent; elles sont surtout nécessaires aux vases qui doivent beaucoup servir, comme les plats et plateaux : l'une se nomme tranchage, et s'exécute en frottant fortement tous les con- tours et les parties des plats les plus exposés aux chocs et aux rayures; l'autre se nomme planage,ei s'opère en frappant la pièce sur un tas d'acier poH avec un marteau garni d'un coussm en parchemin. Les molécules d'argent sont ainsi rapprochées et acquièrent une grande cohésion. Après le brunissage, les différentes pièces d'orfèvrerie sont re- mises aux monteurs qui en ajustent les parties, puis pesées une seconde fois, marquées comme nous l'avons dit plus haut, et livrées au commerce. La dorure s'exécute d'une manière analogue, mais sur une 302 GRANDIES USINES. proportion beaucoup moindu'e; ainsi, tandis qu'on emploie environ quatre mille kilograimmes d'argent par année, c'est à peine si l'on dépose vingt-cinq kilogrammes d'or. Et cela s'explique parfaitement, d'ab*ord par les usages restreints de l'or en orfèvrerie, puis par ll'extréme divisibilité de ce métal dont nous verrons tout à l'heiure une preuve étonnante, quand nous parlerons de la dorure smr les fils métalliques destinés à la passementerie. La dorure se fait rarement ài froid; elle s'exécute presque tou- jours à chaud; dans les deux Pour l'obtenir, on fait dissoiudre 500 grammes d'or dans l'eau régale, on évapore jusqu'à conssistance sirupeuse. On reprend par l'eau tiède et on ajoute petit ài petit 5 kilogrammes de cyanure qu'on a préalablement dissout (dans l'eau ; on ferait ainsi 50 litres de bain. Il est utile de ne l'empJloyer qu'après l'avoir fait bouillir pendant plusieurs heures. La température la plus convenable pour opérer est 70°. Dans le .bain plonge une laime d'or mise en communication avec le pôle positif et qui sert ià l'alimenter continuellement. A mesure que le métal se dépose fsur l'objet placé au pôle négatif, une quantité d'or à peu près équivalente disparaît au pôle positif et maintient le bain dans la même situation. ï> Avant de porter les pièces dams le bain, on les rince dans l'alcool pour détruire les corps gras quii pourraient les ternir, puis dans une eau-seconde faible et dans 1© bain de nitrate de mercure, puis rincéesàgrandeeau;c'estdanscetétatquel'onplongedanslebain. » Tous les métaux se dorent également bien dans le bain que nous venons d'indiquer ; mais l'aicier exige un bain plus concentré ou un cuivrage préalablement dlans un bain alcalin. » On peut, au moyen de réserves ou épargnes, obtenir diffé- ORFÈVRERIE CHRISTOFLE. 303 rents effets artistiques dont le goût est le seul juge. Le vernis le plus propre à ce genre de travail est composé de vernis copal, huile et chromate de plomb , dont les proportions varient suivant le degré de fluidité désiré. !> Il s'applique au pinceau sur toutes les parties où l'on ne veut pas que le métal se dépose. Lorsqu'on le laisse sécher conve- nablement il n'est nullement attaqué par les dissolutions acides ou alcalines. Il se délaye complètement dans l'essence de téré- benthine ou la benzine. » On peut obtenir de l'or vert et de l'or rouge directement par la pile. Pour l'or vert, on ajoute au bain d'or une dissolution de cyanure double de potassium et d'argent , jusqu'à ce qu'on ait obtenu la couleur que l'on désire, puis on opère avec un anode en argent. Dans ce procédé, il est très-important de bien pro- portionner la surface de l'anode et celle de la pièce à dorer. 7> Pour obtenir l'or rouge, c'est une dissolution de cyanure de potassium et de cuivre que l'on ajoute au bain d'or. Mais ce der- nier résultat s'obtient plus facilement en employant le vert à rougir des anciens doreurs au mercure. ï> Lorsque les pièces sortent du bain d'or, elles ont ordinaire- ment une couleur terne qui ne peut être acceptée par le com- merce. » On a donc encore plusieurs opérations à leur faire subir : c'est le gratte-boëssage, la mise en couleur et le brunissage. Le gratte-bôëssage se fait à la main au moyen d'une brosse en fil de laiton dont le diamètre varie suivant la déhcatesse de l'objet. D II se pratique toujours au sein d'un liquide qui est le plus souvent une décoction de bois de réglisse dont le but est de for- mer un léger mucilage qui permette à la gratte-boësse de glisser plus doucement sur la pièce dorée. y> Pour les pièces unies, on remplace le travail de la main par celui du tour, comme on le fait pour les pièces argentées. Sur un arbre faisant 500 évolutions par minute, on monte un mandrin 304 GRANDES USINES. en cuivre muni d'une brosse en fil de laiton; un réservoir supé rieur amène constamment sur la brosse le liquide mucilagineux qui s écoule dans un baquet inféri.eur. Un ouvrier peut ainsi faire ce que dix ne feraient pas à la main dans le même temps. » La mise en couleur se fait au moyen d'une bouillie appelée or moulé et composée ; ORFEVRERIE CHRISTOFLE 305 Alun 30 parties. Nitrate de potasse. . . 30 Ocre rouge 30 Sulfate de zinc .... 8 Sel marin 1 Sulfate de fer . . . .1 100 On Rapplique de la même manière que nous avons indiquée pour la dorure au trempé. La soudure au chalumeau Lg brunissage s'efïectue, comme pour FargenturOj au moyen de pierres dures, telles qu'agates, hématites enchâssées dans des 20e LIV. Paris. Typ. E. Pion et G'^ 306 GRANDES USINES manches en bois ou d'outils en acier parfaitement bien poli. >j Le dédorage se fait dans un mélange de : acide sulfuriquc, 1 0 parties; sel marin, 1 : azotate de potasse, 2i. Lorsqu'une pièce a été manquée ou que sur une pièce usée on veut déposer une nouvelle couche, il est nécessaire d'en retirer l'argent déjà déposé. Poui^ arriver à ce but on mélange sflt par- ties d'acide sulfurique à 66° et une partie d'acide nitrique à 40°. Ce hquide a la propriété de dissoudre l'argent sans attaquer le cuivre ; on opère au bain-marie à la température de 70^». Dans un bain neuf de désargentage, le cuivre est tellement bien préservé par la présence de l'acide sulfurique qu'on a pu employer ce procédé pour déterminer la quantité d'argent dont une pièce est recouverte. Une série d'expériences faites sur des pièces ayant des poids connus d'argent a permis de déterminer la valeur du procédé. On a reconnu que pour que l'opération se fît dans de bonnes conditions, un htre de liquide ne devait pas absorber plus de 25 grammes d'argent. Passé cette limite, le cuivre est attaqué légèrement. On a constaté de plus que si on désargente une plaque de cuivre de i décimètre carré sur laquelle on a déposé une couche de cuivre de 5 millimètres entre % couches d'argent de 3 grammes, la couche de cuivre interposée préservait complètement la cou- che d'argent sous-jacente. On le voit donc, l'exactitude du procédé n'a d'autres limites que l'approximation de la balance que l'on emploie. L'opération doit être conduite plus lentement et à froid, et les résultats en sont toujours moins sûrs que ceux du désargentage. On peut désargenter et dédorer dans une solution de cyanure 'oncentré que l'on soumet à l'influence de la pile en intervertis- sant les pôles. Ce procédé s'apphque plus convenablement aux pièces en acier, car ce métal placé au pôle positif de la pile n'est pas attaqué, tandis que For, l'argent et le cuivre se dissolvent facilement. ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 307 Une des plus nouvelles et des plus singulières applications de la dorure est la fabrication des fils dorés pour la passementerie ; on commence par argenter fortement une baguette de cuivre ; cette baguette est ensuite étirée de manière à donner un fil très-fm, argenté dans toute son étendue. Ce fil, enroulé autour d'une bobine, est dévidé aù moyen d'un rouet, et passant rapi- dement au milieu d'un bain d'or, le couvre instantanément d'une surface jaune et brillante. L'or, ainsi déposé, est tellement divisé qu'un gramme recouvre un kilogramme de fil mesurant seize kilomètres environ. Cette application est une industrie, encore au berceau, et dont le premier appareil se compose de deux capsules en porce- laine , et d'un vieux rouet de passementerie ; d'ici à quelques années ce sera une des branches les plus importantes de félec- tr o-m é tallur gique . Une autre branche en pleine frondaison, est la galvanoplastie dont les différents usages croissent tous les jours en nombre et en importance. Elle se pratique principalement sur le cuivre. Dans la dorure et l'argenture et en général dans les dépôts adhé- rents, on emploie les sels doubles alcahns, dans la galvanoplas- tie de cuivre, on emploie les sels simples acides. C'est avec du sulfate de cuivre légèrement acidulé par l'acide sulfurique, qu'on réduit le cuivre métalhque; on emploie l'ap- pareil simple, c'est-à-dire la pile dans l'intérieur du bain, et on obtient un équivalent de cuivre pour un équivalent et demi de zinc dissous. Ce demi-équivalent sert à vaincre les résistances et les pertes d'électricité, car, théoriquement, on devrait avoir équivalent pour équivalent. L'anode n'est plus employé, et le bain est ahmenté par des cristaux de sulfate de cuivre qui se dissolvent dans le bain au fur et à mesure de son épuisement. La qualité du métal réduit dépend du juste équilibre entre la force employée et le travail à produire. Le dépôt peut passer par tous les états physiques d'un métal, depuis la poudre fine sans cohésion jusqu'au métal 308 GRANDES USINES ayant toute la raiaeur d'un cuivre laminé ou forgé, cela dépend de l'intensité du courant électrique. On fait à l'usine de la rue de Bondy des plaques de cuivre qu'on peut travailler au tour et au marteau à l'égal du meilleur cuivre suisse. Le dépôt de cuivre s'exécute d'ordinaire sur des moules en gutta-percha rendue conductrice de l'électricité par la plom- bagine («). La gutta-percha ramollie par une chaleur de 8», est appUquée sur le modèle dont on doit prendre l'empreinte, et (a) « DES MOULES. — Pour obtenir un dépôt de cuivre, il faut d'abord préparer les moules destinés à le recevoir. Us sont de deux natures. Les premiers ou moules conducteurs de l'électricité, sont métalliques et ordinairement en cuivre, plomb pur ou métal fusible. • Les seconds ou moules plastiques , sont en cire, stéarine, plâtre, gélatine ou gutta-percha, et ne sont pas conducteurs de l'électricité ; ne pouvant recevoir les dépôts directement, ils doivent être métallisés. » MOULES MÉTALLIQUES. — Les moules en cuivre s'obtiennent en faisant un dépôt électro-chimique de métal sur l'objet à reproduire. Si le modèle est en métal, il est nécessaire d'empêcher l'adhérence du dépôt galvanoplaslique. On y arrive en le frottant légèrement avec une brosse douce imprégnée de plomba- iine^ ou bier, d'essence de térébenthine, en ayant soin de bien essuyer avant de porter au bain. Si le mo- dèle n'est pas en cuivre, mais en zinc, en fer ou en un métal attaquable dans les bains acides, il est nécessaire de recourir à un cuivrage préalable dans les bains alcalins. Si le modèle est en plâtre ou en cire, il est nécessaire de le métalliser; c'est un travail que nous indiquerons tout à l'heure. » Les moules en plomb ne peuvent se prendre que sur des corps métalliques ou de matières qui ne peu- vent être altérées par la pression. Il suffit de mettre l'objet à copier entre une plaque de plomb et une plaque d'acer, et de soumettre le tout à l'action d'un laminoir. Ce procédé a été heureusement appliqué à l'imprimenc impériale de Vienne pour la reproduction des plantes, des fleurs et des organes des végétaux. Les moules en métal fusible ne sont guère employés qu'à la reproduction des médailles. L'alliage, com- posé de ; Plomb. ...51 Étain .... 3 J est celui dont on se sert le plus. Bismuth . . . 3 ) » Il fond à la température de 80° centigrades. Il est nécessaire, avec cet alliage, pour exécuter un moule, d'avoir recours aux procédés de clichage par percussion. » L'alliage doit être fondu plusieurs fois pour que le mélangé soit parfait. Lorsqu'il est prêt à servir, on le coule sur un papier huilé, on le remue jusqu'à ce qu'il prenne une consistance pâteuse et qu'il paraisse sur le point de cristalliser. On emùve la couche d'oxyde qui s'est faite à la surface et on frappe légèrement avec la médaille flxce préalablement dans un mandrin en bois en la maintenant en contact jusqu'à ce que le métal soit complètement froid. Ce n'est qu'à ce moment que le moule peut être séparé de la médaille. » MOULES PLASTIQUES. — Les matières plastiques les plus employées sont : le plâtre, la cire, la stéa- rine, la gélatine et la gutta-percha. « Pour ces premières matières, les moules sont obtenus par voie de coulage. Les procédés employés sont tellement connus que nous ne les décrirons pas. Pour les plâtres seulement, il est une condition à remplir une fois le moule fait, c'est de le rendre inattaquable avec la solution de sulfate de cuivre. Il suffît pour cela de le plonger dans un bain de stéarine fondue jusqu'à ce qu'il en soit imprégné. Cette opération ne peut être faite qu'après une parfaite dessiccation du plâtre. La stéarine employée pour les moulages doit avoir 6lé mélangée avec de la cire vierge. Seule, elle cristallise par refroidissement et ne donne pas toute la pureté dentelle est susceptible. Lorsque l'objet que l'on veut reproduire n'est pas de dépouillé, c'est-à-dire quand il présente des sinuosités telles que le moule ne pourrait être détaché du modèle sans se briser, on ne peut employer les substances que nous venons d'indiquer, on a recours à la gutta-percha et à la gélatine, » MOULAGE A LA GUTTA-PERCHA. — Cette matière est éminemment propre aux opérations galvano- plastiques. Assez élastique pour permettre la reproduction d'objets fouillés et complètement inaltérable dans les bains acides ou alcalins j elle peut sewir presque indéfiniment sans être nullement altérée dans ses qualités ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 309 maintenue au moyen d'une presse énergique. Lorsqu'on juge que le refroidissement est suffisant pour qu'elle garde l'empreinte en conservant l'élasticité nécessaire au dégagement des parties très-fouillées, on l'enlève vivement. On la découpe de manière à lui donner la grandeur voulue, on la plombagine et on la met au bain. Les applications de la galvanoplastie sont nombreuses, presque chacune d'elles est une industrie entière. M. Christofle l'a plus spécialement appliquée à la reproduction des objets d'art et des fines ciselures, à la décoration des meubles des appartements, à » Il y a deux manières d'obtenir le moule . par voie de fusion et par voie de compression. Le premier moyen consiste à mettre le modèle et la plaque de gutta dans un four, de manière à former une espèce de lasion de la matière à la surface du modèle, puis à pousser avec la main qu'on trempe dans l'eau froide pour l'impêcher d'adhérer à la gutta jusqu'au moment oii on suppose que l'empreinte est parfaitement prise. Lors- que la gutta est refroidie suffisamment, on démoule en l'enlevant rapidement ; elle revient a/ors sur elle - même et donne tous les détails du modèle ; mais cette méthode a l'inconvénient d'altérer profondément la gutta, qui ne peut servir qu'à un petit nombre d'opérations, et d'exiger un temps assez long pour chacune d'elles. Le second procédé, bien préférable au premier, opère par pression. Il demande un matériel assez considérable, mais produit plus rapidement et mieux que celui que nous venons d'indiquer, sur la plate- forme d'une presse à vis, on dispose un châssis dans lequel se trouve la couche où est fixé le modèle à re- produire, sur la couche on met une boule, de gutta ramollie à l'eau bouillante et qu'on a longtemps pétrie dans la main, puis une contre-pièce représentant les principales sinuosités du modèle, et ayant à sa partie supérieure une surface horizontale. La gutta, en s'affaissant par la pression, chasse l'eau devant elle et s'im- prime parfaitement sur le modèle. On laisse refroidir et on démoule. Le moulage à la gutta exige des modèles en métal sur lesquels on puisse presser sans crainte, ou les soumettre à la chaleur. Si le modèle est en plâtre ou en cire, on a recours au moulage à la gélatine. » MOULAGE A LA GÉLATINE. — La gélatine est plus élastique que la gutta, et permet d'exécuter des objets plus fouillés. Seulement, elle a l'inconvénient de s'altérer facilement dans les bains acides, et de fournir un métal très-cassant par suite de la nécessité où l'on est de faire un dépôt rapide pour éviter l'altération de la surface du moule. Elle devient à peu près imperméable en ajoutant à la dissolution de la gélatine dans l'eau chaude, 2 0|o d'acide tannique dissous dans l'alcool, et 10 de mélasse. Mais elle s'altérerait encore si on n'avait pas soin de préserver la surface extérieure du moule avec une enveloppe en feuilles minces de gutta- percha. Elle s'emploie par voie de coulage et demande un temps assez long pour son complet refroidisserati t à la surface du modèle. » MÉTALLISATION. — Cette opération est accomplie par l'emploi des moules conducteurs de l'électricité. Il y a deux moyens d'obtenir cette métallisation : la voie sèche et la voie humide. De toutes les poudies appliquées par voie sèche, la plombagine est la meilleure, sa nature onctueuse rendant son application plus facile. Elle se fait au moyen d'un pinceau en blaireau pour amener la plombagine dans les parties les plus fusibles, et d'une brosse très-douce pour rendre les surfaces brillantes. Toutes les plombagines ne donnent pas également une bonne métallisation. Il est donc utile de faire l'essai de la condnctibilité avant de l'em- ployer. La voie humide consiste à imprégner la surface du moule d'une solution métallique et à réduire le métal qu'elle contient par l'action d'un gaz, d'un liquide ou de la lumière. La solution la plus convenable est celle du nitrate d'argent dans l'alcool : on l'applique sur le moule avec un pinceau fin, et on laisse sécher ; on fait deux ou trois applications successives, puis on soumet la pièce à l'action de l'hydrogène sulfuré nais- sant. Aussitôt que la surface du moule est devenue noire, on peut la porter au bain, car l'aigent sulfuré la rendra conductrice. On peut arriver au même résultat en remplaçant l'action de l'hydrogène sulfuré par celle du phosphore dissous dans le sulfure de carbone, ou par l'action directe dans la lumière solaire ; mais le premier moyen est préférable. C'est par ce moyen qu'Elkington, en Angleterre, et M. Picdallu, officier d'artil- lerie, en France, sont parvenus à métalliser les substances végétales et animales, tels que fleurs, fruits, pe- tits insectes, objets en jonc, en vannerie, etc., de manière à produire des résultats très-curieux. C'est aussi par la métallisation par la voie humide que l'on peut couvrir le verre et les métaux de dépôts métalliques qui permettent d'obtenir des effets artistiques remarquables. » (bouilhet. — D« l'Êlectrc-métallurgie). 310 GRANDES USINES la grande statuaire, à la gravure et à l'ornementation de tous les objets d'orfèvrerie, où la main d'un artiste, plusieurs fois répétée, eût entraîné à de grandes dépenses. Pour cette dernièra applica- tion, on a réussi à lui donner l'apparence d'un métal fondu et ciselé. La pièce galvanoplastique présentant l'aspect d'une coquille, ayant à l'intérieur les cavités formées par les reliefs extérieurs, est garnie de morceaux de laiton plus fusible que le cuivre rouge, et chauffée au moyen d'un chalumeau à gaz. Le cuivre jaune, fond, et, en se soudant entièrement avec la coquille de cuivre rouge, ne forme plus qu'un seul et même métal qu'on peut cintrer, limer, tourner, ajuster comme une pièce venue de fonte, avec cette seule différence que la surface extérieure, d'un fini parfait, n'a plus besoin du travail d'un ciseleur habile pour avoir une valeur artistique très-réelle. Bien avant que les brevets Elkington fussent expirés, M. Chris- tofle avait compris que l'avenir de son industrie dépendrait un jour de la perfection des formes, de la valeur des pièces sur les- quels il pratiquerait l'argenture. Aussi a-t-il fondé une véritable usine d'orfèvrerie préUminaire pour créer et préparer des pièces qui font la fortune et la gloire de sa maison Le métal employé en orfèvrerie est le laiton. Il est composé de 2/3 de cuivre rouge et de 1/3 de zinc. Il sert pour tout les objets tournés, estampés ou faits au marteau. Un autre alhage de cuivre et de zinc, dans d'autres proportions spéciales pour cette fabrication, est employé pour les objets fondus et ciselés. Le premier sert à faire les formes, le second est employé pour ce que l'on appelle les garnitures. Si les formes sont rondes ou ovales, elles se font au tour. Sur un premier modèle dessiné ou fait en plâtre, on tourne la forme en bois de la pièce à exécuter, puis on étabht une série de formes qui sont les intermédiaires entre la pièce à faire et la plaque de laiton qui doit être repous- sée. Ces formes sont appelées mandrins. On enfonce ou on re- lève le métal en lui faisant pi endre les contours du mandrin ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 3ii au moyeu d'outils en acier affectant différentes figures, suivant le genre d'effet à p-roduire; entre chaque passe du travail, on recuit la pièce dans un four à réverbère. Une timbale, par exemple, exige cinq mandrins et quatre rc- cuissons. Si sa forme n'est pas de dépouille, le dernier mandrin est fait en buis et brisé en plusieurs pièces, maintenues par un noyau central en métal qui, étant retiré le premier, permet aux autres pièces de sortir facilement. Si les formes sont carrées, à pans ou à côtes, l'emploi de matrices en fonte devient nécessaire. C'est sur le mouton que ce travail se fait ; c'est le mode de fabrication employé en Angleterre, mais en France on préfère ici tout rapporter à la fabrication du tour, plus rapide et plus économique. Lorsqu'une pièce ne doit pas se répéter un nombre de fois suf- fisant pour permettre la dépense d'une matrice, on la fait au marteau et à la main, travail pour lequel il faut des hommes exercés. C'est ce qui s'appelle la retreinte. Pour les garnitures on procède de la façon suivante : — Sur des modèles faits en cire et en plâtre, on fait un premier modèle en fonte, qu'un ciseleur habile termine en lui donnant toute la perfection désirable. C'est ce qu'on appelle le modèle. 11 passe entre les mains du mouleur, qui exécute des moules en sable dans lesquels on coule l'aUiage fondu dans des creusets. Ainsi obtenue, la fonte est ensuite ébarbée et ciselée par des hommes spéciaux. La ciselure est un travail dispendieux qui fait le plus ou moins de mérite d'une pièce finie. Pour abréger ce travail et obtenir des objets d'une grande perfection, on employé deux moyens : Le premier ne peut servir que pour les objets de dépouille c'est l'estampage. Il se fait dans des matrices en acier au moyen du balancier et du monton. Le second est la galvanoplastie, qui permet de faire toute espèce de pièces, même ronde-bosse et de la plus grande diffi- culté comme dépouille. La galvanoplastie se finit par le rem- 312 GRANDES USINES plissage en laiton, ce qui lui donne une très-grande valeur comme solidité et aspect. Puis vient la monture ; c'est le travail ORFÈVRERIE CimiSTOFLE. — Le mouton. qui a pour but d'appliquer sur les formes les garnitures ciselées et les maintenir au moyen de la soudure. La monture de- ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 313 mande beaucoup de sain et de précaution, car, du goût qui aura procédé à son achèvement dépend le plus ou moins de grâce ORFEVRERIE CHRISTOFLE. ~ Le tour ovale. de la pièce fabriquée. La soudure est faite au moyen du cha- lumeau à gaz. Par ce moyen, mis en pratique rue de Bondy su GRANDES USINES (pour la première fois en France), il y a plus de seize ans, on peut faire les pièces les plus difficiles en se rendant toujours compte de ce que l'on fait, parce que le travail est toujours à découvert, ce qui n'aurait pu se faire autrefois alors qu'on em- ployait le feu couvert pour arriver au même but. Après la soudure, vient la ragréure des bavures et la reparuro définitive de la pièce pour le polissage. Ce dernier travail se fait comme nous le verrons tout à l'heure pour les couverts ; au lieu de buffle, on emploie plutôt des brosses en poils de sanglier qui usent moins et rendent le travail plus uniforme. Après le polissage, les pièces sont décorées, soit avec de la gravure, soit avec de la ciselure repoussée, du guillochis ou de l'émail. La fabrication de l'orfèvrerie occupe, dans les ateliers, vingt- cinq chevaux de force. La fabrication des couverts est toute une industrie demandant une description spéciale. Elle se fait en France et à Carlsruhe, où la société Christofle possède aussi une importante usine. Le métal employé pour cette fabrication est exclusivement le maillechort, c'est-à-dire un alliage de cuivre, zinc et nickel. Le nickel est destiné à rendre le métal plus résistant et plus blanc. Le maillechort ordinaire contient 4 pour i 00 de nickel, le mail- lechort blanc, dit alfenide, en contient 12 pour 100. L'alliage est fondu dans des creusets par 2i5 kilog. à la fois. Douze fourneaux à air forcé, marchant ensemble, produisent par jour 1,000 kilog. de lingots plats, ayant 12! mill. de largeur, 1 mill. et demi d'épaisseur et 60 mill. de longueur. Ces lingots sont ensuite rabotés sur une machine spéciale dont le couteau a la largeur du lingot et enlève d'un seul coup la surface rugueuse et mauvaise ; ainsi un ouvrier peut faire 1 00 hngots par jour. Les hngots rabotés sont portés sous des laminoirs puissants qui les étendent en bandes de 1™,50 de longueur et les amènent è l'épaisseur désirable. Dans l'intervalle des différentes passes, on recuit plusieurs fois les lingots pour leur rendre l'élasticité première. Cette opération UilFÉVRERIE CHRISTOFLE se fait dans un four à réverbère ; après chaque recuisson les bandes sont décapées par les moyens ordinaires. Supposons la fabrication d'une cuiller : les bandes sont por- tées sous un découpoir excentrique qui enlève des flans qui ont en raccourci la terme de la cuiller. Le flan a partout la même épaisseur. Il s'agit de faire varier cette épaisseur en même temps que d'allonger et de donner la forme au couvert. C'est au moyen de rouleaux d'acier sur lesquels sont gravés les diffé- rentes formes qu'on arrive à ce résultat. Ces rouleaux sont montés sur la cage^ d'un laminoir muni d'un volant et pouvant fournir six pièces à la minute. Le cuilleron subit la première impression en largeur. La spatule subit un second laminage en longueur et largueur en même temps. Puis les trois parties sont étendues à la dimension exacte du couvert, seulement il reste à donner la dernière passe qui est appelée « finissage. » Les trois premières passes sont ap- pelées « passes de préparation. » La dernière se fait plus convenablement sur une machine ayant la forme d'un laminoir, mais ne faisant qu'un mouvement de va et vient par une bielle avec excentrique. Le but de cette machine est d'opérer une pression plus uniforme, en allongeant plus également la matière, et sans produire d'ondulations. Dans cette machine, les matrices, au Heu d'être des rouleaux gravés, sont des segments d'acier enchâssés dans des blocs de fonte, et réglés au moyen de vis de pression. Deux ouvriers sont nécessaires pour la manœuvre : l'un pose les pièces, l'autre les reçoit et les guide à la sortie. Ce qui a motivé cette forme de machine, c'est que, dans les laminoirs, on ne peut augmenter indéfiniment à cause du prix la dimension du rouleau et dans la machine à segments la surface de travail est sur une circonfé- rence de 60 centimètres de diamètre. Une paire de rouleaux de i % centimètres en acier fondu, vaut déjà 350 francs, gravés, plus de 500 francs. 316 GRANDES USINES Plus le diamètre du cylindre lamineur est grand, plus le lami- nage se fait régulièrement, car la pression a lieu normalement à la surface ; si cette surface se rapproche de la ligne droite, il y aura plus de chance de conserver la rectitude de la pièce qui vient de subir la pression. On se rapproche alors des qualités de la fabrication au balancier qui donne d'excellents produits, mais trop lentement obtenus. Un balancier peut faire à peine un couvert par minule; les machines à segments en font huit dans le même temps. De plus, la pression de la machine à segments ne s'exerce jamais que sur un point, et ainsi une force moins grande peut produire le même effet qu'une machine qui, comme la presse monétaire, imprimerait toute la surface du couvert à la fois. Une seule machine de ce genre peut aisément fournir 150 douzaines de couverts par jour, en admettant tout le temps nécessairement perdu par le montage et la mise en train de la machine. Le couvert, sortant de la machine, est plat ; pour en tirer la rebarbe qui s'est faite dans l'impression, on le présente à une meule d'émeri gros grain, tournant verticalement, et le dégros- sissage se fait rapidement. Cette opération s'appelle fraisage ; une meule plus fine termine ce travail. La cuiller est ensuite emboutie dans des matrices placées sous le nez du balancier, la fourchette découpée sous un découpoir à levier. La cambrure de l'une et l'autre pièce se donne au moyen d'une machine à deux leviers, et sur une matrice en fonte ayant le cambre du couvert. Des limeurs viennent ensuite régulariser le plat du cuilleron^ les dents des fourchettes. Ce travail se fait à l'étau dans des mâ- choires en bois, spéciales à différentes formes et le couvert esl alors prêt à polir. Le polissage se fait sur des tours animés d'une vitesse de deux mille révolutions par minute. Des morceaux de bufflie coupés de différentes formes sont montés sur l'arbre de tour et, au moyen ORFÈVRERIE CHRISTOFLE 317 de la ponce et de l'huile, on enlève les traits de lime et les irrégularités de surface. Une brosse en poil de sanglier termine ORFÈVRERIE CHRISTOFLE. - Travail au marteau, le travail en l'adoucissant. — Entre chaque opération, il y a un bureau qui reçoit, compte et vérifie la nature des pièces et met 318 GRANDES USINES de côté toutes celles dont le plus léger défaut , la plus petite irrégularité, paille, noirs ou manque de matière ne promettrait pas un couvert irréprochable. Les différents triages et déchets successifs du travail font que pour produire un kilogramme de couverts pouvant être livré au commerce, il faut en fondre et laminer trois kilogrammes. Par année la production de l'usine est de soixante mille douzaines de couverts ou autres pièces équivalentes qui se com- posent ainsi : 300,000 couverts de table, 35,000 couverts à dessert, 550,000 cuillers à café, 90,000 pièces de couteaux de table, couteaux à dessert, louches, ragoûts, cuillers à sauce, à sucre et tous articles dénommés sous h rubrique de petite orfèvrerie. Le personnel de l'usine est très-considérable; il est paternelle- ment administré. La direction s'est occupée de l'avenir de ses ouvriers, en créant à leur profit une dotation importante, et en entretenant aux atehers de Vincennes et du Vésinet un certain nombre de lits. Exemple malheureusement trop peu suivi («). (a) Voici le personnel de l'asine Christofle , Intérieur. Ouvriers argenteurs, doreurs, décapeurs, brunisseurs, orfèvres, fon- deurs, monteurs, chauffeurs, hommes de peine, planeurs 210 Ciseleurs 25 Brunisseuses, vernisseuses, polisseuses , 132 Employés 75 Artistes modeleurs 7 Extérieur. Cuilleristes, polisseurs, estampeurs. . 300 Orfèvres, monteurs, façonneurs, couteliers, emmaacheurs 90 Ciseleurs et graveurs 100 ^ 940 Brunisseuses 250 Fabrique de Carlsruhe 200 1,389 Ouvriers occupés indirectement pour la fabrique. Pondeurs, lamineurs, ouvriers en cristaux, tablettiers, ouvriers en produits chimiques, environ , 50 1,439 ORFÈVRERIE CHR^CiTQFtE 319 Ancien élève de Sainte-Barbe, c'est dans l'éducation fibéfaîe de ce célèbre établissement que M. Christofle a puisé les idées philanthropiques que nous lui voyons mettre en pratique. Plein de confiance dans l'avenir industriel de la France, il est entré - dans la seule voie qui puisse assurer sa suprématie sur tous les marchés du monde, en créant autour de lui une véritable dynastie Suite de la note a de la page précédente. Salaires des ouvriers. La moyenne du salaire des ouvriers est de 4 fr. 50 c. par jour. La moyenne du salaire des ouvrières est de 2 fr. 20 c. par jour. Appointements des employés. 1 employé intéressé 15,000 fr. 1 ingénieur 12,000 1 chef d'atelier 12,000 1 chef d'atelier 8,000 1 chef de comptabilité • 6,000 1 chef du contentieux. 6,000 2 chefs d'atelier 8,000 1 chef de correspondance 3,600 1 caissier 3,600 1 teneur de livres 3,000 1 chef d'atelier 3,000 2 dessinateurs 6,000 3 voyageurs 9,000 9 employés à 3,000 fr 27,000 id. 2,400 9,600 4 id. 2,100 8,400 8 id. 1,800 14,400 12 id. 1,500 18,000 9 id. 1,200 10,800 12 id. 1,000 12,000 75 195,400 Chiffre des affaires pour l'année Fr. 5,955,814 45 Il a été déposé, dans le courant de l'année, la quantité de 3,919 kilogrammes d'argent. Il existe dans l'établissement une caisse de secours, alimentée par une cotisation de SO centimes par quinzaine pour les hommes, et 2S centimes pour les femmes, par les amendes et par la caisse do l'établis- sement, qui contribue annuellement pour environ 1,500 francs. Cette caisse de secours, en cas de maladie , donne : Aux ouvriers mariés . . . . 3 fr. par jour. Aux ouvriers non mariés. . 2 Aux ouvrières 1 SO Il a, en outre, été créé pour les ouvriers et ouvrières ayant dix années de travail dans rétablissement, une dotation de 500 francs, en livrets de la caisse d'épargne, incessibles et insaisissables. Cette dotation, qui date de 1851, et qui a déjà produit une somme de 54,078 fr. 77 au profit des ouvriers, est réglée par des statuts dont voici les principales clauses : Après cinq années de séjour, l'ouvrier est inscrit pour une graliflcation de : 150 fr. j Trois années ajoutées aux cinq premières, 150 | 500 fr Deux années aux huit premières. . . 200 J Si l'ouvrier quitte, soit volontairement, soit forcément, il perd tout droit aux périodes acquises, et ta somme qui lui revient est répartie entre les autres ouvriers ayants droit. L'établissement entretient trois lits à l'asile impérial de Vincennes, et deux lits à' l'asile impérial dn Vésinet, pour les ouvriers et ouvrières convalescents. 3^0...... îî-.îg^^ndes usines industrieffê*; M. de Ribes, son gendre, M. Bouilhet, son neveu, le secondent déjà puissamment et, bientôt réunis à M. Paul Chris- tofle, son fils, continueront son œuvre. Réparons une omission. M. Christofle ne s'est pas contenté de ses travaux sur l'or et. l'argent; la belle découverte de M. Sainte-Clair Deville ne devait pas le trouver indifférent. Après avoir fait à des objets d'art l'application de l'aluminium allié à 3 pour 1 00 de cuivre, il a employé les nouvelles combinaisons de M. Deville, et se ser- vant de l'alliage à 10 pour 100 d'aluminium sur 90 de cuivre, il l'a appliqué à des coussinets de tour, à des glissoires et autres surfaces frottantes à grande vitesse. Ces expériences lui ayant dé- montré la supériorité de ce métal sur tous les alliages de cuivre, de zinc et d'étain employés jusqu'à ce jour dans l'industrie, comme résistance au frottement, au choc et à la traction, il a eu l'idée de l'appliquer aux armes de guerre. Des expériences se font en. ce moment à Vinceiines sur un obusier de cam- pagne, dont S. Exc. le maréchal ministre de la guerre a autorisé la fabrication. Les résultats obtenus jusqu'à présent paraissent démontrer une supériorité très-sensible sur le bronze de canon allié à 10 pour 100 d'étain. La seule question à résoudre main- tenant est celle du prix de revient de l'aluminium. Tout fait espé- rer que d'ici à peu de temps elle sera favorablement résolue, et que les prédictions de M. Dumas se trouveront réalisées (a). Ces travaux sur l'aluminium, le désir constant de perfectionne- ment que l'on retrouve à chaque pas dans l'usine de la rue de Bondy, soit comme procédé nouveau, soit comme création r^e nouveau modèle, prouvent que M. Christofle et ses collabora! curs ne s'arrêteront pas dans leur voie. (a) En 185S, l'aluminium^ à l'Exposition universelle, valait 3,000 francs le kilogramme. Aujourd'hui il vaut 200 francs, dans un mois il vaudra 120 francs, et si les prédictions de M. Dumas se réalisent, comme tout le fait espérer, ce précieux métal ne vaudra un jour que 12 francs. Fin DE l'orfévreuie christofle CHTY CtNIER LIBRARV 3 3125 00093 7041